Article

Funding loss : status quo ?, R.D.C.-T.B.H., 2017/8, p. 887-889

PRÊT
Généralités - Crédit d'investissement - Interdiction de remboursement volontaire - Demande de remboursement anticipé - Accord moyennant paiement d'une indemnité - Limitation
La limitation à 6 mois d'intérêts calculés sur la somme remboursée au taux fixé par la convention s'applique à toute indemnité réclamée par le prêteur en cas de remboursement anticipé total ou partiel d'un prêt à intérêt. Viole l'article 1907bis du Code civil l'arrêt qui écarte l'application de cette disposition légale au motif que le remboursement anticipé n'était pas permis par le contrat de prêt.
LENING
Algemeen - Investeringskrediet - Verbod tot vrijwillige teruggave - Verzoek om vervroegde terugbetaling - Overeenkomst tegen betaling van een vergoeding - Beperking
De beperking tot 6 maanden berekend over de terugbetaalde som en naar de in de overeenkomst bepaalde rentevoet geldt voor elke vergoeding die wordt gevorderd door de geldschieter in geval van vervroegde gehele of gedeeltelijke terugbetaling van een lening op interest. Schendt artikel 1907bis van het Burgerlijk Wetboek het arrest welke de toepassing van deze wettelijke bepaling uitsluit om reden dat vervroegde terugbetaling niet toegelaten was door de leningsovereenkomst.
Funding loss: status quo?
Marc-David Weinberger [1]

L'arrêt rendu par la Cour de cassation le 24 novembre 2016 procède-t-il à une redistribution complète de la donne juridique en matière d'indemnités de réinvestissement dans le cadre des crédits non réglementés?

Une lecture hâtive de cette décision pourrait conduire à penser que la Haute Juridiction aurait confirmé l'application de l'article 1907bis du Code civil à toutes les indemnités généralement quelconques réclamées par les prêteurs en cas de remboursement anticipé d'un prêt, d'un crédit ou d'une ouverture de crédit.

Certes, la Cour de cassation s'est prononcée sur l'étendue du champ d'application de l'article 1907bis du Code civil, mais sans pour autant trancher la question de la distinction entre le prêt et l'ouverture de crédit et l'application à cette dernière institution de la disposition légale en cause [2].

Si elle censure l'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 24 avril 2015, parce qu'« en décidant que l'indemnité réclamée ne devait pas être soumise à la limitation du plafond instauré par l'article 1907bis du Code civil au motif qu'aucun remboursement total ou partiel n'était autorisé, [cet arrêt] viole la disposition légale précitée », c'est après avoir rappelé que la limitation prévue par cette disposition légale s'applique à toute indemnité réclamée par un prêteur en cas de remboursement anticipé total ou partiel d'un prêt à intérêt.

De la sorte, la Cour de cassation a fait précisément droit au moyen qui lui était présenté, dénonçant une violation de l'article 1907bis du Code civil au motif que cette disposition légale s'applique à toute indemnité générée par le remboursement anticipé d'un prêt, qu'elle soit stipulée d'emblée dans le contrat de prêt ou qu'elle soit réclamée ultérieurement, soit que le contrat de prêt ne prévoie rien à cet égard, soit encore qu'il interdise le remboursement anticipé. Partant, la (seule) considération que le remboursement anticipé n'était pas autorisé par le contrat ne permettait effectivement pas aux juges d'appel d'en écarter légalement l'application.

En cela, l'arrêt du 24 novembre 2016 confirme l'analyse déjà livrée dans un arrêt du 24 juin 2013 [3] et défendue par Mme. Biquet-Mathieu, à laquelle s'était progressivement ralliée une importante jurisprudence [4].

Toujours est-il que la Cour de cassation a statué dans le cadre, balisé par les constatations de l'arrêt attaqué, d'une opération de « crédit » qui n'était pas autrement qualifiée que sous sa dénomination conventionnelle de « crédit d'investissement » [5], l'arrêt attaqué n'ayant, par aucun de ses motifs (du moins ceux critiqués par le pourvoi) considéré qu'il s'agissait d'une ouverture de crédit plutôt que d'un prêt à intérêt [6], ou vice versa.

D'ailleurs, le mémoire en réponse déposé par la défenderesse en cassation opposait au moyen dénonçant une violation de l'article 1907bis du Code civil une fin de non-recevoir, soutenant que la thèse de la demanderesse en cassation fut-elle fondée, la Cour de cassation pouvait substituer au motif erroné (décrit ci-dessus) le motif que le crédit d'investissement en cause était une ouverture de crédit et que, par conséquent, l'article 1907bis du Code civil ne s'y appliquait de toute façon pas.

La Cour de cassation rejette cependant la substitution de motifs proposée, observant que « l'arrêt ne constate pas que le crédit d'investissement souscrit par la demanderesse est, non un prêt, mais une ouverture de crédit ».

Cette solution se justifie, dès lors qu'il ne peut y avoir de substitution de motifs que si le motif substitué est de « pur droit », c'est-à-dire qu'il ne s'applique qu'à des faits constatés par les juges du fond sans faire appel à d'autres constatations ou appréciations nouvelles [7], auxquelles la Cour de cassation ne pourrait (être amenée à) se livrer, à défaut de pouvoir connaître du fond de la cause portée devant elle [8].

De là découle également la confirmation d'un autre enseignement.

Il semble pouvoir se déduire de cette décision que, dès lors qu'elle épouse les caractéristiques essentielles de l'avance de fonds, à savoir un concours financier isolé, immédiatement réalisé, en une fois [9], l'opération dénommée « crédit d'investissement » peut être légalement qualifiée de prêt d'argent au sens du Code civil.

Cette thèse n'est pas nouvelle, puisqu'il est constant que le contrat de crédit d'investissement n'est ni nommé, ni réglementé comme tel, et est par conséquent susceptible de revêtir la forme du prêt civil [10].

C'est plutôt dans la généralité de la solution qu'il indique, quant à la nature ou à l'objet des indemnités visées par l'article 1907bis du Code civil, que git l'apport le plus important de l'arrêt du 24 novembre 2016 pour la pratique.

Ainsi qu'il ressort des motifs épinglés par l'arrêt, la cour d'appel avait pris soin de relever que la banque était contractuellement en droit de solliciter le paiement d'une « indemnité de remploi actuarielle », tant « pour renoncer à exiger la poursuite du contrat » que pour « l'indemniser de la perte qu'elle estimait subie, outre toutes autres considérations qu'elle estimait utiles pour admettre la renonciation au terme du contrat », de sorte que l'indemnité litigieuse n'était pas « malgré les termes utilisés par les parties, […] une indemnité de remploi sensu stricto qui est celle due dans l'hypothèse où les parties ont convenu d'une possibilité de résiliation par l'emprunteur du contrat souscrit, voire d'une indemnité de funding loss, si tant est qu'il faille lui donner un sens différent », et que, « même si le résultat apparaît être le même (paiement d'une somme), il n'en demeure pas moins que sa cause est différente ».

L'arrêt attaqué était allé plus loin, en considérant que l'indemnité postulée par la banque était une somme qui était destinée à valoriser financièrement, aux yeux de cette dernière, d'une part, « une renégociation du contrat en ce qu'elle acceptait dorénavant le principe de la résiliation anticipée d'un contrat à durée fixe convenu au départ comme non remboursable par anticipation sur une base volontaire et, d'autre part, ce qu'elle estimait lui être ainsi dû ». Il avait décidé, sur cette base, qu'étaient dépourvus de pertinence les développements consacrés par les conclusions des parties à la nature de l'indemnité de remploi ou de l'indemnité de funding loss et que le dédommagement convenu n'était pas une clause pénale.

Ainsi, la qualification de l'indemnité importait peu, ce que confirme implicitement l'arrêt du 24 novembre 2016 en accueillant le moyen qui, lui-même, ne prônait aucune qualification particulière (voy. aussi l'arrêt de la cour d'appel de Liège du 16 mars 2017, publié ci-après).

L'on croit dès lors pouvoir conclure qu'en précisant que la limitation instaurée par l'article 1907bis du Code civil s'applique à « toute » indemnité réclamée par le prêteur en cas de remboursement anticipé total ou partiel d'un prêt à intérêt - tandis que le texte de cette disposition ne recourt qu'à la notion « d'indemnité de remploi » -, la Cour de cassation fait entrer dans le champ d'application de cette disposition toutes les indemnités conventionnelles dont la débition est provoquée par le remboursement anticipé (total ou partiel) d'un prêt, quelles qu'en soient la nature, la qualification ou la « cause ».

Il s'ensuivrait que sont incluses dans la notion d'indemnité de remploi, au sens de l'article 1907bis du Code civil, notamment les indemnités conçues comme la contrepartie d'une renégociation du contrat de prêt à intérêt ou la renonciation par le prêteur à l'interdiction stipulée du remboursement anticipé, total ou partiel, du prêt. Seuls échapperaient encore au plafond de l'article 1907bis du Code civil les dommages et intérêts sanctionnant la pure violation du contrat de prêt dans l'hypothèse - sans doute théorique - où l'emprunteur « forcerait » un remboursement anticipé à l'encontre d'une clause l'interdisant et sans l'accord du prêteur.

[1] Avocat au Barreau de Bruxelles, collaborateur scientifique auprès de l'Unité de droit économique du Centre de droit privé de l'Université libre de Bruxelles.
[2] Sur cette question, voy. « Funding loss … in translation », Dr. banc. fin., 2014/I-II, pp. 3 à 29; C. Alter et L. Van Muylem, « Article 1907bis du Code civil et (re)qualification de l'ouverture de crédit », R.D.C., 2015/2, pp. 193-197; D. Blommaert et J. Vannerom, « De geldlening op interest en de niet-wederopneembare kredietopening: verwant of toch verschillend? Mijmeringen bij het standpunt van het Grondwettelijk Hof », Liber Amicorum François Glansdorff et Pierre Legros, Bruxelles, Bruylant, 2014; D. Verhaegen et D. Purnal, « De vervroegde terugbetaling van commerciële kredieten: de 'funding loss'-vergoeding revisited », Liber Amicorum Achilles Cuypers, Bruxelles, Larcier, 2009; K. Troch, « De wederbeleggings- en 'funding loss'-vergoeding bij vervroegde terugbetaling van commerciële kredieten met bepaalde duur », T. Fin. R., 2002/4.
[3] Dr. banc. fin., 2014/I-II, p. 46.
[4] C. Biquet-Mathieu, « L'article 1907bis limite l'indemnité de remploi à six mois d'intérêts en cas de remboursement anticipé », R.G.D.C., 2007, p. 634; Liège, 10 septembre 2013, Dr. banc. fin., 2014/I-II, p. 59; Bruxelles, 2 mars 2012, Dr. banc. fin., 2014/I-II, p. 47 et les références citées par cet arrêt; Bruxelles, 27 septembre 2012, Dr. banc. fin., 2014/I-II, p. 53; Comm. Liège, 20 janvier 2016, J.L.M.B., 2016/11, p. 508.
[5] Il s'agissait en l'occurrence d'un contrat de crédit qui prévoyait, d'une part, un crédit roll over et, d'autre part, un crédit d'investissement remboursable par mensualités sur 15 ans.
[6] Dont nul ne conteste qu'il entre dans les prévisions de l'art. 1907bis du Code civil.
[7] G. Pluyette, « La cassation, voie d'achèvement du procès? », www.courdecassation.fr; Cl. Parmentier, Comprendre la technique de cassation, Larcier, 2003, p. 143.
[8] Une substitution de motifs pourrait certes découler de constatations de fait contenues ailleurs que dans la décision attaquée, mais il semble qu'en ce cas, les éléments de fait énoncés par la décision attaquée ne pourraient être contredits, à moins qu'ils soient, eux aussi, critiqués avec succès - R.P.D.B., v° Pourvoi en cassation en matière civile, nos 320 et 408.
[9] Par opposition à l'ouverture de crédit qui organise et précède des concours financiers variés, cf. R. Henrion, Aspects juridiques et économiques du crédit à court terme, Université de Bruxelles, 1968, pp. 97 à 101.
[10] Voy. J. Cattaruzza, « Le crédit bancaire », GU.J.E., suppl. 107, 2015, n° 060 (note n° 1) et 150; adde C. Biquet-Mathieu, « L'article 1907bis limite l'indemnité de remploi à six mois d'intérêts en cas de remboursement anticipé », R.G.D.C., 2007, p. 633; Liège, 28 janvier 2010, R.G.D.C., 2010, p. 479.