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Jurisprudence récente de la Cour constitutionnelle en matière de bail commercial, R.D.C.-T.B.H., 2011/8, p. 777-786

BAIL COMMERCIAL
Cession et sous-location - Solidarité du preneur cédant - Faillite du preneur cessionnaire - Excusabilité du preneur cessionnaire - Décharge du preneur cédant (non)
L'article 11, III de la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux prévoit qu'en cas de cession de bail, le preneur originaire demeure solidairement tenu de toutes les obligations qui dérivent du bail initial. L'objectif de cette solidarité est de fournir au bailleur une compensation du droit du preneur commercial de céder son bail.
En vertu de l'article 82, 1er alinéa de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, les créanciers d'un failli déclaré excusable ne peuvent plus le poursuivre.
La combinaison des deux articles précités peut aboutir à ce qu'un preneur cédant soit tenu des dettes découlant du bail alors même que le preneur cessionnaire, tombé en faillite et déclaré excusable, en est déchargé.
Cette circonstance n'ôte toutefois pas sa justification à l'article 11, III de la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux. Dès lors, cet article ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
HANDELSHUUR
Overdracht en onderhuur - Hoofdelijkheid van de overdragende huurder - Faillissement van de overnemende huurder - Verschoonbaarheid van de overnemende huurder - Vrijstelling van de overdragende huurder (niet)
Artikel 11, III van de handelshuurwet van 30 april 1951 voorziet dat in het geval van overdracht van huur, de oorspronkelijke huurder hoofdelijk gehouden blijft tot alle uit de aanvankelijke huur voortvloeiende verplichtingen. Het doel van deze hoofdelijkheid is het voorzien in een compensatie aan de verhuurder voor het recht van de handelshuurder om zijn huur over te dragen.
Op grond van artikel 82, 1ste alinea van de faillissementswet van 8 augustus 1997, kunnen de schuldeisers van een gefailleerde die verschoonbaar is verklaard, hem niet meer vervolgen.
De combinatie van de twee voornoemde artikelen kan ertoe leiden dat de overdragende huurder gehouden is tot de schulden die voortvloeien uit de huur, terwijl de overnemende huurder zelf, die failliet is gegaan en verschoonbaar is verklaard, hiervan vrijgesteld is.
Deze omstandigheid ontneemt echter niet de rechtvaardiging van artikel 11, III van de handelshuurwet van 30 april 1951. Bijgevolg schendt dit artikel de artikelen 10 en 11 van de Grondwet niet.
Jurisprudence récente de la Cour constitutionnelle en matière de bail commercial
Suzy Miller [1]
I. Introduction

1.La Cour constitutionnelle a rendu l'année passée deux intéressants arrêts en matière de bail commercial. Le premier arrêt date du 27 mai 2010 [2] et concerne la solidarité du cédant d'un bail commercial pour les dettes d'un cessionnaire tombé en faillite et ayant fait l'objet d'une excusabilité à l'issue de la procédure de faillite. Le second arrêt, du 22 décembre 2010 [3], se penche sur la faculté de demander la révision du loyer au cours du bail à durée indéterminée qui naît suite à une reconduction tacite. Nous commenterons tour à tour ces deux arrêts.

II. Arrêt du 27 mai 2010 - Cession de bail commercial et excusabilité du cessionnaire failli

2.Dans les lignes qui suivent, nous examinerons en premier lieu les règles gouvernant la cession de bail commercial (A), nous nous pencherons ensuite sur le cas particulier de la faillite du cessionnaire (B) pour nous attarder, enfin, sur l'arrêt de la Cour constitutionnelle (C).

A. Bref rappel des principes en matière de cession de bail

3.Les règles relatives à la cession d'un bail commercial, telles que prévues par la loi sur les baux commerciaux du 30 avril 1951 (ci-après la 'loi de 1951'), peuvent être schématisées comme suit [4]:

    • règle générale, applicable à tous les types de baux (art. 1717 C.civ.): cessibilité de principe du bail, sauf si une clause expresse du contrat l'interdit;
  1. régime spécifique aux baux commerciaux (art. 10 de la loi de 1951):
      • si le contrat de bail interdit la cession, elle sera néanmoins permise si elle s'accompagne d'une cession de fonds de commerce et porte sur l'intégralité des droits du preneur principal (art. 10 de la loi de 1951);
      • dans ce dernier cas, le bailleur ne pourra s'opposer à la cession que pour de justes motifs, et moyennant le respect d'un délai de 30 jours; à défaut d'opposition, il est présumé accepter la cession. Comme justes motifs, la loi de 1951 cite le fait que le preneur se trouve dans les lieux depuis moins de deux ans ou que le bail ait été renouvelé depuis moins de deux ans. Même dans ce cas, le juge peut tenir compte de circonstances exceptionnelles, telles que le décès du preneur. La jurisprudence a par ailleurs admis à titre de justes motifs des motifs tenant à l'insolvabilité du cessionnaire, à sa réputation, etc.;
      • en cas de refus du bailleur, le preneur aura 15 jours pour introduire une action devant le juge de paix et c'est dans le cadre de cette action que les justes motifs du bailleur seront débattus;
        • solidarité du preneur cédant en matière de bail commercial (art. 11, III de la loi de 1951): que la cession découle (i) de l'absence de clause interdisant la cession, (ii) de l'acceptation expresse ou présumée du bailleur ou (iii) d'un jugement, le preneur cédant est solidairement tenu des obligations du bail pour la durée du bail en cours, à l'exclusion des renouvellements qui pourraient suivre; le bailleur aura donc deux débiteurs;
        • la règle de la solidarité peut être écartée, soit dans une clause expresse du contrat initial, soit dans un contrat de cession auquel le bailleur est partie.
        B. Problématique de la faillite du cessionnaire

        4.La loi du 8 août 1997 sur les faillites (ci-après la 'loi sur les faillites') prévoit que le failli 'malheureux et de bonne foi' peut être excusé (art. 80). Cela signifie qu'il peut être déchargé de toute obligation à l'égard de ses créanciers.

        La personne physique qui s'est constituée sûreté personnelle du failli, à titre gratuit, peut également être déchargée s'il est constaté que son obligation de sûreté personnelle est disproportionnée au regard de ses revenus et de son patrimoine (art. 72bis, 72ter et 80).

        Il échet de relever qu'avant sa modification par une loi du 20 juillet 2005, la loi sur les faillites prévoyait, en son article 82, 1er alinéa, que l'excusabilité du failli éteignait les dettes de ce dernier et déchargeait automatiquement ses cautions à titre gratuit. C'est notamment cet article, avant l'adaptation de la loi sur les faillites, qui était en cause dans l'arrêt commenté.

        Suite à la loi du 20 juillet 2005, la caution à titre gratuit ne peut être déchargée que si son obligation est disproportionnée au regard de ses revenus et de son patrimoine.

        5.Dans le cadre d'une cession de bail, les dispositions relatives à l'excusabilité ont pour effet qu'en cas de faillite du cessionnaire, ce dernier peut être totalement déchargé de ses obligations à l'égard du bailleur. Le cédant, quant à lui, ne sera aucunement déchargé des obligations découlant du bail et le bailleur conservera tous ses droits à son égard.

        6.Notons que dans le contexte d'une réorganisation judiciaire, la loi du 31 janvier 2009 sur la continuité des entreprises stipule en son article 33: “Le sursis ne profite pas aux codébiteurs ni aux débiteurs de sûretés personnelles.” Le preneur cédant pourra donc être tenu au paiement des loyers alors même que le preneur cessionnaire aurait bénéficié d'un sursis vis-à-vis du bailleur dans le cadre de la procédure en réorganisation judiciaire.

        C. Arrêt de la Cour constitutionnelle
        1. Faits ayant donné lieu à l'arrêt

        7.Les parties en cause étaient InBev Belgium SA, précédemment Interbrew Belgium SA ('InBev'), bailleur et une dénommée Nunzia Tomaselli, preneuse originaire.

        En février 1993, il est procédé au second renouvellement du bail commercial entre InBev et Nunzia Tomaselli. En décembre 1993, le bail est cédé avec l'accord exprès d'InBev.

        En novembre 2002, la cessionnaire est déclarée en faillite. En juin 2004, la faillite est clôturée et la faillie est déclarée excusable et ne peut plus être poursuivie par ses créanciers.

        8.En juin 2002, InBev avait introduit devant le juge de paix du 1er canton de Charleroi une action en paiement contre la cessionnaire et Nunzia Tomaselli, basée sur la mauvaise exécution du bail par la cessionnaire. Suite à l'excusabilité de la cessionnaire en juin 2004, InBev a limité sa demande à la condamnation de Nunzia Tomaselli.

        2. Question posée à la Cour

        9.Suite à la modification de la demande d'InBev, le juge de paix du 1er canton de Charleroi a posé, par jugement du 28 mai 2009, la question préjudicielle suivante:

        “L'article 11, III de la loi sur les baux commerciaux ne viole-t-il pas les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que le cédant d'un bail commercial peut être tenu de la totalité des obligations découlant de la convention de location alors que le cessionnaire qui n'a pas rempli ses obligations, ne serait tenu à rien lorsque, étant failli, il est déclaré excusable par le tribunal de commerce?”

        3. Thèse des parties en présence

        10.Dans le cadre de la procédure devant la Cour sont intervenues trois parties: Nunzia Tomaselli, InBev et le Conseil des ministres.

        11.Nunzia Tomaselli soutenait que la Cour devait se prononcer par l'affirmative sur la question posée. Elle affirmait, d'une part, que la différence de traitement soulevée ne pouvait être justifiée par le souci de protéger le bailleur contre des cessions intempestives du bail. Elle estimait, d'autre part, que le bailleur est suffisamment protégé par la possibilité qui lui est reconnue de s'opposer à la cession pour de justes motifs.

        12.InBev, quant à elle, appelait à une réponse négative de la Cour.

        Elle relevait qu'en pratique, le bailleur ne peut s'opposer à la cession si elle va de pair avec une cession de fonds de commerce.

        Elle soulevait en outre que le but de la solidarité entre cédant et cessionnaire est d'éviter que la cession du bail ne soit motivée que par l'attrait du prix de cession du fonds de commerce et ne tienne pas compte de l'aptitude du cessionnaire à respecter ses obligations dans le cadre du bail.

        Elle mettait en exergue le fait que la disposition qui instaure la solidarité est le fruit d'un équilibre entre le droit de cession du preneur et les intérêts du bailleur.

        Elle exposait finalement que le cédant du bail ne peut être assimilé à la personne physique qui s'est constituée sûreté personnelle du failli à titre gratuit et qui peut être déchargée en vertu de la loi sur les faillites [5]. En effet, la cession d'un bail commercial n'est pas un acte à titre gratuit puisque le preneur retire un avantage économique direct de la cession de bail, même lorsqu'elle ne s'accompagne pas de la cession du fonds de commerce, parce qu'il peut, dans ce dernier cas de figure, obtenir un pas de porte ou se libérer des obligations liées au bail.

        13.Le Conseil des ministres, enfin, soutenait également que la Cour devait donner une réponse négative à la question posée.

        Il rappelait que la Cour avait déjà admis, dans son arrêt n° 91/2005 du 11 mai 2005, que la différence de traitement instituée entre, d'une part, la caution à titre gratuit et le conjoint du failli, qui peuvent être déchargés et, d'autre part, les codébiteurs solidaires, qui ne peuvent être déchargés, est objectivement et raisonnablement justifiée. La Cour faisait état dans cet arrêt des travaux préparatoires de la loi sur les faillites et du fait que la législation sur les faillites “vise essentiellement à réaliser un juste équilibre entre les intérêts du débiteur et ceux des créanciers” [6].

        Le Conseil des ministres soulevait, par ailleurs, que la solidarité instaurée par l'article 11, III de la loi de 1951 a pour but de contrebalancer la grande liberté économique du preneur de céder son fonds de commerce à un tiers.

        Il énonçait en outre que cette mesure est d'autant plus raisonnable que, d'une part, le bailleur et le preneur peuvent convenir d'écarter cette solidarité et que, d'autre part, le bailleur peut être privé de ce bénéfice en cas d'abus de droit.

        Sur ce dernier point, le Conseil des ministres faisait référence à l'arrêt de la Cour de cassation du 18 février 1988. Il ressort de cet arrêt qu'un bailleur fait preuve d'abus de droit lorsqu'il intente tardivement une action en résiliation pour inexécution du bail commercial contre le cessionnaire et qu'il aggrave ainsi la situation du cédant, tenu solidairement envers lui. Dans ce cas, le juge peut réduire les obligations du preneur cédant [7].

        4. Décision de la Cour

        14.La Cour, après avoir examiné les dispositions soulevées, rappelle que, lors des travaux préparatoires de la loi de 1951, cette solidarité a été présentée comme une compensation de la reconnaissance du droit du preneur d'un bail commercial à la cession de ce bail.

        Elle relève que la différence de traitement visée par la question préjudicielle découle de la combinaison de l'article 11, III de la loi de 1951 avec l'article 82, 1er alinéa [8] de la loi sur les faillites.

        Elle énonce que “la circonstance que le bailleur ne peut plus exercer de recours contre le cessionnaire du bail en raison de son excusabilité n'ôte pas à la disposition en cause sa justification” [9].

        15.Sur base de ce qui précède, la Cour conclut qu'il doit être répondu par la négative à la question préjudicielle posée.

        III. Arrêt du 22 décembre 2010 - Bail commercial à durée indéterminée et révision du loyer

        16.Dans le cadre de l'examen de cet arrêt, nous évoquerons brièvement ci-après ce que recouvrent les notions de reconduction tacite du bail commercial (A) et de révision du loyer commercial (B), ainsi que la position de la doctrine et de la jurisprudence sur la possibilité de recourir au mécanisme de révision durant un bail reconduit tacitement (C). Nous étudierons enfin l'arrêt de la Cour constitutionnelle et aborderons également dans ce cadre l'arrêt de la Cour de cassation du 28 avril 2011 [10], rendu à la suite de l'arrêt de la Cour constitutionnelle (D).

        A. La reconduction tacite du bail commercial

        17.En vertu de l'article 14, 3ème alinéa de la loi de 1951, lorsque le bail commercial prend fin sans avoir été renouvelé (suite à l'inaction du preneur, son non-respect des formes prescrites, un refus du bailleur, etc.) et que le bailleur a laissé le preneur continuer à occuper les lieux loués après la date d'expiration du bail, un nouveau bail se forme entre les parties.

        18.Les conditions, notamment financières, de ce bail tacitement renouvelé, sont celles qui avaient cours à l'expiration du bail ou du dernier renouvellement en cours.

        19.Ce bail a une durée indéterminée.

        Le bailleur peut y mettre fin à tout moment moyennant un préavis de dix-huit mois.

        La loi de 1951 ne précise rien quant à la possibilité de résiliation anticipée par le preneur. La doctrine et la jurisprudence majoritaires considèrent que dans le cadre de l'article 14, 3ème alinéa de la loi de 1951, naît, à l'égard du preneur, un bail à durée indéterminée soumis au droit commun du bail. En application de l'article 1736 du Code civil, le preneur peut alors mettre fin au bail en donnant un préavis d'un mois [11]. Cette interprétation est celle qu'a également retenue la Cour constitutionnelle, dans son arrêt n° 76/2007 du 10 mai 2007, et qu'elle rappelle dans l'arrêt annoté [12].

        20.Par ailleurs, sur base de l'article 14, 3ème alinéa de la loi de 1951, si le bailleur notifie un congé au preneur durant le bail commercial à durée indéterminée, le preneur a la possibilité de demander le renouvellement du bail. En dehors de cette hypothèse, le preneur n'est pas fondé à demander un renouvellement durant le bail tacitement reconduit.

        21.Enfin, il échet de relever que la reconduction tacite prévue par l'article 14, 3ème alinéa de la loi de 1951 ne s'applique pas lorsque le preneur est laissé par le bailleur dans les lieux loués après avoir épuisé ses droits à trois renouvellements. Dans cette situation, les parties sont liées, à partir de l'expiration du troisième renouvellement, par un bail de droit commun, auquel chaque partie peut mettre fin à tout moment moyennant un préavis d'un mois.

        B. Le droit de demander la révision du bail commercial

        22.En vertu de l'article 6 de la loi de 1951, tant le bailleur que le preneur peuvent demander au juge de paix, à l'expiration de chaque triennat, la révision du loyer. Le demandeur devra établir que, “par le fait de circonstances nouvelles, la valeur locative normale de l'immeuble loué est supérieure ou inférieure d'au moins 15% au loyer stipulé dans le bail ou fixé lors de la dernière révision”.

        Les grandes lignes de cette disposition peuvent être synthétisées comme suit [13]:

          • par le fait de circonstances nouvelles…: on entend par 'circonstances nouvelles' des circonstances objectives, inexistantes lors de la détermination du loyer de sorte qu'elles n'ont pas été prises en considération lors de la détermination du loyer [14]. On peut citer à titre d'exemples: une hausse générale des loyers dans le quartier, la transformation d'un quartier, des réductions consenties par un bailleur à d'autres locataires dans un centre commercial, etc. [15]. L'article 6 de loi de 1951 prévoit expressément que le juge de paix ne peut pas prendre en considération le “rendement favorable ou défavorable résultant du seul fait du preneur.” Ainsi, des travaux réalisés par le preneur ne peuvent être pris en considération pour la révision du loyer;
          • la valeur locative normale …: la valeur locative a été définie comme la valeur “qui pourrait raisonnablement être obtenue par le bailleur à une époque déterminée en fonction des qualités physiques (intrinsèques), juridiques (destination urbanistique) et géographiques (localisation) de ce bien dans un marché stable et moyennant une période suffisante de publicité” [16] ou “le loyer qui pourrait normalement être retiré du bien loué au moment précis de la révision et cela en tenant compte de la situation économique générale” [17]. “La comparaison doit s'effectuer par référence à des immeubles dont l'état et l'équipement sont aussi proches que possible, affectés à une activité commerciale identique à celle que le preneur a l'obligation contractuelle de poursuivre” [18];
          • est supérieure ou inférieure d'au moins 15%...: une variation d'au moins 15% doit être démontrée par l'une des parties ou révélée par un rapport d'expertise pour que le juge puisse faire droit à l'action en révision;
          • au loyer stipulé dans le bail ou fixé lors de la dernière révision : la valeur de départ que le juge devra prendre en compte ne fait pas l'unanimité dans la doctrine et la jurisprudence [19]. Pour certains, tels que C.E. de Frésart [20], le premier point de comparaison à prendre en considération est la valeur locative de départ (au moment de la conclusion du contrat, du dernier renouvellement ou de la dernière révision). Selon eux, le dernier loyer fixé peut être différent de la valeur locative de départ, par exemple parce que le bailleur a consenti des conditions avantageuses au preneur. Prendre le dernier loyer fixé ferait courir le risque de comparer deux valeurs différentes (loyer de départ versus valeur locative actuelle). D'autres, se fondant sur l'énoncé de l'article 6 de la loi de 1951, retiennent le dernier loyer fixé. Ainsi, B. Louveaux estime qu'il peut être remédié aux éventuelles discordances entre le loyer fixé et la valeur locative du bien au moment de la fixation du loyer par le recours à l'exigence de circonstances nouvelles et du principe selon lequel la révision ne peut aboutir à la modification de l'accord initial des parties [21]. Au regard des termes limpides utilisés par le législateur, la deuxième interprétation nous paraît devoir être approuvée. On considère généralement que le loyer à prendre en considération est le loyer tel qu'indexé au moment de la demande de révision [22]. Il peut être tenu compte du pas de porte, pour autant qu'il soit assimilable à un loyer [23]. Enfin, pour ce qui est des charges, la question de savoir s'il faut ou non en tenir compte pour le calcul du loyer de départ ne fait pas, là encore, l'unanimité [24]. Concrètement, il nous apparaît que quelle que soit la formule retenue, il faudra également l'appliquer pour l'examen des points de comparaison visant à déterminer la valeur locative actuelle normale;
          • pour ce qui est du montant du loyer révisé, le juge statue en équité, en fonction des circonstances de la cause et de la situation des parties. Une fois qu'il a constaté que le seuil précité de 15% est atteint, le juge n'est plus tenu par ce seuil pour la fixation du nouveau loyer. Il pourrait décider, par exemple d'une augmentation de loyer de 10% seulement. Il doit toutefois respecter le principe dispositif et le cadre contractuel établi par les parties [25];
          • délai d'intentement de l'action et prise en cours du loyer révisé: l'action ne peut être intentée que durant les trois derniers mois du triennat en cours. Si elle aboutit, elle produit ses effets (le cas échéant, de manière rétroactive) à compter du premier jour du triennat suivant. Dans l'attente de la décision définitive, l'ancien loyer demeure provisoirement exigible.
          C. Tendances en doctrine et en jurisprudence sur la révision dans le cadre du bail reconduit tacitement

          23.La doctrine et la jurisprudence majoritaires considèrent que le mécanisme de révision n'est pas possible durant un bail à durée indéterminée né d'une reconduction tacite [26]. Leur principal argument est le fait qu'un bail à durée indéterminée ne peut être divisé en triennats. Les tenants de cette position estiment en outre que le débat relatif au montant du loyer peut se dérouler dans le cadre de la procédure de renouvellement. Sur ce point, B. Louveaux fait observer, à juste titre, que seul le bailleur a la possibilité de déclencher ladite procédure de renouvellement en donnant son renom au locataire alors que la seule alternative du preneur est de continuer le bail ou d'y mettre fin [27]. Il estime pour sa part, à l'instar de D. Janssen [28], que la révision du bail devrait pouvoir être appliquée dans le cadre de la reconduction tacite [29]. Quant au problème de la division en triennats, cette tendance minoritaire objecte qu'à partir du moment où la date de départ du bail à durée indéterminé est connue, on ne voit guère ce qui pourrait empêcher de calculer le début et la fin d'un triennat. Cet argument avait d'ailleurs été retenu par le tribunal de première instance de Mons dans son jugement du 28 février 2008 [30].

          D. Arrêt de la Cour constitutionnelle
          1. Faits ayant donné lieu à l'arrêt - Procédure antérieure

          24.Un bail commercial est conclu le 1er février 1984 entre Giuseppe Capelluto et Diyavenita Pinti, bailleurs ('les bailleurs'), et la SPRL Caru, preneur ('Caru').

          Ce bail prend fin le 31 janvier 1993, sans que Caru ait demandé de renouvellement. A l'expiration du bail, Caru est laissée dans les lieux loués sans que les bailleurs s'y opposent et elle poursuit le paiement de son loyer.

          25.Le 30 juin 2004, Caru demande aux bailleurs la révision du loyer sur base de l'article 6 de la loi de 1951. Ceux-ci répondent qu'ils s'opposent à cette demande au motif que la faculté de révision triennale est inapplicable dans le cadre d'un bail à durée indéterminée. Caru va alors introduire une action en révision du loyer.

          26.Par jugement du 7 juin 2005, le juge de paix de Boussu rejette la demande de Caru. Cette dernière va en appel de cette décision.

          Dans son jugement du 28 février 2008, le tribunal de première instance de Mons, statuant en degré d'appel, va accueillir les arguments de Caru.

          Le tribunal de première instance relève que “certes une certaine doctrine considère que le bail tacitement reconduit considéré comme un bail à durée indéterminée rendrait inapplicable l'action en révision visée à l'article 6 de la loi du 15 [lire 30] avril 1951 […] mais que “le tribunal ne peut cependant faire sienne cette position”, et ce, pour les motifs suivants:

            • “l'article 6 de la loi a […] été rédigé dans l'intérêt des deux parties contractantes […]”;
            • “l'article 6 de la loi n'exige à aucun moment, pour son application, l'existence d'un bail à durée déterminée”;
            • “c'est à juste titre que [Caru] observe qu'interpréter le texte de la loi de manière aussi limitative serait contraire à la lettre de [l'article 6] mais également à l'esprit de la loi qui, en son article 3, n'exige, pour qu'un bail commercial soit valable, que celui-ci soit conclu pour une période de minimum de 9 ans de sorte qu'il se pourrait que des parties conviennent initialement de conclure un bail commercial pour une durée indéterminée”;
            • “il demeure parfaitement possible de déterminer le point de départ et le terme d'un 'triennat' dès lors que la date de prise de cours du bail, qu'il soit à durée déterminée ou indéterminée, est connue, ce qui est le cas en l'espèce” [31].

            Sur base des considérations qui précèdent, le tribunal réforme la décision du juge de paix et ordonne une expertise en vue notamment de déterminer la valeur locative normale de l'immeuble loué et de donner, le cas échéant, son avis sur les circonstances ayant pu justifier une différence entre la valeur locative normale et le loyer fixé par les parties.

            27.Les bailleurs se sont pourvus en cassation contre cette décision.

            2. Question posée à la Cour

            28.A la demande de Caru, La Cour de cassation a posé à la Cour constitutionnelle la question suivante: “Les articles 6 et 14, 3ème alinéa de la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux, interprétés en ce sens que le preneur d'un bail commercial tacitement reconduit, en vertu de l'article 14, 3ème alinéa, pour une durée indéterminée ne peut demander au juge la révision du loyer prévu par ledit bail sur la base de l'article 6 précité, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'ils créent une différence de traitement entre ce preneur et le preneur d'un bail commercial qui n'est pas prorogé par une reconduction tacite, auquel une telle faculté est reconnue?”

            3. Thèses des parties en présence

            29.Trois parties ont déposé des mémoires auprès de la Cour constitutionnelle, à savoir les bailleurs, Caru et le Conseil des ministres. L'essentiel de l'argumentation de chacune des parties peut être résumé comme suit.

            30.A titre principal, les bailleurs alléguaient qu'on avait affaire à deux catégories de personnes se trouvant dans des situations différentes. D'un côté, les preneurs d'un bail commercial non prorogé, régis par un bail à durée déterminée divisible en triennats. De l'autre, les preneurs d'un bail tacitement reconduit, liés par un bail à durée indéterminée non divisible en triennats et non soumis à toutes les dispositions de la loi de 1951.

            Ils estimaient que ces deux catégories ne devraient pas se voir appliquer un traitement identique et que, dès lors, la différence de traitement invoquée était justifiée.

            31.A titre subsidiaire, les bailleurs soulevaient que si la Cour devait estimer, quod non, qu'on avait affaire à des catégories de bailleurs comparables [32] et relevant d'une même situation juridique, le principe d'égalité ne serait pas pour autant violé, la différence de traitement critiquée reposant sur un critère objectif: être ou non preneur d'un bail commercial tacitement reconduit.

            Se basant sur les travaux préparatoires, ils soulignaient que la faculté de révision triennale pour le preneur d'un bail commercial non prorogé par reconduction tacite constituait une contrepartie de la longue durée du bail commercial. Sur cette base, ils invoquaient que cette ratio legis de l'article 6 de la loi de 1951 ne pouvait être appliquée à un bail à durée indéterminée auquel il peut être mis fin par le bailleur moyennant un congé de dix-huit mois au moins, et par le preneur, moyennant le congé de droit commun.

            32.Caru a poursuivi deux raisonnements. D'une part, elle a répondu à la question préjudicielle telle qu'elle avait été posée par la Cour de cassation. D'autre part, elle a proposé une autre interprétation des articles 6 et 14, 3ème alinéa de la loi de 1951, qui excluait la discrimination invoquée.

            33.Dans le cadre de la première argumentation, Caru soutenait, entre autres, que la différence de traitement visée par la question préjudicielle n'était pas raisonnablement justifiée sur la base de l'objectif poursuivi par le mécanisme de révision, à savoir servir de contrepoids à la longue durée du bail commercial et prendre en compte la théorie de l'imprévision en ayant égard à la survenance de circonstances qui ne pouvaient être raisonnablement prévues par les parties lors de la signature du bail.

            Caru considérait en outre que la différence de traitement - outre le fait qu'elle méconnaissait l'objectif du mécanisme de révision triennale - ne se justifiait pas au regard de l'objectif général de la loi de 1951, à savoir protéger le fonds de commerce. Selon Caru, “l'article 6 de la loi sur les baux commerciaux ne dispose pas que la durée déterminée du contrat est une caractéristique requise pour qu'il soit applicable. En outre, l'article 1er de cette même loi dispose qu'elle s'applique dans l'ensemble de ses dispositions à tous les baux commerciaux” [33].

            Elle soutenait que, de plus, rien n'empêche que les parties concluent dès le départ un bail d'une durée indéterminée pour autant qu'elle soit de neuf ans minimum et que dans ce cas, on ne pourrait pas exclure l'application de la faculté de révision. On relèvera au passage que cette allégation de Caru se heurte à la jurisprudence de la Cour de cassation. Cette dernière a en effet énoncé, dans un arrêt du 14 janvier 2008, que “la conclusion de baux commerciaux à durée indéterminée est exclue”, en dehors de l'hypothèse particulière de la reconduction tacite [34].

            Selon Caru, le véritable objectif du mécanisme de révision était “compte tenu de ce qu'une activité commerciale nécessite une implantation stable et continue, de pouvoir modifier le montant du loyer prévu dans le contrat de bail si cela correspond à la réalité économique du marché locatif, sans devoir rompre le contrat qui lie les parties”. Elle estimait qu'il “ne serait pas raisonnablement justifié de traiter de manière distincte des catégories de personnes se trouvant en réalité dans des situations en tous points identiques si ce n'est qu'elles ont choisi, parfois subi, par incompétence ou par négligence, de ne pas renouveler explicitement le bail” [35].

            Caru relevait enfin que n'était pas pertinent l'argument selon lequel le bail reconduit tacitement ne pourrait être divisé en triennat à cause de la durée indéterminée: dès lors qu'on connaît la date de départ du bail à durée indéterminée, on peut aisément calculer la date d'expiration de chaque triennat.

            34.Parallèlement aux arguments invoqués ci-avant, Caru a défendu une interprétation conciliante des articles 6 et 14, 3ème alinéa de la loi de 1951 “en ce sens que le preneur d'un bail commercial tacitement reconduit pour une durée indéterminée pourrait demander au juge la révision du loyer prévue par ledit bail”, interprétation dans laquelle les dispositions litigieuses ne violaient pas les articles 10 et 11 de la Constitution. Selon Caru, c'est cette interprétation qui devait être privilégiée par la Cour constitutionnelle [36].

            35.Le Conseil des ministres soutenait notamment que les articles 6 et 14, 3ème alinéa de la loi de 1951 devaient être interprétés strictement. Une interprétation stricte aboutissait indéniablement, selon le Conseil des ministres, à refuser le bénéfice de la révision à des parties dont le bail commercial est reconduit tacitement.

            Il considérait, par ailleurs, qu'à défaut de pouvoir diviser ce bail à durée indéterminée en triennats, il était impossible d'appliquer la révision.

            D'après le Conseil des ministres, “dès lors que les parties engagées dans un contrat de bail commercial à durée déterminée jouissent d'une situation moins favorable dans la mesure où le contrat est impérativement d'une durée minimale de neuf années, il ne serait pas discriminatoire de leur réserver, en ce qui concerne la révision du loyer, un sort différent de celui réservé aux parties qui se trouvent liées par un contrat de bail commercial à durée indéterminée et qui peuvent mettre un terme à tout moment à ce contrat moyennant un congé de dix-huit mois [37] et sans préjudice du droit pour le preneur de demander le renouvellement” [38].

            36.Le Conseil des ministres reconnaissait toutefois que l'on pouvait argumenter que même dans un bail à durée indéterminée, on peut déterminer le moment de l'échéance de chaque triennat, ce qui permettrait d'appliquer l'article 6 de la loi de 1951. Il estimait que dans l'hypothèse où cette interprétation serait retenue, la question préjudicielle perdrait son objet, puisque l'article 6 de la loi de 1951 s'appliquerait tant pour un bail à durée déterminée que pour un bail à durée indéterminée.

            37.Enfin, le Conseil des ministres observait que le preneur qui a demandé le renouvellement du bail et le preneur dont le bail est reconduit tacitement ne se trouvent pas dans une situation objectivement et raisonnablement comparable. Le premier voit son bail reconduit pour une période de minimum 9 ans alors que le second est lié par un bail à durée indéterminée auquel le bailleur peut mettre fin moyennant un préavis de 18 mois au moins. Le Conseil des ministres en concluait que l'interprétation conciliante proposée par Caru devait être rejetée dès lors qu'elle s'appuie sur le fait que ces deux catégories se trouvent dans une situation comparable [39].

            4. Décision de la Cour constitutionnelle

            38.Après avoir rappelé les dispositions en cause, la Cour relève que, d'après le Conseil des ministres, les deux catégories de preneurs précités ne se trouveraient pas dans des situations comparables, les preneurs de la première catégorie étant partie à un contrat à durée déterminée et ceux de la seconde catégorie étant partie à un contrat à durée indéterminée.

            Elle estime toutefois que cette circonstance ne permet pas “de conclure que ces deux catégories de preneurs ne peuvent être comparées”. Elle considère, au contraire, que sa tâche est “d'examiner si les conséquences qui s'attachent au caractère indéterminé ou non de la durée du contrat à l'égard du preneur sont raisonnablement justifiées par rapport à l'objectif poursuivi par le législateur” [40].

            La Cour constate en outre que dans le cadre d'un bail à durée indéterminée, les parties peuvent mettre fin au bail moyennant un congé relativement court, à savoir 18 mois pour le bailleur et un mois pour le preneur. Or, le législateur a conçu la possibilité de demander la révision du loyer comme une compensation de la durée minimale de 9 années du bail commercial.

            Elle relève par ailleurs que lorsque les parties se trouvent dans un bail à durée indéterminée à défaut de renouvellement, elles peuvent “convenir à l'amiable d'un renouvellement du bail sans respecter les formalités légales, qui ne revêtent un caractère impératif que pour protéger le bailleur (Cass. 25 juin 1981, Pas. 1981, I, p. 1246)” [41]. Dès lors que la possibilité de révision peut être appliquée dans le cadre de ce bail renouvelé, les parties à un bail à durée indéterminée pourront ainsi encore obtenir un droit de révision.

            Sur base de ce qui précède, la Cour considère que la différence est raisonnablement justifiée par rapport à l'objectif poursuivi par le législateur. Elle aboutit à la conclusion que, dans l'interprétation des dispositions en cause soumise par la Cour de cassation, une réponse négative doit être donnée à la question préjudicielle posée.

            39.La Cour va également se pencher sur l'interprétation conciliante soulevée par Caru. Elle observe que rien n'empêche qu'un bail soit initialement conclu pour une période supérieure à 9 ans et que rien, dans les termes de la loi de 1951 et les travaux parlementaires, ne permet d'exclure l'application du mécanisme de révision en pareille hypothèse.

            La Cour poursuit en indiquant qu'il en va de même pour un bail commercial à durée indéterminée né de la reconduction tacite. “Dans ce cas, le bail prend cours à l'expiration de la précédente période de neuf ans qui constitue le terme du bail initial, de sorte qu'une demande de révision du loyer à l'expiration de chaque triennat à compter de cette date pourrait être envisagée en application de l'article 6 en cause.” [42].

            Elle conclut dès lors que, dans l'interprétation conciliante proposée, “la différence de traitement entre les deux catégories de preneurs visées par la question préjudicielle est inexistante, de sorte que les articles 6 et 14, 3ème alinéa de la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux ne sont pas incompatibles avec les articles 10 et 11 de la Constitution” [43].

            Elle laisse le soin à la juridiction a quo de déterminer quelle est l'interprétation à donner aux dispositions évoquées.

            40.Enfin, dans son dispositif, la Cour, sans faire référence à l'une ou l'autre interprétation, dit pour droit que les dispositions en cause ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

            Au final, la Cour constitutionnelle renvoie la balle à la Cour de cassation et lui laisse la tâche délicate de trancher la controverse.

            5. Arrêt de la Cour de cassation du 28 avril 2011

            41.La Cour de cassation reprend en partie la motivation de la Cour constitutionnelle. Elle se fonde sur l'argument évoqué plus haut [44] selon lequel la faculté de révision a été conçue comme une contrepartie de la longue durée du bail commercial. Dans le cadre d'un bail tacitement reconduit, les parties peuvent mettre fin à ce bail moyennant un congé relativement court.

            Sur cette base, la Cour de cassation énonce que “la faculté de révision du loyer prévue par l'article 6 précité n'appartient pas [...] aux parties se trouvant dans les liens de ce nouveau bail” [45].

            La Cour de cassation va donc casser la décision du tribunal de première instance de Mons.

            IV. Conclusion

            Quels sont les enseignements de ces deux arrêts?

            42.Pour ce qui est du premier arrêt, celui-ci nous paraît devoir être approuvé. Une décision en sens contraire aurait abouti à faire peser une lourde charge sur les bailleurs.

            Comme le soulignait la locataire cédante dans son argumentation, il est vrai que les bailleurs ont la possibilité de s'opposer, pour de justes motifs, à la cession de bail ou la sous-location accompagnée d'une cession de fonds de commerce [46]. Néanmoins, d'une part, ces justes motifs sont examinés de manière stricte par le juge. D'autre part, le bailleur dispose de peu de temps pour s'opposer à la cession. A part la situation où il dispose déjà d'informations sur le cessionnaire proposé, il ne sera pas aisé pour lui de trouver des éléments lui permettant de justifier son refus. Enfin, dans la mesure où c'est le preneur cédant qui prend l'initiative de la cession et choisit le cessionnaire, il nous paraît justifié que ce soit lui, et non, le bailleur, qui doive s'enquérir de la situation et de la solvabilité du cessionnaire, et, le cas échéant, supporter les conséquences de son insolvabilité.

            On le voit, l'arrêt examiné est de nature à conforter la situation des bailleurs.

            Il préserve tout particulièrement leurs droits dans le cadre d'une cession de bail qui leur est imposée.

            Il convient toutefois qu'ils restent prudents et diligents et veillent à ne pas pouvoir être accusés d'abus de droit. Ils ne pourraient donc pas, sous prétexte qu'ils auront toujours la faculté de se retourner contre un preneur cédant solvable, laisser s'accumuler indéfiniment les arriérés de loyer du preneur cessionnaire.

            Du côté des preneurs, cet arrêt est l'occasion de rappeler que la vigilance est de mise lorsque l'on cède son bail.

            On peut être amené à vouloir céder son fonds de commerce ou son pas de porte à un prix attractif ou à avoir besoin de se débarrasser au plus vite d'un loyer qui pèse trop lourd sur son commerce.

            Le preneur devra néanmoins être extrêmement attentif et s'enquérir scrupuleusement de la solvabilité et de la réputation du cessionnaire potentiel. S'il ne le fait pas, il risque d'être amené, tôt ou tard, à en payer les pots cassés.

            43.Le deuxième arrêt laisse le lecteur sur sa faim. Il est en effet surprenant que la Cour, confrontée à deux interprétations, somme toute assez différentes, considère que dans ces deux interprétations, les dispositions invoquées ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution. D'ordinaire, la Cour fait usage d'une interprétation alternative lorsqu'elle estime que l'interprétation proposée par le juge a quo se heurte au contrôle de constitutionnalité [47]. Ce n'est pas le cas ici puisqu'elle admet les deux interprétations.

            Contrairement à ce qu'on aurait pu en attendre, l'arrêt de la Cour constitutionnelle n'a pas apaisé la polémique existante sur la possibilité d'appliquer le mécanisme de la révision à un bail commercial tacitement reconduit.

            L'arrêt de la Cour de cassation était vivement attendu, avec l'espoir que cette dernière se positionnerait clairement et mettrait fin à l'incertitude que laissait régner la Cour constitutionnelle. Sur ce point, nous n'avons pas été déçus.

            Pour notre part, nous ne sommes toutefois pas convaincus par l'argumentation sur laquelle la Cour constitutionnelle fonde la compatibilité de la première interprétation donnée, retenue finalement par la Cour de cassation, avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

            En considérant que la possibilité de pouvoir mettre fin au bail moyennant un préavis relativement court justifie d'écarter l'application du mécanisme de révision, tant la Cour constitutionnelle que la Cour de cassation nous semblent occulter la situation dans laquelle se trouve le preneur. Dans le cadre du bail reconduit, ce dernier ne peut plus prendre l'initiative de demander le renouvellement. L'unique décision qu'il peut prendre, c'est de mettre fin au bail, ce qui n'est pas nécessairement dans son intérêt. Cette situation inconfortable peut durer des années. Ainsi, dans les faits qui ont donné lieu à l'arrêt annoté, le bail à durée indéterminée durait depuis plus de dix ans.

            A partir du moment où on lui dénie le droit de demander la révision du bail tacitement reconduit, il ne reste véritablement qu'une seule alternative au preneur: quitter un emplacement au risque de perdre une partie plus ou moins importante de sa clientèle ou accepter sans broncher de payer un loyer trop élevé.

            Cette situation nous paraît bien éloignée de l'objectif global de la loi de 1951, à savoir assurer au commerçant la stabilité de son affaire.

            De plus, d'un point de vue pratique, il est probable que si le preneur pouvait faire usage du mécanisme de révision, une demande de sa part en ce sens pourrait pousser le bailleur à résilier le bail, ce qui pourrait permettre au preneur d'entamer la procédure de renouvellement. Le mécanisme de révision pourrait alors constituer pour le preneur un moyen de faire réagir le bailleur.

            Notre point de vue serait différent si le preneur d'un bail tacitement reconduit pouvait initier une procédure de renouvellement. Dans cette hypothèse, l'argumentation selon laquelle le preneur peut faire usage de la faculté de révision dans le cadre du bail renouvelé ferait sens.

            Par ailleurs, même si cette situation peut paraître plus théorique, il n'est pas exclu qu'un bailleur puisse avoir intérêt à demander la révision du loyer dans le cadre d'un bail reconduit tacitement, même si pour le reste, il ne souhaite pas se séparer de son locataire.

            Quoiqu'il en soit, il faudra désormais tenir compte de l'arrêt de la Cour de cassation, bétonné par la réponse de la Cour constitutionnelle.

            On ne peut que recommander au preneur commercial qui a laissé passer les délais de renouvellement et dont le bail est tacitement reconduit de prendre des mesures pour conforter sa situation. Dans la plupart des cas, la meilleure solution pour lui sera de tâcher de trouver, aussi rapidement que possible, un accord avec son bailleur afin d'obtenir le renouvellement de son bail commercial pour une durée déterminée.

            [1] Avocate au barreau de Bruxelles; assistante à l'Université Libre de Bruxelles.
            [2] Voy. supra, p. 774.
            [3] Voy. infra, p. 787.
            [4] Pour une description détaillée de ces règles, nous renvoyons à l'ouvrage de B. Louveaux, Le droit du bail commercial, Bruxelles, Larcier, 2011, pp. 442 et s.
            [5] Voy. supra, n° 4.
            [6] Point B.7.
            [7] RG 7965, Pas. 1988, I, p. 728.
            [8] Avant sa modification. Voy. à ce sujet supra, n° 4.
            [9] Point B.5.
            [10] Voy. infra, p. 795.
            [11] Voy. sur ce point C. Delforge et Y. Ninane, “La durée du bail commercial” in Le bail commercial, Bruxelles, la Charte, 2008, p. 115, n° 100 et les références citées voy. également B. Louveaux, o.c., p. 959, n° 1023 et les références citées. On relèvera que ce dernier auteur ne partage pas la thèse majoritaire. Il considère que le congé du preneur en matière de bail commercial reconduit tacitement devrait être celui qui est prévu par l'art. 3, 3ème alinéa de la loi de 1951, à savoir un préavis de six mois pouvant être donné à l'échéance de chaque triennat (o.c., n° 1024).
            [12] Voy. infra, n° 38.
            [13] Pour une analyse exhaustive, voy. B. Louveaux, o.c., pp. 299 et s. et les références citées et C.E. de Frésart, “Les aspects financiers du bail commercial - La révision triennale du loyer” in Le bail commercial, o.c., pp. 132 et s. et les références citées.
            [14] Cass. 3 décembre 2010, RG C.09.0375.N., TBO 2011, p. 93, également disponible sur www.cass.be .
            [15] Voy. B. Louveaux, o.c., nrs. 366 et s. et les références citées et C.E. de Frésart, “Les aspects financiers du bail commercial” in Le bail commercial, o.c., pp. 148 et s. et les références citées.
            [16] L. Slosse et F. Gabële, “Les aspects financiers du bail commercial - La détermination de la valeur locative normale - La fixation judiciaire du loyer - Aspects techniques” in Le bail commercial, o.c., p. 204.
            [17] N. Puissant, Manuel permanent des baux à loyer et commerciaux, Gand, Story Publishers, ouvrage à feuillets mobiles, éd. mars 2007, D-IV-3-8, cité par B. Louveaux, o.c., p. 319.
            [18] Civ. Liège 3 octobre 1986, JLMB 1987, p. 1130.
            [19] Voy. sur ce point l'analyse fouillée de C.E. de Frésart, o.c., pp. 137 et s. et les références citées.
            [20] Ibid.
            [21] O.c., n° 364 et les références citées.
            [22] B. Louveaux, o.c., n° 361; Civ. Liège 3 octobre 1986, o.c., p. 1130.
            [23] B. Louveaux, o.c., n° 363; C.E. de Frésart, o.c., p. 146.
            [24] B. Louveaux, o.c., n° 362; C.E. de Frésart, o.c., p. 145.
            [25] Civ. Liège 3 octobre 1986, o.c., p. 1130.
            [26] Voy. notamment J. 't Kint et M. Godart, Le bail commercial, Rép.not., Bruxelles, Larcier, 1990, T. VIII, livre IV, p. 103, n° 112; J.P. Saint-Nicolas 13 juin 1988, RW 1990-91, p. 131; Civ. Liège 27 janvier 1987, RGDC 1987 (abrégé), p. 84; M. Laye et J. Vanckerckhove, Les baux commerciaux, Les Novelles, T. VI, Livre II, Bruxelles, Larcier, 1984, n° 1775.
            [27] O.c., n° 353.
            [28] “Les péripéties du renouvellement” in Le bail commercial, o.c., p. 402.
            [29] Dans le même sens: K. Vanhove, “Handelshuurprijsherziening bij huur van onbepaalde duur?”, TBO 2010, p. 16.
            [30] Voy. infra, n° 26.
            [31] Extraits repris de l'arrêt de la Cour de cassation: Cass. 20 novembre 2009, n° C.08.0332.F, Pas. 2009, liv. 11, p. 2703, TBO 2010, p. 13, note K. Vanhove, www.juridat.be .
            [32] On notera que cette référence à des catégories de bailleurs, et non de preneurs, est malheureuse. Cela a amené la Cour constitutionnelle à rappeler qu'il ne lui était pas demandé dans la question préjudicielle de comparer les situations de deux catégories de bailleurs, mais bien celles de deux catégories de preneurs (point B.3.1.).
            [33] Point A.4.1.
            [34] Arrêt n° C.07.0234.N, Pas. 2008, liv. 1, p. 85, www.juridat.be .
            [35] Point A.4.3.
            [36] Points A.2.3. et A.4.6.
            [37] Notez qu'il s'agit là d'une erreur, qui ressort soit du mémoire déposé par le Conseil des ministres, soit de la retranscription de ce mémoire pour établir l'arrêt. Voy. sur ce point ce qui a été dit au n° 19.
            [38] Point A.3.3.
            [39] Point A.5.2.
            [40] Point B.3.2.
            [41] Point B.5.2.
            [42] Point B.7.
            [43] Point B.8.
            [44] Voy. supra, nos 31 et 38.
            [45] Cass. 28 mai 2011, disponible sur www.cass.be , p. 10.
            [46] Voy. supra, n° 3.
            [47] Voy. sur ce point P. Martens et B. Renauld, “L'interprétation et la qualification de la norme de contrôle et de la norme contrôlée” in A. Arts, I. Verougstraete, R. Andersen, G. Suetens-Bourgeois, M.-F. Rigaux, R. Ryckeboer et A. De Wolf, De verhouding tussen het Arbitragehof, de rechterlijke macht en de Raad van State. Verslagboek van het symposium van 21 oktober 2005 / Les rapports entre la Cour d'Arbitrage, le pouvoir judiciaire et le Conseil d'Etat. Actes du symposium du 21 octobre 2005, Bruges-Bruxelles, die Keure-la Charte, 2006, p. 25 et les références citées.