Article

Cour d'appel Bruxelles, 18/02/2016, R.D.C.-T.B.H., 2016/10, p. 959-967

Cour d'appel de Bruxelles 18 février 2016

ASSURANCES
Assurances terrestres - Assurances de personnes - Assurances maladie - Article 138bis-4 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre (art. 204 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances) - Encadrement légal des hausses tarifaires en cours de contrat - Compatibilité avec le droit de l'Union - Pratique commerciale déloyale
Le mécanisme d'encadrement des hausses tarifaires dans les contrats d'assurance maladie privés non liés à une activité professionnelle, institué par l'article 138bis-4 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre (devenu l'art. 204 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances), est compatible avec les libertés d'établissement et de prestation de services (art. 49 et 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne), à défaut de mesure alternative qui puisse réaliser, d'une manière moins attentatoire aux libertés des assureurs, l'objectif consistant à protéger les assurés contre des hausses de primes brutales et inattendues.
Constitue une pratique commerciale déloyale l'augmentation tarifaire appliquée par un assureur, qui ne relève d'aucun des cas d'augmentation autorisés par ce mécanisme d'encadrement légal.
Dès lors que la Banque Nationale de Belgique a approuvé une augmentation tarifaire ultérieure, d'un niveau supérieur à l'augmentation tarifaire litigieuse, et qu'il n'est pas démontré, ni même allégué, qu'il existe, de la part de l'assureur, un risque objectif de récidive, il n'y a plus lieu de condamner cet assureur à mettre fin rétroactivement à cette augmentation litigieuse, ni de faire droit aux différentes mesures de cessation sollicitées en rapport avec cette dernière.
VERZEKERINGEN
Landverzekeringen - Persoonsverzekeringen - Ziekteverzekeringen - Artikel 138bis-4 van de wet van 25 juni 1992 op de landverzekeringsovereenkomst (art. 204 van de wet van 4 april 2014 betreffende de verzekeringen) - Wettelijk kader van de tariefverhogingen - Verenigbaarheid met EU-recht - Oneerlijke handelspraktijken
Het systeem van tariefverhoging dat van toepassing is op niet-beroepsgebonden ziekteverzekeringen, bepaald door artikel 138bis-4 van de wet landverzekeringsovereenkomst van 25 juni 1992 (thans art. 204 van de wet van 4 april 2014 betreffende verzekeringen) is verenigbaar met de vrijheden van vestiging en dienstverlening (art. 49 en 56 van het verdrag betreffende de werking van de Europese Unie), bij gebrek aan een alternatieve maatregel die de doelstelling van bescherming van de verzekerden tegen aanzienlijke en onverwachte premieverhogingen verwezenlijkt op een wijze die minder ingrijpend is voor de vrijheden van de verzekeraars.
De tariefverhoging doorgevoerd door een verzekeraar, die niet gesteund is op een van de gevallen voorzien in het wettelijk kader, is een oneerlijke marktpraktijk.
Aangezien de Nationale Bank van België nadien een tariefverhoging heeft goedgekeurd, die hoger is dan de litigieuze tariefverhoging en aangezien niet werd aangetoond, noch werd aangevoerd dat, in hoofde van de verzekeraar, een objectief risico op recidive bestaat, moet deze verzekeraar niet worden veroordeeld tot een retroactieve beëindiging van deze litigieuze tariefverhoging en kan geen gevolg gegeven worden aan de verschillende gevorderde maatregelen tot beëindiging van deze tariefverhoging.

DKV Belgium S.A. / Association belge des consommateurs Test-Achat A.S.B.L.

Siég.: C. Heilporn (conseiller f.f. président de la chambre), M. van der Haegen et O. d'Ursel (conseillers suppléants)
Pl.: Mes C. De Meyer, C. Gommers et V. Callewaert
Affaire: 2011/AR/615
I. La décision entreprise

L'appel est dirigé contre le jugement prononcé le 20 décembre 2010 par le président du tribunal de commerce de Bruxelles.

Les parties ne produisent pas d'acte de signification de ce jugement.

II. La procédure devant la cour

L'appel est formé par requête déposée par DKV au greffe de la cour, le 16 mars 2011.

L'appel incident est introduit par conclusions déposées par Test-Achats au greffe de la cour, le 27 mai 2011.

Par un arrêt interlocutoire du 10 novembre 2011, la cour reçoit les appels, avant dire droit, pose à la Cour de justice de l'Union européenne une question préjudicielle et réserve à statuer sur le surplus et les dépens.

La Cour de justice de l'Union européenne a rendu son arrêt le 7 mars 2013.

La cause a été mise en état en poursuite de cause en application d'une ordonnance rendue le 26 septembre 2014 sur pied de l'article 747, § 2, du Code judiciaire.

La procédure est contradictoire.

Il est fait application de l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire.

III. Les faits et antécédents de la procédure

1. DKV est une entreprise d'assurances active sur le marché des produits d'assurances maladie et hospitalisation.

Le 27 octobre 2009, elle introduit auprès de la Commission bancaire, financière et des assurances (CBFA, actuellement FSMA) une demande d'autorisation d'augmentation tarifaire de 7,84% des primes liées à ses produits d'assurance hospitalisation, chambre à un lit, à partir du 1er janvier 2010.

Nonobstant un avis favorable de son comité technique du 24 novembre 2009, la CBFA informe DKV par lettre du 4 décembre 2009 que la procédure qu'elle a suivie ne correspond ni à la ratio legis ni aux travaux préparatoires relatifs aux dispositions législatives afférentes aux possibilités d'adaptation tarifaire autre que professionnelle (lire l'art. 21octies, § 2, de la loi du 9 juillet 1975 relative au contrôle des entreprises d'assurances et l'art. 138bis-4, § 3, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, tel qu'il a été remplacé par l'art. 6 de la loi du 17 juin 2009), et qu'il convient d'attendre la promulgation à court terme de l'arrêté royal d'exécution de l'article 138bis-4, § 3, de la loi du 25 juin 1992.

Estimant qu'elle ne peut attendre la publication de cet arrêté royal, DKV applique au 1er janvier 2010 l'augmentation tarifaire de 7,84% sur les primes pour lesdits produits.

2. L'arrêté royal déterminant les indices spécifiques visés à l'article 138bis-4, § 3, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre est adopté le 1er février 2010. L'indice médical, fixé à 7,45% pour l'année 2010, est publié au Moniteur belge du 26 février 2010. Cet arrêté royal sera annulé par le Conseil d'Etat dans un arrêt du 29 décembre 2011.

Le 25 février 2010, DKV met la CBFA en demeure de prendre une décision, sur la base de l'article 14, § 3, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat. Elle introduit parallèlement un recours au Conseil d'Etat contre « la décision » de la CBFA du 4 décembre 2009 qui est déclaré irrecevable, ledit courrier ne constituant pas une décision susceptible de recours.

Le 22 juin 2010, la CBFA constate que « dans le contexte actuel, [elle] n'a pas à se prononcer sur l'augmentation correspondant et l'indice médical publié (7,45%), qui est acquise à DKV moyennant le respect des conditions prévues par la loi et l'arrêté royal » et qu'elle ne doit se prononcer que sur la différence entre l'augmentation demandée (7,48%) et l'indice médical (7,45%), soit 0,39%. Elle considère que « la non-application de cette augmentation marginale ne donnerait pas lieu à des pertes dans les années prochaines, et en tout cas pas avant 2021 » et refuse dès lors « sur base de la situation actuelle et sans préjudice d'une nouvelle appréciation fondée sur l'évolution que connaîtrait la situation de l'entreprise » la demande d'augmentation dépassant le taux prévu par l'indice médical. DKV a introduit un recours contre cette décision devant le Conseil d'Etat dont elle s'est par la suite désistée.

3. Le 27 janvier 2011, DKV introduit une nouvelle demande de hausse tarifaire de 14,63% sur le tarif 2009, pour ses produits hospitalisation en chambre à un lit et maladies graves auprès de la FSMA.

Le 21 décembre 2011, la Banque Nationale (devenue l'autorité compétente) décide qu'une augmentation de 13,29% à partir de 2012 par rapport au tarif de 2009 est justifiée pour éviter à DKV des pertes ou un risque de pertes susceptibles de mettre en danger sa stabilité financière. Il est constaté dans la décision que « le tarif initial, maintenu sans augmentation tarifaire est déficitaire pour le produit concerné tant à court qu'à long terme, et ce sur la base des éléments suivants:

- 1. au 31 décembre 2010 figurait déjà une perte de 841.105 EUR ;

- 2. au 31 décembre 2011, DKV prévoit un impact négatif d'au moins 15 millions d'euro ;

- 3. les projections financières prévoient de futures pertes récurrentes sur le portefeuille actuel à situation inchangée ».

A partir du 1er février 2012, DKV applique le tarif de 2009 majoré des 13,29% autorisés par la Banque Nationale.

4. Le 31 mai 2011, la Cour constitutionnelle rejette un recours introduit par l'Union professionnelle Assuralia (à laquelle appartient DKV) en annulation de plusieurs articles de la loi du 17 juin 2009 modifiant, en ce qui concerne les contrats d'assurance maladie, la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre et la loi du 20 juillet 2007 modifiant, en ce qui concerne les contrats privés d'assurance maladie, la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre.

5. Par exploit du 22 février 2010, Test-Achats fait citer DKV devant le président du tribunal de commerce de Bruxelles, statuant comme en référé dans le cadre de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur (LPCC), considérant que l'augmentation tarifaire mise en oeuvre par DKV au 1er janvier 2010 est illégale et constitue une pratique commerciale susceptible de faire l'objet d'une action en cessation, conformément à l'article 95 de la LPCC. Elle demande de condamner DKV à y mettre fin avec effet rétroactif, sous peine d'une astreinte de 500 EUR par jour de retard et par contrat, ce qui implique pour tous les contrats:

- de ramener le montant de la prime d'assurance au niveau qui était le sien en 2009;

- de ramener le montant de la franchise contractuelle au niveau qui était le sien en 2009 et de supprimer toute franchise si le contrat n'en prévoyait pas;

- de ramener la garantie d'assurance à une chambre à un lit lorsque l'assuré a opté pour une réduction de sa garantie à une chambre à deux lits;

- d'informer par lettre recommandée les assurés qui ont résilié leur contrat de la possibilité qu'ils ont de réacquérir la qualité d'assuré de la DKV aux conditions qui étaient en vigueur en 2009 et d'obtenir la couverture des sinistres survenus entre-temps.

Elle sollicite également la publication du jugement à intervenir dans quatre quotidiens.

Le premier juge accueille la demande de Test-Achats, sauf en ce qui concerne l'effet rétroactif de l'injonction de cessation de l'augmentation tarifaire et l'envoi d'un courrier recommandé à tous les assurés de DKV qui avaient résilié leurs polices.

6. DKV interjette appel de cette décision et Test-Achats forme un appel incident par conclusions.

Par son arrêt du 10 novembre 2011, la cour reçoit les appels et, avant dire droit, pose à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante:

« Les articles 29 et 39, 2. et 3., de la directive n° 92/49/CEE et 8, 3., de la directive n° 73/239, d'une part, et les articles 49 et 56 du TFUE, d'autre part, doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils interdisent aux Etats membres de prévoir, dans le cadre des contrats d'assurance maladie non liés à l'activité professionnelle, des dispositions aux termes desquelles la prime, la franchise et la prestation ne peuvent être adaptées, à la date annuelle de la prime que:

- sur la base de l'indice des prix à la consommation;

- sur la base d'un ou plusieurs indices spécifiques, aux coûts des services couverts par les contrats privés d'assurance maladie [appelé 'indice médical'] si et dans la mesure où l'évolution de cet ou de ces indices dépasse celle de l'indice des prix à la consommation;

- moyennant l'autorisation d'une autorité administrative, chargée du contrôle des entreprises d'assurances, saisie à la demande de l'entreprise d'assurances concernée, lorsque cette autorité constate que l'application du tarif de cette entreprise, nonobstant les adaptations calculées sur la base des indices prévus aux paragraphes précédents, donne lieu ou risque de donner lieu à des pertes, lui permettant ainsi de prendre des mesures afin de mettre ses tarifs en équilibre, lesquelles peuvent comporter une adaptation des conditions de couverture.

Dans son arrêt du 7 mars 2013, la C.J.U.E. dit pour droit que:

« Les articles 29 et 39, 2. et 3., de la directive n° 92/49/CEE du Conseil du 18 juin 1992 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie et modifiant les directives n° 73/239/CEE et n° 88/357/CEE (troisième directive 'assurance non-vie'), et l'article 8, 3., de la première directive n° 73/239/CEE du Conseil du 24 juillet 1973 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'accès à l'activité de l'assurance directe autre que l'assurance sur la vie, et son exercice, telle que modifiée par la directive n° 92/49, doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à une réglementation d'un Etat membre qui prévoit, dans le cadre des contrats d'assurance maladie non liés à l'activité professionnelle, des dispositions aux termes desquelles la prime, la franchise et la prestation ne peuvent être adaptées annuellement que:

- sur la base de l'indice des prix à la consommation ; ou

- sur la base d'un indice dit 'médical' si et dans la mesure où l'évolution de cet indice dépasse celle de l'indice des prix à la consommation ; ou

- après avoir obtenu l'autorisation d'une autorité administrative, chargée du contrôle des entreprises d'assurances, saisie à la demande de l'entreprise d'assurances concernée, lorsque cette autorité constate que l'application du tarif de cette entreprise, nonobstant les adaptations tarifaires calculées sur la base de ces deux types d'indices, donne lieu ou risque de donner lieu à des pertes.

Les articles 49 et 56 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à une telle réglementation, pour autant qu'il n'existe pas de mesure moins contraignante permettant d'atteindre, dans les mêmes conditions, l'objectif de protection du consommateur contre des hausses importantes et inattendues des primes d'assurance, ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier. »

7. Aux termes de ses dernières conclusions, DKV demande à la cour de:

« A titre principal:

- déclarer l'appel recevable et fondé;

- déclarer l'appel incident de Test-Achats non fondé;

- annuler le jugement frappé d'appel et déclarer l'action originaire de Test-Achats non fondée;

- condamner Test-Achats aux frais et dépens, en ce y compris l'indemnité de procédure.

A titre subsidiaire:

- avant dire droit, poser la question préjudicielle suivante à la Cour de justice de l'Union européenne:

Est-ce que l'article 15 de la directive n° 73/239, l'article 56 de la directive n° 91/674, l'obligation d'interprétation conforme, l'obligation de coopération loyale prévue l'article 4, 3., du traité sur l'Union européenne, et/ou une quelconque autre disposition ou principe de droit communautaire imposent que l'autorité de régulation doive exercer son pouvoir d'autoriser une augmentation des primes en temps utile, dès qu'une telle augmentation s'avère nécessaire afin de respecter le principe de l'équilibre financier visé aux articles 15 et 56 précités?

A titre encore plus subsidiaire:

- en ce qui concerne le maintien du montant de la prime d'assurance au niveau de 2009, de tenir compte de l'ensemble des augmentations tarifaires acceptées par la Banque Nationale postérieurement à 2009 jusqu'à la date de prononcé du jugement à intervenir ou de tout autre tarif augmenté conformément à l'article 204, § 2-3, de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances;

- en ce qui concerne le maintien de la franchise au niveau de 2009 et le maintien de la garantie d'assurance à une chambre à un lit, de dire que la DKV devra offrir une option aux assurés en leur laissant la liberté de choisir entre leur tarif actuel plus bas moyennant la franchise plus élevée et la garantie en chambre à deux lits, ou un tarif augmenté conformément aux augmentations tarifaires acceptées par la Banque Nationale postérieurement à 2009 jusqu'à la date de prononcé du jugement à intervenir ou toute autre augmentation conformément à l'article 204, § 2-3, de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances ».

Test-Achats sollicite pour sa part de:

« dire l'appel de la SA DKV Belgium recevable, mais non fondé;

dire l'appel incident (...) recevable et fondé;

en conséquence, dire pour droit que l'augmentation tarifaire de 7,84% dont la SA DKV Belgium a informé ses assurés dès la mi-décembre 2009 est illégale;

condamner la S.A. DKV Belgium à mettre fin à cette augmentation tarifaire avec effet rétroactif, dans le mois de la signification de l'arrêt à intervenir et sous peine d'une astreinte de 500 EUR par jour de retard et par contrat, ce qui implique pour tous les contrats concernés par cette augmentation:

- de ramener le montant de la prime d'assurance au niveau qui était le sien en 2009;

- de ramener le montant de la franchise contractuelle au niveau qui était le sien en 2009 et de supprimer toute franchise si le contrat n'en prévoyait pas;

- de ramener la garantie d'assurance à une chambre à un lit lorsque l'assuré a opté pour une réduction de sa garantie à une chambre à deux lits;

- d'informer par lettre recommandée les assurés qui ont résilié leur contrat de la possibilité qu'ils ont de réacquérir la qualité d'assuré de la SA DKV Belgium aux conditions tarifaires et contractuelles qui étaient en vigueur en 2009 et d'obtenir par conséquent la couverture des sinistres survenus entre-temps;

ordonner en outre la publication, aux frais de la SA DKV Belgium, de l'arrêt à intervenir dans les quotidiens 'Le Soir' et 'La Libre Belgique', et de sa traduction jurée en langue néerlandaise dans les quotidiens 'De Standaard' et 'De Morgen';

condamner enfin la SA DKV Belgium au paiement des entiers dépens, en ce compris une indemnité de procédure de 1.200 EUR. ».

IV. Discussion
1. Sur l'illégalité de l'augmentation tarifaire pratiquée par DKV en 2010

8. Dans son arrêt interlocutoire du 10 novembre 2011, la cour a constaté que:

- « une telle augmentation de prix [l'augmentation tarifaire de 2010], contraire à une disposition légale, constitue incontestablement une 'action (...) en relation directe avec (...) la vente ou la fourniture d'un produit » (point 11, p. 11);

- « dès lors que l'augmentation tarifaire pratiquée par DKV ne correspond à aucune des trois modalités d'augmentation autorisées par l'article 138bis-4 de la loi du 25 juin 1992, il ne peut être soutenu qu'elle aurait fait preuve de diligence professionnelle, sauf à établir que la loi est contraire au droit européen » (point 12, p. 12);

- « face à l'augmentation unilatérale de la prime, les assurés n'avaient en pratique, d'autres choix que de l'accepter, sous peine de voir leur contrat résilié ou de se résoudre à le résilier, même s'ils savaient ou devaient savoir que cette augmentation était illégale, n'ayant pas les moyens individuels de supporter la procédure judiciaire et d'assumer, sur le plan de leur situation personnelle, les risques de succomber. Il s'en déduit, en l'espèce, que leur comportement a bien été altéré » (point 13, p. 12).

DKV soutient, en substance, dans ses dernières conclusions que:

- l'augmentation tarifaire qu'elle a appliquée en 2010 a été implicitement autorisée avec effet rétroactif par la FSMA dans sa lettre du 22 juin 2010 et ensuite de manière explicite par la décision de la Banque Nationale du 21 décembre 2011 en manière telle qu'il ne peut être considéré qu'elle aurait commis un acte contraire aux exigences de la diligence professionnelle; à tout le moins, elle se trouvait dans un état de nécessité excluant toute faute dans son chef;

- le contrôle ex post facto opéré par la FSMA et la Banque Nationale s'est révélé être tout aussi efficace pour atteindre, dans les mêmes conditions, l'objectif de protection du consommateur en manière telle que la sanctionner constituerait, compte tenu des circonstances concrètes et spécifiques, une mesure disproportionnée contraire aux articles 49 et 56 du TFUE.

a) Sur le contrôle ex post facto opéré par la Banque Nationale

9. Il n'est pas contesté par DKV que l'augmentation tarifaire de 7,84% appliquée en 2010 ne répondait, au jour de sa mise en oeuvre, à aucune des trois modalités d'augmentation autorisées par l'article 138bis-4 de la loi du 25 juin 2002 sur le contrat d'assurance terrestre (actuellement art. 204 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances), à savoir: une adaptation sur la base de i) l'indice des prix à la consommation (art. 138bis-4, § 2 - qui était inférieur à l'époque à 1%), ii) « d'un ou plusieurs indices spécifiques, aux coûts des services couverts par les contrats privés d'assurance maladie si et dans la mesure où l'évolution de cet ou ces indices, dépasse celle de l'indice des prix à la consommation » (art. 138bis-4, § 3 - l'arrêté royal fixant l'indice médical n'étant pas encore adopté et publié en décembre 2009) et iii) d'une autorisation accordée par la CBFA sur la base de l'article 21octies, § 2, alinéa 2, de la loi du 9 juillet 1975 relative au contrôle des entreprises d'assurances (art. 138bis-4, § 4) prévoyant que « à la demande d'une entreprise et si elle constate que l'application de ce tarif, nonobstant l'application de l'article 138bis-4, § 2 et 3, de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre donne lieu ou risque de donner lieu à des pertes, dans le cas d'un contrat d'assurance maladie autre que professionnel au sens de l'article 138bis-2 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, [la CBFA] peut autoriser l'entreprise à prendre des mesures afin de mettre ses tarifs en équilibre. Ces mesures peuvent comporter une adaptation des conditions de couverture (...) ».

Selon DKV, l'irrégularité commise par elle ne serait toutefois que de « pure forme » et aurait été régularisée par la décision de la Banque Nationale du 21 décembre 2011 qui a reconnu que « sans l'augmentation litigieuse, la DKV aurait été en perte à partir du 1er janvier 2010 et n'aurait donc pas été en mesure de couvrir normalement le risque des assurés » (cf. ses conclusions de synthèse, p. 39, point 69).

10. Alors que DKV avait sollicité le 27 janvier 2011 une augmentation de ses tarifs de 14,63% sur la base du tarif 2009 (soit un peu plus que l'augmentation de primes appliquée en 2010 de 7,84% et l'indice médical de 6,30% en 2011 - cf. décision du 21 décembre 2011, p. 2 - pièce I-32 du dossier de DKV) et que la FSMA avait, dans son avis préalable (intégré dans la décision du 21 décembre 2011), considéré que seule une augmentation de 9,51% (soit un pourcentage égal à l'indice médical de 2010 et 2011 pris ensemble) devait suffire et qu'il n'existait pas de circonstances exceptionnelles, au sens de l'article 21octies, § 2, alinéa 2, de la loi du 9 juillet 1975, justifiant l'augmentation sollicitée au-delà de ces indices, la Banque Nationale a fait droit par sa décision du 21 décembre 2011 en partie à la demande de DKV en l'autorisant pour 2012 « à procéder à un relèvement tarifaire de 13,29% sur le tarif 2009 (...) et ce afin de mettre ses tarifs en équilibre ».

Il ne peut toutefois se déduire de cette décision que la Banque Nationale aurait ainsi admis que l'augmentation de 7,84% appliquée par DKV en 2010 était rétroactivement justifiée.

D'une part, la Banque Nationale ne se prononce pas sur l'augmentation de tarif appliquée par DKV en 2010. Elle n'était en effet saisie que d'une demande d'autorisation d'augmentation du tarif pour 2012 et l'augmentation accordée ne vaut que pour le futur et non pour le passé. Il est donc inexact de prétendre que la Banque Nationale aurait décidé que « pour l'ensemble de la période 2010-2011 », une augmentation à hauteur de 13,29% par rapport au tarif 2009 était nécessaire afin d'éviter un risque de pertes susceptibles de mettre en danger la stabilité financière de DKV (cf. conclusions de synthèse, p. 37, point 64).

D'autre part, si la Banque Nationale constate effectivement dans sa décision qu'au 31 décembre 2010 figurait déjà dans les comptes « une perte de 841.105 EUR » et qu'au 31 décembre 2011, DKV prévoit « un impact négatif d'au moins 15 millions d'euro », et que « les pertes d'exploitation de 2010 et 2011 pour le produit concerné se confirment pour l'année 2012 pour toute augmentation inférieure à 13,29% », ce constat en fait ne permet pas de considérer qu'elle aurait ainsi admis que DKV pouvait se dispenser de respecter en 2010 les mécanismes visés à l'article 138bis-4 de la loi du 25 juin 1992. Il y a lieu de rappeler qu'en juin 2010, la CBFA (qui était l'époque l'autorité de contrôle) a pris une décision sur l'augmentation tarifaire sollicitée par DKV en considérant qu'elle n'avait pas « à se prononcer sur l'augmentation correspondant à l'indice médical publié (7,45%) qui est acquise à DKV moyennant le respect des conditions prévues par la loi et l'arrêté royal » et en refusant la demande d'augmentation dépassant le taux prévu par l'indice médical dès lors que « la non-application de cette augmentation marginale ne donnerait pas lieu à des pertes dans les années prochaines et en tout cas pas avant 2021 » et que DKV s'est désistée du recours qu'elle avait introduit contre cette décision devant le Conseil d'Etat. Cette décision est donc définitive et rien n'établit qu'elle aurait été retirée par la Banque Nationale qui ne s'est prononcée, comme rappelé ci-dessus, que sur une augmentation tarifaire sollicitée pour 2012. La FSMA n'est par ailleurs pas revenue sur cette décision en réitérant dans son avis incorporé dans le courrier de la Banque Nationale du 21 décembre 2011 que « Compte tenu du temps qui s'est écoulé, il n'est plus possible pour la DKV d'appliquer l'indice médical pour l'année 2010 aux contrats d'assurance maladie qu'elle a dans son portefeuille. (...) Compte tenu des circonstances particulières, la FSMA est disposée, à titre exceptionnel, à accepter une application rétroactive de l'indice médical publié en 2010 sur base de l'article 21octies, § 2, alinéa 2, mais au plus tôt à partir du 26 février 2010, date de publication de l'indice médical au Moniteur belge » (traduction libre des parties - cf. conclusions de synthèse DKV, p. 36, n° 62 et ultimes conclusions de synthèse Test Achats, p. 23).

Enfin, c'est en vain que DKV soutient qu'elle se trouvait en 2010 dans un état de nécessité excluant toute faute dans son chef. Déjà dans ses conclusions précédant l'arrêt interlocutoire du 10 novembre 2011, DKV faisait valoir qu'elle avait « été forcée de manière impérative de procéder à l'augmentation demandée à partir du 1er janvier 2010 car elle ne pouvait appliquer un tarif ne respectant pas l'obligation d'équilibre financier consacrée par le droit communautaire » (p. 60, point 114 de ses conclusions de synthèse) et la cour, qui avait également connaissance de la décision prise par la FSMA le 22 juin 2010, a néanmoins considéré qu'il ne pourrait être soutenu qu'elle aurait fait preuve de diligence professionnelle, sauf à établir que le système de l'article 138bis-4 de la loi du 25 juin 1992 est contraire au droit européen. Le constat fait par la Banque Nationale en 2011 de l'existence de pertes (qui était déjà invoquée par DKV en 2011 devant la cour) n'y change rien.

11. Ce n'est dès lors que si la loi du 25 juin 1992 en ce qu'elle prévoit en son article 138bis-4 un mécanisme d'augmentation tarifaire contraire au droit européen que la cour pourrait revenir sur le constat fait en 2011.

b) Sur l'atteinte à la liberté d'établissement et à la libre prestation de services

12. Dans son arrêt du 31 mai 2013, la C.J.U.E. a tout d'abord dit pour droit que le système d'augmentation tarifaire mis en place par l'article 138bis-4 de la loi du 25 juin 1992 n'est pas contraire au principe de liberté tarifaire découlant des articles 29 et 39, 2. et 3., de la directive n° 92/49 et 8, 3., de la directive n° 73/239. Elle a considéré « qu'un tel système, qui n'affecte pas la possibilité pour lesdites entreprises de fixer librement leur prime de base, présente les caractéristiques d'un cadre technique au sens de la jurisprudence citée au point 23 du présent arrêt. En effet, en ce qu'il ne permet que des augmentations tarifaires sur la base de deux types d'indices, ce même système fonctionne comme un cadre technique limité à l'encadrement de l'évolution des tarifs, dans lequel les entreprises d'assurance doivent calculer leurs primes. Dans ces conditions, le seul fait que l'autorité administrative chargée du contrôle des entreprises d'assurances puisse, à la demande d'une entreprise d'assurances, décider d'autoriser celle-ci à prendre des mesures afin de mettre ses tarifs en équilibre lorsqu'ils donnent lieu ou risquent de donner lieu à des pertes ne suffit pas à remettre en cause la nature du cadre technique du système d'augmentation tarifaire en cause » (points 25 à 27 de l'arrêt).

S'agissant de la compatibilité du système aux articles 49 et 56 du TFUE, la C.J.U.E. a dit pour droit que ces articles « doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à une telle réglementation, pour autant qu'il n'existe pas de mesure moins contraignante permettant d'atteindre, dans les mêmes conditions, l'objectif de protection du consommateur contre des hausses importantes et inattendues des primes d'assurances, ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier ».

13. Selon Test-Achats, cette vérification a déjà été faite par la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 31 mai 2011 lorsqu'elle a considéré que:

« B.13.7.3. Les dispositions attaquées ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi.

L'assureur garde le droit de déterminer librement les éléments du contrat - tels que le montant de la prime - au moment de sa conclusion, en proposant le cas échéant 'des prix attractifs', dans des 'conditions économiquement réalistes' (Doc. parl., Sénat, 2008-2009, n° 4-1235/3, p. 5).

Il est, en outre, prévu que ces éléments du contrat peuvent, après sa conclusion, être adaptés chaque année au coût des services couverts par ce contrat, sur la base d'indices construits à l'aide de paramètres objectifs et représentatifs (art. 138bis-4, § 3, de la loi du 25 juin 1992) selon une méthode solide qui assure leur 'validité scientifique' (Doc. parl., Chambre, 2008-2009, Doc. 52-1662/004, p. 5; Doc. parl., Sénat, 2008-2009, n° 4-1235/3, p. 4).

Lorsque l'adaptation de ces éléments du contrat sur la base de ces indices spécifiques ou sur la base de l'indice des prix à la consommation ne permet pas à l'assureur d'éviter le risque de pertes, celui-ci peut demander à la [FSMA] l'autorisation de prendre des mesures destinées à mettre ses tarifs en équilibre, telles qu'une adaptation de ses conditions de couverture (art. 138bis-4, § 4, de la loi du 25 juin 1992, lu en combinaison avec l'art. 21octies, § 2, alinéa 2, de la loi du 9 juillet 1975). Cette procédure, qui s'inscrit dans le cadre de 'situations spécifiques et particulières' (Doc. parl., Chambre, 2008-2009, Doc. 52-1662/004, p. 35) ou de 'circonstances exceptionnelles' (Doc. parl., Sénat, 2008-2009, n° 4-1235/3, p. 5), a pour but de 'protéger le consommateur, puisque c'est ce dernier qui pâtirait le plus de la faillite éventuelle de son assureur' (ibid., p. 17).

Enfin, d'autres éléments du contrat peuvent aussi, après sa conclusion, être adaptés par l'assureur, de manière raisonnable et proportionnelle et à certaines conditions, aux modifications de la situation de l'assuré relatives à la profession, au revenu et au statut propre à la sécurité sociale de celui-ci (art. 138bis-4, § 5, de la loi du 25 juin 1992).

B.13.8. Les dispositions attaquées sont dès lors compatibles avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 49 et 56 du TFUE. »

La Cour constitutionnelle aurait ainsi décidé, en procédant au contrôle de la proportionnalité, qu'il n'existait pas d'autres mesures de droit interne moins préjudiciables permettant d'arriver au même but que celui qui était poursuivi par le législateur lors de l'adoption de l'article 138bis-4.

Pour DKV, cette décision, qui a été rendue dans le cadre d'un contentieux objectif, n'a pas d'autorité de chose jugée et il appartient à la cour de vérifier elle-même et de manière concrète, c'est-à-dire en tenant compte des faits spécifiques du cas particulier de l'augmentation qu'elle a pratiquée en 2010, s'il n'y avait pas de mesure moins contraignante possible. Elle considère que le contrôle ex post facto qu'elle a subi s'est révélé être tout aussi efficace pour atteindre, dans les mêmes conditions, l'objectif de protection du consommateur.

14. Ce raisonnement ne peut être suivi.

Dans son arrêt du 7 mars 2013 et après avoir rappelé qu'« une restriction à la liberté d'établissement et à la libre prestation des services peut être admise s'il s'avère qu'elle répond à des raisons impérieuses d'intérêt général, qu'elle est propre à garantir la réalisation de l'objectif qu'elle poursuit et qu'elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre » et constaté que le système d'augmentation tarifaire en cause a pour objectif de protéger le consommateur (prémunir l'assuré de hausses importantes et inattendues des primes d'assurance) et qu'il apparaît propre à garantir la réalisation de cet objectif, la C.J.U.E. a considéré à propos de la question de savoir si un tel système allait au-delà de ce qui était nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi que:

« Il convient de relever, d'une part, que, ainsi que l'ont fait observer Test-Achats et le gouvernement belge, l'une des caractéristiques de l'assurance hospitalisation consiste dans le fait que les probabilités d'intervention des assureurs sont accrues avec l'avancée de l'âge des assurés, dans la mesure où la majorité des frais médicaux sont exposés lors des dernières années de la vie. Dès lors, ainsi que l'a d'ailleurs également fait observer la Commission, alors qu'une assurance complémentaire hospitalisation du type 'chambre particulière', telle que celle en cause au principal, peut être offerte à des tarifs bas à des assurés relativement jeunes, ces tarifs sont de nature à subir des hausses avec l'avancée de l'âge de l'assuré et l'augmentation des coûts que celui-ci occasionne pour son assureur.

Or, au regard d'une telle caractéristique, un système d'augmentation tarifaire tel que celui en cause au principal permet de garantir qu'un assuré ne se voie pas confronté, à un âge plus avancé où il a précisément besoin de cette assurance, à une hausse importante et inattendue de ses primes d'assurance, qui le priverait du bénéfice de cette assurance, faute de pouvoir en assumer le coût.

D'autre part, dès lors qu'il est constant qu'un système d'augmentation tarifaire tel que celui en cause au principal n'interdit pas aux entreprises d'assurances de fixer librement la prime de base, un tel système ne les empêche pas non plus de tenir compte, au moment de la fixation de cette prime de base, des coûts plus élevés que la couverture d'assurance entraînera pour eux quand l'assuré aura atteint un âge plus avancé.

Au demeurant, ainsi qu'il est rappelé au point 27 du présent arrêt, l'autorité administrative chargée du contrôle des entreprises d'assurances peut, à la demande d'une entreprise d'assurances, autoriser celle-ci à prendre des mesures afin de mettre ses tarifs en équilibre lorsqu'ils donnent lieu ou risquent de donner lieu à des pertes.

Compte tenu de ces circonstances spécifiques et pour autant qu'il n'existe pas de mesure moins contraignante permettant d'atteindre, dans les mêmes conditions, l'objectif de protection du consommateur contre des hausses importantes et inattendues des primes d'assurance, ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, il n'apparaît pas qu'un système d'augmentation tarifaire tel que celui en cause au principal aille au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ledit objectif. » (points 43 à 47).

Il ressort de ces considérants qu'il ne pourrait y avoir atteinte à la liberté d'établissement et à la libre prestation des services que s'il existait une mesure alternative moins contraignante que le système d'augmentation tarifaire en cause. Le contrôle ex post facto invoqué par DKV et qui aurait été exercé selon elle par la Banque Nationale - quod non pour les motifs exposés ci-dessus au point 10 - ne constitue pas une « mesure » moins contraignante mais une modalité de la mise en oeuvre du système d'augmentation tarifaire en cause dont il a été admis par la C.J.U.E. qu'il n'allait pas au-delà de ce qui était nécessaire pour atteindre l'objectif de protection du consommateur. La circonstance que le contrôle se fasse a priori ou a posteriori ne change rien à ce constat.

Pour le surplus, c'est en vain que DKV réitère sa demande de poser une question préjudicielle à la C.J.U.E. sur le pouvoir discrétionnaire de la FSMA d'appliquer ou non l'article 21octies, § 2, de la loi du 9 juillet 1975 qui, selon elle, ne pourrait méconnaître le principe communautaire de l'équilibre financier. Dans son arrêt interlocutoire du 10 novembre 2011, la cour a déjà épuisé sa saisine sur ce point en considérant, en réponse à une demande analogue déjà formulée par DKV, que « comme l'a relevé la Cour constitutionnelle - seule habilitée à interpréter une disposition nationale au regard de la Constitution - l'article 21octies de la loi du 9 juillet 1975 n'a pas pour objet de régler la comptabilité des entreprises d'assurances et ne porte pas atteinte au droit de celles-ci de fixer le montant des provisions comptables dans le respect des exigences prévues par les dispositions européennes. Il s'en déduit qu'il ne peut exister d'incompatibilité entre les directives qui concernent les provisions techniques que les entreprises d'assurances doivent constituer et la disposition nationale qui réglemente les conditions d'adaptation des primes. Il n'y a dès lors pas lieu de poser à la C.J.U.E. la question préjudicielle suggérée par DKV » (point 21 de l'arrêt).

15. Il se déduit dès lors de ce qui précède que le constat de la cour selon lequel DKV a manqué à la diligence professionnelle en procédant à l'augmentation tarifaire de 2010 n'est pas infirmé. Il s'ensuit également qu'il est ainsi établi que cette augmentation tarifaire qui ne correspond à aucune des trois modalités d'augmentation autorisées par l'article 138bis-4 de la loi du 25 juin 1992 est illégale et constitue une pratique commerciale déloyale envers les consommateurs interdite par l'article 86 de la LPMC (actuellement art. VI.95 du Code de droit économique).

2. Sur la disparition de l'objet de la demande et les mesures de cassation sollicitées

16. DKV soutient que le tarif qu'elle applique actuellement ayant été autorisé par la Banque Nationale et étant donc, au stade actuel, tout à fait légal, le litige aurait perdu son objet.

En vertu de l'article 2 de la loi du 6 avril 2010 concernant le règlement de certaines procédures dans le cadre de la loi relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur (actuellement Livre XVII - art. XVII.1 du Code de droit économique), le président du tribunal de commerce constate l'existence et ordonne la cessation d'un acte, même pénalement réprimé, constituant une infraction aux dispositions de cette loi. Il résulte de cette disposition légale que le juge des cessations ne peut, en règle, constater l'existence d'une infraction sans en prononcer ensuite la cessation.

Il n'est pas contestable en l'espèce que le tarif appliqué par DKV à partir de février 2012 a été autorisé par la Banque Nationale. Elle expose avoir appliqué à partir de cette date une réduction de primes correspondant à la différence entre les augmentations pratiquées par elle en 2010 et 2011 (soit 7,84% et 6,30%) et l'augmentation approuvée par la Banque Nationale (13,29%). La mise en oeuvre correcte de la décision de la Banque Nationale a d'ailleurs été confirmée par cette dernière lors d'une inspection faite aux mois de juin et juillet 2012 (cf. pièce I.33 du dossier DKV).

Il s'en déduit que l'acte litigieux consistant à avoir augmenté illégalement ses tarifs en 2010 a définitivement pris fin puisque les tarifs appliqués par DKV depuis le mois de février 2012 sont autorisés par la Banque Nationale.

Il n'est dès lors pas possible de condamner DKV à mettre fin « avec effet rétroactif » à l'augmentation tarifaire mise en oeuvre par elle au 1er janvier 2010 et de faire droit aux différentes mesures de cessation sollicitées par Test-Achats sur la base de cette première mesure. Une mesure de cessation ne peut en effet, en tant que telle, avoir d'effets que pour l'avenir et non pour le passé. Un ordre de cessation ne peut par ailleurs avoir pour effet de faire revivre un contrat, de surcroît sans le consentement de l'assuré.

La constatation que l'acte illicite a pris fin ne fait toutefois obstacle au prononcé d'un ordre de cessation que si le risque de réitération de cet acte, ou de la pratique illicite qui en est à la base, est exclu (Cass., 25 juin 2015, C.14.0395.F; Cass., 17 juin 2005, R.W., 2005-2006, p. 787, note de B. Ponet, « Bevel tot staken van een reeds opgehouden overtreding van de Handelspraktijkwet »). La cessation d'une pratique ne peut être ordonnée s'il est prouvé que tout risque de récidive est objectivement exclu. A cet égard, ne sont pas pris en compte les éléments relatifs au comportement du défendeur en cessation, tels que la cessation volontaire de l'infraction ou la contestation du bien-fondé de la réclamation du demandeur en cessation. Le risque de récidive est objectivement écarté dès lors que le défendeur n'est plus susceptible de réitérer l'acte incriminé, faute d'utilité objective (Mons, 16 juin 2008, Annuaires Pratiques du commerce & Concurrence, 2008, p. 720).

Un tel risque objectif de récidive n'est en l'espèce ni allégué ni a fortiori démontré par Test-Achats.

Par ailleurs, si la cour peut prononcer un ordre de cessation visant à mettre fin à une certaine pratique dont l'acte a été l'expression, elle statuerait en revanche ultra petita en modifiant d'office une demande de cessation formulée par rapport à un acte précis (en l'occurrence l'augmentation tarifaire de 7,84% appliquée par DKV en 2010) pour viser une pratique plus large (M.-C. Ernotte, « L'action en cessation. Le point sur les aspects procéduraux de l'action comme en référé en matière de pratiques du marché et modifications introduites par les lois du 6 avril 2010 », in Actualités en matière de pratiques du marché et protection du consommateur, C.U.P., vol. 125, 2011, p. 203).

Ces différentes considérations justifient dès lors que, bien que DKV ait commis une pratique déloyale envers les consommateurs interdite par l'article 86 de la LPMC en procédant à l'augmentation tarifaire de 2010 qui ne correspond à aucune des trois modalités d'augmentation autorisées par l'article 138bis-4 de la loi du 25 juin 1992, un ordre de cessation ne peut être corrélativement imposé, l'acte litigieux ayant été définitivement accompli par l'écoulement du temps en raison de circonstances objectives extrinsèques à DKV (cf. Liège, 12 juin 2008, I.R.D.I., 2008, p. 339).

Pour le surplus, le jugement entrepris ayant déjà fait droit à la demande de publication, une nouvelle mesure de publication est inopportune et ne se justifierait que si la mesure était de nature à faire cesser l'acte incriminé.

V. Dispositif

Pour ces motifs, la cour,

Reçoit l'appel et le dit fondé dans la mesure ci-après;

Réforme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a reçu les demandes, a constaté que l'augmentation tarifaire de 7,84% dont la SA DKV Belgium a informé ses assurés dès la mi-décembre 2009 est illégale et constitue une infraction à l'article 94 de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information du consommateur et à l'article 86 de la loi du 6 avril 2010 relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur (actuellement art. VI.95 CDE) et a condamné la SA DKV Belgium aux dépens d'instance;

Dit n'y avoir lieu à ordre de cessation et déboute Test-Achats du surplus de ses demandes;

Condamne la SA DKV Belgium à payer à Test-Achats l'indemnité de procédure d'appel liquidée à 1.320 EUR.

(…)