Article

L'office du juge national en matière d'aides d'Etat à la lumière de la jurisprudence récente de la Cour de justice, R.D.C.-T.B.H., 2016/8, p. 730-748

L'office du juge national en matière d'aides d'Etat à la lumière de la jurisprudence récente de la Cour de justice

Pierre de Bandt et Raluca Gherghinaru [1]

TABLE DES MATIERES

I. Introduction

II. Fonctionnement du mécanisme de contrôle des aides d'Etat 1) Aperçu général

2) Rôles respectifs de la Commission européenne et des juridictions nationales en matière d'aides d'Etat

III. Pouvoirs du juge national à la lumière de la jurisprudence récente de la Cour de justice 1) Champ d'intervention très large du juge national en matière d'aides d'Etat

2) Grille d'analyse des demandes portant sur la violation de l'obligation de standstill 2.1) Le juge national peut-il/doit-il se prononcer sur la qualification d'une mesure en tant qu'aide d'Etat?

2.2) Y a-t-il aide d'Etat?

2.3) Si oui, l'aide est-elle légale?

3) Si l'aide est illégale, qu'est-ce que le juge national peut/doit faire? 3.1) Suspendre l'aide illégale et ordonner des mesures provisoires à l'égard de l'aide illégale

3.2) Annuler les décisions et les actes relatifs à la mise à exécution d'une aide illégale

3.3) Ordonner la cessation des pratiques commerciales déloyales contraires aux règles relatives aux aides d'Etat

3.4) Récupérer l'aide illégale et ordonner le versement d'intérêts au titre de la période d'illégalité 3.4.1. Avant que la Commission se prononce sur la compatibilité de ces aides

3.4.2. Lorsque la Commission a déclaré l'aide illégale et incompatible avec le marché intérieur

3.4.3. Lorsque la Commission a déclaré l'aide illégale mais compatible avec le marché intérieur

3.5) Accorder des dommages et intérêts aux personnes lésées par l'aide illégale

4) Pouvoir du juge national de soulever d'office les règles relatives aux aides d'Etat et d'interpréter/rectifier les demandes dont il est saisi

5) Outils mis à disposition du juge national dans le cadre du contrôle de l'application des règles en matière d'aides d'Etat 5.1) Pouvoir du juge national de demander des informations et l'avis à la Commission européenne

5.2) Pouvoir du juge national de poser une question à la Cour de justice

5.3) Pouvoir du juge national de faire appel aux moyens procéduraux prévus par le droit national

IV. Conclusion

RESUME
La Cour de justice rappelle régulièrement que les juges nationaux occupent un rôle essentiel dans l'application des règles européennes en matière d'aide d'Etat. De même, la Commission européenne plaide ouvertement pour un contrôle juridictionnel plus régulier dans cette matière. Il semble toutefois que, notamment en raison de la relative complexité des règles ainsi que du partage de responsabilités entre la Commission européenne et les juridictions nationales, ces considérations ne sont pas toujours écoutées et encore moins suivies par les juridictions belges. C'est dans ce contexte que le présent article a pour objet de rappeler, décrire et examiner la portée et l'étendue des règles qui établissent la compétence et les moyens dont disposent les juges dans le cadre du contrôle des aides d'Etat. Cet examen, qui ne prétend pas à l'exhaustivité tant la matière est vaste, inclut une analyse des évolutions récentes de la jurisprudence de la Cour de justice dans cette matière, qui, dans certains cas, amènent à de véritables révolutions.
SAMENVATTING
Het Hof van Justitie wijst regelmatig op de essentiële rol die voor de nationale rechtscolleges in het kader van de toepassing van de mededingingsregels is weggelegd. Ook de Europese Commissie is thans een pleitbezorger van een ingrijpende rechterlijke toetsing in deze materie. Uit een analyse van de Belgische rechtspraak blijkt echter dat, mede omwille van de relatieve complexiteit van de regels en taakverdeling tussen de Europese Commissie en de nationale rechtscolleges, deze laatsten niet altijd happig zijn om deze verwachtingen in te lossen. De huidige bijdrage heeft in deze context tot voorwerp om de draagwijdte van de regels inzake de bevoegdheid van de nationale rechtscolleges in het kader van de controle van de staatssteunregels in herinnering te brengen en nader te onderzoeken. Deze analyse, die gelet op de omvang van de problematiek niet exhaustief is, omvat ook een onderzoek van de meest recente rechtspraak van het Hof die, op een aantal vlakken, ware omwentelingen voor gevolg zal hebben.
I. Introduction

1.Nul besoin d'être expert en la matière pour en avoir conscience. Le contrôle des aides d'Etat fait de plus en plus souvent la une des médias en Belgique et ailleurs. Que ce soient les aides dans le cadre de la crise financière ou relatives aux rulings fiscaux ou d'autres aides de moindre importance financière mais avec souvent d'importantes répercussions pour les entreprises concernées (Bpost, Brussels Air­lines, Val-Saint-Lambert, etc.), il est difficile d'en faire abstraction tant les conséquences sont nombreuses.

2.Ce n'est que depuis une dizaine d'années que le contrôle des aides d'Etat dans l'Union européenne, longtemps considéré comme le parent pauvre du droit de la concurrence, est devenu un élément fondamental de la politique européenne et un garde-fou nécessaire pour permettre une concurrence effective et le libre-échange dans le grand marché européen.

3.L'on peut dès lors s'interroger sur le rôle du juge national dans le cadre de l'application de ces règles. Certes, la Cour de justice de l'Union européenne (ci-après la « Cour de justice ») insiste régulièrement sur le rôle essentiel des juridictions nationales dans la mise en oeuvre des règles relatives aux aides d'Etat. De même, la Commission européenne ne cesse de plaider pour un plus grand interventionnisme juridictionnel dans ce cadre. A cette fin, elle a d'ailleurs adopté, en 2009, une nouvelle version de sa communication relative à l'application des règles en matière d'aides d'Etat par les juridictions nationales [2] (ci-après la « communication sur l'application des règles en matière d'aides d'Etat ») [3]. Celle-ci a pour objet de mieux informer les juridictions nationales et les tiers des voies de recours disponibles en cas de violation des règles en matière d'aides d'Etat et de leur fournir des orientations sur l'application pratique de ces règles.

4.Toutefois, l'analyse de la jurisprudence belge démontre que ces considérations ne sont pas toujours écoutées et encore moins suivies.

5.En Belgique, les recours introduits devant les juridictions nationales afin de demander le respect de l'article 108, 3., dernière phrase, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après « TFUE ») ou le respect des décisions de la Commission ordonnant la récupération des aides incompatibles sont encore assez peu nombreux, bien que des progrès aient pu être constatés ces dernières années [4]. Force est toutefois de constater que, lorsque des recours sont exercés, les juges nationaux apparaissent souvent insuffisamment conscients de l'étendue de leur pouvoir, et parfois même ouvertement réticents à l'application des règles relatives aux aides d'Etat. Cela semble être le cas tant dans les recours subjectifs que dans les recours objectifs.

6.Pourquoi cette frilosité jurisprudentielle à l'égard des règles en matière d'aides d'Etat? A notre avis, cela s'explique notamment par le fait que cette matière est souvent perçue comme peu transparente, voire carrément opaque. Ce constat est sans nul doute lié au fait qu'il s'agit d'un ensemble de règles dispersées dans plusieurs instruments juridiques [5] et qui est en constante évolution.

7.Cette perception est renforcée par le fait que, en matière d'aides d'Etat, le contrôle du respect des règles applicables est partagé entre la Commission européenne et les juridictions nationales. La Cour de justice a, en effet, précisé à plusieurs reprises que, dans le cadre du contrôle du respect par les Etats membres des obligations mises à leur charge par les articles 107 et 108 TFUE, les juridictions nationales et la Commission remplissent des « rôles complémentaires et distincts » [6]. Si la Cour de justice semble convaincue de la clarté de ce partage de compétences, nous montrerons ci-dessous que, dans la pratique, il n'est pas toujours aisé d'établir la portée et les limites du pouvoir du juge national en matière d'aides d'Etat.

8.La réticence de certaines juridictions quant à l'application des règles relatives aux aides d'Etat évoquée ci-dessus s'explique également par le caractère protéiforme de la matière. En effet, les aides d'Etat peuvent prendre de multiples formes: subventions directes, apports en capital, garanties, allégements de charges, exonérations fiscales ou de charges sociales, crédits d'impôts, reports ou fractionnements de dettes, non-recouvrements de créances, etc. A cela, s'ajoute le fait que l'identification de ce qui constitue une aide d'Etat n'est pas toujours aisée. Les juges sont souvent confrontés à des situations où il est difficile de constater avec certitude si on est en présence d'une aide d'Etat et, le cas échéant, quelles règles s'appliquent.

9.La réticence des juges nationaux à l'égard des aides d'Etat s'explique aussi par le fait que l'examen des dispositions de l'article 108, 3., dernière phrase, TFUE les oblige à se prononcer sur des questions complexes qui leur sont peu familières. Cela est notamment le cas des questions d'ordre économique qui se posent dans le cadre de l'application du principe de l'investisseur ou du créancier privé ou des critères Altmark. En outre, les juges nationaux doivent prendre des mesures qui peuvent sembler extrêmement audacieuses, comme, par exemple, ordonner la suspension du versement de l'aide d'Etat et/ou sa récupération, ou encore assurer l'indemnisation des concurrents lésés en raison de l'aide d'Etat.

10.Afin de quelque peu dissiper les doutes et les inquiétudes des juges nationaux décrits ci-dessus, il nous semble important de rappeler et de décrire la portée et l'étendue des règles qui établissent la compétence et les moyens dont disposent les juges dans le cadre du contrôle des aides d'Etat. En outre, il nous semble essentiel d'examiner les dernières évolutions de la jurisprudence de la Cour de justice dans cette matière, qui, dans certains cas, amènent de véritables révolutions dans la manière d'approcher cette matière.

11.Pour ce faire, nous rappellerons dans un premier temps le fonctionnement du mécanisme de contrôle des aides d'Etat (voir II infra). Ensuite, nous concentrerons notre analyse sur les pouvoirs du juge national en matière d'aides d'Etat tels que circonscrits par la jurisprudence récente de la Cour de justice (voir III infra). Enfin, nous présenterons nos conclusions (voir IV infra).

II. Fonctionnement du mécanisme de contrôle des aides d'Etat
1) Aperçu général

12.En vertu de l'article 107, 1., TFUE, « sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ». En principe, les Etats membres ne peuvent mettre à exécution une mesure d'aide d'Etat qu'après avoir notifié cette mesure à la Commission européenne et obtenu l'autorisation préalable de cette dernière. Cette obligation de suspendre la mise à exécution d'une aide d'Etat jusqu'à la décision d'autorisation de la Commission est prévue à l'article 108, 3., dernière phrase, TFUE [7]. C'est ce que l'on appelle communément l'obligation de « standstill ».

13.La procédure qui doit être suivie par la Commission européenne lorsqu'elle examine une aide notifiée est régie par un règlement spécifique, à savoir le règlement (UE) n° 2015/1589 du 13 juillet 2015 portant modalités d'application de l'article 108 TFUE (ci-après le « règlement de procédure ») [8]. Conformément à ce règlement, dès la notification du projet d'aide par l'Etat membre, la Commission européenne doit procéder à un examen préliminaire de l'aide envisagée. A la fin de cet examen préliminaire, la Commission peut prendre trois types de décisions. Premièrement, la Commission peut constater que la mesure notifiée ne constitue pas une aide d'Etat [9]. Deuxièmement, la Commission peut constater que la mesure notifiée, bien qu'elle constitue une aide d'Etat, ne suscite pas de doutes quant à sa compatibilité avec le marché intérieur [10]. Enfin, la Commission peut constater que la mesure notifiée suscite des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur de sorte qu'il y a lieu d'ouvrir la procédure formelle d'examen prévue à l'article 108, 2., TFUE [11]. Dans ce dernier cas de figure, la Commission invite l'Etat membre concerné et les autres parties intéressées à présenter leurs observations dans un délai déterminé, qui ne dépasse normalement pas un mois [12].

14.A la fin de la procédure formelle d'examen, il peut arriver que la Commission constate que la mesure notifiée, le cas échéant après modification par l'Etat membre concerné, ne constitue pas une aide d'Etat [13]. Cette situation est évidemment assez exceptionnelle. Dans la grande majorité des cas, elle constatera de manière définitive que la mesure concernée constitue bien une aide d'Etat de sorte qu'il lui appartient d'examiner sa compatibilité avec le marché intérieur. Dans ce cadre, elle peut arriver à la conclusion que l'aide est compatible avec le marché intérieur (décision positive) [14]. Dans certains cas, la Commission peut décider d'assortir sa décision positive de conditions [15]. Lorsque la Commission constate, en revanche, que l'aide est incompatible avec le marché intérieur, elle prend une décision négative et interdit toute mise à exécution de l'aide en question [16]. Si l'aide a déjà été mise à exécution, elle ordonnera sa récupération par l'Etat membre.

15.Il arrive toutefois fréquemment que des aides soient mises à exécution sans avoir été notifiées et approuvées au préalable par la Commission européenne. Dans ce cas, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un tiers intéressé, procéder à l'examen de la mesure d'aide concernée [17]. Si elle constate à l'issue d'un examen approfondi que cette aide est incompatible avec le marché intérieur, elle peut en ordonner la récupération.

16.Enfin, il est important de souligner la distinction essentielle entre une aide illégale et une aide incompatible. Une aide illégale est une aide qui a été mise à exécution par un Etat membre en violation de l'obligation de standstill, pour autant que cette obligation soit applicable à l'aide concernée (sur cette nuance importante, voir infra les points 43 et s.). Une aide incompatible est une aide qui a fait l'objet d'un examen de la part de la Commission européenne et que cette dernière a déclarée incompatible avec le marché intérieur dans la mesure où elle fausse la concurrence entre les entreprises et affecte les échanges à l'intérieur du marché intérieur. De même, il est possible qu'une aide compatible soit illégale en raison de la violation de l'obligation de standstill. Cette distinction est importante dans la mesure où seule la Commission peut déclarer une aide compatible ou incompatible avec le marché intérieur. L'illégalité d'une aide, en revanche, peut être constatée tant par la Commission que par les juridictions des Etats membres (voir infra).

2) Rôles respectifs de la Commission européenne et des juridictions nationales en matière d'aides d'Etat

17.Il est désormais bien établi que la mise en oeuvre du mécanisme de contrôle des aides d'Etat prévu par le TFUE incombe tant à la Commission européenne qu'aux juridictions nationales. Selon la formule choisie par la Cour de justice, leurs rôles respectifs sont complémentaires mais distincts [18]. Il s'agit d'une illustration de l'obligation de coopération loyale entre les Etats membres et l'Union européenne qui est consacrée à l'article 4, 3., du traité sur l'Union européenne (ci-après le « TUE »).

18.Plus précisément, si l'appréciation de la compatibilité des mesures d'aide avec le marché intérieur (qui n'inclut pas l'analyse dans le cadre de l'art. 108, 3., TFUE) relève de la compétence exclusive de la Commission, agissant sous le contrôle des juridictions européennes, c'est aux juridictions nationales qu'il appartient de veiller à la sauvegarde des droits des justiciables face à une méconnaissance éventuelle, par les autorités étatiques, de l'obligation de standstill [19].

19.Cette compétence dévolue aux juridictions nationales résulte de l'effet direct qui est reconnu à l'obligation de standstill prévue à l'article 108, 3., dernière phrase, TFUE [20]. Plus précisément, les juridictions nationales doivent garantir aux justiciables que toutes les conséquences d'une violation de l'obligation de standstill seront tirées, conformément à leur droit national, en ce qui concerne tant la validité des actes d'exécution que le recouvrement des soutiens financiers accordés en violation de cette disposition ou d'éventuelles mesures provisoires [21].

20.Il convient toutefois de relever que ni les traités européens ni les actes dérivés adoptés par les institutions ne règlent de quelle manière les juridictions nationales doivent agir lorsqu'elles constatent une violation de l'obligation de standstill. Dans ces circonstances, c'est à l'ordre juridique interne de chaque Etat membre qu'il appartient de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent de l'effet direct de l'article 108, 3., dernière phrase, TFUE. C'est ce que l'on appelle dans le jargon européen le principe d'autonomie procédurale. Ce principe n'est toutefois pas absolu. Les Etats membres ne sont libres d'appliquer leurs propres modalités procédurales de recours que pour autant que ces modalités ne sont pas moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne (principe d'équivalence) et qu'elles ne rendent pas pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique européen (principe d'effectivité) [22].

21.En résumé, les juridictions nationales ne sont pas compétentes pour se prononcer sur la compatibilité des aides avec le marché intérieur, qui relève de la compétence exclusive de la Commission européenne. Elles sont, en revanche, compétentes pour adopter les mesures nécessaires afin de remédier à l'illégalité des aides résultant de la méconnaissance de l'obligation de standstill [23]. Elles jouent également un rôle important dans le cadre du contrôle du respect des décisions de récupération adoptées par la Commission en vertu de l'article 16 du règlement de procédure précité.

III. Pouvoirs du juge national à la lumière de la jurisprudence récente de la Cour de justice
1) Champ d'intervention très large du juge national en matière d'aides d'Etat

22.S'agissant de son obligation d'assurer le respect de l'obligation de standstill prévue à l'article 108, 3., TFUE, le juge national se trouve devant un champ d'intervention aussi large que diversifié.

23.De très nombreuses parties peuvent, en effet, saisir le juge national d'une demande portant sur la violation des règles européennes en matière d'aide d'Etat. Ainsi, le juge national peut être saisi par des tiers (concurrents, associations de consommateurs, etc.) dont les droits sont affectés par la mise à exécution d'une aide illégale ou encore par un bénéficiaire de l'aide qui, par exemple, conteste l'ordre de recouvrement de l'aide émis par l'autorité publique.

24.Les juridictions nationales peuvent également être saisies par les autorités publiques (le pouvoir subsidiant) lorsque le bénéficiaire de l'aide refuse de rembourser l'aide déclarée incompatible par la Commission européenne. Plus surprenant, mais non moins réel, est le cas où une autorité publique qui a octroyé une aide illégale invoque la violation des règles relatives aux aides d'Etat pour échapper au respect de ses obligations envers un tiers. Ce cas de figure s'est présenté dans une affaire où les autorités néerlandaises ont fait valoir dans le cadre d'une procédure judiciaire que les garanties qu'elles avaient accordées à une entreprise en vue de permettre à cette dernière de contracter un prêt étaient nulles au motif qu'elles violaient les règles européennes de contrôle des aides d'Etat [24].

25.Par ailleurs, ainsi qu'illustre assez bien l'arrêt Klausner de la Cour de justice, une autorité publique pourrait, afin de se soustraire aux obligations qui lui incombent en vertu d'un contrat conclu avec une entreprise, invoquer la nullité de ce contrat au motif qu'il octroie une aide d'Etat illégale (p. ex., sous la forme de prix trop avantageux) au profit du cocontractant de l'autorité publique [25].

26.La diversité d'actions et de demandes dont peut être saisi le juge national est également très étendue. En effet, compte tenu des multiples formes que peuvent revêtir les mesures d'aides d'Etat et des objectifs poursuivis par les différents requérants, le juge national peut être amené à se prononcer sur le respect de l'article 108, 3., dernière phrase, TFUE tant dans le cadre des procédures en référé (demandes de mesures provisoires) ou comme en référé (actions en cessation) [26] que dans le cadre des procédures au fond (action en nullité d'un contrat, action en nullité d'une décision de l'assemblée générale, action en dommages et intérêts, etc.). Le juge national peut également être saisi dans le cadre de la mise à exécution d'une décision de recouvrement de la Commission européenne. En fonction du mode de récupération des aides illégales qui sera adopté par l'autorité publique compétente, les demandes seront traitées soit dans le cadre des recours subjectifs introduits devant les juridictions de l'ordre judiciaire, soit dans le cadre des recours objectifs introduits devant le Conseil d'Etat ou la Cour constitutionnelle.

2) Grille d'analyse des demandes portant sur la violation de l'obligation de standstill

27.Lorsqu'il est saisi d'une demande portant sur l'application des règles en matière d'aides d'Etat, le juge national doit répondre à trois questions fondamentales. En premier lieu, il doit se demander s'il y a lieu pour lui de se prononcer sur la qualification de la mesure concernée en tant qu'aide d'Etat (2.1)). Si la réponse à cette question est positive, le juge national doit ensuite vérifier s'il y a effectivement aide d'Etat (2.2)). Enfin, si le juge national constate qu'il se trouve en présence d'une aide d'Etat, il doit ensuite examiner si l'aide a été mise à exécution en violation de l'obligation de standstill prévue à l'article 108, 3., TFUE (2.3)). La réponse à chacune de ces questions est susceptible de varier selon que la Commission européenne est ou non saisie de l'examen de la mesure et, le cas échéant, du stade dans lequel se trouve cette procédure d'examen.

2.1) Le juge national peut-il/doit-il se prononcer sur la qualification d'une mesure en tant qu'aide d'Etat?

28.La Cour de justice a très tôt confirmé que les juges nationaux étaient pleinement compétents pour interpréter la notion d'aide d'Etat [27]. A la différence de l'examen de la compatibilité des aides qui relève de la compétence exclusive de la Commission, l'interprétation de la notion d'aide relève de la compétence partagée des juges nationaux et de la Commission.

29.Il faut toutefois souligner que l'étendue de cette compétence d'interprétation et de qualification est différente selon que la Commission européenne est ou non saisie de l'examen de la mesure en cause.

30.Le premier cas de figure est celui où la Commission européenne n'est pas saisie (à la suite d'une plainte, notification ou de sa propre initiative) de l'examen de la mesure concernée. C'est évidemment dans ce cas de figure que le pouvoir d'appréciation du juge national quant à la qualification de la mesure en tant qu'aide d'Etat sera le plus large puisqu'il ne risque pas d'interférer avec l'examen de la Commission. Dans ce cas, le juge national est libre d'apprécier lui-même si la mesure répond aux quatre conditions prévues à l'article 107, 1., TFUE et, partant, peut être qualifiée d'aide d'Etat (voir points 39 et s).

31.Le deuxième cas de figure concerne les situations où la Commission européenne est saisie de l'examen de la mesure d'aide. Dans un arrêt de principe du 21 novembre 2013 concernant les aides octroyées par l'aéroport de Frankfurt-Hahn à Ryanair (arrêt « Deutsche Lufthansa ») [28], la Cour de justice a précisé que, dans un tel cas de figure, il faut faire une distinction selon le stade où se trouve la procédure d'examen.

32.Si l'examen de la mesure concernée se situe encore au niveau de la procédure préliminaire d'examen, c'est-à-dire si la Commission n'a pas encore pris une décision d'ouverture de la procédure formelle d'examen prévue à l'article 108, 2., TFUE, le juge national reste libre d'interpréter la notion d'aide d'Etat et d'apprécier si la mesure concernée constitue effectivement une aide d'Etat [29].

33.Si, en revanche, la Commission a déjà pris une décision d'ouverture de la procédure formelle d'examen, les pouvoirs du juge national d'interpréter la notion d'aide d'Etat sont beaucoup plus restreints. En effet, lorsque la Commission européenne a ouvert la procédure formelle d'examen à l'égard d'une mesure non notifiée en cours d'exécution, une juridiction nationale ne peut plus s'interroger sur la qualification d'une mesure en tant qu'aide d'Etat. Dans un tel cas, les juges nationaux sont tenus de considérer qu'il s'agit d'une aide d'Etat [30]. Selon la Cour de justice, toute autre interprétation porterait atteinte à l'effet utile de l'article 108, 3., TFUE [31] et à l'obligation de coopération loyale entre les institutions de l'Union et les Etats membres [32].

34.En d'autres termes, dans un tel cas de figure, la qualification (provisoire) d'aide d'Etat faite par la Commission lors de l'ouverture de la procédure formelle d'examen prévaut sur toute autre qualification éventuelle faite a posteriori par les juges nationaux. Selon certains auteurs, non seulement une autre qualification par le juge national n'a aucun effet juridique, mais elle est absolument interdite [33]. L'arrêt « Deutsche Lufthansa » a été confirmé à plusieurs reprises et, notamment, par l'ordonnance rendue par la Cour de justice le 4 avril 2014 dans l'affaire C-27/13 [34].

35.Cette nouvelle jurisprudence de la Cour de justice a le mérite de mettre fin à une hésitation qui s'était emparée de nombreuses juridictions nationales. En effet, avant l'arrêt Deutsche Lufthansa, plusieurs juridictions nationales s'étaient fondées sur le caractère provisoire de l'analyse faite par la Commission dans la décision d'ouverture de la procédure formelle pour conclure à l'absence d'effets juridiques de cette décision sur la procédure pendante devant elles [35]. Il est à présent clair que cette position n'est pas conforme à la portée essentielle des règles européennes en matière de contrôle des aides d'Etat.

36.Le troisième cas de figure concerne la situation où la Commission est saisie de l'examen de la mesure d'aide mais conclut, sans ouvrir la procédure formelle d'examen, que la mesure concernée ne constitue pas une aide d'Etat. Dans ce cas, il nous semble difficilement concevable que le juge national, qui serait également saisi de la question de la qualification de la mesure, puisse aboutir à une conclusion contraire à celle de la Commission européenne [36]. En effet, la Cour de justice a rappelé dans l'arrêt Deutsche Lufthansa que « les juridictions nationales doivent en particulier, s'abstenir de prendre des décisions allant à l'encontre d'une décision de la Commission » [37]. Par ailleurs, une attitude contraire de la part du juge national serait, à notre avis, incompatible avec l'obligation de coopération loyale qui pèse sur les Etats membres et indirectement sur les juridictions nationales.

37.Enfin, le dernier cas de figure se présente lorsque la Commission européenne est saisie de l'examen d'une mesure et conclut, à la fin de la procédure formelle d'examen, qu'il s'agit bien d'une aide d'Etat qui, selon le cas, est compatible ou incompatible avec le marché intérieur. Dans ce cas, étant donné que la question de la qualification de l'aide a fait l'objet d'un examen approfondi par la Commission européenne, le juge national ne peut pas aboutir à une conclusion différente de celle de la Commission en ce qui concerne la qualification de la mesure [38]. Si le bénéficiaire de l'aide conteste cette qualification, il ne pourra le faire que dans le cadre d'un recours devant les juridictions européennes.

38.En résumé, les juridictions nationales ne sont libres d'interpréter la notion d'aide d'Etat et, partant, de qualifier une mesure comme étant une aide d'Etat que dans deux cas de figure: d'une part, lorsque la Commission européenne n'est pas encore saisie de l'examen de la mesure concernée et, d'autre part, lorsque la Commission, bien que saisie de l'examen, n'a pas encore pris une décision d'ouverture de la procédure formelle d'examen prévue à l'article 108, 2., TFUE.

2.2) Y a-t-il aide d'Etat?

39.Si la juridiction nationale est dans une situation où elle est libre d'interpréter la notion d'aide d'Etat (voir supra), elle doit examiner si la mesure concernée répond aux quatre critères suivants: (i) la mesure doit être imputable à l'Etat ou être financée au moyen de ressources d'Etat, (ii) elle doit conférer un avantage économique à une entreprise bénéficiaire, (iii) cet avantage doit présenter un caractère sélectif, et (iv) la mesure doit fausser ou menacer de fausser la concurrence et être susceptible d'affecter les échanges entre Etats membres [39].

40.En raison de leur caractère protéiforme, l'identification des aides d'Etat n'est pas une tâche aisée. Afin d'aider les juridictions nationales, la Commission a publié des orientations détaillées sur cette question, notamment sur l'application du principe de l'investisseur privé et du test du créancier privé, sur les circonstances dans lesquelles les garanties publiques doivent être considérées comme des aides d'Etat, sur les privatisations et autres interventions publiques assimilées, etc. [40]. Plus récemment, la Commission a publié sur son site Internet la communication sur la notion d'aide d'Etat [41]. Outre les éclaircissements qu'elle apporte sur un certain nombre de points particulièrement importants pour les investissements publics, cette communication donne des orientations générales sur tous les aspects de la définition des aides d'Etat. A cette fin, elle résume systématiquement la jurisprudence des juridictions de l'Union et la pratique décisionnelle de la Commission.

41.En cas de doute quant à l'existence d'une aide d'Etat, les juridictions nationales peuvent également demander l'avis de la Commission [42]. Cette procédure ne préjuge pas de la possibilité et/ou de l'obligation pour la juridiction nationale d'adresser une question préjudicielle à la Cour de justice en vertu de l'article 267 TFUE [43] (voir infra).

2.3) Si oui, l'aide est-elle légale?

42.Si la juridiction nationale conclut que la mesure concernée constitue effectivement une aide d'Etat au sens de l'article 107, 1., TFUE, elle doit approfondir son analyse et se demander si l'aide est légale. Ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus (point 16), une aide est considérée « légale » si elle a été notifiée et approuvée par la Commission avant sa mise à exécution ou si elle est exemptée de l'obligation de notification et d'approbation par la Commission.

43.Dans l'hypothèse où l'aide a été mise à exécution sans qu'elle n'ait été préalablement notifiée à la Commission européenne ou avant que celle-ci ne se soit prononcée sur sa compatibilité avec le marché intérieur, le juge doit examiner (de sa propre initiative ou à la demande des parties) si l'absence de notification et d'approbation préalable peut être justifiée. Cette justification peut être soit que l'aide en question est exemptée de l'obligation de notification en vertu d'un règlement d'exemption (tel p. ex. le règlement n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014; ci-après le « règlement d'exemption n° 651/2014 ») [44], soit que l'aide est d'un montant tellement limité qu'elle n'est pas susceptible de fausser la concurrence (aide de minimis).

44.Le règlement d'exemption n° 651/2014 a été adopté par la Commission afin d'assurer une plus grande sécurité juridique et efficacité d'action pour les Etats membres qui octroient des aides. Ce règlement s'applique aux principales formes d'aides d'Etat utilisées dans l'Union européenne, à savoir les aides à l'emploi, aux PME, à la recherche et au développement, à la protection de l'environnement, etc. En vertu de ce règlement, la Commission exempte et déclare a priori compatibles avec le marché intérieur diverses catégories d'aides qui répondent aux conditions tant générales que spécifiques prévues par ce règlement [45]. Si une partie invoque l'applicabilité du règlement d'exemption devant la juridiction nationale, il lui incombera donc de démontrer que la mesure relève effectivement du champ d'application de ce règlement. Si tel n'est pas le cas, par exemple parce que l'aide dépasse le montant maximal de l'aide ou l'intensité maximale prévue par le règlement, la justification invoquée sera rejetée par le juge national.

45.La deuxième ligne de défense qui pourrait être invoquée dans le cadre d'une procédure où une violation de l'obligation de standstill est soulevée, consiste à invoquer que l'aide concernée est d'un montant tellement limité qu'elle n'est pas susceptible de fausser la concurrence [46]. On parle dans ce cas d'une aide de minimis. Afin de préciser cette notion, la Commission a adopté des règlements de minimis [47] qui permettent de déterminer selon quelles conditions des aides inférieures à un certain montant et satisfaisant à certaines conditions cumulatives ne sont pas considérées comme des aides d'Etat. Il conviendra donc au défendeur d'établir que l'aide en cause relève du champ d'application strictement déterminé d'un de ces règlements de minimis. S'il n'y parvient pas, la justification invoquée sera rejetée par le juge national.

46.Enfin, il est également possible que l'aide d'Etat mise en cause dans le cadre d'une procédure nationale ait déjà été notifiée et approuvée par la Commission européenne dans le cadre d'une décision. Dans ce cas, on parle d'une aide existante [48] (par opposition à une « aide nouvelle »). Il est évident que, dans un tel cas de figure, le juge national ne pourra pas remettre en cause la légalité de la mesure d'aide, sauf s'il est convaincu que la mesure d'aide n'a pas été exécutée conformément à la décision de la Commission européenne. Tel pourrait, par exemple, être le cas si le montant octroyé, le(s) bénéficiaire(s) ou la durée de la mesure ne correspondent pas à ce qui avait été approuvé par la Commission européenne.

47.En résumé, il convient de retenir que si, à la suite de son analyse, le juge national constate que l'ensemble des conditions prescrites par le règlement d'exemption n° 651/2014, par un règlement de minimis ou par une décision d'approbation sont satisfaites, l'aide en question ne devait pas être notifiée et approuvée par la Commission avant sa mise à exécution et, partant, ne constitue pas une aide illégale [49]. Si, en revanche, le juge national estime que l'aide ne remplit pas toutes les conditions prévues par ces actes, il devra conclure à l'illégalité de l'aide et en tirer toutes les conséquences [50].

3) Si l'aide est illégale, qu'est-ce que le juge national peut/doit faire?

48.Lorsqu'elles se trouvent en présence d'une aide illégale, les juridictions nationales doivent, selon les termes d'une jurisprudence constante de la Cour de justice, « veiller à la sauvegarde des droits des justiciables affectés par la mise en oeuvre illégale de l'aide concernée » [51]. Plus précisément, les juridictions nationales doivent garantir aux justiciables que toutes les conséquences de la violation de l'article 108, 3., dernière phrase, TFUE seront prises en compte conformément au droit national, et ce tant concernant la validité des actes d'exécution que concernant le recouvrement des soutiens financiers accordés au mépris de cette disposition ou d'éventuelles mesures provisoires [52].

49.Afin de sauvegarder les droits et intérêts des personnes affectées par une aide illégale, les juridictions nationales peuvent notamment prendre les mesures suivantes: suspendre l'aide illégale et ordonner des mesures provisoires contre l'aide illégale (3.1)), annuler/constater la nullité de la décision d'octroi de l'aide illégale et/ou ou les actes relatifs à la mise à exécution de cette aide (3.2)), faire cesser des pratiques contraires aux usages honnêtes en matière commerciale qui sont contraires aux règles relatives aux aides d'Etat (3.3)), ordonner le remboursement de l'aide illégale et/ou des intérêts au titre de la période d'illégalité (3.4)) et, enfin, accorder des dommages et intérêts aux entreprises concurrentes et aux autres tiers lésés (3.5)).

3.1) Suspendre l'aide illégale et ordonner des mesures provisoires à l'égard de l'aide illégale

50.Les juridictions nationales ne doivent pas uniquement suspendre les aides illégales qui ont déjà été versées, mais doivent également intervenir, au provisoire, lorsqu'une aide illégale est sur le point d'être versée [53].

51.De même, à la lumière de la dernière jurisprudence de la Cour de justice et du Tribunal de l'UE, il est désormais établi que les juges nationaux doivent intervenir, au provisoire, lorsqu'une aide a été mise à exécution en violation de l'obligation de standstill et que la Commission a décidé d'ouvrir la procédure formelle d'examen à l'égard de cette aide.

52.Il ressort, en effet, de la jurisprudence européenne que l'ouverture de la procédure formelle d'examen par la Commission à l'encontre d'une mesure en cours d'exécution a des effets immédiats, certains et contraignants sur l'Etat membre qui en est destinataire et sur les bénéficiaires de la mesure d'aide sous examen. Dans un arrêt du 16 octobre 2014, le Tribunal de l'Union a ainsi eu l'occasion de souligner que: « [j]usqu'à l'adoption d'une […] décision [d'ouverture de la procédure formelle], l'Etat membre, les entreprises bénéficiaires et les autres opérateurs économiques peuvent penser que la mesure est licitement mise en oeuvre en tant que mesure générale ne tombant pas dans le champ d'application de l'article 107, 1., TFUE ou en tant qu'aide existante. En revanche, après l'adoption d'une telle décision, il existe à tout le moins un doute important sur la légalité de cette mesure, qui, sans préjudice de la faculté de solliciter des mesures provisoires auprès du juge des référés, doit conduire l'Etat membre à en suspendre l'application, dès lors que l'ouverture de la procédure formelle d'examen exclut une décision immédiate concluant à la compatibilité avec le marché intérieur qui permettrait de poursuivre licitement l'exécution de ladite mesure. Une telle décision pourrait également être invoquée devant un juge national appelé à tirer toutes les conséquences découlant de la violation de l'article 108, 3., dernière phrase, TFUE […] » [54].

53.Il résulte de la jurisprudence européenne que si la Commission a pris une décision d'ouverture de la procédure formelle d'examen à l'encontre d'une aide potentielle qui a déjà été mise à exécution par l'Etat membre, les juridictions nationales sont tenues d'adopter toutes les mesures nécessaires en vue de tirer les conséquences d'une éventuelle violation de l'obligation de suspension de l'exécution de ladite mesure [55]. A cette fin, elles peuvent décider de suspendre l'exécution de la mesure en cause et d'enjoindre la récupération des montants déjà versés. Elles peuvent aussi décider d'ordonner des mesures provisoires afin de sauvegarder, d'une part, les intérêts des parties concernées et, d'autre part, l'effet utile de la décision de la Commission d'ouvrir la procédure formelle d'examen [56].

54.Selon nous, à la lumière de la jurisprudence récente de la Cour de justice et du Tribunal de l'UE, le juge national ne peut plus refuser de suspendre la mesure d'aide qui fait l'objet d'une procédure formelle d'examen devant la Commission ou de prendre les mesures provisoires nécessaires au motif que la mesure en cause ne constituerait pas une aide d'Etat. Le juge national reste, en revanche, libre de rejeter une demande de suspension de l'aide si, par exemple, les conditions pour l'introduction de ce type de demande (délai de recours, intérêt du requérant, urgence, etc.) ne sont pas satisfaites, sous réserve, bien entendu, des principes d'effectivité et d'équivalence (voir supra, point 20).

55.En Belgique, ce sont les juges civils et commerciaux qui sont le plus souvent amenés à se prononcer sur la suspension d'une mesure d'aide illégale. En effet, les concurrents du bénéficiaire de l'aide peuvent, par exemple, introduire une action en référé devant le président du tribunal de première instance ou devant le président du tribunal de commerce afin d'obtenir la suspension de l'octroi d'une aide d'Etat illégale.

56.De même, si la décision de l'autorité publique octroyant l'aide illégale constitue un acte attaquable au sens de l'article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973 [57], la suspension (et l'annulation - voir infra) de cette décision pourra/pourront être demandée(s) devant le Conseil d'Etat. Il est également possible d'introduire une demande de suspension en extrême urgence conformément à l'article 17, § 4, des lois coordonnées du Conseil d'Etat et à l'article 16 du règlement de procédure en référé [58]. Dans la mesure où cette procédure implique d'importantes dérogations aux règles usuelles et aux droits de la défense, ce type de procédure ne pourra être utilisé que dans des cas exceptionnels.

57.Il est également possible d'introduire un recours en suspension (et en annulation - voir infra) devant la Cour constitutionnelle contre une loi, un décret ou une ordonnance qui met à exécution des mesures d'aides d'Etat [59]. Dans la pratique, la Cour constitutionnelle n'accueille que très rarement ce type de demandes. La Cour constitutionnelle peut également être saisie par les juridictions nationales d'une question préjudicielle relative à une éventuelle violation des articles 10 et 11 de la Constitution lus ensemble avec les dispositions relatives aux aides d'Etat [60].

3.2) Annuler les décisions et les actes relatifs à la mise à exécution d'une aide illégale

58.Quels juges peuvent annuler les décisions et les actes relatifs à la mise à exécution d'une aide illégale?

59.Ainsi qu'il a été souligné supra (point 20), la question relative à la répartition des compétences entre les juridictions nationales et à la procédure applicable doit être réglée par chaque Etat membre. En droit belge [61], la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat est compétente pour se prononcer, par voie d'arrêts, sur les recours en annulation contre les actes et règlements des autorités administratives octroyant ou mettant à exécution une aide d'Etat illégale [62]. De même, la Cour constitutionnelle belge compte parmi ses compétences le pouvoir d'annuler les lois, les décrets et les ordonnances qui violent notamment les principes d'égalité et de non-discrimination lesquels peuvent être lus en combinaison avec l'article 108, 3., TFUE [63].

60.Lorsque les actes relatifs à la mise à exécution d'une aide illégale ne constituent pas des actes susceptibles de recours objectifs [64], mais qu'ils affectent les droits subjectifs du requérant, ce dernier peut saisir le juge judiciaire (civil ou commercial).

61.L'on pourrait notamment penser à la compétence des juges civils et commerciaux de constater la nullité des contrats (contrats de vente, contrats de prêt, garanties, etc.) qui ont pour objet de mettre à exécution une aide illégale [65]. Ainsi qu'il sera souligné infra (voir point 89), les règles applicables en matière d'aides d'Etat sont d'ordre public [66], de sorte que la violation de ces règles entraîne, en principe, la nullité absolue des actes posés en violation de ces règles. Ce cas de figure s'est déjà présenté dans diverses affaires.

62.Ainsi, dans un arrêt du 19 octobre 2012 [67], la cour d'appel de Bruxelles a dû se prononcer sur la question de savoir si une décision de la Commission européenne déclarant qu'une garantie accordée par les pouvoirs publics à la société sidérurgique Forges de Clabecq constituait une aide incompatible avec le marché intérieur, pouvait avoir pour effet d'entraîner la nullité de la convention de prêt dont cette garantie était l'accessoire.

63.Cet arrêt intervenait après le prononcé par la Cour de justice de l'arrêt dans l'affaire Residex Capital du 8 décembre 2011 [68] dans lequel la Cour a jugé que l'article 108, 3., dernière phrase, TFUE doit être interprété en ce sens que les juridictions nationales sont compétentes pour annuler une garantie lorsque par le biais de cette garantie, une entreprise privée a bénéficié d'un financement qu'elle n'aurait pas pu obtenir dans des conditions normales de marché ainsi que d'annuler le contrat de prêt lui-même.

64.Bien que les faits dans l'affaire Forges de Clabecq et Residex Capital semblaient à première vue comparables, il y avait néanmoins quelques différences importantes. Dans l'affaire Residex Capital, la société Aerospace (bénéficiaire de l'aide) se trouvait dans une situation financière telle que, sans la garantie de la ville de Rotterdam, elle n'aurait pas pu obtenir un financement de la part de Residex. Eu égard à ces éléments, le Hoge Raad der Nederlanden a considéré que le prêt, ensemble avec la garantie dont il était assorti, constituaient des aides d'Etat qui auraient dû être notifiées à la Commission européenne. Dans l'affaire Forges de Clabecq, en revanche, les garanties de l'Etat n'étaient pas indispensables pour assurer la bonne fin des opérations de financement de Forges de Clabecq et ne constituaient dès lors pas la cause des conventions de prêt et de rééchelonnement des échéances. En outre, la décision de la Commission constatant l'octroi d'aides illégales à Forges de Clabecq ne concernait que les garanties, et non les prêts auxquels ces garanties étaient assorties.

65.La cour d'appel de Bruxelles a bien saisi ces différences. Ainsi, dans son arrêt du 19 octobre 2012, la cour d'appel a conclu que, dans la mesure où les garanties en cause n'étaient pas le mobile déterminant des contrats de prêt, la cause de ces contrats n'était pas illicite de sorte que ceux-ci n'étaient pas nuls. A l'appui de cette conclusion, la cour d'appel a également relevé que l'obligation principale (les prêts) n'a jamais été considérée comme une aide d'Etat illégale et n'a jamais été mise en cause par la Commission.

66.Ainsi qu'il a été, à juste titre, souligné par la doctrine [69], la constatation de la nullité du contrat de prêt par la cour d'appel aurait eu des effets contreproductifs. En effet, à la suite de l'annulation ou de la suppression de convention de prêt, la société Forges de Clabecq aurait été libérée de son obligation de rembourser le prêt, ce qui aurait pour conséquence de ne pas rétablir la situation antérieure à l'aide, mais au contraire de lui accorder un nouvel avantage.

67.Enfin, en ce qui concerne la question spécifique des recours en annulation introduits à l'encontre des décisions rejetant une réclamation tendant à la décharge d'une imposition, il est de jurisprudence constante que les redevables d'une taxe ne sauraient exciper de ce que l'exonération dont bénéficient d'autres entreprises constitue une aide d'Etat pour se soustraire au paiement de ladite taxe [70]. Il s'ensuit que, à supposer même que l'exonération en question constituerait une mesure d'aide au sens de l'article 107 TFUE, l'éventuelle illégalité de cette aide n'est en principe pas de nature à affecter la légalité de la taxe elle-même. La Cour a précisé à cet égard qu'une extension du cercle des bénéficiaires potentiels de l'exonération à d'autres entreprises ne permettrait pas d'éliminer les effets d'une aide accordée en violation de l'obligation de standstill, mais aurait, au contraire, pour conséquence d'accroître les effets de cette aide [71].

68.Il faut toutefois noter qu'une conclusion différente s'impose si la taxe et l'exonération prévue font partie intégrante d'une mesure d'aide. Pour qu'une taxe puisse être considérée comme faisant partie intégrante d'une mesure d'aide, il doit exister un lien d'affectation contraignant entre la taxe et l'aide en vertu de la réglementation nationale pertinente, en ce sens que le produit de la taxe est nécessairement affecté au financement de l'aide et influence directement l'importance de celle-ci et, par voie de conséquence, l'appréciation de la compatibilité de cette aide avec le marché intérieur [72]. L'appréciation d'un tel lien doit se faire au cas par cas.

3.3) Ordonner la cessation des pratiques commerciales déloyales contraires aux règles relatives aux aides d'Etat

69.Les entreprises lésées par une pratique contraire aux usages honnêtes en matière commerciale de leurs concurrents peuvent saisir le président du tribunal de commerce dans le cadre d'une action au fond instruite comme en référé [73] afin d'obtenir la cessation de cette pratique.

70.Dans ce cadre, l'on pourrait s'interroger sur la question de savoir dans quelle mesure le président du tribunal de commerce est compétent pour ordonner la cessation d'une pratique commerciale qui consisterait en une violation de l'obligation de standstill. A première vue, cet angle d'attaque n'est pas évident dans la mesure où cette obligation s'adresse aux Etats membres, et non aux entreprises. Il n'est dès lors pas surprenant que la jurisprudence récente soit réticente à admettre de telles actions: les entreprises ne peuvent être tenues responsables d'une pratique contraire aux usages honnêtes en matière commerciale résultant d'une violation de l'obligation de standstill que s'il peut être démontré que les pratiques illégales leur sont directement imputables et qu'on est en présence de comportements qui constituent en eux-mêmes des pratiques contraires aux usages honnêtes en matière commerciale [74]. Il en est notamment ainsi lorsqu'une entreprise participe à un marché en remettant une offre fondée sur des aides d'Etat reçues illégalement de la part des autorités nationales [75] ou lorsqu'une entreprise tire d'un comportement contraire aux usages honnêtes en matière commerciale des avantages illicites constitutifs d'aides d'Etat [76].

3.4) Récupérer l'aide illégale et ordonner le versement d'intérêts au titre de la période d'illégalité

71.Les juridictions nationales jouent également un rôle important dans la récupération des aides illégales. A l'instar de ce qui est le cas pour la qualification en tant qu'aide d'Etat, les pouvoirs des juridictions au niveau de la récupération des aides d'Etat s'analysent de manière différente selon l'état d'avancement de l'examen par la Commission européenne.

3.4.1. Avant que la Commission se prononce sur la compatibilité de ces aides

72.Dans l'hypothèse où la Commission n'a pas encore pris une décision finale sur la compatibilité de la mesure d'aide, soit parce qu'elle n'en a pas connaissance, soit parce qu'elle n'a pas encore clôturé la procédure d'examen de la mesure en cause, le juge national est tenu de tirer toutes les conséquences juridiques de la mise à exécution d'une aide en violation de l'obligation de standstill prévue à l'article 108, 3., dernière phrase, TFUE, au nombre desquelles figure la possibilité d'ordonner le remboursement intégral de l'aide déjà versée.

73.Ainsi que nous l'avons souligné supra, suite à l'arrêt Deutsche Lufthansa de la Cour de justice, une distinction doit être faite selon le moment où le juge national doit se prononcer sur la mesure en cause.

74.Si une procédure formelle d'examen de la mesure litigieuse n'est pas encore ouverte devant la Commission au moment où le juge doit trancher le litige, ce dernier dispose d'une liberté d'appréciation maximale afin de déterminer si la mesure en cause constitue une aide d'Etat, si l'obligation de standstill lui est applicable et si une récupération s'impose.

75.Si, en revanche, une procédure formelle d'examen a été ouverte par la Commission, la marge de manoeuvre du juge national est beaucoup plus limitée. En effet, dans ce cas, le juge national ne peut plus remettre en cause la qualification de la mesure en tant qu'aide d'Etat et doit « adopter toutes les mesures nécessaires en vue de tirer les conséquences d'une éventuelle violation de l'obligation de suspension de l'exécution de ladite mesure » [77]. A cette fin, le juge national peut notamment enjoindre la récupération provisoire des montants déjà versés.

76.Concrètement, le juge national peut, par exemple, ordonner au bénéficiaire de restituer les montants correspondants aux aides illégales ou de les bloquer à la Caisse des dépôts et consignations ou chez un huissier de justice jusqu'à ce que la Commission clôture la procédure formelle d'examen ou que la juridiction nationale se prononce sur le fond de l'affaire [78]. En effet, si le juge national souhaite, par exemple, attendre que la Commission se prononce sur la compatibilité de l'aide en question avant de délivrer une injonction de récupération définitive et irréversible, il peut opter pour une injonction de récupération provisoire.

77.Il semble toutefois ressortir de la jurisprudence récente du Tribunal de l'UE [79] que la récupération à titre provisoire ne peut être ordonnée par les juridictions nationales que si (i) la qualification de la mesure d'aide d'Etat ne fait pas de doute, (ii) que l'aide est sur le point d'être ou a été mise à exécution et (iii) que ne sont pas constatées de circonstances exceptionnelles rendant inappropriée une récupération. Le Tribunal fonde son raisonnement sur le fait que le règlement de procédure impose lui-même des conditions strictes à la Commission lorsqu'elle envisage d'enjoindre à l'Etat membre concerné la récupération provisoire de l'aide [80].

78.A notre avis, cette frilosité du Tribunal ne se justifie pas. Dans l'hypothèse où la Commission a ouvert une procédure formelle d'examen, le juge national devrait pouvoir (sans restriction) ordonner la récupération provisoire de l'aide déjà versée. Cette différence de traitement par rapport à la Commission s'explique par le fait que, à la différence de cette dernière, le juge national a un rôle de première ligne dans le contrôle du respect de l'obligation de standstill par les Etats membres. En raison de sa rapidité d'intervention face à des aides illégales, de sa proximité et de la diversité des moyens qu'il a à sa disposition, il est le mieux placé pour prendre toutes les mesures nécessaires afin de protéger les intérêts des tiers lésés par les aides d'Etat illégales. D'ailleurs, force est de constater que, contrairement à l'article 13 du règlement de procédure qui impose à la Commission différentes conditions lorsqu'elle décide d'ordonner une récupération provisoire des aides d'Etat illégales, la communication de la Commission relative à l'application des règles en matière d'aides d'Etat ne prévoit aucune condition spécifique lorsqu'une juridiction nationale ordonne la récupération provisoire d'aides présumées illégales [81].

3.4.2. Lorsque la Commission a déclaré l'aide illégale et incompatible avec le marché intérieur

79.Si, à la fin de la procédure formelle d'examen, la Commission constate que la mesure examinée constitue une aide d'Etat, qui aurait dû être notifiée conformément à l'article 108, 3., dernière phrase, TFUE, incompatible avec le marché intérieur, elle ordonne à l'Etat membre de procéder à la récupération de l'aide en question [82]. Concrètement, l'aide qui doit être récupérée comprend les montants versés au bénéficiaire augmentés des intérêts qui courent à compter de la date à laquelle l'aide illégale a été mise à la disposition du bénéficiaire jusqu'à celle de sa récupération [83]. La récupération doit se faire sans délai et conformément aux procédures prévues par le droit national de l'Etat membre concerné, pour autant que ces dernières permettent l'exécution immédiate et effective de la décision de la Commission [84]. Les pouvoirs de la Commission en matière de récupération de l'aide sont soumis à un délai de prescription de 10 ans [85].

80.A titre d'illustration, par une décision du 3 juillet 2014 [86], la Commission a conclu que le régime de garantie mis en place dans le cadre de la coopérative financière belge Arco est incompatible avec les règles de l'Union en matière d'aides d'Etat [87]. La mise en oeuvre de cette décision sera, le plus vraisemblablement, un défi pour les autorités belges - et pour les juridictions belges, aussi -, dans la mesure où l'aide qui devra être récupérée s'élève à environ 150 millions d'euros [88]. Cette décision a été contestée (partiellement) par l'Etat belge et intégralement par les sociétés Arco devant le Tribunal de l'Union européenne [89]. Ces procédures ont été suspendues jusqu'à ce que la Cour de justice réponde aux questions préjudicielles posées par la Cour constitutionnelle belge dans l'affaire C-76/15 [90].

81.Par ailleurs, par une décision du 11 janvier 2016, la Commission européenne a conclu que les avantages fiscaux sélectifs octroyés par la Belgique au titre de son régime d'exonération des bénéfices excédentaires sont illégaux au regard des règles européennes en matière d'aides d'Etat. Au moins 35 multinationales, principalement basées dans l'UE, ont bénéficié de ce régime et devraient maintenant rembourser les impôts impayés à la Belgique [91]. Au moins trois sociétés [92] ainsi que la Belgique [93] ont saisi le Tribunal de l'Union européenne pour faire annuler cette décision de la Commission.

3.4.3. Lorsque la Commission a déclaré l'aide illégale mais compatible avec le marché intérieur

82.Il peut également arriver que, à la suite de la procédure formelle d'examen, la Commission constate que, bien que la mesure en cause constitue une aide d'Etat qui a été mise à exécution en violation de l'obligation de standstill, elle est néanmoins compatible avec le marché intérieur.

83.Dans son arrêt du 12 février 2008 dans l'affaire CELF I [94], la Cour de justice a dit pour droit que, dans un tel cas de figure, l'article 108, 3., dernière phrase, TFUE doit être interprété en ce sens que « le juge national n'est pas tenu d'ordonner la récupération d'une aide mise à exécution en méconnaissance de cette disposition » [95]. En application du droit de l'Union, il est, en revanche, tenu d'« ordonner au bénéficiaire de l'aide le paiement d'intérêts au titre de la période d'illégalité » [96]. La Cour de justice précise toutefois que si le droit national l'autorise, le juge national a la faculté « le cas échéant, [d']ordonner en outre la récupération de l'aide illégale, sans préjudice du droit de l'Etat membre de mettre celle-ci à nouveau à exécution, ultérieurement » [97]. Il pourrait toutefois être soutenu que dans l'hypothèse où l'aide illégale est en cours d'examen par la Commission, la récupération de l'aide ne pourrait être que provisoire, puisque si l'aide est déclarée compatible, seuls les intérêts devraient, en principe, être remboursés.

3.5) Accorder des dommages et intérêts aux personnes lésées par l'aide illégale

84.Dans le cadre de la mission qui leur incombe en vertu de l'article 108, 3., dernière phrase, TFUE, les juridictions nationales peuvent également être amenées à se prononcer sur des demandes d'indemnisation du préjudice subi par les concurrents du bénéficiaire et aux autres tiers en raison de la mise à exécution d'une aide d'Etat en violation de l'obligation de standstill [98]. Ainsi qu'il est indiqué dans la communication sur l'application des règles en matière d'aides d'Etat [99], les actions en dommages et intérêts sont particulièrement importantes pour les concurrents. Diverses études établissent en effet que, même en cas de récupération intégrale de l'aide illégale et/ou incompatible, dans la plupart des cas, la concurrence sur le marché continue à souffrir des effets de l'aide. En outre, le remboursement de l'aide ne supprime pas tous les avantages dont le bénéficiaire a tiré profit en raison de l'exploitation de l'aide illégale, tels que le gain de clientèle, le renforcement de sa position sur le marché, etc. En introduisant une action en dommages et intérêts, le requérant peut espérer se voir accorder directement une indemnisation pour le préjudice subi en raison de l'aide illégale. Il faut toutefois mentionner que les dommages-intérêts accordés à titre de la responsabilité extracontractuelle réparent uniquement le préjudice causé et ne sauraient concerner les avantages obtenus par le bénéficiaire de l'aide.

85.De telles actions en dommages et intérêts doivent, en principe, être dirigées contre l'autorité qui a octroyé l'aide d'Etat [100]. C'est en effet cette dernière qui a enfreint les règles en matière d'aides d'Etat en octroyant des aides en ne respectant pas l'obligation de standstill.

86.Il se peut toutefois que, dans certaines circonstances, le requérant préfère réclamer des dommages et intérêts directement au bénéficiaire. Dans l'arrêt SFEI précité [101], la Cour de justice a expressément examiné la question de savoir si des actions en dommages et intérêts pouvaient être introduites contre le bénéficiaire de l'aide en vertu du droit de l'UE. Elle a conclu que, dans la mesure où l'article 108, 3., TFUE n'impose aucune obligation directe au bénéficiaire, le droit de l'UE n'offre pas une base suffisante pour de telles actions. Toutefois, ainsi qu'il est souligné dans la communication sur l'application des règles en matière d'aides d'Etat (point 55), ceci ne préjuge en rien de la possibilité d'obtenir gain de cause dans le cadre d'une action en dommages et intérêts contre le bénéficiaire de l'aide sur la base des dispositions matérielles de droit national. Ainsi que le souligne la Cour de justice, un opérateur économique diligent doit s'assurer que cette procédure ait bien été respectée [102].

87.Le bénéficiaire ne pourra, en principe, pas réclamer des dommages et intérêts à l'autorité qui a octroyé l'aide. En effet, eu égard au caractère impératif du contrôle des aides d'Etat opéré par la Commission, les entreprises bénéficiaires d'une aide ne peuvent pas avoir une confiance légitime dans la régularité de l'aide que si celle-ci a été accordée dans le respect de la procédure prévue par l'article 108, 3., TFUE. Ainsi que le souligne la Cour de justice, un opérateur économique diligent doit s'assurer que cette procédure ait bien été respectée [103].

4) Pouvoir du juge national de soulever d'office les règles relatives aux aides d'Etat et d'interpréter/rectifier les demandes dont il est saisi

88.Lorsqu'une partie invoque l'existence d'une aide sans explicitement invoquer une violation de l'obligation de standstill prévue à l'article 108, 3., dernière phrase, TFUE, le juge national doit/peut-il soulever d'office le moyen tiré de la violation de cette disposition? Lorsqu'une partie invoque l'incompatibilité d'une aide d'Etat avec le marché intérieur, le juge national peut-il rectifier l'objet de la demande et se prononcer sur la légalité de l'aide, à savoir sur l'absence de notification de l'aide conformément à l'article 108, 3., dernière phrase, TFUE ou doit-il se déclarer d'office incompétent?

89.Ces questions ont été longuement débattues dans la doctrine [104] et sont encore d'actualité. Cela s'explique notamment par le fait que les principes régissant la procédure au niveau national relèvent de la compétence des Etats membres et diffèrent largement d'un Etat à l'autre. En effet, il appartient à l'ordre juridique interne de chaque Etat membre de régler les modalités procédurales des recours destinés à assurer l'application du droit de l'Union.

90.En Belgique, même si le législateur est venu apporter de nombreuses restrictions à ce principe, c'est encore toujours aux parties que revient la direction du procès civil. En vertu du principe dispositif, le juge ne peut pas soulever d'office des moyens qui ne sont pas d'ordre public et dont les parties avaient exclu l'existence. Par ailleurs, en vertu du principe du contradictoire, le juge ne peut pas soulever d'office des moyens - même d'ordre public - sans permettre la contradiction des parties.

91.La Cour de cassation belge a reconnu il y a plus d'un quart de siècle le caractère d'ordre public des règles relatives aux aides d'Etat [105]. Concrètement, cela signifie que si, en cours de procédure, le juge s'aperçoit que l'obligation de standstill prévue à l'article 108, 3., dernière phrase, TFUE a été violée, bien qu'aucune des parties n'ait soulevé ce moyen, il doit soulever d'office le moyen tiré de la violation de cette disposition et ordonner la réouverture des débats ou une mise en continuation pour permettre aux parties de conclure sur ce point.

92.La réponse est moins évidente lorsqu'une partie invoque explicitement dans sa demande une violation de l'article 107 TFUE ou l'incompatibilité de l'aide d'Etat sans faire aucune référence à l'illégalité de l'aide résultant de la violation de l'article 108, 3., dernière phrase, TFUE.

93.En France, plusieurs juridictions nationales ont rejeté les demandes fondées sur la violation de l'article 107 TFUE au motif que cette disposition n'a pas d'effet direct et ne peut dès lors être invoquée par les particuliers devant les juges nationaux [106]. Ces décisions semblent toutefois critiquables dans la mesure où les juges nationaux devraient pouvoir interpréter les demandes dont ils sont saisis en vue de prendre une décision qui reflète l'intention réelle des parties. Cela semble être également l'opinion d'une partie de la doctrine qui regrette la facilité avec laquelle les juges nationaux se déclarent incompétents ou rejettent les demandes qui ne se réfèrent pas explicitement à l'article 108, 3., TFUE [107].

94.En Belgique, les juges ont le pouvoir d'aller chercher l'intention réelle des parties et éventuellement de requalifier les faits qui leur sont soumis par les parties. En effet, selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation [108], le juge belge est tenu d'examiner la nature juridique des faits invoqués par les parties et, quelle que soit la qualification que celles-ci leur ont donnée, peut suppléer d'office aux motifs invoqués devant lui, pour autant que (i) il n'élève aucune contestation dont les parties ont exclu l'existence, (ii) se fonde uniquement sur des faits régulièrement soumis à son appréciation, (iii) ne modifie ni l'objet ni la cause de la demande et (iv) respecte les droits de la défense. La doctrine va dans le même sens: « le juge a la maîtrise de la qualification juridique et de la règle. Il n'est pas lié par la qualification juridique proposée ou suggérée par les parties ou par la norme invoquée par celles-ci » [109].

95.Nous estimons que, si les conditions énumérées ci-dessus sont satisfaites, le juge belge doit appliquer l'article 108, 3., dernière phrase, TFUE à la place de l'article 107 TFUE et se prononcer sur l'illégalité de l'aide en cause.

5) Outils mis à disposition du juge national dans le cadre du contrôle de l'application des règles en matière d'aides d'Etat

96.Les juges nationaux ne sont pas dépourvus de moyens dans le cadre du contrôle de l'application des règles en matière d'aides d'Etat.

97.En ce qui concerne les moyens prévus par le droit de l'Union, les juges nationaux peuvent, d'une part, demander à la Commission des éclaircissements et, d'autre part, ils peuvent ou doivent, conformément à l'article 267, alinéas 2 et 3, TFUE, déférer une question préjudicielle à la Cour. Cela a été rappelé par la Cour de justice dans l'arrêt Deutsche Lufthansa [110]. Les juges nationaux disposent, en outre, des moyens prévus par leur droit national (possibilité d'ordonner la production de documents supplémentaires, possibilité de nommer un expert, etc.).

5.1) Pouvoir du juge national de demander des informations et l'avis à la Commission européenne

98.L'article 4, 3., du TUE impose aux institutions européennes et aux Etats membres une obligation réciproque de coopération loyale consistant en une assistance mutuelle dans l'accomplissement des missions découlant des traités. Il en résulte que la Commission doit apporter son concours aux juridictions nationales lorsqu'elles appliquent le droit de l'UE. Inversement, les juridictions nationales peuvent être tenues d'assister la Commission dans l'accomplissement de sa mission [111].

99.Le concours apporté par la Commission aux juridictions nationales dans le cadre de l'application des règles sur les aides d'Etat peut se présenter sous deux formes différentes:

    • la juridiction nationale peut demander à la Commission de lui transmettre des informations pertinentes en sa possession [112];
    • la juridiction nationale peut demander à la Commission d'émettre un avis sur l'application de la réglementation en matière d'aides d'Etat [113].

    En ce qui concerne cette dernière possibilité de solliciter l'avis de la Commission européenne, il faut mentionner qu'elle est ouverte pour toutes les questions économiques, factuelles ou juridiques qui se posent dans le cadre des litiges relatifs à l'application des règles sur les aides d'Etat pendants devant les juridictions nationales [114].

    100.Une affaire pendante devant le Conseil d'Etat néerlandais offre une bonne illustration de ce mécanisme. Dans cette affaire, le Conseil devait examiner si le financement accordé par l'Etat néerlandais au profit de l'Open Universiteit Nederland (« OUN ») en vue d'offrir un programme de baccalauréat (bacheloropleiding) tombait dans le champ d'application des règles en matière d'aides d'Etat [115]. OUN est un institut indépendant d'enseignement à distance aux Pays-Bas. Ce qui est intéressant dans cette affaire c'est que les difficultés rencontrées par le Conseil d'Etat néerlandais ne concernaient pas l'identification d'un avantage sélectif dans le chef d'OUN ou l'existence d'un transfert de ressources publiques de la part des autorités néerlandaises, comme c'est le cas la plupart du temps, mais bien la qualification d'OUN en tant qu'entreprise au sens de l'article 107, 1., TFUE.

    101.Face à ces difficultés, le Conseil d'Etat néerlandais a décidé de solliciter l'avis de la Commission européenne. Cette dernière a répondu que le fait d'offrir un programme de baccalauréat par l'OUN ne devrait pas être qualifié comme une activité économique pour autant qu'il est démontré que l'Etat néerlandais, en finançant ce programme, accomplit en réalité sa mission dans les domaines social, culturel et éducatif envers sa population et qu'il n'y a pas de lien effectif entre les coûts réels du programme et l'éventuelle contribution payée par les personnes privées.

    102.Le Conseil d'Etat s'est fondé sur l'avis de la Commission pour conclure dans son arrêt du 30 janvier 2013 que, dans la mesure où le programme offert par l'OUN s'adresse à un groupe spécifique d'étudiants qui ne peuvent pas suivre un programme d'enseignement similaire dans d'autres institutions et que le prix que les étudiants paient pour ce programme ne représente pas le prix réel de ce programme, mais uniquement une partie symbolique des coûts réels, l'OUN ne peut pas être qualifiée d'entreprise au sens de l'article 107, 1., TFUE. Par conséquent, le Conseil d'Etat a conclu que les règles en matière d'aides d'Etat n'étaient pas d'application dans le cas d'espèce et que les requérants ne sauraient dès lors invoquer la violation de l'article 108, 3., dernière phrase, TFUE.

    103.Cette affaire illustre assez bien l'utilité de la procédure prévue à la section 3.2. de la communication sur l'application des règles en matière d'aides d'Etat pour le juge national qui rencontre des difficultés dans l'identification des aides d'Etat. Bien que l'avis de la Commission ne soit pas contraignant, celui-ci semble être suivi par les juges nationaux. Dans le cas analysé ci-dessus, l'avis de la Commission n'a pas été uniquement utile, mais également relativement rapide. En effet, le Conseil d'Etat néerlandais a adressé sa demande d'avis à la Commission le 31 août 2012 et moins de deux mois et demi après, c'est-à-dire le 14 novembre 2012, la Commission a communiqué son avis à la juridiction nationale. Au vu de ces délais, les juges belges ne devraient pas hésiter à demander de l'aide de la Commission lorsqu'ils doivent se prononcer sur des questions complexes en matière d'aides d'Etat.

    5.2) Pouvoir du juge national de poser une question à la Cour de justice

    104.Par ailleurs, outre le soutien apporté aux juridictions nationales par la Commission européenne ainsi qu'il est souligné dans la communication sur l'application des règles en matière d'aides d'Etat, les juridictions nationales ont la possibilité de saisir la Cour de justice, conformément à l'article 267 TFUE, d'une question préjudicielle portant sur l'interprétation des dispositions de droit de l'Union [116]. En effet, les juridictions nationales qui rencontrent des difficultés dans l'identification des aides d'Etat ont également la possibilité ou l'obligation, selon le cas, d'adresser une question préjudicielle à la Cour de justice. A la différence des avis de la Commission qui ne sont pas contraignants, la juridiction nationale qui a adressé une question préjudicielle est liée par l'interprétation donnée par la Cour quand elle tranche le litige pendant devant elle. Les arrêts de la Cour de justice lient de la même manière les autres juridictions nationales qui seraient saisies d'un problème identique.

    105.A titre d'illustration, dans le cadre d'un recours en annulation du décret de la Région flamande du 27 mars 2009 relatif à la politique foncière et immobilière, la Cour constitutionnelle belge a été amenée à se prononcer sur la violation des articles 10 et 11 de la Constitution combinés avec les articles 107 et 108 TFUE en raison de différents incitants fiscaux et mécanismes de subvention prévus par ce décret. Dans la mesure où la Cour constitutionnelle éprouvait des doutes quant à la qualification de ces mesures en tant qu'aides d'Etat, elle a posé plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice. Cette dernière a répondu à ces questions dans un arrêt du 8 mai 2013 [117]. L'interprétation des dispositions pertinentes par la Cour de justice a permis à la Cour constitutionnelle de se prononcer en pleine connaissance de cause par un arrêt du 7 novembre 2013 [118] sur des questions complexes telles que l'application du règlement relatif aux aides de minimis accordées à des entreprises fournissant des services d'intérêt économique général (SIEG) [119], l'application des critères Altmark [120] ou la décision « SIEG » [121].

    106.Un autre exemple plus récent concerne une question préjudicielle posée par le Landgericht Münster (tribunal régional de Münster, Allemagne) dans la procédure Klausner Holz Niedersachsen GmbH / Land Nordrhein-Westfalen. Dans cette affaire, la juridiction nationale souhaitait savoir si les articles 107 et 108 TFUE ainsi que le principe d'effectivité, exigeaient que, dans le cadre d'un litige civil portant sur l'exécution d'un contrat de droit civil comportant des clauses pouvant être assimilées à une aide d'Etat, il soit fait abstraction d'une décision de justice déclaratoire rendue en matière civile dans la même affaire. Cette décision, qui était revêtue de l'autorité de la chose jugée et confirmait la pleine légalité dudit contrat, n'avait pas porté sur la question des aides d'Etat et a fortiori sur l'impact de cette question sur la légalité du contrat. Par ailleurs, la juridiction nationale constate qu'aucune disposition de droit allemand ne permettait de s'opposer à l'autorité de chose jugée de la décision.

    107.La réponse de la Cour de justice pourrait surprendre, voire même irriter les spécialistes de la procédure civile et les tenants du strict respect de la sécurité juridique. En effet, dans un arrêt du 11 novembre 2015 [122], la Cour de justice a considéré que « le droit de l'Union s'oppose, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, à ce que l'application d'une règle de droit national visant à consacrer le principe de l'autorité de la chose jugée empêche le juge national ayant constaté que les contrats faisant l'objet du litige qui lui est soumis constituent une aide d'Etat mise à exécution en violation de l'article 108, 3., troisième phrase, TFUE, de tirer toutes les conséquences de cette violation, en raison d'une décision juridictionnelle nationale, devenue définitive, laquelle, sans examiner la question de savoir si ces contrats instaurent une aide d'Etat, a constaté qu'ils demeurent en vigueur » [123].

    108.S'il est vrai que les réponses de la Cour de justice à des questions préjudicielles peuvent nécessiter un certain temps (en moyenne, un an et demi), elles permettent une application effective et homogène de la législation de l'Union et d'éviter toute interprétation divergente, ce qui est essentiel dans une matière relativement complexe comme celle relative aux aides d'Etat.

    5.3) Pouvoir du juge national de faire appel aux moyens procéduraux prévus par le droit national

    109.Ainsi que la Commission le souligne dans sa communication sur l'application des règles en matière d'aides d'Etat, le principe d'effectivité que les Etats membres sont tenus de respecter peut influencer la collecte des preuves. En effet, lorsqu'il est impossible ou excessivement difficile pour un requérant d'étayer sa prétention (parce que les documents requis ne sont pas en sa possession, p. ex.), la juridiction nationale doit avoir recours à tous les moyens procéduraux mis à sa disposition par le droit national pour garantir à l'intéressé l'accès à ces preuves. Parmi ces moyens procéduraux figure notamment l'obligation pour la juridiction nationale d'ordonner au défendeur ou à un tiers de mettre les documents nécessaires à la disposition du requérant [124].

    110.Dans le domaine des aides d'Etat, ce principe a été posé par la Cour de justice dans l'arrêt de principe du 7 septembre 2006 dans l'affaire opposant les Laboratoires Boiron à l'Urssaf de Lyon [125].

    111.En effet, lorsque le juge national constate que le fait de faire supporter au requérant la charge de la preuve de l'existence d'une aide d'Etat est susceptible de rendre impossible ou excessivement difficile l'administration d'une telle preuve, il a l'obligation d'avoir recours à tous les moyens procéduraux mis à sa disposition par son droit national, au nombre desquels figure celui d'ordonner les mesures d'instruction nécessaires [126].

    112.En Belgique, le juge a la faculté d'ordonner à une partie ou à un tiers de produire un document lorsqu'il existe des présomptions graves, précises et concordantes que cette partie ou ce tiers détient un document contenant la preuve d'un fait pertinent pour la résolution du litige [127]. Le juge peut également, en vue de la solution d'un litige porté devant lui ou en cas de menace objective et actuelle d'un litige et lorsqu'il existe un risque de déperdition de preuves utiles à la solution du litige futur, charger des experts afin de procéder à des constatations ou de donner un avis d'ordre technique [128].

    IV. Conclusion

    113.Nous avons tenté, dans la présente contribution, de montrer à quel point le rôle du juge national est essentiel pour garantir l'application correcte des règles en matière d'aides d'Etat. Son intervention est capitale en cas de violation de l'obligation de standstill énoncée à l'article 108, 3., dernière phrase, TFUE et pour sauvegarder les droits des tiers affectés par cette violation. Les juges nationaux jouent également un rôle de première ligne dans le contrôle du respect des décisions de récupération adoptées par la Commission en vertu de l'article 16, 1., du règlement de procédure.

    114.Sans aucun doute, le juge national est le défenseur de première ligne des tiers lésés par l'octroi d'aides illégales, notamment lorsqu'il s'agit d'ordonner la suspension ou la récupération des aides illégales. Le juge national dispose, en effet, des moyens mis à sa disposition par son droit national pour réagir vite et de manière efficace en présence d'une aide d'Etat illégale. Ce type de procédure semble être nettement plus efficace pour le concurrent que l'introduction d'une plainte devant la Commission européenne qui, dans les cas complexes, nécessite souvent des longs échanges. Ces délais sont très préjudiciables pour les tiers (tels les concurrents) qui ont besoin d'une intervention rapide et du rétablissement, dans les meilleurs délais, d'une concurrence efficace sur le marché.

    115.Les pouvoirs du juge national en matière d'aides d'Etat ne sont toutefois pas illimités. Ainsi que nous l'avons vu, deux sortes de règles encadrent les pouvoirs du juge national dans cette matière. En premier lieu, le juge national doit garder à l'esprit qu'il partage ses compétences en matière d'application des règles relatives aux aides d'Etat avec la Commission européenne. A cet égard, il doit toujours se demander si les mesures qu'il souhaite ordonner empiètent sur les prérogatives exclusives de la Commission (comme p. ex., la prérogative de déclarer une aide compatible ou incompatible avec le marché intérieur) ou si ces mesures sont susceptibles d'aller à l'encontre d'une décision de la Commission (tel, p. ex., la décision de la Commission d'ouvrir la procédure formelle d'examen). En deuxième lieu, le juge national doit s'assurer que les règles de procédures qu'il applique dans le cadre d'actions visant à assurer le respect des règles européennes en matière d'aides d'Etat ne sont pas moins favorables que celles qui sont applicables aux actions introduites en vertu du droit national et qu'elles ne rendent pas excessivement difficile ou impossible, en pratique, l'exercice des droits conférés par les règles européennes.

    116.Certes, la matière des aides d'Etat n'est pas aisée mais force est de constater que les juges nationaux ont à leur disposition de nombreuses communications établies par la Commission européenne sur les différents aspects de la matière des aides d'Etat. En outre, ils ont la possibilité de requérir l'avis de la Commission européenne ou de poser des questions préjudicielles à la Cour de justice. Ces outils sont-ils suffisants? Difficile à dire, mais, à tout le moins, ils ont l'avantage de guider les juges nationaux dans les méandres souvent complexes de la réglementation en matière d'aides d'Etat.

    [1] Avocats au barreau de Bruxelles, & De Bandt Avocats.
    [2] J.O. C. 85, 9 avril 2009, pp. 1-22.
    [3] Il faut noter qu'avant d'adopter la communication de 2009, la Commission avait déjà examiné le rôle joué par les juridictions nationales dans la communication relative à la coopération entre la Commission et les juridictions nationales dans le domaine des aides d'Etat, publiée en 1995.
    [4] Il ressort de l'étude réalisée en 2009 à la demande de la Commission européenne que, de manière générale, le nombre de recours en matière d'aides d'Etat introduits devant les juges nationaux a augmenté par rapport à 2006. Toutefois, cette étude relève que, en Belgique et au Royaume-Uni, le nombre de recours en matière d'aides d'Etat a baissé de manière significative (voir 2009 update of the 2006 Study on the enforcement of State aid rules at national level - Final Report, disponible sur le site de la DG Concurrence). Il serait intéressant de voir l'évolution de cette situation ces dernières années. A notre connaissance, aucune mise à jour de l'étude réalisée en 2009 n'a été commandée par la Commission jusqu'à l'heure actuelle.
    [5] Pour un aperçu complet de la législation applicable aux aides d'Etat, voir le site de la DG Concurrence (www.ec.europa.eu/competition/state_aid/legislation/legislation.html).
    [6] Voir notamment, l'arrêt de la Cour de justice du 11 juillet 1996, C-39/94, Syndicat français de l'Express international (SFEI) et autres / La Poste et autres, ECLI:EU:C:1996:285, point 41.
    [7] L'art. 108, 3., TFUE prévoit que: « [L]a Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché intérieur, aux termes de l'article 107, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'Etat membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale. »
    [8] Le règlement (UE) n° 2015/1589, publié au J.O. L. 248, 24 septembre 2015, pp. 9-29, est en vigueur depuis le 14 octobre 2015. Il remplace le règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 portant modalités d'application de l'article 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, J.O. L. 083, 27 mars 1999, p. 1.
    [9] Art. 4, 2., du règlement de procédure.
    [10] Art. 4, 3., du règlement de procédure.
    [11] Art. 4, 4., du règlement de procédure.
    [12] Art. 6, 1., du règlement de procédure.
    [13] Art. 9, 2., du règlement de procédure.
    [14] Art. 9, 3., du règlement de procédure.
    [15] Art. 9, 4., du règlement de procédure.
    [16] Art. 9, 5., du règlement de procédure.
    [17] Le plus souvent, la Commission est informée de la mise en oeuvre des aides supposées illégales à la suite de plaintes déposées par les concurrents du bénéficiaire ou par le biais de la presse.
    [18] Voir, en ce sens, l'arrêt de la Cour de justice du 21 octobre 2003, C-261/01 et C-262/01, Etat belge / Eugène van Calster e.a., ECLI:EU:C:2003:571, point 74 et l'arrêt SFEI précité, point 41.
    [19] Arrêt van Calster e.a., précité, point 75.
    [20] Arrêt van Calster e.a., précité, point 53.
    [21] Arrêt de la Cour de justice du 21 novembre 1991, C-354/90, Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires (FNCE), ECLI:EU:C:1991:440, point 12.
    [22] Voir, en ce sens, l'arrêt de la Cour de justice du 7 septembre 2006, C-526/04, Laboratoires Boiron / Urssaf de Lyon et ACOSS, ECLI:EU:C:2006:528, point 51. Voir également l'arrêt de principe Cass., 18 juin 1992, R.G. 9152, Etat belge / Tubemeuse, disponible sur www.cass.be.
    [23] Arrêt de la Cour de justice du 11 mars 2010, C-1/09, Centre d'exportation du livre français (CELF) et ministre de la Culture et de la Communication / Société internationale de diffusion et d'édition (SIDE) (affaire CELF II), ECLI:EU:C:2010:136, point 30.
    [24] Voir l'arrêt de la Cour de justice du 8 décembre 2011, C-275/10, Residex Capital IV CV / Gemeente Rotterdam, ECLI:EU:C:2011:814, point 17.
    [25] Voir l'arrêt de la Cour de justice du 11 novembre 2015, C-505/14, Klausner Holz Niedersachsen GmbH / Land Nordrhein-Westfalen, ECLI:EU:C:2015:742.
    [26] Notons toutefois que, selon une jurisprudence largement majoritaire, ce type d'actions ne se prête que difficilement à une application des règles en matière d'aides d'Etat. Voir, à cet égard, président du tribunal de commerce de Bruxelles, 28 avril 2015, A.R. 2014/52.655, inédit (voir infra).
    [27] Voir, à titre d'exemple, l'arrêt de la Cour de justice du 22 mars 1977, 78/76, Steinike & Weinlig / République fédérale d'Allemagne, ECLI:EU:C:1977:52 et l'arrêt SFEI, précité, point 49.
    [28] Arrêt de la Cour de justice du 21 novembre 2013, C-284/12, Deutsche Lufthansa AG / Flughafen Frankfurt-Hahn Gmb (FFH), ECLI:EU:C:2013:755.
    [29] Arrêt Deutsche Lufthansa, précité, points 34 et 35.
    [30] Le juge national est effectivement tenu par la qualification faite par la Commission dans sa décision d'ouverture de la procédure formelle. Si, toutefois, le juge national a des doutes quant à la validité de la décision d'ouverture de la procédure formelle de la Commission, il est, selon nous, judicieux qu'il pose une question préjudicielle à la Cour de justice et qu'il attende la réponse de la Cour avant de se prononcer sur l'affaire pendante devant lui.
    [31] Voir l'arrêt Deutsche Lufthansa, précité, point 38.
    [32] Voir l'arrêt Deutsche Lufthansa, précité, point 41.
    [33] A cet égard, voir notamment Phedon Nicolaides, Non notified State aid and the Role of National Courts [C-284/12, Deutsche Lufthansa / Flughafen Frankfurt-Hahn] in Recent Developments in State aid - Lexxion State Aid Blog (www.lexxion.eu).
    [34] Ordonnance de la Cour de justice du 4 avril 2014, C-27/13, Flughafen Lübeck GmbH / Air Berlin, ECLI:EU:C:2014:240.
    [35] Voir, en ce sens, tribunal de première instance de Sassari (Italie), 26 janvier 2009, AirOne SpA / Ryanair LTD et Sogeal SpA, 3863/2008 RGAC et Amsterdam, 18 janvier 2007, UPC Nederland B.V. / Ville d'Amsterdam, LJN AZ 6508.
    [36] Voir, en ce sens, l'arrêt n° 143/2003 du 5 novembre 2003, dans lequel la Cour constitutionnelle belge a jugé que, dans la mesure où la Commission européenne a classé les plaintes dont elle avait été saisie au motif qu'il s'agissait des aides existantes qui ne tombent pas sous l'interdiction prévue à l'art. 107, 1., TFUE, elle « excéderait ses compétences si elle portait un jugement différent sur la qualification qu'il convient de donner à la mesure en cause au regard des dispositions du traité précité, ainsi que sur sa compatibilité avec ces dispositions ».
    [37] Arrêt Deutsche Lufthansa, précité, point 41.
    [38] Un parallélisme pourrait être fait avec l'article 16 du règlement (CE) n° 1/2003 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102] du TFUE qui prévoit que: « Lorsque les juridictions nationales statuent sur des accords, des décisions ou des pratiques relevant de l'article [101] ou [102] du traité qui font déjà l'objet d'une décision de la Commission, elles ne peuvent prendre de décisions qui iraient à l'encontre de la décision adoptée par la Commission. Elles doivent également éviter de prendre des décisions qui iraient à l'encontre de la décision envisagée dans une procédure intentée par la Commission. A cette fin, la juridiction nationale peut évaluer s'il est nécessaire de suspendre sa procédure. Cette obligation est sans préjudice des droits et obligations découlant de l'article 234 du traité. »
    [39] Pour une application de ces critères, voir les décisions de la Commission européenne dans les affaires SA.35905 (2016/C) (ex 2015/NN) (ex 2012/CP) - Belgique « Concessionnaires actifs dans le port d'Anvers » et SA.36019 (2014/NN) - Belgique « Financement d'infrastructures routières à proximité du site d'un projet immobilier - Uplace ».
    [40] Voir notamment le point 12 de la communication sur l'application des règles en matière d'aides d'Etat.
    [41] Le texte de la communication peut être consulté à l'adresse suivante: www.ec.europa.eu/competition/state_aid/modernisation/notice_aid_en.html.
    [42] Section 3.2. de la communication sur l'application des règles en matière d'aides d'Etat.
    [43] Voir le point 13 de la Communication sur l'application des règles en matière d'aides d'Etat.
    [44] Règlement n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d'aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité (J.O. L. 187 du 26 juin 2014, pp. 1-78).
    [45] Considérant 6 du règlement d'exemption n° 651/2014.
    [46] D'un point de vue strictement juridique, notons qu'il s'agit là d'une des conditions pour la qualification en tant qu'aide d'Etat. En pratique, les règlements de minimis sont souvent invoqués en défense, sans même examiner si la mesure en cause satisfait à toutes les conditions de l'art. 107, 1., TFUE.
    [47] Voir le règlement n° 1407/2013 du 18 décembre 2013 relatif à l'application des art. 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne aux aides de minimis (J.O. L. 352 du 24 décembre 2013, pp. 1-8) et le règlement n° 360/2012 du 25 avril 2012 relatif à l'application des art. 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne aux aides de minimis accordées à des entreprises fournissant des services d'intérêt économique général (J.O. L. 114 du 26 avril 2012, pp. 8-13).
    [48] A titre d'exhaustivité, il faut noter qu'il existe d'autres catégories d'aides existantes qui sont énumérées à l'art. 1er, b), du règlement de procédure.
    [49] Voir, en ce sens, l'arrêt du tribunal de première instance de Bruxelles du 4 février 2011, Westvlees / VLAM.
    [50] Voir, en ce sens, l'arrêt de la Cour constitutionnelle n° 145/2013 du 7 novembre 2013.
    [51] Communication sur l'application des règles en matière d'aides d'Etat, point 21.
    [52] Arrêt SFEI, précité, point 40.
    [53] Point 28 de la Communication sur l'application des règles en matière d'aides d'Etat.
    [54] Arrêt du Tribunal du 16 octobre 2014, T-517/12, Alro SA / Commission, ECLI:EU:T:2014:890, point 28.
    [55] Arrêt Deutsche Lufthansa, précité, point 43; ordonnance du Tribunal du 3 mars 2015, T-251/13, Gemeente Nijmegen / Commission, ECLI:EU:T:2015:142, point 32.
    [56] Arrêt Deutsche Lufthansa, précité, point 43; ordonnance Gemeente Nijmegen, précitée, point 33.
    [57] M.B., 21 mars 1973, p. 3.461.
    [58] Arrêté royal du 5 décembre 1991 déterminant la procédure en référé devant le Conseil d'état (M.B., 14 janvier 1992, p. 564).
    [59] Art. 19 de loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle (M.B., 7 janvier 1989).
    [60] Par l'arrêt n° 222.969 du 25 mars 2013, le Conseil d'Etat a posé une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle afin que cette dernière se prononce si les actionnaires individuels de Dexia ont été discriminés par rapport aux coopérateurs d'Arco dans la mesure où ils n'ont pas eu droit à une garantie d'Etat comme ces derniers. Avant de se prononcer sur cette question, la Cour constitutionnelle a décidé par l'arrêt n° 15/2015 du 5 février 2015 de poser 6 questions préjudicielles à la Cour de justice de l'UE (affaire C-76/15). Dans ses conclusions du 2 juin 2016, l'avocat général Kokott est arrivé à la conclusion que le régime de garantie prévue par la loi organique de la Banque nationale de Belgique n'est pas conforme au droit de l'Union et que la garantie accordée par la Belgique aux sociétés coopératives financières Arco enfreignait, dès lors, le droit de l'Union. La Cour de justice devrait se prononcer sur cette question dans les prochains mois.
    [61] Art. 14, § 1er, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973 (M.B., 21 mars 1973, p. 3.461).
    [62] Les actes et règlements visés par ce recours sont, par exemple, les règlements communaux ou régionaux qui instaurent des exonérations fiscales ou tout autre type d'avantages au profit d'une certaine (catégorie d') entreprise(s), les décisions de l'administration qui octroient des aides d'Etat illégales, les actes administratifs individuels qui sont pris en exécution d'une décision octroyant une aide d'Etat, etc.
    [63] Voir, en ce sens, l'arrêt n° 145/2013 de la Cour constitutionnelle du 7 novembre 2013, cité supra.
    [64] Il s'agira principalement de recours en annulation devant le Conseil d'Etat sur base de l'art. 14, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat.
    [65] En effet, il est possible, selon nous, de faire constater la nullité d'un contrat lorsque par ce contrat le pouvoir public octroie des aides illégales; voir, en ce sens, l'arrêt de la Cour de justice du 11 novembre 2015, C-505/14, Klausner Holz Niedersachsen GmbH / Land Nordrhein-Westfalen, ECLI:EU:C:2015:742, ou lorsque le prix prévu par le contrat a été payé avec des aides d'Etat reçues avant la conclusion du contrat.
    [66] Cass., 18 juin 1992, R.G. 9152, Etat belge / Tubemeuse, disponible sur www.cass.be.
    [67] Bruxelles, 19 octobre 2012, T.B.M.-R.C.B., 2014-2, pp. 97-102.
    [68] Arrêt de la Cour de justice du 8 décembre 2011, C-275/10, Residex Capital IV CV / Gemeente Rotterdam, ECLI:EU:C:2011:814, point 49.
    [69] M. Dony, « Le rideau est tombé dans la bataille juridique qui a opposé les curateurs des Forges de Clabecq aux banques créancières de l'entreprise », T.B.M.-R.C.B., 2014-2, pp. 103-107.
    [70] Arrêt de la Cour de justice du 15 juin 2006, aff. jointes C-393/04 et C-41/05, Air Liquide Industries Belgium SA / Ville de Seraing et Province de Liège, ECLI:EU:C:2006:403, point 43.
    [71] Arrêt Air Liquide Industries Belgium SA / Ville de Seraing et Province de Liège, précité, point 45.
    [72] Arrêt Air Liquide Industries Belgium SA / Ville de Seraing et Province de Liège, précité, point 46 et arrêt de la Cour de justice du 13 janvier 2005, C-174/02, Streekgewest Westelijk Noord-Brabant / Staatssecretaris van Financiën, ECLI:EU:C:2005:10, point 26.
    [73] Art. XVII.1 et s. du Code de droit économique.
    [74] Voir notamment président du tribunal de commerce de Bruxelles, 28 avril 2015, A.R. 2014/52.655, Ryanair / Brussels Airlines et autres, inédit.
    [75] Voir, en ce sens, président du tribunal de commerce de Bruxelles, 13 février 1995, Breda Fucine Meridionali / Manoir Industries, J.T.- dr. eur., 1995, p. 72 (F/H/I) et Liège (7e ch.), 17 novembre 2005, J.T., 2006, p. 202.
    [76] À titre d'exemple, tel peut être le cas lorsqu'une entreprise continue à occuper et à exploiter le domaine public à des fins publicitaires après l'expiration des autorisations y relatives et bénéficie ainsi d'exonérations de taxes et de loyers pour l'exploitation des emplacements en question.
    [77] Arrêt Deutsche Lufthansa, dispositif.
    [78] Cette possibilité a été rappelée très récemment par la Cour de justice (voir l'ordonnance Flughafen Lübeck GmbH, précitée, dispositif et l'arrêt Deut­sche Lufthansa, précité, dispositif).
    [79] Arrêt Alro / Commission, précité, points 41 et 43 et ordonnance Gemeente Nijmegen, précitée, point 45.
    [80] Arrêt Alro / Commission, précité, point 40.
    [81] Communication sur l'application des règles en matière d'aides d'Etat, section 2.2.6. intitulée « Mesures provisoires ».
    [82] Art. 16, 1., du règlement de procédure.
    [83] Art. 16, 2., du règlement de procédure.
    [84] Art. 16, 3., du règlement de procédure.
    [85] Art. 17, 1., du règlement de procédure.
    [86] Décision de la Commission européenne dans l'affaire SA.33927 (2012/C) (ex 2011/NN) - Belgique « Régime de garantie protégeant les participations des associés personnes physiques de coopératives financières ».
    [87] Cette décision clôture la procédure formelle d'examen ouverte par la Commission le 3 avril 2012, à la suite de la notification, par la Belgique, du régime de garantie des coopératives, dont le but était de couvrir les parts des coopérants particuliers dans les coopératives agréées qui soit faisaient l'objet de la surveillance prudentielle de la Banque nationale de Belgique, soit avaient investi au moins la moitié de leurs actifs dans un établissement faisant l'objet d'une telle surveillance.
    [88] Pour plus d'informations sur cette affaire, voir J. Derenne et J. Blockx, « Chronique 'Aides d'Etat'. Application des règles sur les aides d'Etat dans des affaires concernant la Belgique (juridictions belges et européennes, Commission européenne). Années 2011, 2012 et 2013 », T.B.M.-R.C.B., 2014-4, pp. 303-304.
    [89] Voir les affaires T-664/14 (Etat belge / Commission) et T-711/14 (Arcofin e.a. / Commission) actuellement pendantes devant le Tribunal de l'Union européenne.
    [90] Dans les conclusions publiées le 2 juin dernier, l'avocat général Kokott a estimé que la garantie accordée par la Belgique aux sociétés coopératives financières Arco enfreignait le droit de l'Union.
    [91] Décision de la Commission européenne dans l'affaire SA.37667 (2015/C) (ex 2015/NN) - Belgique « Régime d'aides d'Etat concernant l'exonération des bénéfices excédentaires ».
    [92] Affaires en cours T-266/16 (Capsugel Belgium / Commission), T-278/16 (Atlas Copco Airpower et Atlas Copco / Commission) et T-201/16 (Soudal / Commission).
    [93] Affaire en cours T-131/16 (Belgique / Commission).
    [94] Arrêt de la Cour de justice du 12 février 2008, C-199/06, Centre d'exportation du livre français (CELF) et ministre de la Culture et de la Communication / Société internationale de diffusion et d'édition (SIDE) (affaire CELF I), ECLI:EU:C:2008:79.
    [95] Arrêt CELF I, précité, point 55.
    [96] Arrêt CELF I, précité, point 55.
    [97] Arrêt CELF I, précité, point 55. Voir également, la communication relative à l'application des règles en matière d'aides d'Etat, point 35.
    [98] Voir, en ce sens, la communication sur l'application des règles en matière d'aides d'Etat, points 43 et s.
    [99] Communication sur l'application des règles en matière d'aides d'Etat, point 43.
    [100] Communication sur l'application des règles en matière d'aides d'Etat, point 43.
    [101] Voir note de bas de page n° 6.
    [102] Arrêt SFEI, point 75.
    [103] Arrêt de la Cour de justice du 20 septembre 1990, C-5/89, Commission / République fédérale d'Allemagne, point 14, ECLI:EU:C:1990:320.
    [104] Voir, p. ex., la contribution de Jacques Derenne dans le cadre de la Table ronde sur les aides d'Etat et le juge national, « Indications préliminaires de l'étude commanditée par la Commission européenne », Concurrences, n° 1-2006, pp. 86 à 95.
    [105] Cass., 18 juin 1992, R.G. 9152, Etat belge / Tubemeuse, disponible sur www.cass.be; H. Gilliams, « Terugvordering van onrechtmatige overheidssteun naar Belgisch recht », T.R.V., 1993, pp. 236-239.
    [106] Voir notamment l'arrêt de la cour d'appel de Douai du 30 mai 2000, SA HCF; l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 21 septembre 2001, Comité de développement et de promotion du textile et de l'habillement; l'arrêt du Conseil d'Etat du 5 mars 2003, Union Nationale des Services Publics Industriels et Commerciaux.
    [107] Voir, p. ex., la contribution de Jacques Derenne dans le cadre de la Table ronde sur les aides d'Etat et le juge national, « Indications préliminaires de l'étude commanditée par la Commission européenne », Concurrences, n° 1-2006, pp. 86 à 95. Voir également Study on the enforcement of State aid law at national level - 2006, p. 144 (partie sur la France).
    [108] Cass., 18 novembre 2004, C.04.0062.F et Cass., 14 avril 2005, C.03.0148.F.
    [109] G. de Leval, Eléments de procédure civile, Larcier, 2003, p. 35, point 21.
    [110] Arrêt Deutsche Lufthansa, précité, point 44.
    [111] Voir, p. ex., l'arrêt de la Cour de justice du 22 octobre 2002, C-94/00, Roquette Frères SA, ECLI:EU:C:2002:603.
    [112] Voir art. 29, 1., du règlement de procédure et la section 3.1. de la communication sur l'application des règles en matière d'aides d'Etat.
    [113] Voir art. 29, 1., du règlement de procédure et la section 3.2. de la communication sur l'application des règles en matière d'aides d'Etat.
    [114] Communication sur l'application des règles en matière d'aides d'Etat, points 89-90.
    [115] Conseil d'Etat néerlandais (section contentieux administratif), 30 janvier 2013, à consulter sur www.uitspraken.rechtspraak.nl. Voir également la note publiée sous cet arrêt dans R.C.B.-T.B.M., 2013-3, pp. 311 à 312.
    [116] Point 81 de la Communication sur l'application des règles en matière d'aides d'Etat.
    [117] Arrêt de la Cour de justice du 8 mai 2013, C-197/11 et C-203/11, Eric Libert e.a., ECLI:EU:C:2013:288.
    [118] Arrêt de la Cour constitutionnelle n° 145/2013 du 7 novembre 2013.
    [119] Règlement n° 360/2012 du 25 avril 2012, précité.
    [120] Arrêt de la Cour de justice du 24 juillet 2003, C-280/00, Altmark, ECLI:EU:C:2003:415.
    [121] Décision de la Commission du 20 décembre 2011 relative à l'application de l'article 106, 2., du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne aux aides d'Etat sous forme de compensations de service public octroyées à certaines entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général, J.O.U.E. L. 7/3 du 11 janvier 2012.
    [122] Arrêt de la Cour de justice du 11 novembre 2015, Klausner Holz Niedersachsen GmbH / Land Nordrhein-Westfalen, précité.
    [123] La réponse de la Cour de justice nous semble conforme aux règles belges en matière d'autorité positive de chose jugée, qui limitent cette autorité aux questions tranchées par le premier jugement. Par contre, cet arrêt semble exclure l'application des nouvelles règles en matière d'autorité négative de chose jugée, inscrites à l'article 23 du Code judiciaire tel que modifié par la loi pot-pourri I du 19 octobre 2015.
    [124] Communication sur l'application des règles en matière d'aides d'Etat, point 76.
    [125] Arrêt de la Cour de justice du 7 septembre 2006, C-526/04, Laboratoires Boiron SA / Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf) de Lyon, ECLI:EU:C:2006:528.
    [126] Pour une application de ce principe, voir l'arrêt de la Cour de cassation française (2e ch. civ.), 14 mars 2007 (n° de pourvoi: 04-30053), disponible sur www.legifrance.gouv.fr.
    [127] Art. 877 C. jud. belge.
    [128] Art. 962 C. jud. belge.