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L'arrêt Kolassa: quel tribunal pour le contentieux de l'investissement financier?, R.D.C.-T.B.H., 2017/1, p. 53-64

DROIT JUDICIAIRE EUROPÉEN ET INTERNATIONAL
Compétence et exécution - Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale - Règlement n° 1215/2012/UE du 12 décembre 2012 (anc. N° 44/2001/CE du 22 décembre 2000) - Emission d'instruments financiers - Responsabilité contractuelle - Contrats de consommation - Responsabilité quasi délictuelle - Lieu du fait dommageable - Lieu du dommage - Forum actoris
Le contentieux de l'investissement financier suscite de difficiles questions de droit international privé. L'arrêt Kolassa de la Cour de justice apporte des réponses à certaines de ces questions. La Cour a écarté de manière claire l'application des règles spéciales de compétence visant à protéger les consommateurs dès lors que l'action est mue par un consommateur contre l'émetteur des instruments avec lequel il n'entretient pas de rapport contractuel. Les enseignements de la Cour à propos de la mise en oeuvre du for délictuel prévu par l'article 7, 2., du Règlement Bruxelles Ibis sont moins clairs: si la Cour apporte des précisions importantes sur les actes et omissions qui doivent être retenus au titre de fait dommageable, la décision de la Cour de permettre à l'investisseur d'engager une procédure au lieu où il subit le dommage constitue une rupture importante avec la jurisprudence Kronhofer. Cette approche particulièrement favorable à l'investisseur laisse encore de nombreuses questions ouvertes.
EUROPEES EN INTERNATIONAAL GERECHTELIJK RECHT
Bevoegdheid en executie - Rechterlijke bevoegdheid, erkenning en tenuitvoerlegging van beslissingen in burgerlijke en handelszaken - Verordening nr. 1215/2012/EU van 12 december 2012 (vroeger nr. 44/2001/EG van 22 december 2000) - Uitgifte financiële instrumenten - Contractuele aansprakelijkheid - Consumentenovereenkomst - Delictuele aansprakelijkheid - Plaats van het schadeverwekkende feit - Plaats waar de schade ingetreden is - Forum actoris
Wanneer een investeerder een vordering instelt om vergoeding te bekomen voor schade geleden n.a.v. de aankoop van financiële instrumenten, rijzen er netelige ipr-vragen. In de geannoteerde beslissing geeft het Hof van Justitie meer duidelijkheid over een aantal van deze vragen. Het Hof heeft duidelijk gemaakt dat de bijzondere bevoegdheidsregels m.b.t. consumentenovereenkomsten geen toepassing mogen vinden indien de vordering door de consument wordt ingesteld tegen de uitgever van de financiële instrumenten met wie hij geen rechtstreeks contractueel band heeft. Het Hof heeft verdere verduidelijkingen verschaft m.b.t. de toepassing van artikel 7, 2., Brussel Ibis-Verordening. Deze preciseringen laten evenwel niet toe om elke twijfel over deze bepaling weg te nemen. Het Hof heeft weliswaar duidelijk gesteld welke handelingen als basis moeten worden weerhouden om het schadeverwekkende feit te bepalen. Dat het Hof evenwel de investeerder de mogelijkheid geeft om een procedure in te stellen daar waar hij de schade ondervindt, breekt af met de Kronhofer-rechtspraak. Deze interpretatie die voor de investeerder bijzonder goed uitvalt, laat nog vele vragen open.
L'arrêt Kolassa: quel tribunal pour le contentieux de l'investissement financier?
Patrick Wautelet [1]

Le contentieux de la responsabilité liée à l'émission d'instruments financiers a connu ces dernières années une évolution considérable. Si l'on ne peut pas encore parler de contentieux banal comme aux Etats-Unis, où l'on ne compte plus les acteurs spécialisés dans ce contentieux, les suites de la crise financière de 2008 ont vu se multiplier les procédures. L'intégration du marché financier européen donne à ce contentieux une dimension internationale. Inévitablement se posent des questions liées à la compétence des juridictions [2]. Ces questions complexes retiennent depuis quelque temps l'attention [3], sans pour autant que toutes les difficultés puissent être éclaircies [4]. La décision commentée, qui a déjà fait l'objet de commentaires critiques [5], permet d'apporter quelques éléments de réponse aux diverses interrogations que suscite la détermination du juge compétent [6].

Pour examiner les réponses de la Cour, il s'impose d'abord de s'attarder à la question de l'articulation entre les différents régimes de compétence potentiellement pertinents. Le contentieux de l'investissement financier peut en effet intéresser tant la responsabilité délictuelle que la responsabilité contractuelle (1.). Ce dernier volet se décline d'ailleurs en plusieurs versions, puisque le droit européen comprend des dispositions qui visent spécialement les contrats de consommation (2.).

Cette difficulté première étant abordée, il conviendra d'examiner dans quelle mesure l'arrêt de la Cour apporte des réponses à l'application du for délictuel européen (3.). C'est dans ce champ que se situe l'apport essentiel de l'arrêt Kolassa. Avec cet arrêt, la Cour poursuit son travail d'élucidation des contours du for délictuel en matière financière. On se rappellera en effet que la Cour avait déjà eu l'occasion dans l'affaire Kronhoffer d'apporter quelques précisions sur l'application de l'article 7, 2. dans le contexte du contentieux financier [7]. Elle a pu plus récemment poursuivre son travail dans l'affaire Universal Music [8]. Il sera dès lors intéressant d'examiner la réponse de la Cour en tenant également compte des précisions apportées par la Cour à propos de l'application du for délictuel, notamment dans le cadre du contentieux de la propriété intellectuelle et de l'atteinte aux droits de la personnalité. La confrontation entre les décisions de la Cour permettra de déterminer si l'on assiste à la naissance de régimes distincts selon le contexte dans lequel le for délictuel est mis en oeuvre [9].

1. Contentieux de l'investissement: relations contractuelles et/ou délictuelles?

Le droit international privé européen est construit, on le sait, sur un processus de catégorisation des litiges. A côté de la règle générale de compétence qui permet de saisir le for du défendeur de l'ensemble du contentieux civil et commercial, le texte européen procède à un découpage entre différentes catégories qui sont soumises à des règles qui leur sont propres. C'est ainsi que le droit international privé européen réserve un traitement particulier aux litiges contractuels. Une disposition spécifique permet aux parties de saisir un for dédié à ces litiges, qui est liée au lieu d'exécution du contrat [10]. Dès lors que le litige intéresse la matière délictuelle, c'est un autre raisonnement qui s'impose, dont on sait qu'il est articulé autour des notions de lieu du fait dommageable et de lieu de survenance du dommage. Dans les deux cas, il convient d'ajouter que le droit judiciaire européen permet aux parties de s'entendre sur le juge compétent.

Face à ce découpage, le contentieux de l'émission d'instruments financiers constitue un terrain délicat lorsqu'il s'agit de déterminer la voie à emprunter pour identifier le juge compétent. Prima facie, l'émission d'instruments financiers constitue un terrain d'élection pour l'application des règles de compétence visant spécialement la matière contractuelle. Une telle émission donne en effet lieu à la conclusion de nombreux contrats: l'émetteur fera appel à un ou plusieurs établissements bancaires pour accompagner l'opération, une distinction pouvant être faite selon le rôle plus ou moins actif qu'ils jouent dans l'émission [11]. L'émetteur prendra également soin de s'entourer de conseils juridiques pour l'aider à respecter les contraintes légales pesant sur l'opération. Toutes ces relations s'articulent autour de contrats souvent fort détaillés.

A côté de cette dimension contractuelle prononcée, le contentieux de l'investissement financier peut par ailleurs mettre en jeu les règles particulières relatives à la responsabilité délictuelle. Ceci se manifeste surtout à propos de la responsabilité de l'émetteur de prospectus. Dans de nombreux systèmes juridiques, cette responsabilité est en effet considérée comme relevant du champ de la responsabilité délictuelle.

L'arrêt commenté offrait l'occasion à la Cour d'éclaircir la possibilité de recourir à ces deux fors dans ce contexte particulier. En synthèse, l'arrêt commenté exclut l'application du for contractuel, pour lui préférer celle du for délictuel [12]. La Cour estime que la responsabilité du fait du prospectus relève bien de la matière délictuelle, sous la seule réserve qu'il s'impose d'abord de vérifier que le contentieux n'intéresse pas la matière contractuelle [13]. Ce faisant, la Cour rejoint l'opinion majoritaire selon laquelle la responsabilité déduite de l'émission d'un prospectus doit être considérée comme relevant de la matière délictuelle [14]. Elle réserve néanmoins l'application de l'article 7, 1., laissant le soin aux juridictions nationales d'apprécier la possibilité de retenir l'application de cette disposition.

Cette décision appelle plusieurs observations.

La première prend la forme d'un regret. La Cour aurait en effet pu faire preuve d'une plus grande fermeté en traçant la ligne de partage entre les deux domaines avec plus de précision. Sa jurisprudence offrait un appui solide pour ce faire. Le point de départ est celui d'une exclusion mutuelle des responsabilité contractuelle et délictuelle. Il est en effet acquis depuis l'arrêt Kalfelis, que pour bénéficier de l'application de l'article 7, 2., une demande ne peut être rattachée à la matière contractuelle au sens de l'article 7, 1. [15]. A priori, le domaine de la responsabilité liée à l'émission d'un prospectus ne soulève pas de difficulté de ce point de vue. L'émission sera certes le point de départ de la conclusion de nombreux contrats entre les différents acteurs et notamment les intermédiaires financiers. Il sera moins fréquent qu'émetteur et investisseur s'engagent directement dans une relation contractuelle.

Ceci ne suffit néanmoins pas à exclure l'application du for contractuel. L'article 7, 1. peut en effet s'appliquer alors même que les parties ne sont pas liées par un contrat. Il suffit pour ce faire que la demande soit fondée sur une obligation contractuelle [16], sans qu'il soit nécessaire que cette obligation soit née directement entre le demandeur et le défendeur. Le for contractuel européen repose en effet sur un socle général, constitué par une obligation librement consentie [17]. Or, comme on l'a déjà souligné, l'émission d'instruments financiers ne se conçoit pas sans la conclusion d'un certain nombre de contrats. Mieux, si des zones d'ombre subsistent, l'on enseigne notamment en France que les instruments financiers émis sont créés en exécution d'un contrat liant l'émetteur aux futurs souscripteurs [18]. En Belgique, les commentateurs hésitent entre l'engagement unilatéral [19] et le contrat [20].

L'existence d'un réseau de contrats sur lequel repose l'émission de titres ne doit néanmoins pas tromper. Pour que l'article 7, 1. s'applique, il ne suffit pas de constater l'existence d'une relation contractuelle. Comme la Cour l'a souligné dans l'affaire Brogsitter [21], encore faut-il, pour que l'article 7, 1. soit pertinent, que l'action concerne un manquement aux obligations contractuelles. C'est donc bien la cause de l'action qui est déterminante pour distribuer les rôles: le forum contractus européen est uniquement pertinent s'il apparaît que l'action est directement fondée sur une violation des droits et obligations que le contrat fait naître [22]. En outre, l'application de la règle européenne de compétence n'est envisageable qu'au prix d'une qualification autonome.

Partant, l'élément critique qui permet de repérer la règle de compétence pertinente n'est pas l'existence ou non d'une relation contractuelle, mais bien le fondement même de l'action. Dès lors que l'action de l'investisseur lésé s'appuie sur les dispositions légales imposant à l'émetteur d'instruments financiers de respecter certaines exigences de qualité lorsqu'il diffuse des informations sur ces instruments, l'existence d'un contrat, conclu directement entre parties ou avec des tiers, est indifférente. Il n'est en effet pas indispensable de prendre en compte le contenu du contrat et les droits et obligations qu'il fait naître pour trancher le litige. De manière générale, le contentieux de la responsabilité liée à l'émission d'un prospectus peut dès lors être considéré, comme l'a noté M. Lehmann [23], comme concernant la matière délictuelle et ce même si certains des acteurs de ce contentieux sont liés par un contrat. La qualification délictuelle peut être retenue même si le coeur de la relation entre émetteur et investisseur n'est autre qu'une obligation assumée par le premier au bénéfice du second - dans un emprunt obligataire par exemple, l'émetteur s'engageant à s'acquitter d'un certain montant à une date donnée. Ce n'est toutefois pas cette obligation qui fait l'objet du contentieux. Celui-ci est lié directement à la qualité de l'information fournie par l'émetteur aux investisseurs.

Il reste que l'action de l'investisseur peut prendre un aspect différent et s'appuyer directement sur des obligations contractuelles acceptées par l'émetteur. Ceci semble avoir été le cas en l'espèce. M. Kolassa entendait en effet mettre en jeu la responsabilité de l'émetteur des instruments financiers à divers titres: d'abord au titre de la responsabilité de l'émetteur du prospectus proprement dite et ensuite en raison de la violation d'obligations d'information et de contrôle et des conditions d'emprunt [24].

S'il ne fait pas de doute que le premier chef de responsabilité ressortit bien à l'article 7, 2., on peut hésiter à propos du volet relatif aux obligations d'information et de contrôle et des conditions d'emprunt vantées par le demandeur dans sa citation. Ce volet de la demande était intimement lié aux spécificités de l'opération particulière qui avait donné lieu à l'émission des instruments financiers et qui la rendaient particulièrement complexe. Ces instruments, des certificats, avaient en effet été émis directement par l'établissement bancaire, alors que le produit de l'émission était destiné à une entreprise qui avait, semble-t-il, conclu un contrat d'emprunt avec la banque. L'on peut comprendre que ce contrat prévoyait que l'établissement bancaire s'engageait à prêter à l'entreprise le montant récolté lors de l'émission des certificats, à charge pour celle-ci de rembourser à l'établissement bancaire un montant, qui était calculé sur la base d'un indice formé à partir d'un portefeuille de plusieurs fonds cibles [25]. L'existence de ce contrat d'emprunt justifiait que l'investisseur en appelle, à côté de la responsabilité classique liée à l'émission d'un prospectus, à la violation d'obligations précontractuelles de protection et d'information liées au contrat d'emprunt conclu entre l'établissement bancaire ayant émis les certificats et le bénéficiaire du produit de l'émission ainsi qu'à la violation des conditions posées par le contrat d'emprunt lui-même. La circonstance que l'investisseur n'était pas partie au contrat d'emprunt est à cet égard indifférente.

Ce volet de la demande étant directement fondé sur certaines obligations contractuelles, l'application de l'article 7, 1. pouvait être envisagée. Il eut été préférable que la Cour l'indique clairement, plutôt que de confier cette mission aux juridictions nationales [26]. Il restera aux juridictions nationales à être attentives aux détails des litiges qui leur sont soumis. Il faudra également être attentif à la question de l'éventuel cumul des régimes de responsabilité: dès lors qu'il apparaît qu'une demande s'appuie sur des fondements de natures différentes, la compétence doit sans doute être appréciée sur base tant de l'article 7, 1. que de l'article 7, 2., la nature subsidiaire de la matière délictuelle n'empêchant pas sa prise en compte pour un pan du contentieux.

Une seconde observation étend le champ d'investigation à d'autres relations qui peuvent naître à l'occasion de l'émission d'instruments financiers. Dans le cadre d'autres opérations liées à l'acquisition et à la détention de titres, il sera en effet possible de conclure à l'existence d'une relation contractuelle justifiant le recours au for contractuel. Ceci sera par exemple le cas dans les relations entre l'investisseur et l'intermédiaire financier à qui il fait appel. Des hésitations peuvent se faire dans cette hypothèse sur la nature du contrat en cause et spécialement sur l'identification, parmi les contrats en cause, de la relation contractuelle principale [27]. Qu'il s'agisse d'une relation de conseil en placement, de gestion de portefeuilles ou encore de transmission ou de l'exécution d'un ordre de bourse, l'existence d'un contrat entre parties ne fait néanmoins pas de doute [28].

L'application du for contractuel contraint à distinguer selon la nature du contrat. Il est acquis que les instruments financiers qui font l'objet de l'opération ne peuvent pas être considérés comme étant des « biens » au sens de l'article 7, 1., b), du règlement. Cette conclusion se justifie même dans les relations entre un détenteur d'instruments et un acheteur, qui nouent une relation sur le marché secondaire.

Dans la majorité des hypothèses, il faudra dès lors utiliser le volet « services » de l'article 7, 1., b). Quelle que soit la configuration des relations et la portée des engagements des parties, l'investisseur sera en droit d'attendre un certain service de la part de l'intermédiaire, service qu'il rémunérera directement ou indirectement. La question de la compétence internationale se résoudra alors avec la localisation du service. Sans doute peut-on accepter que dans la majorité des cas, le service pertinent sera presté par l'intermédiaire dans l'Etat de son établissement, ce qui permettrait d'engager une procédure devant les juridictions de ce dernier Etat.

L'analyse pourrait être différente en cas d'achat d'un instrument financier sur le marché secondaire. Dans ce cas, c'est l'opération de vente qui sera au centre de l'attention. Elle pourrait être accompagnée de certains services prestés par le vendeur au bénéfice de l'acquéreur, mais ceux-ci demeureront accessoires. Il sera dès lors plus naturel de s'appuyer sur la règle visant les contrats de vente [29]. Dans ce cas, la difficulté sera d'identifier avec fermeté le lieu de livraison des titres. On ajoutera que dès lors que l'acquéreur entend mettre en cause la responsabilité non pas de son vendeur, mais d'une partie qui est intervenue en amont dans la chaîne des contrats de vente, la jurisprudence Handte exclut l'application du for contractuel [30]. La distance qui peut séparer l'acquéreur final du vendeur initial ne s'oppose par contre pas à l'usage de l'article 7, 1. lorsque l'investisseur a été subrogé dans les droits et obligations de son intermédiaire [31].

2. Contentieux de l'émission d'instruments financiers et contrat de consommation

Outre les éclaircissements qu'elle a fourni sur les champs d'application respectifs des fors contractuel et délictuel, la Cour a également eu l'occasion de s'attarder sur le jeu des règles protégeant spécialement les consommateurs.

L'on sait que ces règles ne visent que les seuls contrats de consommation. Avant toute chose, il convient dès lors de démontrer l'existence d'un contrat pour justifier leur application. En l'espèce, des relations contractuelles existaient bel et bien, notamment entre l'émetteur des instruments et son intermédiaire d'une part et entre le consommateur et son propre intermédiaire d'autre part. Il y avait même eu plusieurs intermédiaires, puisque la banque anglaise avait cédé les certificats à des investisseurs institutionnels, parmi lesquels figurait une banque allemande. C'est auprès d'une filiale autrichienne de celle-ci que l'investisseur qui s'estimait lésé, avait commandé les certificats.

Confrontée à cette situation, la Cour a estimé qu'il n'y avait pas de contrat au sens de l'article 17 relatif aux contrats de consommation [32]. Cette décision ne surprendra guère: s'il y a place dans les relations entre investisseurs et intermédiaires pour des liens de nature contractuelle, ce n'est pas nécessairement le cas lorsque le litige oppose l'investisseur et l'émetteur [33]. Pour autant la motivation retenue par la Cour pour justifier l'exclusion des dispositions relatives aux contrats de consommation peut étonner. Il s'impose de revenir sur chacun de ces points.

De manière générale, l'on peut tout d'abord noter que des relations de nature très diverse peuvent se nouer à l'occasion de l'émission et de l'achat d'instruments financiers. Si l'on prend la situation d'un investisseur personne physique qui fait l'acquisition d'instruments financiers, il n'y aura généralement pas de contact direct avec l'émetteur des instruments. Entre ces deux parties interviennent en effet une série d'intermédiaires, principalement des établissements bancaires. Ce n'est qu'indirectement que les parties sont dès lors mises en relation. Partant, il ne saurait être question entre elles d'un contrat, condition sine qua non permettant l'application des règles visant à protéger le consommateur. Celles-ci postulent en effet la conclusion d'un contrat entre le consommateur et le professionnel mis en cause.

L'intérêt de l'arrêt annoté est d'éclairer plus nettement les contours du contrat dont l'existence conditionne l'application des règles de compétence visant à protéger le consommateur: l'on peut déduire de la réponse donnée par la Cour qu'il est nécessaire que le contrat ait été conclu directement entre le consommateur et le professionnel visé. Il ne suffit pas en effet que les deux parties soient liées indirectement par une chaîne de contrats qui rassemblerait diverses conventions dont certaines ont été conclues par les parties en litige avec d'autres. Ce point est fermement établi [34]. La Cour condamne en effet sans hésitation la tentative de lecture extensive des dispositions protégeant le consommateur, lecture qui aurait conduit à accepter l'application de ces dispositions lorsque les parties concernées ne sont certes pas liées par un contrat, mais qu'existe entre elles une chaîne de contrats en application de laquelle certains droits et obligations du professionnel sont transférés vers le consommateur. Cette lecture, proposée dans une « perspective économique » par l'investisseur [35] ne trouve guère grâce aux yeux de la Cour, qui y voit un risque pour la « prévisibilité de l'attribution de compétence » [36], valeur cardinale de l'espace judiciaire européen selon les juges luxembourgeois. La réponse de la Cour sur ce point ne concerne d'ailleurs pas que les seuls litiges liés aux investissements financiers. Il est permis de penser que l'approche retenue par la Cour s'impose de manière générale dès lors que l'on cherche à appliquer les règles protectrices de compétence. Les arguments avancés par la Cour [37] pour rejeter l'approche extensive pour laquelle plaidait en l'espèce l'investisseur, intéresse en effet ces règles dans leur ensemble et non le contentieux particulier de l'investissement.

Pour autant, les dispositions protectrices des consommateurs ne perdent pas toute pertinence dans le cadre du contentieux de l'investissement financier. Celui-ci donnera en effet souvent lieu à la conclusion de différents contrats. Certaines de ces conventions ne présentent que peu d'intérêt sous l'angle des règles de compétence protégeant le consommateur. Ainsi en va-t-il de la convention qui peut être conclue entre un émetteur et un établissement bancaire, ce dernier se chargeant de recevoir les souscriptions au nom de l'émetteur [38]. La même conclusion s'impose à l'égard de la convention par laquelle un établissement bancaire accepte de souscrire à tout ou partie de l'émission, pour offrir ensuite les titres à la vente au public. Un tel engagement prend bien entendu la forme d'un contrat entre l'émetteur et l'établissement bancaire [39]. Ces conventions n'intéressent pas directement l'investisseur consommateur.

D'autres conventions peuvent néanmoins intéresser un consommateur qui manifeste son intérêt pour des instruments financiers. En règle, l'investisseur consommateur ne nouera pas de relation contractuelle directe avec l'émetteur. Pour des raisons essentiellement pratiques, celui-ci fera appel à un ou plusieurs intermédiaires [40] pour atteindre les investisseurs individuels visés. Aucun contrat ne se nouera dès lors entre l'entreprise à l'origine de l'émission et l'investisseur.

Par contre, un contrat se nouera le plus souvent entre l'établissement bancaire et l'investisseur, ce dernier étant lié par les conditions générales de l'établissement [41]. Si l'on hésite parfois sur la nature exacte des relations qui lient l'investisseur et l'établissement bancaire qui intervient comme intermédiaire [42], il est acquis tant en droit belge qu'en droit français que cette relation est de nature contractuelle [43]. Il est vrai que l'adoption de standards européens qui visent à protéger les investisseurs, a rendu plus complexe la détermination de la nature et du contenu de la relation qui peut unir un investisseur et un intermédiaire financier, les règles de droit privé se combinant aujourd'hui à des normes de conduite et de prudence qui empruntent au droit public [44]. Cette donnée nouvelle ne nous semble pas décisive sous l'angle du droit judiciaire européen. L'hésitation qui existe quant à l'impact des normes réglementaires ne prive pas la relation de son fondement contractuel.

Dès lors que l'un de ces contrats intéresse un consommateur, il y aura lieu de retenir l'application des règles permettant au consommateur d'agir devant les tribunaux de son propre Etat. L'identification du juge compétent ne suscitera guère de difficulté: le consommateur pourra saisir les juridictions de son domicile. La difficulté se déplacera pour concerner une autre condition d'application de l'article 17, à savoir l'exigence que le professionnel ait exercé ses activités sur le territoire de l'Etat membre où le consommateur est domicilié ou qu'il ait dirigé ses activités vers le territoire de cet Etat membre. Cette exigence est susceptible de susciter d'importantes difficultés auxquelles la pratique a tenté d'apporter des solutions, notamment par le biais des avertissements et autres exclusions qui conditionnent très fréquemment l'accès par des investisseurs au prospectus d'une émission [45].

En l'espèce, il y avait peu de doute quant à l'absence de contrat entre l'investisseur lésé et l'émetteur [46]. La conclusion à laquelle la Cour aboutit, et qui était suggérée par son avocat général, se justifie dès lors pleinement. L'on peut néanmoins être surpris de la motivation avancée par la Cour pour justifier l'inexistence d'un contrat: selon la Cour, cette inexistence se déduit de la circonstance que l'investisseur n'était pas le porteur des obligations litigieuses, celles-ci étant conservées par son intermédiaire financier en tant que fonds de couverture [47].

Cette motivation ne manque pas d'étonner. L'existence d'un système d'intermédiation, qui constitue un passage obligé pour la détention d'instruments financiers, est certes importante parce qu'elle peut avoir un impact décisif sur la nature des droits que peut faire valoir l'investisseur: pour faire bref, selon la nature du système, l'investisseur pourra faire valoir un véritable droit de propriété ou au contraire un simple droit de créance contre son intermédiaire direct. En droit belge, le système mis en place par l'arrêté royal n° 62 confère aux investisseurs individuels un droit de copropriété sur la masse des instruments financiers de même catégorie [48]. Dans d'autres législations, l'investisseur ne peut faire valoir qu'un simple droit de créance sur les instruments [49].

Il est plus étonnant que l'analyse de la nature des droits de l'investisseur soit jugée décisive au regard de l'application des règles européennes de compétence. La distinction qu'opère la Cour selon la nature des droits que possède l'investisseur impose en effet au juge, au stade de sa compétence, un travail d'analyse qui peut s'avérer lourd [50]. Plus fondamentalement, on peut se demander s'il est judicieux de lier la qualification des relations sous l'angle de la compétence à la nature des droits en cause, lorsque l'on sait qu'en tout état de cause, les différents systèmes tendent à conférer à l'investisseur des droits similaires. Il est vrai qu'il existe au sein des Etats membres des différences parfois importantes quant au régime de responsabilité lié à la publication d'un prospectus accompagnant l'émission d'instruments financiers [51]. Il semble néanmoins que dans l'ensemble, ces régimes tendent à donner à l'investisseur des droits équivalents, quel que soit le système d'intermédiation retenu. Comme le fait remarquer M. Lehmann, à l'avenir les émetteurs et les intermédiaires devront indiquer aux investisseurs qu'ils ne disposeront pas nécessairement des mêmes droits, sous l'angle procédural, que des détenteurs directs des titres [52].

Le raisonnement de la Cour n'est en tout cas pas pertinent dans le cadre d'autres opérations liées à l'acquisition et à la détention de titres. L'on pense par exemple à la gestion de portefeuille, au conseil en investissement ou encore à l'exécution d'un ordre de bourse. Dans ces hypothèses, la structure de détention des titres n'est pas décisive pour déterminer s'il existe une relation contractuelle entre parties. Si l'on envisage le contrat de conseil en placement, il est en effet indéniable qu'il existe une relation contractuelle entre parties, quelle que soit la manière dont les titres sont par ailleurs détenus par l'investisseur.

3. Contentieux de l'investissement et responsabilité extracontractuelle

Dès lors qu'il était accepté que la demande concernait la matière délictuelle, il s'imposait de clarifier l'application des deux branches de l'alternative que le for délictuel européen réserve, dans l'interprétation jamais démentie par la Cour depuis l'arrêt Bier [53], au demandeur: d'une part le lieu de l'événement causal et d'autre part le lieu de la matérialisation du dommage.

A. Lieu du fait dommageable

L'identification de l'événement causal est la première démarche à entreprendre pour déterminer quel juge possède compétence au regard de l'article 7, 2. En l'espèce, la Cour retient divers éléments au titre des « actes et omissions »: d'une part la rédaction et la distribution du prospectus et d'autre part les décisions relatives aux modalités des investissements [54].

Ces précisions laissent subsister un flou certain sur l'application du for délictuel à la responsabilité de l'émetteur de titres financiers. On ne saurait certes reprocher à la Cour de s'être limitée à constater qu'aucun des actes ou omissions pertinents ne s'était concrétisé en Autriche. Cette démarche soucieuse d'économie judiciaire est parfaitement recevable.

La Cour ne se contente d'ailleurs pas d'un raisonnement purement négatif: elle livre certaines indications sur les actes qui peuvent être retenus comme décisifs pour appliquer l'article 7, 2.

Ces indications manquent néanmoins de netteté [55]. Si l'on se concentre sur la responsabilité qui peut se déduire de la publication d'un prospectus, la Cour retient tant la rédaction que la distribution du prospectus. Ceci signifie-t-il que chacun de ces éléments suffit à constituer l'événement causal susceptible de fonder la compétence? Lorsqu'un émetteur établi en France distribue en Belgique un prospectus conçu et rédigé en France, les juridictions belges pourraient dès lors, comme le suggère l'avocat général [56], fonder leur compétence sur l'événement causal sans qu'il soit permis de limiter le jeu de l'article 7, 2. aux seules juridictions françaises, alors que les décisions litigieuses à l'origine du dommage ont été prises dans ce pays. Lorsque l'on sait que l'information financière est aujourd'hui principalement diffusée par des canaux en ligne, on mesure l'ampleur de la compétence ainsi créée.

Quant à la rédaction proprement dite du prospectus, la Cour distingue certes les décisions relatives au contenu du prospectus de la rédaction en tant que telle [57]. Ceci laisse entier la question de la localisation de l'événement causal lorsque le prospectus n'est pas rédigé dans l'Etat où sont prises les décisions importantes relatives à l'émission. L'hypothèse n'est pas purement théorique. L'utilisation d'entités spécialisées - véhicules de titrisation, fonds spécialisés, etc. - dans le cadre d'émissions d'instruments financiers permet d'apercevoir qu'il peut y avoir dissociation entre la rédaction du prospectus, confiée à une équipe d'experts externes actifs dans l'Etat où est installé le véhicule, et les décisions relatives à l'émission et à ses modalités, que se réserve l'entité mère à la base du programme d'émission. On pense également à l'émission par une entreprise américaine ou chinoise d'instruments financiers destinés au marché européen: dans ce cas également, il pourrait y avoir dissociation entre la décision proprement dite de lancer une émission de titres et le travail de conception et de rédaction du prospectus.

Face à cette dissociation, il faut s'interroger sur la possibilité de retenir chacune des étapes ayant mené à la diffusion du prospectus comme étant pertinente au regard de l'article 7, 2. L'arrêt commenté penche nettement pour une prise en compte de chacun des différents éléments pertinents dans la chaîne causale, aucun d'eux ne bénéficiant d'une priorité. A ce stade, il s'agit d'éléments alternatifs entre lesquels le demandeur peut librement choisir. La générosité dont la Cour fait preuve vis-à-vis de l'investisseur lésé tranche avec l'attitude adoptée par la Cour dans d'autres domaines mettant en jeu le for délictuel. Dans l'affaire Wintersteiger, qui mettait en jeu la responsabilité d'une entreprise ayant fait utilisation de certains mots clés dans le cadre d'un système publicitaire développé par un prestataire de référencement sur Internet, la Cour avait nettement donné priorité à la sécurité juridique et au souci de permettre une application simple des règles de compétence en retenant comme lieu de l'événement causal le lieu de l'établissement d'un annonceur [58]. Ce faisant, la Cour avait sélectionné, parmi les différents éléments constitutifs de l'événement causal, celui qui lui paraissait le plus pertinent. Etaient dès lors écartés tant le lieu de déclenchement du processus technique d'affichage par l'annonceur que l'affichage de la publicité elle-même. Le procédé utilisé par la Cour rejoignait une technique déjà éprouvée par la Cour dans une jurisprudence antérieure, qui consistait à retenir, pour localiser un acte ou une omission, un élément central parmi ceux qui constituent le complexe factuel [59].

Dans l'arrêt CDC, la Cour avait certes retenu une approche plus libérale: elle avait en effet précisé que lorsqu'une partie entend obtenir réparation du dommage qui lui a été causé par la conclusion d'une entente visant à limiter le jeu de la concurrence, le lieu de l'événement causal est celui de la « conclusion de cette entente » [60]. Le réalisme avait contraint la Cour à reconnaître qu'il ne serait pas toujours possible « d'identifier un lieu unique où l'entente en cause aurait été conclue, cette entente ayant été constituée d'un nombre d'arrangements collusoires pris lors de différentes réunions et consultations qui se sont déroulées en divers lieux dans l'Union » [61]. Sans le reconnaître expressément, la Cour semblait concéder que le for délictuel pouvait dans cette hypothèse conduire à retenir plusieurs alternatives au titre du lieu de l'événement causal [62].

La position adoptée par la Cour dans l'arrêt Kolassa va néanmoins plus loin: la solution consacrée par la Cour conduit en effet à une pluralité potentielle de fors non pas parce qu'un événement concret peut connaître plusieurs matérialisations à différents endroits, mais bien parce que la Cour n'a pas isolé, dans la chaîne des événements ayant conduit au dommage, l'élément central qui peut seul être retenu. Cette approche sera-t-elle réservée à la seule responsabilité liée à l'émission d'instruments financiers [63]? Rien dans la motivation retenue par la Cour ne permet d'envisager une telle limitation. Si elle devait se confirmer, cette approche privilégierait nettement le droit d'accès au juge au détriment d'un souci de concentration du contentieux.

La multiplication potentielle des fors doit-elle être regrettée? L'on peut certes envisager qu'une plus large ouverture des fors potentiels constitue une source d'incertitude pour l'émetteur. Cette préoccupation a déjà été exprimée à propos du droit applicable à la responsabilité de l'émetteur [64]. Elle ne nous semble guère décisive. Parler d'un « spectre » [65] de la multiplication des fors compétents repose sur un apriori normatif qui demeure à démontrer. In fine, l'émetteur conserve en effet un certain contrôle sur les fors potentiellement compétents. C'est lui qui est en effet à la manoeuvre pour déterminer où seront prises les décisions relatives aux modalités de l'émission proposée ainsi qu'aux contenus des prospectus. Il en va de même, dans une certaine mesure, de la rédaction et de la diffusion du prospectus. Cette dernière ne relève pas du hasard. La diffusion du prospectus, même en ligne, est un processus qui peut être bien encadré. Le choix des intermédiaires financiers qui participeront à l'opération et des méthodes de diffusion du prospectus demeurent des données sur lesquelles l'émetteur peut exercer un contrôle certain. Même lorsque le prospectus fait l'objet d'une diffusion sur support imprimé, ce qui semble constituer l'exception, ceci ne doit pas anéantir la prévisibilité des fors compétents: ne sera en effet décisif que le seul endroit où un intermédiaire financier a choisi de distribuer des exemplaires, et non les localisations, par essence moins prévisibles, d'une éventuelle diffusion ultérieure de ces exemplaires par un investisseur ou un tiers non autorisé. Si multiplication des fors il y a, ceci ne nous semble dès lors pas nécessairement synonyme d'une perte de contrôle de la part de l'émetteur susceptible de conduire à la compétence de fors imprévisibles ou purement fortuits [66].

La décision de la Cour laisse par contre entière la question de la détermination de la compétence lorsque plusieurs acteurs participent de concert à la rédaction du prospectus. La pratique montre que lorsqu'un « lead manager » est désigné parmi les intermédiaires financiers qui constituent le syndicat de banques, ce lead manager jouera un rôle actif dans la préparation du prospectus [67]. Il lui reviendra de procéder à la vérification des informations qui figurent dans le prospectus. Le lead manager peut conduire une « due diligence » à cet effet. Son rôle dans la préparation du prospectus ne doit dès lors pas être sous-estimé [68]. Dans cette hypothèse, la pratique de la Cour ne semble pas permettre de lier la compétence fondée sur l'article 7, 2. aux seuls actes et omissions de l'émetteur. Si l'intermédiaire qui a participé, voire a mené le travail de rédaction d'un prospectus, est établi dans un autre Etat que l'émetteur, une application correcte du for délictuel exige que l'on retienne la compétence des juridictions de l'Etat membre où est situé l'intermédiaire, sans pouvoir retenir contre lui la compétence des juridictions de l'Etat membre où est établi l'émetteur [69].

B. Le lieu de survenance du dommage

Depuis l'arrêt Mines de potasse d'Alsace, il est acquis qu'un demandeur peut également attirer une partie devant les juridictions de l'Etat membre du locus damni. La formule utilisée par la Cour pour concrétiser cette branche de l'alternative est demeurée constante: depuis l'arrêt fondateur, la Cour fait référence au lieu « où le dommage a été matérialisé » [70] et également au lieu « où le dommage est survenu » [71]. Dans certains arrêts, la Cour s'est approprié la terminologie allemande en distinguant le Handlungsort du Erfolgsort [72]. Toujours selon la Cour, l'Erfolgsort est le lieu où « le fait susceptible d'engager une responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle a entraîné un dommage » [73].

Dans l'arrêt commenté, la Cour adopte une approche singulièrement favorable à l'investisseur: d'emblée, la Cour pose en effet que le dommage est survenu « au lieu où l'investisseur le subit » [74], ce qui confère compétence aux juridictions du domicile de l'investisseur [75]. Cette conclusion est justifiée, selon la Cour, à condition que le dommage « se réalise directement sur un compte bancaire [du demandeur] auprès d'une banque établie dans le ressort de ces juridictions » [76].

Cette conclusion tranche avec l'approche retenue par la Cour dans l'affaire Kronhofer. L'on se souviendra que dans cette dernière espèce, la Cour avait estimé que le lieu où le fait dommageable s'est produit ne vise pas le lieu du domicile du demandeur au seul motif qu'il y aurait subi un préjudice financier résultant de la perte d'éléments de son patrimoine intervenue et subie dans un autre Etat membre [77]. Et c'est à la lumière de sa jurisprudence Marinari que la Cour avait estimé qu'il n'était pas possible de tenir compte de la circonstance que le dommage allégué avait été ressenti par l'investisseur en Autriche, dans la mesure où cet élément ne constituait que la conséquence préjudiciable d'un fait qui aurait causé un dommage en Allemagne [78]. En d'autres termes, la Cour rejetait l'idée qu'un dommage patrimonial était nécessairement subi dans l'Etat où la victime est établie puisque c'est à cet endroit qu'il fallait localiser le patrimoine.

Comment expliquer cette soudaine générosité de la Cour à l'endroit de l'investisseur? La circonstance que la crise financière de 2008 ait conduit à une multiplication des litiges consécutifs aux pertes subies par de nombreux investisseurs n'est pas une explication suffisante. Peut-être la Cour a-t-elle été sensible au souhait d'accorder à l'investisseur lésé la même facilité que celle dont elle a déjà fait bénéficier la personne victime d'une violation des droits de la personnalité ou la partie se plaignant d'une violation du droit de la concurrence. Dans les affaires eDate [79], la Cour a en effet permis à la victime d'une atteinte à un droit de la personnalité au moyen de la mise en ligne d'un contenu de solliciter la réparation de l'intégralité de son préjudice devant les juridictions de l'Etat où elle a établi le centre de ses intérêts, ce qui correspond en règle à sa résidence habituelle [80]. Dans l'affaire CDC, la Cour a pareillement estimé que lorsqu'une entreprise a subi un dommage en raison d'une restriction de la concurrence résultant d'un accord entre plusieurs autres entreprises, elle peut solliciter réparation devant les juridictions de son siège social puisque le dommage se matérialise par des surcoûts payés en raison d'un prix artificiellement trop élevé [81].

Cette relaxation significative des exigences posées à l'exercice de la compétence fondée sur la matérialisation du dommage se répercute dorénavant dans la matière du contentieux des investissements financiers [82]. L'on peut se demander si la jurisprudence Shevill, qui a longtemps constitué l'exemple le plus abouti d'une conception restrictive du Erfolgsort, n'est pas en passe de régresser au rang d'exception, le droit commun de la compétence fondée sur la matérialisation du dommage étant plus permissif [83].

Le for délictuel n'est pas pour autant devenu un simple forum actoris [84]. Comme sa jurisprudence ultérieure, et en particulier l'arrêt Universal Music, a permis de le constater, la Cour entend bien réserver la possibilité pour une personne prétendument lésée de saisir les juridictions de l'Etat de son domicile aux seules espèces dans lesquelles des « circonstances particulières » [85] existent, qui permettent de conclure que le préjudice financier s'est directement matérialisé sur le compte bancaire du demandeur [86].

Parmi ces circonstances, le fait que le dommage allégué se réalise « directement sur un compte bancaire » de la victime, ouvert auprès d'une banque établie dans l'Etat membre où il est domicilié, est décisif [87]. Ceci tranche avec les faits à la base de l'affaire Kronhofer: dans cette affaire, l'investisseur établi en Autriche, avait transféré sur un compte bancaire ouvert en Allemagne les sommes destinées à acquérir des options d'achat sur des actions, options qui avaient été acquises sur la place de Londres [88].

On peut hésiter sur la justesse de la distinction qu'opère la Cour. Dans l'affaire Kolassa, l'investisseur avait certes ouvert un compte-titres auprès d'un établissement bancaire autrichien. Les certificats ont néanmoins été conservés par l'établissement bancaire non pas en Autriche, mais bien à Munich, où était située sa maison mère. Et l'investisseur ne pouvait réclamer le transfert des certificats litigieux [89]. Ceci n'empêche pas la Cour de retenir que le dommage s'est réalisé « directement » sur le compte bancaire autrichien [90]. Le raisonnement de la Cour sur ce point manque de précision. Ne peut-on pas en effet supposer que si les certificats étaient détenus en Allemagne, le dommage subi par l'investisseur en Autriche n'était que la conséquence médiate du préjudice ayant affecté les certificats? Le préjudice autrichien serait dès lors un simple préjudice par ricochet, dont on sait que la Cour l'a exclu dans sa jurisprudence Dumez.

Au-delà de ces questions, la portée de la décision se dégage assez nettement: dès lors qu'un investisseur possède un compte ouvert auprès d'un établissement bancaire situé dans l'Etat membre de son domicile [91], il est permis de considérer qu'un dommage affectant les investissements détenus par cette personne se matérialise dans cet Etat membre lorsqu'il apparaît que ces investissements sont liés d'une quelconque manière audit compte bancaire. Un lien de ce type peut exister lorsque l'investisseur peut exiger le transfert des instruments financiers sur ledit compte. Il est plus douteux que des liens suffisants existent lorsque le compte bancaire a uniquement servi de source pour mobiliser les fonds nécessaires à l'acquisition des instruments financiers [92]. Dans ces conditions, le forum delicti coïncide avec le forum actoris lorsqu'est en jeu un préjudice purement financier.

La lecture de l'arrêt laisse néanmoins certaines questions ouvertes. La première concerne l'identification du compte bancaire évoqué par la Cour [93]. S'agit-il du compte-titres qui a servi de réceptacle pour les instruments financiers [94]? Ou s'agit-il du compte de paiement, qui a servi à mobiliser les fonds nécessaires à l'acquisition des instruments financiers [95]? En outre, une même interrogation concerne l'établissement de la banque auquel la Cour fait référence. Le monde bancaire se caractérise par une diversité des modes de fonctionnement. Lorsqu'un investisseur ouvre un compte bancaire auprès de la filiale belge d'un établissement bancaire allemand, il convient de se demander si ce compte est bien ouvert dans le même Etat que la banque, ce qui constitue, selon la Cour, une condition pour justifier la compétence des juridictions du domicile de l'investisseur. Comme le note M. Lehmann, si l'on retient une interprétation étroite du concept d'établissement comme ne visant que la seule administration centrale ou le principal établissement de la banque, ceci favoriserait les investisseurs établis dans de grands centres bancaires comme Frankfurt, Madrid ou Rome au détriment des investisseurs établis ailleurs [96]. Enfin, l'on peut se demander s'il est permis de retenir un autre lieu de matérialisation du dommage qui résulte de la diffusion d'informations trompeuses à propos d'instruments financiers. L'on sait que le domicile de l'investisseur peut, sous certaines conditions, correspondre à ce lieu. Lorsque ces conditions ne sont pas remplies, l'investisseur peut-il encore essayer de saisir un autre for au titre de lieu de matérialisation du dommage [97]?

L'approche retenue par la Cour est-elle de nature à entraîner une multiplication des fors potentiellement compétents et surtout une difficulté pour l'émetteur de prévoir dans quel Etat membre sa responsabilité pourra être mise en jeu? Cette critique, que relaient des voix autorisées [98], a été anticipée par la Cour qui note que l'exercice par les juridictions autrichiennes d'une compétence internationale ne nuirait pas aux exigences de prévisibilité dans la mesure où l'émetteur pouvait raisonnablement prévoir qu'il pourrait être attrait devant ces juridictions [99]. Cette prévisibilité se déduit, selon la Cour, de la circonstance que l'émetteur du prospectus avait fait notifier le certificat d'approbation de ce dernier dans plusieurs Etats membres, dont celui où l'investisseur était établi.

Outre qu'il est difficile de bien mesurer la portée de cette précision [100], on notera surtout que le problème de la prévisibilité demeure entier quand on prend en compte la situation du marché secondaire [101]. Lorsqu'un investisseur fait l'acquisition de titres sur le marché secondaire, il est en effet impossible pour l'émetteur de déterminer à l'avance dans quel Etat membre sera établi l'acquéreur des titres. La solution retenue par la Cour ne facilite dès lors pas la prévisibilité pour l'émetteur.

La prévisibilité des solutions n'est pas la seule vertu cardinale qui souffre de la générosité dont la Cour fait preuve à l'endroit de l'investisseur. Il est une autre justification du for délictuel européen qui ne survit guère à la consécration par la Cour du forum actoris: il s'agit de la bonne administration de la justice et de l'organisation utile du procès, tant vantée par la Cour comme éléments justifiant l'octroi de la compétence internationale au juge de l'Etat où se localise le dommage [102]. Il semble en effet évident que l'ouverture dont la Cour fait preuve en permettant à l'investisseur, sous des conditions minimales, de saisir les juridictions de son domicile, ne permet pas de garantir que le juge saisi possèdera le « lien de rattachement particulièrement étroit » avec la contestation [103], qui fonde cette compétence. Certes, le domicile en tant que tel ne suffit pas à justifier la compétence du juge. Encore faut-il qu'il soit confirmé par d'autres éléments. Ceux-ci ne permettent néanmoins pas de garantir que le juge saisi possédera un lien substantiel avec le litige.

4. Conclusion

En conclusion, il semble que la Cour imprime à sa jurisprudence un nouveau virage: dans les années qui ont suivi l'arrêt Mines de potasse d'Alsace, la Cour a surtout essayé de limiter tant que faire se peut l'ampleur de la compétence alternative qu'elle avait créée. L'exclusion du dommage indirect [104] et la limitation de la compétence du juge du locus damni au seul dommage local [105] ont constitué des freins puissants à une exploitation trop débridée des potentialités de l'arrêt fondateur. Cette période semble bien révolue: après avoir consacré un forum actoris en matière de droits de la personnalité et ouvert largement les voies de la compétence dans le contentieux de la responsabilité liée au droit de la concurrence, la Cour poursuit son oeuvre en élargissant les possibilités de saisine au profit de l'investisseur qui se prétend lésé. Seul le contentieux de la propriété intellectuelle semble encore résister à l'avancée de la logique favorable à la victime du dommage. La Cour a en effet récemment confirmé que dans certaines hypothèses, la compétence de la juridiction du lieu de localisation du dommage est limitée au seul dommage local [106]. Elle a en outre considéré que seules les juridictions de l'Etat membre dans lequel une marque est enregistrée, possèdent compétence au titre du lieu de matérialisation du dommage pour connaître d'un litige relatif à l'atteinte à cette marque [107]. Encore faut-il constater qu'en matière de droit d'auteur, la Cour s'est montrée particulièrement peu exigeante lorsqu'il s'agit de localiser le dommage. Ainsi, dans l'arrêt Pinckney, la Cour a-t-elle permis à l'auteur lésé de saisir les tribunaux de son propre Etat membre dès lors qu'il était possible, par l'intermédiaire d'un site Internet accessible dans l'Etat membre de l'auteur, d'accéder à la contrefaçon [108].

La jurisprudence à venir de la Cour permettra de confirmer ou non l'orientation généreuse qu'inaugure l'arrêt Kolassa. A terme, il faudra se demander s'il ne serait pas opportun de réfléchir à une nouvelle configuration des règles de compétence permettant de faire mieux droit aux préoccupations que la Cour entend faire prévaloir. Qu'il s'agisse du contentieux des droits de la propriété intellectuelle, de celui de l'investissement financier ou des droits de la personnalité, la Cour semble en effet accorder un poids certain au souci de protéger le demandeur. Elle ne peut le faire par le biais des dispositions protégeant le consommateur, celles-ci étant enfermées dans des limites très contraignantes - non seulement est-il nécessaire que le consommateur et le professionnel soient liés par un contrat, mais encore faut-il que le professionnel ait exercé ou dirigé ses activités vers l'Etat membre du domicile du consommateur. L'extension donnée par la Cour au for délictuel pourrait être considérée comme une tentative de contourner les exigences de l'article 17. Ceci permettrait d'expliquer pourquoi une tendance équivalente fait défaut à propos de l'article 7, 1.: dès lors que l'on est en présence d'un contrat, le recours aux dispositions protégeant les consommateurs est permis. Cette lecture demande toutefois à être confirmée.

[1] Université de Liège.
[2] D'autres questions liées à la détermination du droit applicable ne manqueront pas de se poser à l'avenir, cons. J. von Hein, « Die internationale Prospekthaftung im Lichte der Rom II-Verordenung », in H. Baum et al. (éds.), Perspektiven des Wirtschaftsrechts - Beiträge für Klaus J. Hopt aus Anlass seiner Emeritierung, de Gruyter, 2008, 371-396.
[3] Voy. déjà G. Bachmann, « Die internationale Zuständigkeit für Klagen wegen fehlerhafter Kapitalmarktinformation », IPRax, 2007, 77-86.
[4] Comme en témoignent les hésitations notamment des juridictions françaises confrontées aux demandes de nombreux investisseurs floués par les agissements de M. Madoff. Cons. par ex. Cass. fr. (com.), 3 juin 2014, n° 12-18012, ECLI:FR:CCASS:2014:CO00559 (la Cour censure une décision par laquelle une juridiction du fond avait retenu sa compétence internationale au titre de la localisation en France d'un événement causal parce que certains investisseurs avaient souscrit après que l'autorisation de commercialisation des instruments litigieux ait été accordée par le régulateur français) ainsi que Cass. fr. (com.), 7 janvier 2014, D., 2014, 1059, obs. F. Jault-Seseke.
[5] M. Lehmann, « Prospectus Liability and Private International Law - Assessing the Landscape after the CJUE Kolassa Ruling (case C-375/13) », J. Private International Law, 2016, 318-343.
[6] La Cour s'est prononcée au regard des dispositions du Règlement Bruxelles I (règlement n° 44/2001). Il ne fait pas de doute que son enseignement est également pertinent pour l'application du règlement révisé (Règlement Bruxelles Ibis, n° 1215/2012). Ceci vaut en particulier pour les questions préjudicielles qui faisaient référence à l'article 5, 3., du Règlement Bruxelles I. L'enseignement de l'arrêt peut à cet égard sans difficulté être étendu à l'article 7, 2., du Règlement Bruxelles Ibis, qui est identique à la version précédente de la disposition litigieuse. Dans la suite de ce commentaire, il sera fait référence aux seules dispositions de ce dernier règlement.
[7] C.J.U.E., 10 juin 2004, C-168/02, Rudolf Kronhofer / Marianne Maier et al., Rec., 2004, p. I-6009.
[8] C.J.U.E., 16 juin 2016, C-12/15, Universal Music International Holding BV / Michael Tétreault Schilling et al., ECLI:EU:C:2016:449.
[9] On ajoutera que la Cour a depuis lors eu l'occasion d'éclairer un autre aspect du jeu des règles de compétence internationale dans le contentieux financier, celui de la portée et des effets d'une clause d'élection de for; cons. C.J.U.E., 20 avril 2016, C-366/13, Profit Investment SIM SpA / Stefano Ossi et al., ECLI:EU:C:2016:282.
[10] A côté de pôle majeur du contentieux contractuel, il convient d'en ajouter un autre lorsque l'une des parties peut en appeler à la qualité de consommateur.
[11] On peut ainsi distinguer les établissements qui interviennent uniquement comme intermédiaires chargés de commercialiser les instruments et ceux qui participent activement à l'émission, par exemple en acceptant l'obligation de souscrire à tout ou partie des titres.
[12] Point 40 de l'arrêt commenté.
[13] Point 44 de l'arrêt commenté.
[14] Voy., outre les références citées par l'avocat général (note 25 des conclusions de l'avocat général Szpunar présentées le 3 septembre 2014), les références citées par P. Mankowski, « Article 7 », in U. Magnus et P. Mankowski (éds.), European Commentaries on Private International Law - Brussels Ibis Regulation, Sellier-Otto Schmidt, 2016, 275, note 1351.
[15] Selon les termes consacrés par la Cour, la notion de matière délictuelle « comprend toute demande qui vise à mettre en jeu la responsabilité d'un défendeur et qui ne se rattache pas à la 'matière contractuelle' » (C.J.U.E., 27 septembre 1988, n° 189/87, Athanasios Kalfelis / Banque Schröder et al., Rec., 1988, 5565, point 17).
[16] Que la Cour définit comme étant une « obligation juridique librement contentie par une personne à l'égard d'une autre »; p. ex. C.J.U.E., 14 mars 2013, C-419/11, Ceska sporitelna, a.s. / Gerald Feichter, ECLI:EU:C:2013:165, point 46.
[17] Point 39 de l'arrêt commenté.
[18] Th. Bonneau et F. Drummond, Droit des marchés financiers, 3e éd., 2010, Economica, 96, n° 85.
[19] J. Van Ryn et J. Heenen, Principes de droit commercial, t. III, 2e éd., Bruylant, 1981, 109.
[20] G. Schrans et R. Steennot, Algemeen deel van het financieel recht, Intersentia, 2003, 104, n° 106.
[21] C.J.U.E., 13 mars 2014, C-548/12, Marc Brogsitter / Fabrication de Montres Normandes EURL et al., ECLI:EU:C:2014:148, point 23.
[22] Arrêt Brogsitter, précité, points 24 à 26.
[23] M. Lehmann, o.c., J. Private International Law, 2016, (318), 324-326.
[24] Point 19 de l'arrêt commenté.
[25] Voy. sur ces points les § 13 à 21 des conclusions de l'avocat général Szpunar présentées le 3 septembre 2014.
[26] En ce sens M. Lehmann, o.c., J. Private International Law, 2016, (318), 326.
[27] Sur la qualification d'un contrat de gestion de fortune et d'un contrat de conseil en placements, cons. M.-D. Weinberger, Gestion de portefeuille et conseil en investissement. Aspects contractuels et de responsabilités avant et après MiFID, Kluwer, 2008, 25-33, nos 32-42.
[28] Voy. les explications nuancées de S. Delaey, De contractuele verhouding inzake portefeuillebeheer: op de wip tussen MiFID en privaatrecht. Vergelijking met verwante financiële figuren, juridische kwalificatie en plichtenpakket van de portefeuillebeheerder, Intersentia, 2010, 106-123, nos 143-163.
[29] L'on peut se demander si des instruments financiers peuvent constituer une « marchandise » au sens de l'article 7, 1. La notion de marchandises n'est pas définie par le texte. Elle est également employée par la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises à laquelle la Cour a fait référence dans l'arrêt Car Trim (C.J.U.E., 25 février 2010, C-381/08, Car Trim GmbH / KeySafety Systems Srl, Rec., 2010, p. I-1255, points 36 et 37). Or cette convention exclut la vente d'effets mobiliers de son champ d'application (Art. 2, d). Il serait néanmoins audacieux d'aligner le champ d'application de l'article 7, 1. sur celui de la Convention de Vienne, à défaut pour le législateur européen d'avoir donné plus de précisions sur ce point (H. Gaudemet-Tallon, Compétence et exécution des jugements en Europe, 5e éd., L.G.D.J., 2015, 230, n° 188-1).
[30] C.J.U.E., 17 juin 1992, C-26/91, Jakob Handte & Co. GmbH / Traitements mécano-chimiques des surfaces SA, Rec., 1992, p. I-3967.
[31] Comme le rappelle l'avocat général (§ 47 des conclusions de l'avocat général Szpunar présentées le 3 septembre 2014).
[32] Point 26 de l'arrêt commenté.
[33] Le gouvernement néerlandais avait au contraire estimé que l'on était en présence d'un contrat en l'espèce (§ 30 des conclusions de l'avocat général Szpunar présentées le 3 septembre 2014).
[34] Il permet de déduire que la notion de contrat ne reçoit pas la même signification selon qu'est en jeu le for contractuel (art. 7, 1.) ou l'application des règles visant à protéger le consommateur. Dans le premier cas en effet, il suffit que le litige intéresse la matière contractuelle, ce qui ne nécessite pas que les parties soient liées par un contrat.
[35] Point 27 de l'arrêt.
[36] Point 29 de l'arrêt.
[37] Points 28 à 34 de l'arrêt commenté.
[38] J. Van Ryn et J. Heenen, o.c., 544, n° 676.
[39] Selon Van Ryn et Heenen, la convention de « prise ferme » est une convention sui generis, qui n'est pas une simple convention de commission (J. Van Ryn et J. Heenen, o.c., 545, n° 677).
[40] Ce sont les « Joint Coordinators » et « Joint Bookrunners », selon le rôle qu'ils remplissent.
[41] Comp. J. Van Ryn et J. Heenen, o.c., 544, n° 676 selon qui aucun contrat n'est conclu entre le banquier mandataire de l'émetteur et le souscripteur des titres.
[42] Voy. en général, V. Colaert, « De meerlagige rechtsverhouding financiële dienstverlener - belegger », R.W., 2011-2012, 846-862.
[43] En droit comparé, cons. O. Cherednychencko, « European Securities Regulation, Private Law and the Investment Firm-Client Relationship », Eur. R. Priv. L., 2009, 925-952.
[44] Sur l'interaction entre ces deux niveaux, cons. O. Cherednychenko, « Contract Governance in the EU: Conceptualising the Relationship between Investor Protection Regulation and Private Law », Eur. L. J., 2015, 500-520 ainsi que M. Kruithof, « De privaatrechtelijke werking van de MiDIF 2004-gedragsregels: een analyse van de mate waarin zij de wederzijdse rechten en plichten van dienstverlener en cliënt kunnen aanvullen en beperken », in Financiële regulering in de kering, Intersentia, 2012, 273-356.
[45] Ces avertissements visent notamment à exclure que l'information offerte au public puisse être considérée comme offre publique de vente de titres aux Etats-Unis ou dans d'autres pays.
[46] La Cour prend néanmoins soin de nuancer cette conclusion en sollicitant de la juridiction de renvoi qu'elle vérifie l'inexistence d'un contrat (point 26 de l'arrêt commenté).
[47] Point 26 de l'arrêt commenté.
[48] Arrêté royal du 27 janvier 2004 portant coordination de l'arrêté royal n° 62 du 10 novembre 1967 favorisant la circulation des instruments financiers (M.B., 23 février 2004). Cons. la présentation générale par: G. Schrans et R. Steennot, o.c., 271-272, nos 288-289 et l'analyse détaillée de L. Van den Steen, De effectenrekening, Intersentia, 2009, 161-259.
[49] Voy. l'aperçu de droit comparé in L. Van den Steen, o.c., 260-289. Adde D. Einsele, « Rights of depositors in financial instruments held with a central depository », in Les opérations boursières en Europe: vers un droit commun?, Cahiers AEDFE, Bruylant, 2002, 117-144.
[50] On rappellera qu'il n'y a pas d'uniformisation en la matière. La Convention Unidroit de Genève du 9 octobre 2009 sur les règles matérielles relatives aux titres intermédiés n'a été à ce jour signée que par le Bengladesh. Voy. les commentaires de C. Van Der Elst, « The equity markets, ownership structures and control: towards an international harmonization », in K. Hopt et E. Wymeersch (éds.), Capital markets and company law, Oxford University Press, 2003, 3-46.
[51] Voy. l'analyse comparée réalisée par la European Securities and Market Authority en 2013: Report, Comparison of liability regimes in Member States in relation to the Prospectus Directive, ESMA/2013/619, 2013, 42 p.
[52] M. Lehmann, o.c., J. Private International Law, 2016, (318), 323.
[53] C.J.U.E., 30 novembre 1976, n° 21/76, Handelskwekerij G.J. Bier BV / Mines de potasse d'Alsace SA, Rec., 1976, 1735.
[54] Point 53 de l'arrêt commenté.
[55] A la décharge de la Cour, les faits tels qu'esquissés par la juridiction de renvoi laissaient subsister quelques zones d'ombre, comme l'a remarqué l'avocat général Szpunar (§ 63 de ses conclusions).
[56] § 64 et 65 de ses conclusions. Selon l'avocat général, lorsqu'un prospectus est publié dans un ou plusieurs Etats membres, « il peut s'agir dans chaque cas d'un fait dommageable susceptible de fonder une compétence juridictionnelle ».
[57] Point 53 de l'arrêt commenté.
[58] C.J.U.E., 19 avril 2012, C-523/10, Wintersteiger AG / Products 4U Sondermaschinenbau GmbH, ECLI:EU:C:012:220, point 37.
[59] P. ex. C.J.C.E., 7 mars 1995, C-68/93, Fiona Shevill / Presse Alliance, Rec., 1995, p. I-450: la Cour pose que « dans l'hypothèse d'une diffamation au moyen d'un article de presse diffusé sur le territoire de plusieurs Etats contractants, le lieu de l'événement causal [...] ne peut être que le lieu d'établissement de l'éditeur de la publication litigieuse, en tant qu'il constitue le lieu d'origine du fait dommageable, à partir duquel la diffamation a été exprimée et mise en circulation » (point 24).
[60] C.J.U.E., 21 mai 2015, C-352/13, Cartel Damage Claims (CDC) Hydrogen Peroxide SA / Akzo Nobel NV et al., ECLI:EU:C:015:335, point 44.
[61] Arrêt CDC, précité, point 45.
[62] Comp. avec l'analyse de M. Lehmann, o.c., J. Private International Law, 2016, (318), 328 selon qui l'arrêt Kolassa se démarque d'une approche plus rigoureuse que la Cour aurait retenue dans l'arrêt CDC.
[63] Comme le pense M. Lehmann (M. Lehmann, o.c., J. Private International Law, 2016, (318), 328).
[64] Voy. W.-G. Ringe et A. Hellgardt, « The international dimension of issuer liability - Liability and choice of law from a transatlantic perspective », Oxford J. Legal Studies, 2011, (23), 46 (à propos du Règlement Rome II).
[65] Comme le faisait M. Lehmann, dans la première version de son étude (disponible sur SSRN: www.papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2734721, à la p. 16). L'auteur expliquait que « This makes the spectre of possible places to sue particularly large »). La version publiée in J. Private International Law, retient une autre formulation: « This makes the range of possible places to sue particularly large » (o.c., J. Private International Law, 2016, (318), 328).
[66] Comp. M. Lehmann (o.c., J. Private International Law, 2016, (318), 329) qui estime que lorsque le prospectus fait l'objet d'une diffusion papier, « jurisdiction will be completely dispersed and fortuitous ».
[67] Comme le note T.M.C. Arons, « On financial losses, prospectuses, liability, jurisdiction (clauses) and applicable law », NIPR, 2015, (377), 379, qui évoque l'intervention d'un « lead manager » dans la rédaction du prospectus. Voy. sur le rôle actif et la responsabilité du « lead manager », B. Jennen et N. Van de Vijver, Banking & Securities Regulation in the Netherlands, Wolters Kluwer, 2010, 126-127.
[68] Voy. J. Bartos, United States Securities Law: a Practical Guide, 3e éd., Kluwer Law International, 2006, 12.
[69] Ceci peut se déduire de la jurisprudence Melzer de la Cour: selon la Cour, lorsque plusieurs personnes sont à l'origine du fait dommageable, il n'est pas permis d'assigner l'une d'entre elles devant les juridictions d'un Etat où elle n'aurait pas agi. Selon la Cour, l'absence d'intervention personnelle du défendeur dans l'Etat dont les juridictions sont saisies conduit à conclure que l'événement causal ne s'est pas produit sur le territoire de cet Etat (C.J.U.E., 16 mai 2013, C-228/11, Melzer / MF Global UK Ltd., ECLI:EU:C:2013:305, point 40 et C.J.U.E., 3 avril 2014, C-387/12, Hi Hotel HCF Sarl / Uwe Spoering, ECLI:EU:C:2014:215, points 31-33).
[70] Points 15 et 19 de l'arrêt Bier, précité. Depuis lors, cons. C.J.U.E., 19 septembre 1995, C-364/93, Antonio Marinari / Lloyds Bank plc et al., Rec., 1995, p. I-2719, point 12; arrêt Fiona Shevill, précité, point 20; C.J.U.E. (gr. ch.), 25 octobre 2011, affaires jointes C-509/09 et C-161/10, eDate Advertising GmbH / X et Olivier Martinez et al., Rec., 2011, p. I-10269, point 41; C.J.U.E., 22 janvier 2015, C-441/13, Pez Hejduk / EnergieAgentur.NRW GmbH, ECLI:EU:C:2015:28, points 18 et 27.
[71] Point 24 et dispositif de l'arrêt Bier, précité. Depuis lors, cons. arrêt Marinari, précité, point 11; arrêt Fiona Shevill, précité, point 20; C.J.U.E., 16 juillet 2009, C-189/08, Zuid-Chemie BV / Philippo's Mineralenfabriek NV/SA, point 23.
[72] Arrêt Zuid-Chemie, précité, point 25.
[73] Arrêt Zuid-Chemie, précité, point 26.
[74] Point 54 de l'arrêt commenté.
[75] Point 55 de l'arrêt commenté.
[76] Idem.
[77] C.J.U.E., 10 juin 2004, C-168/02, Rudolf Kronhofer / Marianne Maier et al., ECLI:EU:C:2004:364, Rec., 2004, p. I-6009, point 21.
[78] Points 18 et 19 arrêt Kronhofer, précité.
[79] C.J.U.E. (gr. ch.), 25 octobre 2011, affaires jointes C-509/09 et C-161/10, eDate Advertising GmbH / X et Olivier Martinez et al.
[80] Arrêt eDate, précité, points 48 et 49.
[81] C.J.U.E., 21 mai 2015, C-352/13, Cartel Damage Claims (CDC) Hydrogen Peroxide SA / Akzo Nobel NV et al., ECLI:EU:C:2015:335, points 52 et 53.
[82] Comp. avec la lecture plus restrictive proposée par Mme Boskovic, qui prend appui sur la mise en exergue par la Cour du fait que les actions et omissions reprochées à la banque anglaise étaient antérieures à l'investissement réalisé par M. Kolassa (point 51 de l'arrêt) pour en déduire que la générosité apparente de la Cour est liée au fait que le dommage allégué n'était en l'espèce rien d'autre que l'investissement lui-même. Selon Mme Boskovic, la solution adoptée par la Cour ne concernerait dès lors pas tous les préjudices financiers dans le cadre des délits financiers et encore moins tous les préjudices financiers, mais s'expliquerait par le fait que le dommage allégué était l'investissement lui-même et non une perte consécutive à l'investissement (O. Boskovic, « Compétence européenne en matière délictuelle: localisation du préjudice financier subi par l'investisseur », Rev. crit. dr. intern. privé, 2015, 921, n° 8).
[83] M. d'Avout évoque à cet égard fort à propos une « réhabilitation de la compétence judiciaire de proximité au domicile de la victime » (L. d'Avout, « Commercialisation de titres financiers et compétence internationale de proximité », D., 2015, 770).
[84] Contrairement à ce que certains avaient pu proposer. Voy. les références citées par M. Lehmann, o.c., J. Private International Law, 2016, (318), 332, note 66.
[85] Arrêt Universal Music, précité, point 39.
[86] Arrêt Universal, précité, point 36.
[87] Point 57 de l'arrêt commenté.
[88] Arrêt Kronhofer, précité, points 5 et 6.
[89] Point 15 de l'arrêt commenté.
[90] Point 55 de l'arrêt commenté.
[91] La Cour vise expressément le « domicile » de l'investisseur et non la résidence habituelle (point 55). Ce faisant, la Cour se conforme à l'économie du Règlement Bruxelles Ibis qui résiste encore aux assauts du concept de résidence habituelle.
[92] C'est la leçon que l'on peut tirer de l'arrêt Universal Music: dans cette espèce, la Cour a estimé que les « circonstances particulières » qui permettent de retenir le forum actoris faisaient défaut: certes, le demandeur avait effectué le paiement source du préjudice à partir d'un compte bancaire ouvert auprès d'un établissement bancaire établi dans l'Etat membre de son domicile. Aucune autre circonstance particulière ne permettait néanmoins de justifier la compétence des tribunaux de cet Etat. A défaut de circonstances particulières permettant de rattacher le préjudice financier à ce compte bancaire, la Cour percevait au contraire un risque d'arbitrage que pourrait opérer le demandeur entre plusieurs comptes différents dans l'espoir d'orienter la compétence vers un for perçu comme favorable (arrêt Universal Music, précité, point 38).
[93] Point 55 de l'arrêt commenté.
[94] Comme le pense M. Arons (o.c., 379), qui suggère d'être plus précis et d'évoquer un compte-titres (« securities account »), afin d'éviter une confusion avec le compte de paiement, tel que défini p. ex. à l'article 2, 3., de la directive 2014/92 du 23 juillet 2014 sur la comparabilité des frais liés aux comptes de paiement, le changement de compte de paiement et l'accès à un compte de paiement assorti de prestations de base. Selon cette disposition, le compte de paiement est un « compte détenu au nom d'un ou de plusieurs consommateurs et servant à exécuter des opérations de paiement ».
[95] Comme le suggèrent M. d'Avout (o.c., 770) et M. Lehmann (M. Lehmann, o.c., J. Private International Law, 2016, (318), 329-330).
[96] M. Lehmann, o.c., J. Private International Law, 2016, (318), 330.
[97] Sur cette question, cons. M. Lehmann, o.c., J. Private International Law, 2016, (318), 333-334.
[98] Voy. surtout M. Lehmann, o.c., J. Private International Law, 2016, (318), 331. Dans un même registre, mais à propos de la loi applicable, voy. T.M.C. Arons, « 'All roads lead to Rome': Beware of the consequences! The law applicable to prospectus liability claims under the Rome II Regulation », NIPR, 2008/4, 481-487.
[99] Point 56 de l'arrêt commenté.
[100] S'agit-il d'une justification supplémentaire permettant d'appuyer l'évolution importante que la Cour imprime à sa jurisprudence ou faut-il y voir une exigence à laquelle est subordonnée le jeu du forum actoris ainsi consacré? On notera que cette précision ne figure pas dans le dispositif du jugement, ce qui permet de pencher pour la première branche de l'alternative.
[101] Comme l'indique M. Lehmann, o.c., J. Private International Law, 2016, (318), 331.
[102] Dans l'arrêt commenté, cons. le point 46.
[103] Idem.
[104] C.J.U.E., 11 janvier 1990, C-220/88, Dumez France SA & Tracoba SARL / Hessische Landesbank et al., Rec., 1990, p. I-49, ECLI:EU:C:1990, 8.
[105] Arrêt Fiona Shevill, précité.
[106] Arrêt Hi Hotel, précité, point 38 et C.J.U.E., 3 octobre 2013, C-170/12, Peter Pinckney / KDG Mediatech ADG, EU:C:2013:635, point 45.
[107] Arrêt Wintersteiger, précité, points 25 à 29.
[108] Arrêt Pinckney, précité, points 43 et 44.