Article

[Titre exécutoire européen] La Belgique sortie du TEE ?, R.D.C.-T.B.H., 2017/1, p. 76-86

DROIT JUDICIAIRE EUROPÉEN ET INTERNATIONAL
Compétence et exécution - Titre exécutoire européen pour les créances incontestées - Règlement n° 805/2004/CE du 21 avril 2004 - Conditions de la certification - Normes minimales applicables aux procédures internes - Droits de la défense du débiteur - Article 19 - Réexamen dans des cas exceptionnels - Nature et portée du recours en réexamen - Appel et opposition (oui) - Force majeure et autres circonstances extraordinaires, indépendantes de la volonté du débiteur, ayant empêché ce dernier de contester la créance en cause - Notions distinctes (oui) - Tâches respectives du juge (certification) et du greffier (délivrance du certificat)
L'article 19 du règlement (CE) n° 805/2004 du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 portant création d'un titre exécutoire européen pour les créances incontestées, lu à la lumière de l'article 288 TFUE, doit être interprété en ce sens qu'il n'impose pas aux Etats membres d'instaurer, en droit interne, une procédure de réexamen telle que visée audit article 19.
L'article 19, 1., du règlement n° 805/2004 doit être interprété en ce sens que, pour procéder à la certification en tant que titre exécutoire européen d'une décision rendue par défaut, le juge saisi d'une telle demande doit s'assurer que son droit interne permet, effectivement et sans exception, un réexamen complet, en droit et en fait, d'une telle décision dans les deux hypothèses visées à cette disposition et qu'il permet de proroger les délais pour former un recours contre une décision relative à une créance incontestée non pas uniquement en cas de force majeure, mais également lorsque d'autres circonstances extraordinaires, indépendantes de la volonté du débiteur, ont empêché ce dernier de contester la créance en cause.
L'article 6 du règlement n° 805/2004 doit être interprété en ce sens que la certification d'une décision en tant que titre exécutoire européen, qui peut être demandée à tout moment, doit être réservée au juge.

EUROPEES EN INTERNATIONAAL GERECHTELIJK RECHT
Bevoegdheid en executie - Europese executoriale titel van niet-betwiste schuldvorderingen - Verordening nr. 805/2004/EG van 21 april - Voorwaarden voor waarmerking - Minimumnormen toepasselijk op de interne procedure - Recht van verdediging van de schuldenaar - Artikel 19 - Heroverweging in uitzonderlijke gevallen - Aard en draagwijdte van het verzoek tot heroverweging - Beroep en verzet (ja) - Overmacht en andere buitengewone omstandigheden buiten zijn wil waardoor de debiteur de betrokken schuldvordering niet heeft kunnen betwisten (ja) - Respectievelijke taken van de rechter (waarmerking) en de griffier (aflevering van het bewijs van waarmerking)
Artikel 19 van verordening (EG) nr. 805/2004 van het Europees Parlement en de Raad van 21 april 2004 tot invoering van een Europese executoriale titel voor niet-betwiste schuldvorderingen, gelezen tegen de achtergrond van artikel 288 VWEU, moet aldus worden uitgelegd dat het de lidstaten niet verplicht in hun intern recht een heroverwegingsprocedure als bedoeld in dat artikel 19 in te voeren.
Artikel 19, 1. van verordening nr. 805/2004 moet aldus worden uitgelegd dat met het oog op waarmerking van een bij verstek gewezen beslissing als Europese executoriale titel, de rechter bij wie een dergelijk verzoek is gedaan, zich ervan moet vergewissen dat naar zijn intern recht een integrale toetsing, zowel rechtens als feitelijk, van die beslissing daadwerkelijk en zonder uitzondering mogelijk is in de in deze bepaling bedoelde twee gevallen en dat het naar zijn intern recht mogelijk is om de termijnen om een rechtsmiddel aan te wenden tegen een beslissing inzake een niet-betwiste schuldvordering te verlengen niet alleen bij overmacht maar ook wanneer de schuldenaar wegens andere buitengewone omstandigheden buiten zijn wil de betrokken schuldvordering niet heeft kunnen betwisten.
Artikel 6 van verordening nr. 805/2004 moet aldus worden uitgelegd dat waarmerking van een beslissing als Europese executoriale titel, die te allen tijde kan worden gevorderd, aan de rechter moet worden voorbehouden.
La Belgique sortie du TEE?
Jean-François van Drooghenbroeck [1] et Stan Brijs [2]

1.Le règlement (CE) n° 805/2004 portant création d'un titre exécutoire européen (dit TEE) est entré en vigueur (en gare!) depuis plus de 10 ans, et son application paraissait avoir atteint sa vitesse de croisière. Au coeur des travaux enthousiastes que nous lui avions consacrés ensemble à ses débuts, nous avions pointé trois difficultés, qui seraient autant de défis assignés à la pratique judiciaire belge, et dont le sort conditionnerait la pérennité de l'instrument dans nos contrées [3]: (1) l'assimilation problématique du jugement par défaut à une créance incontestée; (2) les rôles respectifs du juge et du greffier dans le processus de certification et - surtout - (3) la conformité du droit belge à l'exigence du recours en réexamen prescrit par l'article 19 du règlement.

Il aura fallu un peu plus d'une décennie, mais seulement deux arrêts, pour que la Cour de justice de l'Union européenne soit saisie de ces trois difficultés et les tranche sans ambiguïté. C'est de maîtresse façon que son arrêt prononcé le 16 juin 2016 dans l'affaire Pebros Servizi Srl / Aston Martin Lagonda Ltd met un terme définitif à l'incertitude entourant le cas du jugement par défaut. Nous lui consacrons un commentaire distinct dans la présente livraison de cette revue.

Les lignes qui suivent portent sur l'analyse de l'arrêt aux termes duquel la Cour a, par son arrêt Imtech Marine Belgium NV / Radio Hellenic SA du 17 décembre 2015, tranché les deux autres difficultés.

1. Tâches respectives du juge et du greffier dans le processus de certification
A. Une incertitude créée par le Gouvernement belge...

2.Le règlement (CE) n° 805/2004 a défini la notion de « juridiction d'origine » investie de la mission de certification comme « la juridiction saisie de l'action au moment où les conditions visées à l'article 3, paragraphe 1, points a), b) ou c) ont été remplies ». De toute évidence (et pourtant…) le législateur européen vise donc le tribunal, le juge, la cour, qui a conçu et prononcé la décision sujette à certification.

Pourtant, aux termes de l'article 5.6. de la circulaire ministérielle du 22 juin 2005 relative au règlement (CE) n° 805/2004 du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 portant création d'un titre exécutoire européen pour les créances incontestées [4], ce ne serait ni le juge qui a rendu la décision, ni un autre juge, mais bien le « greffier en chef de la juridiction qui a rendu la décision ou acté la transaction judiciaire » qui se trouverait chargé de délivrer le certificat de titre exécutoire européen.

3.Cette option est surprenante.

On ne reviendra plus sur les doutes suscités par l'opportunité et la légalité du recours à la circulaire pour « transposer » le règlement [5]. Nous persistons à considérer que l'organisation judiciaire, tout autant que la transposition des garanties supranationales du procès équitable, sont l'affaire du législateur. On peut du reste se demander si cette modification, pour le moins substantielle, des attributions du greffier n'appelait pas une modification des articles 170 et s. du Code judiciaire [6].

4.Il y a ensuite que si l'articulation des compétences d'attribution en droit interne est par définition une matière nationale (et d'ordre public) laissée en friche par le règlement, comme le confirme l'exposé des motifs de la proposition de règlement, on peut en revanche se demander si la déportation vers le greffe de la tâche de certification normalement dévolue à la juridiction d'origine, demeure encore dans les limites interprétatives tolérées par le règlement.

Il y avait de fortes raisons d'en douter [7].

5.Premièrement, on observe que pour désigner l'autorité certificative, le règlement emploie invariablement les termes « juridiction d'origine », qu'il définit par ailleurs comme étant la juridiction « saisie » de la décision au fond. Contrairement au Règlement Bruxelles I, il n'est ici pas question d'une « autorité désignée alternative » [8].

On relève ensuite que l'institution du « greffier », et le vocable qui la désigne, apparaissent dans le règlement (voy. p. ex. la définition de « décision » à l'art. 4, 1. in fine); or, ce même règlement ne lui confie aucune mission spécifique, et l'on peut présumer que c'est en parfaite connaissance de la différence entre une juridiction et son greffe que le législateur européen a réservé la certification des titres exécutoires à la première.

On épingle encore, toujours dans le même sens, la règle selon laquelle la délivrance n'est pas susceptible de recours (art. 10, 4.), qui suggère qu'il s'agit bien d'une décision de nature et de portée juridictionnelles: les actes d'un greffier ne sont en principe point susceptibles de recours.

Au vu de ces éléments, nous ne pouvions qu'adhérer à la doctrine qui, de façon implicite ou explicite, considère que cette compétence de certification revient à un juge [9].

Un (autre) argument de texte vient appuyer cette lecture du règlement. Celui-ci, en son article 30, 2., impose aux Etats membres de notifier à la Commission les autorités qu'ils ont chargées de la certification des actes authentiques. Par contre, cette disposition ne souffle mot d'une quelconque information à notifier à la Commission quant à l'identification des « juridictions d'origine ». Ceci semble bien confirmer que, dans l'esprit des auteurs du règlement, cette désignation n'appelait pas d'autres précisions de la part des Etats membres ni ne tolérait, dans leur chef, de grandes marges d'appréciation. La notion de « juridiction d'origine » est de sens clair et se suffit à elle-même.

6.On pouvait sans doute se réjouir du souhait de l'Etat belge de concevoir, fidèlement à l'esprit du règlement, un procédé pratique et rapide. Il reste que le postulat théorique de cette solution, et selon lequel « il ne s'agit pas d'un acte juridictionnel en tant que tel » [10], n'avait rien d'évident, ce d'autant moins qu'il énerve le texte même du règlement.

En effet, la vérification des conditions subordonnant l'obtention d'un titre exécutoire, ou de son « passeport » européen, ne procède-t-elle pas de l'essence même de l'acte juridictionnel, étant l'application du droit au cas d'espèce par voie de règlement d'une série de questions? Et peut-on objectivement considérer qu'un acte habilitant le créancier à procéder à l'exécution n'est pas juridictionnel? Si dans ce premier stade, l'acte du juge n'est pas contentieux à défaut de partie adverse, le juge dit tout de même le droit entre parties de sorte qu'il fait là oeuvre juridictionnelle. La mise en place d'une procédure subséquente de réexamen, de rectification, ou encore de retrait, qui s'apparente à l'idée d'un recours, ne vient-elle pas corroborer l'idée que la certification ressortit de la mission juridictionnelle?

7.Au demeurant, le Gouvernement paraissait lui-même entretenir quelques doutes, sinon quelque ambiguïté, sur la solution instituée par la circulaire du 22 juin 2005. La ministre de la Justice y précise en effet que ladite solution prévaudra « sous réserve de l'interprétation des cours et tribunaux ». Si l'on conçoit que les juridictions de l'ordre judiciaire puissent contrôler le travail de certification accompli par le greffe, c'est nécessairement que l'on admet que cette mission s'exprime par voie d'acte juridictionnel. Car si tel n'était pas le cas, seule la Cour de cassation serait, au vu de l'article 610 du Code judiciaire, habilitée à censurer ces actes, supposément non juridictionnels, du greffier. Comprenne qui pourra…

8.A supposer même que le choix du greffier opéré par le Gouvernement belge ne heurte ni le principe de légalité du droit de l'organisation judiciaire (supra, n° 3), ni la lettre, ni l'esprit du règlement (CE) n° 805/2004 (supra, nos 4 à 6), resteraient malgré tout de sérieux doutes, touchant cette fois à l'opportunité de cette assimilation du greffe à la « juridiction d'origine ».

Le greffier serait fréquemment amené à trancher à la hâte maintes questions juridiques et factuelles, parfois délicates. La liquidation de la créance, en capital et intérêts (le cas échéant capitalisés), et des frais peut en règle intervenir sur pied de la décision, même s'il n'est pas rare que les parties se disputent sur un décompte. Mais le greffier devrait en outre apprécier s'il s'agit d'une créance incontestée au sens de l'article 3, 1., du règlement, si la décision est exécutoire, si les règles protectrices du consommateur en matière de compétence internationale étaient d'application et, le cas échéant, respectées, si la notification ou la signification s'est faite dans le respect des articles 13 et 14 du règlement, si l'information prescrite par les articles 16 et 17 a bien eu lieu, si - subsidiairement et comme ce fut précisément le cas dans l'espèce donnant lieu à l'arrêt annoté (infra, nos 16 et s.) - les conditions requises pour remédier au non-respect de ces règles sont vérifiées, etc. [11].

9.Une deuxième considération d'opportunité a trait à l'organisation et à la microsociologie judiciaires: même si le cas devait rester rare eu égard à l'objet du contrôle exercé, imagine-t-on un greffier désavouer un des juges du tribunal en décidant, par exemple, que celui-ci n'a pas respecté les règles précitées du Règlement Bruxelles Ibis et, partant, refuser le certificat de titre exécutoire européen? La situation paraît d'autant plus scabreuse que c'est devant ce même juge, ou l'un de ses collègues directs, que sera porté le recours du requérant débouté de sa demande de certification. L'approche du greffier serait-elle, pour ces raisons, teintée de crainte révérencielle que son impartialité pourrait, alors, être mise en doute par le débiteur.

10.Tout plaidait donc résolument, à notre estime, en faveur d'une compétence proprement juridictionnelle.

Mais les divergences d'appréciations étaient à prévoir, d'une juridiction à l'autre.

Une première tendance, nettement majoritaire, se rangea aux arguments précités, considérant donc qu'en tant qu'acte proprement juridictionnel, la certification du jugement comme titre exécutoire européen ressortit à la compétence de la juridiction qui a rendu ce jugement, et non - comme le prévoit l'article 5.6. de la circulaire ministérielle du 22 juin 2005 - à celle du greffier en chef de cette même juridiction, tout en apportant cette judicieuse précision, en termes de répartition concrète des tâches, que ce dernier conserve la compétence de délivrer le document constatant la certification, une fois celle-ci décidée par le juge [12]. Une frange minoritaire s'en tint au contraire aux directives de l'article 5.6. de la circulaire ministérielle du 22 juin 2005, malgré la latitude offerte par celle-ci (supra, n° 7), considérant que c'est au greffier en chef de la juridiction qui a rendu la décision candidate à la certification, qu'il appartient de se prononcer sur cette certification [13].

B. ... complètement dissipée par la Cour de justice

11.L'arrêt annoté vient donc, sur ce premier point, à son heure.

Et nous ne pouvons que nous réjouir d'y voir la Cour faire sienne, trait pour trait, la première tendance que nous appelions de nos voeux.

C'est donc à très juste titre, à nos yeux, qu'elle dit pour droit, aux paragraphes 47 à 50 de son arrêt qu' « au regard de l'économie du règlement n° 805/2004, il est possible de distinguer entre la certification proprement dite d'une décision en tant que titre exécutoire européen et l'acte formel de délivrance du certificat qui est visé à l'article 9 dudit règlement. Ainsi que l'a relevé M. l'avocat général au point 52 de ses conclusions, cet acte formel, après que la décision relative à la certification en tant que titre exécutoire européen a été adoptée, n'est pas nécessairement un acte devant être réalisé par le juge, de sorte qu'il peut être confié au greffier. En revanche, la certification proprement dite exige un examen juridictionnel des conditions prévues par le règlement n° 805/2004. En effet, les qualifications juridiques d'un juge sont indispensables pour apprécier correctement, dans un contexte d'incertitude quant au respect des normes minimales visant à garantir le respect des droits de la défense du débiteur et du droit à un procès équitable, les voies de recours internes [...] » ajoutant non sans raison à nouveau (cf. supra, n° 8) que « seule une juridiction au sens de l'article 267 TFUE pourra assurer que, moyennant un renvoi préjudiciel à la Cour, les normes minimales établies par le règlement n° 805/2004 fassent l'objet d'une interprétation et d'une application uniformes dans l'Union européenne. [...] ».

2. (Absence de) délai assigné à l'introduction de la demande de certification

12.Aucun délai ne vient conditionner ou enchâsser la procédure de certification des décisions judiciaires en titres exécutoires européens. Selon le règlement, la demande du reste en être faite « à tout moment » (art. 6), sous la réserve bien entendu que, dans le respect du champ d'application ratione temporis du règlement, la décision sujette à certification ait été prononcée après le 20 janvier 2005 [14].

13.On ne peut donc, ici encore, qu'approuver l'arrêt annoté lorsqu'il énonce, en ses paragraphes 48 à 50, que « quant à la question de savoir si la certification d'une décision en tant que titre exécutoire européen doit être demandée dans l'acte introductif d'instance, l'article 6 du règlement n° 805/2004 dispose qu'une décision relative à une créance incontestée rendue dans un Etat membre est, sur demande adressée à tout moment à la juridiction d'origine, certifiée en tant que titre exécutoire européen [...] exiger que la demande de certification soit en toute hypothèse formulée dans l'acte introductif d'instance serait illogique puisqu'il n'est pas encore possible de savoir, à ce stade, si la créance sera contestée ou non, et donc si la décision qui sera rendue à la clôture de cette procédure respectera les conditions nécessaires pour être certifiée en tant que titre exécutoire européen ».

Rien ne s'oppose donc, au voeu du législateur européen, à l'introduction retardée, voire tardive, de la demande de certification. Quand bien même le créancier aurait-il omis d'en saisir le juge, en sorte que celui-ci aurait vidé sa saisine, que cette demande de certification pourrait, cette fois en la forme très simplifiée qui est la sienne [15], lui être soumise a posteriori. La chose jugée ne peut y faire obstacle, l'objet de cette demande spécifique variant du reste de l'objet de la demande principale au sens de l'article 23 du Code judiciaire, tel qu'il a été modifié par la loi dite « pot-pourri I » du 19 octobre 2015.

Qu'il nous soit permis, tout au plus, de compléter le judicieux enseignement de la Cour de deux précisions.

14.Tout d'abord, de l'absence de délai assigné à la présentation de la demande de certification, on se gardera bien de déduire l'absence d'incidence de l'écoulement du temps sur le système institué par le règlement (CE) n° 805/2004. Il faut que le titre candidat à la certification ait, au jour de l'introduction de ladite demande, conservé son caractère et son actualité exécutoires. A s'en tenir au droit belge, songeons à la perte d'effectivité d'une décision de justice par l'effet de l'échéance du délai décennal de prescription de l'actio iudicati (art. 2262bis C. civ.[16].

15.Economie de procédure oblige: il reste, d'autre part, que le créancier, s'il n'y est pas tenu, sera tout de même, dans toute la mesure du possible, bien inspiré de solliciter la certification de la décision à venir dès la citation (ou la requête) introductive d'instance [17].

3. (Non-)conformité du droit belge à l'exigence du recours en réexamen requis par l'article 19 du règlement (CE) n° 805/2004?

16.Tandis que la doctrine la tient pour acquise à l'unanimité [18], la conformité du droit belge aux exigences de l'article 19 du règlement divise profondément la jurisprudence belge.

C'est ainsi qu'une première frange de nos juridictions considère, à juste titre selon nous, qu'« on peut considérer que la législation belge prévoit le réexamen de la décision. Ainsi, lorsque le débiteur fait défaut, celui-ci peut obtenir un réexamen de la cause en formant opposition, dans les délais légaux, au jugement conformément à l'article 1047 du Code judiciaire, ce sans qu'il ne doive établir l'absence de faute et le fait que la signification de l'acte introductif d'instance ne lui soit pas parvenue en temps utile pour lui permettre de préparer sa défense », et poursuit qu' « une doctrine et une jurisprudence constantes et unanimes admettent également que les recours ordinaires d'opposition et d'appel puissent être exercés en dehors des délais en cas de force majeure, c'est-à-dire en cas d'événement indépendant de la volonté humaine que cette volonté n'a pu ni prévoir ni conjurer » [19].

A l'inverse, les tenants d'une autre tendance, tout aussi fournie, estiment que « si le droit judiciaire belge permet de faire obstacle à la déchéance d'un délai de recours en cas de force majeure, il ne prévoit en revanche aucune procédure permettant un réexamen d'une décision dans les circonstances extraordinaires indépendantes de la volonté du débiteur », en sorte que « le droit belge ne connaît pas de procédure de réexamen telle que prévue par l'article 19, 1., a) et b), du règlement européen portant création d'un titre exécutoire européen pour les créances incontestées » [20].

17.Eminemment controversée, la question est cruciale [21] car ce n'est rien moins que l'applicabilité même du règlement par les juridictions de notre pays qui est ici en cause.

Si, à l'instar des partisans de la seconde thèse, l'on tient que notre droit positif n'offre pas au débiteur un recours en réexamen conforme aux réquisits de son article 19 (et en particulier, à l'exigence d'une cause d'ouverture de ce recours en cas de « circonstances extraordinaires » étrangères à la faute du débiteur, distincte de la cause d'ouverture dérivant de la « force majeure »), plus aucune juridiction du Royaume n'est autorisée à « jouer » le jeu du règlement (CE) n° 805/2004, cette partielle - mais fâcheuse et infamante - mise au ban de l'espace judiciaire européen contraignant les créanciers à se rabattre sur la procédure plus coûteuse et chronophage des articles 39 et s. du Règlement Bruxelles Ibis [22].

C'est dire que sur ce point, plus encore que sur les autres, l'arrêt annoté était attendu.

A première vue, la réponse qu'y donne la Cour apporte de l'eau au moulin des partisans de la non-conformité. Mais il s'impose de livrer à une analyse à la fois séquencée et approfondie de son arrêt car sa portée pourrait ne pas être aussi radicalement, ni aussi irrémédiablement, dissuasive qu'il y paraît prime facie.

Raisonnons donc par étapes.

A. La nature du recours en réexamen exigé

18.Afin de vérifier si le droit belge rencontre la norme minimale de l'article 19 du règlement (CE) n° 805/2004 dans les deux cas d'application visés, il convient préalablement d'essayer de cerner la portée du concept - autonome - de « réexamen ».

S'agirait-il d'un recours extraordinaire - inédit en droit belge - réservé à des situations non moins extraordinaires?

Ou bien vise-t-on simplement l'appel ou l'opposition, recours de pleine juridiction offrant de toute évidence la possibilité d'un réexamen de la décision entreprise? Certes, ces derniers recours - ordinaires et généralisés en droit belge - sont ouverts dans bien d'autres circonstances, et à des conditions bien moins exceptionnelles que celles de l'article 19, 1., du règlement. Mais celui-ci ajoute aussitôt, en son article 19, 2., que « le présent article ne porte pas atteinte à la possibilité qu'ont les Etats membres d'autoriser un réexamen de la décision dans des conditions plus favorables que celles visées au paragraphe 1 »: qui offre le plus offre le moins.

19.Nous avons donc, dès l'origine [23], récusé la thèse selon laquelle les recours tout à fait ordinaires (dans tous les sens de l'expression) comme l'opposition ou l'appel n'offriraient pas le « réexamen » requis par l'article 19 au prétexte que celui-ci ne s'intéresserait qu'aux « cas exceptionnels ». Les contours même du champ d'application du règlement plaident en faveur de cette lecture de la notion de réexamen. Cet instrument ne concerne que les créances incontestées, parmi lesquelles l'article 19 ne retient quant à lui que les décisions visées à l'article 3, 1., b) et c), c'est-à-dire les cas dans lesquels, respectivement, le débiteur ne s'est jamais opposé à la créance au cours de la procédure judiciaire, n'a pas comparu ou ne s'est pas fait représenter lors d'une audience relative à la créance après l'avoir initialement contestée au cours de la procédure judiciaire. On est bien loin des procédures débouchant sur la condamnation du défendeur à l'issue d'un débat contradictoire et au prix de deux degrés de juridiction.

Au demeurant, nul ne songerait, dans ces mêmes hypothèses, à offrir au défendeur succombant, sous couleur de « réexamen », une manière de troisième degré de pleine juridiction. Le paradigme visé par le règlement (CE) n° 805/2004 est bien davantage celui d'un jugement par défaut contre lequel le débiteur malheureux ne dispose point de recours ordinaire.

La sollicitude manifestée à ce débiteur par le législateur européen n'est pas fantaisiste. Dans le cadre de la rationalisation de leur système judiciaire, plusieurs Etats membres européens ont supprimé, au moins partiellement, l'opposition, ne fût-ce qu'en lui ôtant son titre de voie de recours ordinaire [24]. Il n'était donc pas anormal que plusieurs (autres) Etats membres, plus généreux envers les débiteurs défaillants, aient souhaité l'introduction de cette norme minimale en guise d'ultime protection dudit débiteur. Pour conférer un rayonnement exécutoire aux décisions émanant de ses juridictions, tout Etat membre doit donc accepter, et concrétiser, l'idée d'un réexamen de ces mêmes décisions, alors même que la protection nationale généralement accordée aux défendeurs condamnés par défait se situerait bien en deçà.

20.Cette première étape de la démonstration est clairement validée par la Cour de justice de l'Union européenne qui, aux termes des paragraphes 36 à 38 de l'arrêt annoté énonce que « si les Etats membres peuvent avoir mis en place, dans leur droit national, une procédure de réexamen des décisions spécifique aux hypothèses visées à l'article 19, 1., sous a) et b), du règlement n° 805/2004, il n'est également pas exclu que les procédures qui existaient, dans un Etat membre, avant l'entrée en vigueur de ce règlement permettent au débiteur de demander un tel réexamen. Ainsi que M. l'avocat général l'a relevé au point 24 de ses conclusions, il peut s'agir de voies de recours qui respectent suffisamment les droits de la défense du débiteur et le droit à un procès équitable, visés aux considérants 10 et 11 du règlement n° 805/2004, dès lors que le droit de l'Union ne régit pas la procédure de réexamen et que le règlement n° 805/2004 renvoie expressément à la législation de l'Etat membre d'origine », tout en précisant qu' « afin de respecter les droits de la défense du débiteur et le droit à un procès équitable garantis par l'article 47, 2., de la Charte, il y a lieu d'exiger que, pour constituer une procédure de réexamen au sens de l'article 19, 1., du règlement n° 805/2004, interprété à la lumière du considérant 14 de celui-ci, les voies de recours en question doivent permettre, premièrement, un réexamen complet de la décision, en droit et en fait ».

En d'autres termes, point n'est besoin en droit belge d'un recours en réexamen ad hoc, conçu de toutes pièces; l'opposition et l'appel - recours de pleine juridiction, s'il en est - font parfaitement l'affaire [25].

Si sa condamnation résulte d'un jugement par défaut, le débiteur dispose d'un droit inconditionnel à former opposition. L'article 1047 du Code judiciaire prévoit que tout jugement par défaut peut être frappé d'opposition, sauf les exceptions prévues par la loi, ceci dans un délai d'un mois à partir de la signification du jugement ou de la notification de celui-ci conformément à l'article 792, alinéas 2 et 3 (art. 1048 C. jud.). Qu'advient-il si la condamnation du débiteur résulte d'une décision par défaut réputée contradictoire (art. 747 ou 804, al. 2, C. jud.)? La conformité de notre droit à la norme minimale précitée ne fléchit pas ici: la voie - ordinaire - de l'appel est grande ouverte au débiteur.

Appel ou opposition, mais certainement pas la requête civile. Pourtant, on trouve sur le site web de la Commission, reprenant les informations et communications de tous les Etats membres prévues par le règlement, une référence déroutante à l'article 1133 du Code judiciaire, lequel a trait à la requête civile. Si la requête civile est certes un recours « exceptionnel », les cas, dont la liste limitative est fixée par l'article 1133 du Code judiciaire, ne correspondent nullement aux hypothèses et préoccupations véhiculées par l'article 19 du règlement (CE) n° 805/2004. Selon nous, à la différence de l'opposition et de l'appel, la requête civile du Code judiciaire n'emporte pas la satisfaction, par l'Etat belge, aux exigences de l'article 19 du Règlement.

B. « Force majeure » et « circonstances extraordinaires » étrangères à la faute du débiteur: hypothèses distinctes ou variantes d'une même figure?

21.On touche ici au coeur de l'arrêt annoté et du problème qu'il suscite.

Le recours en réexamen à l'existence duquel l'article 19, 1., b), du règlement subordonne sa propre applicabilité, doit-il être distinctement ouvert en cas de « force majeure » et « de circonstances extraordinaires » étrangères à la faute du débiteur, ou ces deux hypothèses ne constitueraient-elles, dans l'esprit du législateur européen, que deux variantes synonymiques d'une même figure, celle de la « force majeure » entendue au prix d'une interprétation autonome de la notion?

C'est sur cette question précise que se joue le clivage de la jurisprudence belge (supra, n° 16) et que l'enseignement de l'arrêt annoté est le plus spectaculaire.

Pour en cerner la portée, raisonnons à nouveau par étapes.

(i) La force majeure

22.Il ne fait aucun doute que le droit belge admet que les recours d'opposition et d'appel demeurent ouverts en dépit de l'expiration des délais assignés à leur introduction, si la forclusion résulte d'un cas de force majeure [26], laquelle, selon la formule de la Cour de cassation, « ne peut résulter que d'un événement indépendant de la volonté humaine et que cette volonté n'a pu ni prévoir ni conjurer ».

L'arrêt annoté ne disconvient pas de cet état du droit belge.

23.Cela dit, et même si cette remarque demeure - selon nous (comp. infra, note (29)) - sans incidence sur l'appréciation critique de la solution retenue par la Cour, il reste étonnant que, faute sans doute d'y avoir été invités par les parties et la juridiction a quo, ni la Cour ni son avocat général Cruz Villalon, ne paraissent avoir relevé sur ce point l'existence de la loi du 12 mai 2014 portant modification et coordination de diverses lois en matière de Justice (II) [27], insérant dans les articles 1048, 1051 et 1136 du Code judiciaire une incise libellée systématiquement en ces termes: « Sous réserve des délais prévus dans des dispositions impératives supranationales et internationales, le délai [...] est d'un mois. »

Il suit des travaux préparatoires de cette loi que ces modifications tendaient précisément à ménager l'hypothèse du relevé de la déchéance du recours tardif, requise par les instruments de droit judiciaire européen qui, tel l'article 19 du règlement n° 805/2004 (expressément visé, du reste), postule l'existence d'un recours en réexamen en présence d'un cas de force majeure ou de circonstances assimilées. On lit en effet dans l'exposé des motifs de la loi du 12 mai 2014 que « ces modifications s'imposent pour des raisons de sécurité juridique. Dans certaines situations, des instruments supranationaux imposent des délais différents de ceux qui sont prévus dans les articles modifiés dans la présente loi. On peut penser par exemple à l'article 19 du règlement n° 805/2004 créant un titre exécutoire européen, l'article 20 du règlement (CE) n° 1896/2006 instituant une procédure européenne d'injonction de payer, l'article 18 du règlement (CE) n° 861/2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges, ou l'article 19 du règlement (CE) n° 4/2009 relatif aux obligations alimentaires. Ces modifications laissent intacte la possibilité d'annuler dans certains circonstances l'effet de l'expiration du délai de déchéance pour introduire un recours, en faisant appel à la 'force majeure', principe général du droit belge » [28].

On aurait aimé, avec Sven Sobrie, apercevoir dans ces nouveaux textes le dénouement de la controverse [29] tranchée par l'arrêt annoté et partant, constater la piteuse caducité de ce dernier. Mais il nous paraît que la réjouissance de cet auteur repose sur une lecture inexacte, parce qu'incomplète, de cette controverse. Rappelons (supra, nos 16, 17 et 21) que celle-ci porte surtout, et précisément, sur la question de l'existence propre et distincte, au voeu de l'article 19, 1., b) des « circonstances extraordinaires » étrangères à la faute du débiteur. Or, force est de constater que ni la loi du 12 mai 2014, ni ses travaux préparatoires (qui se bornent à réserver une réouverture des délais en cas de « force majeure »), n'apportent la moindre réponse à cette question.

Revenons-y donc.

(ii) « Circonstances extraordinaires » étrangères à la faute du débiteur
a) La controverse et la réponse de la Cour

24.Lors de l'entrée en vigueur du règlement, nous avions soutenu [30] qu'à la lumière du droit belge, l'expression « circonstances extraordinaires » non révélatrices de faute ne recouvre pas d'autre situation que celle déjà rencontrée par le concept de « force majeure ». Certes, le droit belge cantonne le cas de force majeure aux situations imprévisibles et insurmontables. Mais imagine-t-on, sérieusement, qu'une situation prévisible ou/et susceptible d'être conjurée, puisse constituer des « circonstances extraordinaires » exemptes de faute du débiteur... qui a pu les prévoir et les conjurer? Nous suggérions alors que le législateur européen avait sans doute voulu instiller une définition commune de la force majeure (tenant à des circonstances extraordinaires indépendantes du comportement de celui qui les allègue), et de la sorte éviter la disparité des solutions, guidée par des appréciations trop disparates d'une seule et même idée. En bref, nous estimions que l'exigence de l'absence de faute formulée par le texte européen impliquait qu'en droit belge, la notion de « circonstances extraordinaires » devait être appréhendée comme un synonyme de celle de « force majeure » [31].

25.Cette thèse connut quelque succès en jurisprudence, auprès de « believers » [32]. Mais, on le sait (supra, n° 16), elle ne scella pas l'unanimité.

26.Force nous est aujourd'hui d'admettre qu'aux termes de l'arrêt annoté, la Cour de justice, suivant son avocat général Cruz Villalon, lui porte un coup dur, et par là-même pourrait mener à la conclusion que le joueur Belgique est disqualifié du jeu du titre exécutoire européen pour les créances incontestées.

Au point 44 de ses conclusions, l'avocat général Cruz Villalon insiste: « [...] le fait que l'article 19, paragraphe 1, sous b), du règlement TEE utilise côte à côte les catégories 'force majeure' et autres 'circonstances extraordinaires' indépendantes de la volonté du débiteur démontre clairement que cette disposition opère une distinction entre ces deux notions. Il convient donc d'en déduire, selon moi, que le règlement TEE s'oppose à une disposition nationale qui n'admet une prorogation des délais de recours contre une décision relative à une créance incontestée qu'en cas de 'force majeure', sans prévoir d'autres circonstances extraordinaires pouvant empêcher le débiteur, sans qu'il y ait eu faute de sa part, de contester la créance. Cela répond pleinement à l'objectif de ne permettre la certification d'une décision en tant que titre exécutoire européen que si les droits de la défense du débiteur et son droit à un procès équitable sont suffisamment garantis (voir les considérants 10 et 11 du règlement TEE) ».

De manière assez prévisible [33], la Cour l'a suivi sans équivoque, ainsi que cela résulte spécialement du point 40 de l'arrêt annoté: « afin de satisfaire, spécifiquement, aux exigences de l'article 19, 1., sous b), du règlement n° 805/2004, le droit interne doit permettre une telle prorogation des délais de recours tant en cas de force majeure qu'en présence de circonstances extraordinaires indépendantes de la volonté du débiteur, et sans qu'il y ait eu faute de sa part, étant donné que cette disposition opère une distinction entre les deux notions ».

A nouveau (supra, n° 24), on cherche en vain, dans cette motivation, à quoi pourrait concrètement tenir, à l'estime de la Cour et des juges nationaux liés par son arrêt, la différence entre « force majeure » et « autres circonstances extraordinaires » indépendantes de la volonté et exemptes de faute du débiteur.

Mais le propos est clair et il faut s'y tenir.

b) Comment maintenir la Belgique dans le TEE?

27.Vient alors la question capitale: le propos de la Cour compromet-t-il irrémédiablement toute application du règlement (CE) n° 805/2004 par les juges belges?

Selon nous, non.

b.1) Une première (fausse) piste: la levée de forclusion du Règlement (CE) n° 1393/2007

28.Une première planche de salut nous paraît toutefois devoir être exclue: celle de l'assimilation de la levée de forclusion de l'article 19, 4., du règlement (CE) n° 1393/2007 au recours en réexamen requis par l'article 19 du règlement (CE) n° 805/2004.

L'impossibilité de cette (parfaite) assimilation procède, on le sait [34], de ce que les conditions d'octroi de la première sont soit différentes, soit plus restrictives que les conditions justifiant l'allocation du réexamen requis par le second. Rappelons en effet que l'article 19, 4., du règlement (CE) n° 1393/2007 (1) n'accorde le bénéfice de la levée de forclusion qu'au défendeur défaillant; (2) subordonne l'octroi de cette même faveur à la condition supplémentaire que « les moyens du défendeur n'apparaissent pas dénués de tout fondement »; et surtout (3) n'en fait jamais qu'une « faculté » dans le chef du juge saisi de la demande.

Ces divergences de régimes sont à ce point substantielles qu'elles nous amènent à la conclusion que la levée de la forclusion prévue par l'article 19 du règlement (CE) n° 1393/2007 ne peut être assimilée au « réexamen » requis par l'article 19 du règlement (CE) n° 805/2005.

L'assimilation nous paraît d'autant plus improbable que l'appréciation de la juridiction d'origine quant à l'existence d'un recours en « réexamen » doit s'en tenir à une projection fictive du cas concret. On imagine mal que, dans les limites de cette appréciation, la juridiction d'origine puisse s'aventurer à spéculer sur l'usage qui pourrait être fait de la « faculté » abandonnée à la discrétion du juge saisi de la demande de levée de forclusion, ou encore sur le « sérieux » des moyens (lesquels?) que le débiteur pourrait articuler à l'appui de cette demande. Sans compter, de surcroît, que dans toute une série d'hypothèses, les champs d'application des deux règlements ne coïncideront point.

b.2) Une deuxième piste engageante: pour une interprétation extensive et englobante de la « force majeure » par le juge belge

29.Une deuxième piste de solution nous paraît bien plus prometteuse, qui procède de l'insistance avec laquelle l'arrêt annoté [35] (précédé en cela par les conclusions de l'avocat général Cruz Villalon [36]) souligne que c'est au juge national (ici, le juge belge) qu'il appartient souverainement d'estimer, à la lumière de son propre droit, si le recours d'opposition ou d'appel était susceptible de lui être soumis « tant en cas de force majeure qu'en présence de circonstances extraordinaires » étrangères à la faute du débiteur.

Arrêtons-nous à ces motifs martelés par la Cour car ils invitent à une première et fondamentale conclusion.

30.Il s'en déduit en effet que l'arrêt annoté ne condamne en aucune façon la pratique belge du règlement (CE) n° 805/2004, pas plus qu'il ne compromet par lui-même l'applicabilité de cet instrument par les juges belges. Pour le dire crûment, en écho au titre provocateur de cette note, la Cour de justice n'a pas sorti la Belgique du TEE. Si sortie il devait - hélas - y avoir, elle ne pourrait être le fait que des juges appelés à recevoir l'arrêt annoté et à lui donner effet.

Nous lisons ce renvoi insistant au juge national comme une perche tendue en vue d'une interprétation autonome, conciliante, et donc souple de la notion de « force majeure » l'amenant à étendre celle-ci à toutes espèces de circonstances extraordinaires indépendantes de la volonté et étrangères à la faute du débiteur.

Deux solides arguments viennent accréditer cette liberté interprétative que les juges belges pourraient s'arroger pour sauver, de lege lata, l'applicabilité du règlement. Au demeurant, ils se combinent entre eux.

31.On rappelle, tout d'abord qu'il est de principe désormais classique et maintes fois éprouvé [37] que le juge national doit, selon l'expression de la Cour de justice, appliquer le droit interne, « dans toute la mesure du possible, d'une manière qui permette d'en assurer la conformité au droit de l'Union » [38].

Ne relève-t-il pas de l'ordre du possible que les juges belges appréhendent la notion de « force majeure », qui est par nature protéiforme et évolutive, d'une manière suffisamment souple qu'elle puisse satisfaire l'exigence exprimée au dispositif et au point 40 de l'arrêt annoté? Après tout, comme l'écrivait joliment Jacques Heenen, la force majeure n'est pas « l'obstacle à géants imaginé par la doctrine classique » [39]!

32.Une réponse affirmative s'impose d'autant plus aisément - voici le second argument - que ces dernières années ont marqué, dans la jurisprudence de la Cour de cassation, de notables assouplissements dans l'appréciation des conditions constitutives de la force majeure [40].

Songeons par exemple au revirement spectaculaire de sa jurisprudence, amenant la Cour de cassation, sous l'impulsion de la Cour européenne des droits de l'homme, à considérer désormais que la faute de l'huissier de justice, pour autant que ce dernier agisse dans le cadre de son monopole légal [41], constitue un cas de force majeure dans le chef du justiciable qui l'a mandaté [42].

Relevons aussi cet important arrêt que la Cour de cassation a rendu le 13 janvier 2012 [43], et dont il suit que « tout événement remplissant les critères d'imprévisibilité, d'irrésistibilité et d'extériorité de la force majeure peut être invoqué par les justiciables en principe forclos, même lorsque ces événements ne couvrent qu'une partie, éventuellement minime, du délai applicable » [44].

33.A relire les conclusions l'avocat général Cruz Villalon (spéc. au point 31), on perçoit que la position de la Cour a sans doute été influencée par la dénonciation du caractère par trop restrictif de l'appréciation de la force majeure en droit belge.

Mesurant les assouplissements récents et substantiels de la notion de force majeure [45], le juge belge soucieux d'une interprétation conforme de l'article 19 du règlement (CE) n° 805/2004 et de l'arrêt annoté (supra, n° 31), devrait sans difficulté pouvoir se convaincre, en toute souveraineté (supra, n° 30), que l'opposition et l'appel sont aujourd'hui ouverts au débiteur victime, tant d'un cas de force majeure que de toute autre circonstance extraordinaire indépendante de la volonté et étrangère à la faute de l'intéressé.

b.3) De lege ferenda

34.Notre foi en la prospérité de cette voie réparatrice est telle que ce n'est qu'en ordre subsidiaire que nous esquissons ici, de lege ferenda, une seconde manière de réintégrer la Belgique dans le TEE.

Il s'agirait, pour définitivement couper court à toute discussion et ainsi conformer le droit belge aux exigences de l'article 19 du règlement (CE) n° 805/2004, telles que l'arrêt annoté vient les préciser, de relever de caducité ou de redéposer la proposition de loi modifiant le Code judiciaire en ce qui concerne l'introduction d'un titre européen pour les créances incontestées, déposée le 5 décembre 2008.

Ses auteurs avaient suggéré d'insérer dans le Code judiciaire, un article 1147ter (« Réexamen ») qui serait rédigé comme il suit:

« § 1er. En ce qui concerne les décisions judiciaires relatives à des créances incontestées au sens du règlement (CE) n° 805/2004 portant création d'un titre exécutoire européen pour les créances incontestées, le débiteur peut demander le réexamen de la décision auprès de la juridiction qui a rendu la décision sur la base des motifs prévus à l'article 19, alinéa 1er, a) et b), de ce règlement.

§ 2. Si la décision concerne un jugement ou un arrêt, la demande de réexamen est signifiée par exploit d'huissier de justice visé à l'article 1047.

§ 3. La demande de réexamen est introduite:

1° dans les cas prévus à l'article 19, § 1, a), du Règlement (CE) n° 805/2004 portant création d'un titre exécutoire européen pour les créances incontestées, dans le mois qui suit la notification de la décision au débiteur;

2° dans le cas prévu à l'article 19, § 1, b), du Règlement (CE) n° 805/2004 portant création d'un titre exécutoire européen pour les créances incontestées, dans un délai d'un mois après que les motifs qui y sont mentionnés ont cessé d'exister. » [46].

[1] Professeur à l'UCL, professeur invité aux Universités Paris II (Panthéon-Assas) et Saint-Louis - Bruxelles, avocat au barreau de Bruxelles.
[2] Avocat au barreau de Bruxelles, collaborateur scientifique à la KULeuven (Institut de Droit Commercial et d'Insolvabilité).
[3] J.-Fr. Van Drooghenbroeck et S. Brijs, « La pratique judiciaire au défi du titre exécutoire européen », in M. Candela Soriano et G. de Leval (coords.), Espace judiciaire européen. Acquis et enjeux futurs en matière civile, Bruxelles, Larcier, 2007, ici spéc. pp. 229-262.
[4] M.B., 28 octobre 2005, éd. 2, p. 47.402, err., 18 novembre 2005, p. 49.821.
[5] J.-Fr. Van Drooghenbroeck et S. Brijs, Un titre exécutoire européen, Dossiers du J.T., n° 53, Bruxelles, Larcier, 2006, pp. 14 et s., nos 4 et s.
[6] Comp. H. Vanmaldeghem, « Le titre exécutoire européen », Le Trait d'union, 2006, n° 75, 15.
[7] S. Sobrie, « Het Europees burgerlijk procesrecht en de inpassing ervan in de Belgische rechtsorde », in N. Cariat et J.T. Nowak (dirs.), Le droit de l'Union européenne et le juge belge, Bruxelles, Bruylant, 2015, p. 162, n° 21; J.-Fr. Van Drooghenbroeck et S. Brijs, Un titre exécutoire européen, o.c., 110 et s., nos 119 et s. et les réf. citées; P. Gielen, « Guide pratique du titre exécutoire européen », J.J.P., 2008, 309 et s.; Ch. Vanheukelen, « Un titre exécutoire européen. Approche d'un praticien du droit », in Le droit judiciaire en mutation. Hommage à Alphonse Kohl, C.U.P., vol. 95, Liège, Anthemis, 2007, p. 24, n° 24; S. Brijs et J.-Fr. Van Drooghenbroeck, « De afschaffing van het exequatur …», o.c., in Betekenen …, o.c., 153 et s., nos 23 et s.; J.-Fr. Van Drooghenbroeck et S. Brijs, « La pratique judiciaire au défi du titre exécutoire européen », in G. de Leval et M. Candela Soriano (dirs.), Espace judiciaire européen. Acquis et enjeux futurs en matière civile, o.c., 234 et s., nos 23 et s.; P. Gielen, « Le titre exécutoire européen, cinq ans après: rêve ou réalité? », J.T., 2010, 570-571; P. Gielen, « La certification en Belgique d'une décision en tant que titre exécutoire européen » (obs. sous Comm. Nivelles (1re ch.), 1er août 2008), J.L.M.B., 2009, 849; E. Jeuland, o.c., Gaz. Pal., 27-28 mai 2005, doctr., 16 et s.; I. Couwenberg., « Erkenning, exequatur en executie van vonnissen », in B. Allemeersch en T. Kruger (eds.), Handboek Europees burgerlijk procesrecht, Antwerpen-Cambridge, Intersentia, 2015, 171, n° 51; I. Couwenberg, « Brussel I-Vo: Quo vadis exequatur? », in CBR Jaarboek 2012-13, Antwerpen, Intersentia, 2013, 179. Comp. H. Vanmaldeghem, o.c., Le Trait d'union, 2006, n° 75, 14-16; id., « Quelques réflexions en marge au sujet du T.E.E. et de l'indépendance fonctionnelle », Le Trait d'union, 2006, n° 76, 24 et s.
[8] H. Péroz, « Le Règlement CE n° 805/2004 portant création d'un titre exécutoire européen pour les créances incontestées », Journ. dr. intern., 2005, n° 51.
[9] J.-Fr. Van Drooghenbroeck et S. Brijs, Un titre exécutoire européen, o.c., 110 et s., nos 119 et s. et les réf. citées.
[10] Circ. min. du 22 juin 2005, précitée, n° 4; H. Vanmaldeghem, « L'authentification en tant que titre exécutoire pour des créances incontestées », Le Trait d'union, 2005, n° 74, spéc. p. 7.
[11] Adde P. Gielen, o.c., J.T., 2010, 571 et les réf. citées.
[12] Comm. Hasselt (1re ch.), 1er février 2006, R.W., 2007-2008, 1259; J.P. Heist-op-den-Berg, 2 mars 2006, Revue@dipr.be, 2006, 58; Comm. Hasselt, 10 mai 2006, Limb. Rechtsl., 2007, 262; J.P. Tienen, 21 septembre 2006, R.G. n° 2006A545, inédit; J.P. Bruxelles (1er cant.), 14 novembre 2006, J.L.M.B., 2007, 842; J.P. Bruxelles (1er cant.), 14 mars 2007, J.L.M.B., 2007, 1199; Comm. Mechelen (1re ch.), 26 septembre 2007, R.G. n° A071180, inédit; Comm. Bruxelles (25e ch.), 25 novembre 2007, R.G. n° 9597/06, inédit; J.P. Braine-l'Alleud, 2 octobre 2007 (deux espèces), R.G. nos 07A7854 et 07A7855, inédits; J.P. Tournai (2e cant.), 25 janvier 2008, R.G. n° 07A1409, inédit; J.P. Tournai (2e cant.), 26 février 2008, R.G. n° 08A156, inédit; Comm. Bruxelles, 17 janvier 2008, R.G. n° A08/00065, inédit; J.P. Eupen, 19 juin 2008, A.L. n° 08A166; Comm. Nivelles (1re ch.), 7 août 2008, J.L.M.B., 2009, 849, obs. P. Gielen; J.P. Tournai (1er cant.), 19 mars 2008, R.G. n° 08A243; J.P. Eupen, 4 mai 2008, R.G. n° 08A166; Civ. Bruxelles, 13 juillet 2006, R.G. n° 2006/5949/A; J.P. Woluwe-Saint-Pierre, 31 janvier 2007, R.G. n° 07A54, inédit; Civ. Leuven, 12 avril 2007, R.G. n° 07/600/A, inédit; Comm. Mons (1re ch.), 24 juin 2008, R.G. n° A/08/772, inédit; J.P. Bruxelles (2e cant.), 30 octobre 2008, R.G. n° 08A1603, inédit; Comm. Gent (1re ch.), 31 octobre 2008, R.W., 2008-2009, 1097; Comm. Hasselt, 31 octobre 2008, R.W., 2009-2010, 933; Comm. Nivelles (1re ch.), 1er août 2008, J.L.M.B., 2009, 848, obs. P. Gielen; Comm. Brugge (1re ch.), 6 novembre 2008, A.R. n° A/06/01104, inédit (implicite); Civ. Bruxelles (1re ch.), 12 mars 2009, R.G., n° 09/1771/A, inédit; Civ. Bruxelles (1re ch.), 2 avril 2009, J.L.M.B., 2010, 1625, obs. P. Gielen; J.P. Bruxelles (3e cant.), 16 septembre 2009, R.G. n° 09/A/4541; J.P. Bruxelles (1er cant.), 30 juin 2010, R.G. n° 10R1843; J.P. Gent, 23 février 2010, N.J.W., 2011, liv. 234, 29, note A. Vanderhaeghen; Civ. Bruxelles (1re ch.), 16 avril 2013, R.G. n° 13/2985/A, inédit.
[13] J.P. Menen, 12 juillet 2006, R.G. n° 06A922, inédit; J.P. Bruxelles (3e cant.), 14 février 2007, R.G. n° 07A1122, inédit; J.P. Roeselare, 21 septembre 2006, R.G. n° 06A1339, inédit; J.P. Geel, 20 juin 2006, R.G. n° 06A349, inédit; Civ. Kortrijk, 22 mai 2007, R.G. n° 07/800/A, inédit; Comm. Tournai, 26 février 2008, R.G. n° A/08/00129, inédit; J.P. Dour-Colfontaine, 29 février 2008, R.G. n° A0856, inédit; Comm. Neufchâteau, 13 octobre 2009, R.G. n° 235/2009, inédit (estimant que la demande de certification est dépourvue d'intérêt, au sens des art. 17 et 18 du Code judiciaire, au motif qu'elle relève de la compétence du greffier); Comm. Neufchâteau, 29 juin 2010, R.G. n° 172/2010, inédit; Comm. Dendermonde, 13 mai 2008, Revue@dipr.be, 70.
[14] Cons. J.-Fr. Van Drooghenbroeck et S. Brijs, Un titre exécutoire européen, o.c., 104 et s., nos 112 et s. et les réf. citées; Ch. Vanheukelen, « Un titre exécutoire européen. Approche d'un praticien du droit », o.c., 27, n° 31; S. Brijs et J.-Fr. Van Drooghenbroeck, « De afschaffing van het exequatur … », o.c., in Betekenen …, o.c., 157 et s., nos 28 et s.; I. Couwenberg, « Erkenning, exequatur en executie van vonnissen », in B. Allemeersch en T. Kruger (eds.), Handboek Europees burgerlijk procesrecht, Antwerpen-Cambridge, Intersentia, 2015, 171, n° 51.
[15] J.-Fr. Van Drooghenbroeck et S. Brijs, Un titre exécutoire européen, o.c., 90 et s., nos 98 et s. et les réf. citées.
[16] Voy. Cass., 7 novembre 2014, Pas., 2014, n° 683.
[17] Ch. Vanheukelen, « Un titre exécutoire européen. Approche d'un praticien du droit », o.c., 27, n° 31; proposition de loi modifiant le Code judiciaire en ce qui concerne l'introduction d'un titre européen pour les créances incontestées (déposée le 5 décembre 2008 par Mme Carina Van Cauter et consorts, Doc. parl., Chambre, sess. ord. 2008-2009, Doc. 52-1646/001), suggérant notamment, et à juste titre, d'insérer dans le Code judiciaire un article 1026/2, dont le § 2 prévoit que la demande de certification peut être formulée dès l'acte introductif d'instance. Au sujet de cette proposition de loi, voy. infra, n° 34.
[18] J.-Fr. Van Drooghenbroeck et S. Brijs, Un titre exécutoire européen, o.c., 169 et s., nos 188 et s. et les réf. citées; P. Gielen, « Guide pratique du titre exécutoire européen », o.c., J.J.P., 2008, 318 et s.; S. Brijs et J.-Fr. Van Drooghenbroeck, « De afschaffing van het exequatur … », o.c., in Betekenen …, o.c., 164 et s., nos 41 et s.; Ch. Vanheukelen, « Un titre exécutoire européen. Approche d'un praticien du droit », o.c., 29 et s.; P. Gielen, « Le titre exécutoire européen: état des lieux », o.c., D.C.C.R., 2008, 55 et s.; P. Gielen, « Le titre exécutoire européen, cinq ans après: rêve ou réalité? », J.T., 2010, 572; P. Gielen, « Le problème de l'applicabilité du Règlement (CE) n° 805/2004 en Belgique » (obs. sous Civ. Bruxelles (1re ch.), 2 avril 2009), J.L.M.B., 2010, spéc. pp. 1628 et s.; P. Gielen et E. Vanneste, « Le réexamen dans des circonstances exceptionnelles et son application en droit belge » (note sous Liège (div. Liège), 5 mai 2014), Rev. huissiers, 2015, pp. 9 et s.
[19] J.P. Bruxelles (1er cant.), 14 mars 2007, J.L.M.B., 2007, 1199; J.P. Heist-op-den-Berg, 2 mars 2006, Revue@dipr.be, 2006, n° 1, 58; J.P. Asse, 4 septembre 2006, R.G. n° 06A594; J.P. Heist-op-den-Berg, 5 octobre 2006, R.G. n° 06A645; J.P. Woluwe-Saint-Pierre, 31 janvier 2007, R.G. n° 07A54, inédit; J.P. Bruxelles (1er cant.), 14 novembre 2006, J.L.M.B., 2007, 842; Comm. Mechelen, 26 septembre 2007, R.G. n° A/07/1180, inédit; Civ. Louvain, 12 avril 2007, R.G. n° 07/600/A, inédit; Comm. Bruxelles, 16 novembre 2007, R.G. n° 9597/06, inédit; J.P. Tournai (2e cant.), 15 janvier 2008, R.G. n° 07/A/1409, inédit; Comm. Nivelles, 17 janvier 2008, R.G. n° A/08/00065, inédit; J.P. Tournai (2e cant.), 26 février 2008, R.G. n° 08A156, inédit; J.P. Tournai (1er cant.), 19 mars 2008, R.G. n° 08A243, inédit; Comm. Nivelles, 7 août 2008, inédit; Comm. Mechelen, 24 septembre 2008, R.G. n° A/08/1262; J.P. Bruxelles (2e cant.), 30 octobre 2008, R.G. n° 08/A1603, inédit; Comm. Gent (1re ch.), 31 octobre 2008, R.W., 2008-2009, 1097; J.P. Gent, 23 février 2010, N.J.W., 2011, liv. 234, 29, note A. Vanderhaeghen; Comm. Liège (6e ch.), 5 mai 2014, D.A.O.R., 2015, 119; Rev. huissiers, 2015, p. 9, note P. Gielen et E. Vanneste. Adde les nombreuses décisions qui, tout en délivrant le certificat requis par le demandeur, considèrent implicitement mais certainement que le droit belge satisfait aux exigences de l'article 19.
[20] Civ. Bruxelles (1re ch.), 16 avril 2013, R.G. n° 13/2985/A, inédit; Comm. Hasselt (1re ch.), 18 mai 2011, R.G. n° 11/1458, inédit; Civ. Bruxelles (1re ch.), 2 avril 2009, J.L.M.B., 2010, 1625, obs. P. Gielen; Civ. Bruxelles (1re ch.), 12 mars 2009, R.G. n° 09/1771/A; Comm. Hasselt, 3 février 2010, R.G. n° 09/3469, inédit; Comm. Louvain (4e ch.), 30 septembre 2010, R.G. n° 2009/1717; Comm. Antwerpen (6e ch.), 2 avril 2008, R.G. n° 08/2025, inédit; Comm. Hasselt, 22 octobre 2008, R.W., 2009-2010, 933; Comm. Hasselt (1re ch.), 1er février 2006, Revue@dipr.be, 2006, n° 1, 53 et s.; Comm. Hasselt (1re ch.), 10 mai 2006, Limb. Rechtsl., 2007, 262, note; Comm. Louvain (1re ch.), 30 mai 2006, R.G. n° A/06/788, inédit; Civ. Bruxelles (2e ch.), 13 juillet 2006, R.G. n° 2006/5949A, inédit; Comm. Mechelen, 15 novembre 2006, R.G. n° A/06/1534, inédit; Comm. Bruxelles, 24 janvier 2007, R.G. n° 186/2007, inédit.
[21] Comp. S. Sobrie, « Het Europees burgelijk procesrecht en de inpassing ervan in de Belgische rechtsorde », in N. Cariat et J.T. Nowak (dirs.), Le droit de l'Union européenne et le juge belge, Bruxelles, Bruylant, 2015, pp. 159-161, nos 19-20. L'auteur fait état d'une controverse suscitée par l'article 19 du règlement, mais selon nous n'aperçoit pas que cette controverse porte essentiellement sur le point précis - tranché par l'arrêt annoté - de la dualité - ou de l'unicité - des hypothèses de la « force majeure » et des « circonstances extraordinaires » indépendantes de la volonté du débiteur.
[22] Sur les différences de régime, les avantages et inconvénients respectifs, du règlement (CE) n° 805/2004 et du règlement (CE) n° 1215/2012 dit « Bruxelles Ibis », voy. l'excellente démonstration d'A. Berthe, « L'impact du Règlement Bruxelles Ibis sur les Règlements T.E.E., I.P.E. et R.P.L. », in E. Guinchard (dir.), Le nouveau règlement Bruxelles Ibis, Bruxelles, Bruylant, 2014, 312-313: « Il se dégage de ce qui précède que les conditions et contrôles imposés en amont du passage de la frontière sont bien moindres lorsque celui-ci a lieu sur la base du Règlement Bruxelles Ibis qu'en présence du T.E.E. Sous cet angle, les choses apparaissent bien plus simples avec le nouveau règlement. Cependant, les considérations relatives à l'accessibilité, le coût, la célérité et la sécurité qui dictent généralement le choix du créancier dans l'instrument de recouvrement de prendre en compte tout le processus de passage de la frontière jusqu'à l'exécution effective de la décision. En termes de coût et de célérité de la procédure, indéniablement liés aux observations formulées ci-après, il convient de souligner que si le Règlement Bruxelles Ibis constitue une réelle avancée au regard du Règlement Bruxelles I en raison de la suppression de la procédure d'exequatur, reconnue comme étant une source de retard importante dans l'exécution de la décision, il n'en reste pas moins que le T.E.E. présente, lorsqu'il est obtenu simultanément à la décision au fond, une rapidité et une efficacité incontestables. La demande de T.E.E. devrait être formulée de façon systématique dans l'acte introductif lorsque les conditions apparaissent réunies. Par voie de conséquence, seules les hypothèses où la décision n'a pas été certifiée T.E.E. concomitamment à son prononcé nous semblent de nature à susciter la réflexion du créancier quant au choix de l'instrument. Le T.E.E. présente, pour le créancier, une sécurité que l'on ne retrouve pas dans le Règlement Bruxelles Ibis. Une décision une fois certifiée T.E.E. traversera les frontières sans que le créancier n'ait à craindre une ultime opposition à la mise en oeuvre de son droit, dans un Etat où les rouages juridiques et judiciaires lui sont très souvent totalement étrangers. Seules des circonstances exceptionnelles peuvent justifier le réexamen de la décision, qui ne peut être demandé que dans l'Etat d'origine. Un tel recours nécessitant de la part du débiteur un déplacement dans un autre Etat forme de toute évidence un obstacle aux demandes dilatoires. Enfin, l'exécution de la décision certifiée C.E.E. ne sera entravée qu'à la demande du débiteur dans l'Etat d'exécution dans l'hypothèse très restreinte de l'article 21 (incompatibilité), et de manière temporaire, sur appréciation du juge, dans celle de l'article 23 du règlement (recours, rectification ou retrait). En synthèse, dans le T.E.E., la phase essentielle a lieu devant la juridiction d'origine, de sorte que la crainte de l'inconnu n'existe en principe pas. A cela s'ajoute la possibilité pour le juge saisi d'une demande de refus d'exécution sur la base du Règlement Bruxelles Ibis de suspendre parallèlement les voies d'exécution jusqu'au prononcé de sa décision, décision pour laquelle le règlement n'impose aucun terme précis. » A la comparaison proposée par cette auteure il est encore permis d'ajouter, selon nous, la possibilité de certifier - à certaines conditions - une décision sur requête unilatérale en vertu du règlement (CE) n° 805/2004, tandis que l'article 2, a), alinéa 2, du Règlement « Bruxelles Ibis » l'exclut désormais. Quant aux actes authentiques, notariés en particulier, on a pu, à juste titre, parler de « suprématie » du TEE (sur le Règlement Bruxelles Ibis, en particulier): voy. C. Nourissat, « Les actes authentiques et le Règlement Bruxelles Ibis », in E. Guinchard (dir.), Le nouveau règlement Bruxelles Ibis, Bruxelles, Bruylant, 2014, 279 et s.
[23] J.-Fr. Van Drooghenbroeck et S. Brijs, Un titre exécutoire européen, o.c., pp. 174 et s., nos 194 et s.
[24] P.M.M. van der Grinten, T.C.R., 2005, 79 et s.; proposition de règlement du Conseil portant création d'un titre exécutoire européen pour les créances incontestées, o.c. (note 3), exposé des motifs, pt. 3 (« analyse article par article »).
[25] Adde S. Sobrie, « Het Europees burgelijk procesrecht en de inpassing ervan in de Belgische rechtsorde », in N. Cariat et J.T. Nowak (dirs.), Le droit de l'Union européenne et le juge belge, Bruxelles, Bruylant, 2015, p. 159, n° 19.
[26] X. Taton et G. Eloy, « La force majeure en droit de la procédure: un moyen au secours des justiciables forclos? », in I. Bouioukliev (dir.), La force majeure. Etat des lieux, Limal, Anthemis, 2013, pp. 135 et s.; A. Decroës, « Délais de recours et force majeure », J.T., 2013, 495 et s.; Cass., 25 juin 1956, Pas., 1956, I, p. 1176; Cass., 9 octobre 1986, Pas., 1987, I, p. 153; Cass., 20 octobre 1983, Pas., 1984, I, n° 101; Cass., 9 octobre 1980, Pas., 1981, I, p. 155; Cass., 1er juin 1988, Pas., 1988, I, n° 605; Cass., 30 avril 2002, R.G. n° P.00.1617.N; Cass., 21 mai 2003, R.G. n° P.03.0699.F; Cass., 9 novembre 2011, J.T., 2011, 773, Concl. Av. gén. D. Vandermeersch. Adde, la note remarquable de W.G. sous Cass., 24 janvier 1974, Pas., 1974, I, p. 553.
[27] M.B., 19 mai 2014, p. 39.863.
[28] Doc. parl., Chambre, sess. ord. 2013-2014, n° 3356/001, p. 19.
[29] S. Sobrie, « Het Europees burgelijk procesrecht en de inpassing ervan in de Belgische rechtsorde », in N. Cariat et J.T. Nowak (dirs.), Le droit de l'Union européenne et le juge belge, Bruxelles, Bruylant, 2015, p. 161, n° 20 in fine.
[30] J.-Fr. Van Drooghenbroeck et S. Brijs, Un titre exécutoire européen ..., o.c., ici spéc. p. 177, n° 197.
[31] Idem. Adde P. Gielen et E. Vanneste, « Le réexamen dans des circonstances exceptionnelles et son application en droit belge » (note sous Liège (div. Liège), 5 mai 2014), Rev. huissiers, 2015, pp. 9 et s.
[32] Selon l'expression imagée et enthousiaste de notre ami le regretté Charles Vanheukelen (o.c., p. 38, n° 50).
[33] Voy. en effet, son ordonnance du 21 mars 2013 dans l'affaire Novontech-Zala, à propos des dispositions jumelles du règlement (CE) n° 1896/2006 instituant une procédure européenne d'injonction de payer: « En effet, comme il ressort du libellé de l'article 20, 1., sous b), du règlement no 1896/2006, afin que le défendeur soit fondé à demander le réexamen de l'injonction de payer européenne en vertu de cette disposition, il est nécessaire, à défaut d'un cas de force majeure, que trois conditions cumulatives soient remplies, à savoir, premièrement, la présence de circonstances extraordinaires en raison desquelles le défendeur a été empêché de contester la créance dans le délai prévu à cet effet, deuxièmement, l'absence de faute de la part du défendeur et, troisièmement, la condition que ce dernier agisse promptement. Le fait que l'une de celles-ci n'est pas remplie fait obstacle à ce que le défendeur puisse utilement soutenir qu'il satisfait aux conditions prévues à cette disposition. » (C.J.U.E (3e ch.), 21 mars 2013, C-324/12, Novontech-Zala, ici spéc. § 24; nous soulignons).
[34] Voy. nos plus amples développements in J.-Fr. Van Drooghenbroeck et S. Brijs, Un titre exécutoire européen, o.c., p. 151, n° 168bis, p. 161, n° 179bis et p. 179, n° 198bis. Comp. Ch. Vanheukelen, o.c., 38, n° 50.
[35] Outre le point 2 du dispositif, voy. les motifs exposés au point 41.
[36] Spéc. les points 34, 35 et 44.
[37] Voy. la récente étude de J. van Meerbeeck, « Le droit de l'Union européenne devant les juridictions de l'ordre judicaire », in N. Cariat et J.T. Nowak (dirs.), Le droit de l'Union européenne et le juge belge, Bruxelles, Bruylant, 2015, pp. 203 et s., nos 28 et s.
[38] Sur ce principe, précisément en lien avec nos questions de droit judiciaire européen, cons. M.-E. Storme, « De verhouding tussen de Europese procesrechtelijke verordeningen (in het bijzonder geringe vorderingen) en het interne Belgische procesrecht », Ius & actores, 2009, pp. 30-31; S. Sobrie, « Het Europees burgerlijk procesrecht en de inpassing ervan in de Belgische rechtsorde », in N. Cariat et J.T. Nowak (dirs.), Le droit de l'Union européenne et le juge belge, Bruxelles, Bruylant, 2015, p. 161, n° 20.
[39] J. Heenen, « La responsabilité du transporteur maritime et la notion de force majeure » (note sous Cass., 13 avril 1956), R.C.J.B., 1957, p. 87, n° 5.
[40] Pour plus de détails sur cette tendance, voy. les excellentes études de X. Taton et G. Eloy, « La force majeure en droit de la procédure: un moyen au secours des justiciables forclos? », in I. Bouioukliev (dir.), La force majeure. Etat des lieux, Limal, Anthemis, 2013, pp. 135 et s.; A. Decroës, « Délais de recours et force majeure », J.T., 2013, pp. 495 et s.
[41] Cass., 21 décembre 2012, Pas., 2012, n° 709.
[42] Cass., 9 novembre 2011, J.T., 2011, 773, Concl. Av. gén. D. Vandermeersch.
[43] Cass., 13 janvier 2012, Pas., 2012, I, p. 108, Concl. prem. av. gén. A. Henkes.
[44] X. Taton et G. Eloy, « La force majeure en droit de la procédure: un moyen au secours des justiciables forclos? », in I. Bouioukliev (dir.), La force majeure. Etat des lieux, Limal, Anthemis, 2013, p. 158, n° 39.
[45] L'extension dont l'article 71 du Code pénal fait l'objet invite lui aussi, par analogie à cette interprétation conforme et conciliante. En effet, alors que cette disposition n'accorde le bénéfice de la cause de justification qu'à la « démence » et la « force majeure », la doctrine puis la Cour de cassation (voy. Cass., 21 mars 1979, R.C.J.B., 1982, p. 141, note J. Verhaegen, « L'acte de sauvegarde inadéquat et ses conséquences pénales et civiles », et de façon définitive, Cass., 13 mai 1987, R.C.J.B., 1989, p. 593, note A. De Nauw, « La consécration jurisprudentielle de l'état de nécessité »; en France, voy. déjà Cass. (crim.), 25 juin 1958, R.D.S., 1958, p. 693) ont tôt fait d'y assimiler l'état de nécessité.
[46] Proposition de loi modifiant le Code judiciaire en ce qui concerne l'introduction d'un titre européen pour les créances incontestées, déposée le 5 décembre 2008 par Mme Carina Van Cauter et consorts, Doc. parl., Chambre, sess. ord. 2008-2009, Doc. 52-1646/001.