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Pratiques du marché déloyales par des organes – Action en cessation contre l'organe ou la société ?, R.D.C.-T.B.H., 2017/9, p. 1002-1003

ASTREINTE
Imputabilité - Organe - Action en cessation - Pratiques du marché déloyales à l'égard d'autres que les consommateurs
L'organe d'une personne morale qui agit, dans les limites de ses attributions, pour le compte de la personne morale s'identifie à celle-ci. L'acte ainsi accompli par un organe, qu'il s'agisse d'un acte juridique ou d'un acte purement matériel liés à l'activité de la personne morale, comme un acte contraire aux pratiques honnêtes du marché, est imputable directement à la personne morale elle-même. L'action en cessation fondée sur les articles VI.97, VI.100, VI.104 et VI.105, 1° et 2° du Code de droit économique vise exclusivement les pratiques ou actes commis par des entreprises et est donc non fondée si elle est dirigée contre la personne lorsque celle-ci agit comme organe.
Un ordre de cessation a une durée illimitée, sauf s'il prévoit expressément le contraire. Lorsque la législation sous-jacente à un ordre de cessation est ultérieurement modifiée, c'est la théorie de l'actualité du titre qui trouvera application et qui déterminera si l'ordre continue ou non à sortir ses effets, sous le contrôle du juge des saisies. Il n'y a donc pas lieu de préciser expressément dans un ordre de cessation que celui-ci ne vaut qu'aussi longtemps que les dispositions légales sous-jacentes ne sont pas modifiées.
Dans la détermination du montant de l'astreinte, il est tenu compte de la difficulté de constater chacune des éventuelles infractions. Il faut donc en fixer le montant à un niveau suffisamment élevé pour qu'il ne soit pas économiquement rationnel pour les parties condamnées d'enfreindre délibérément l'ordre de cessation en comptant sur la probabilité de ne pas être pris.
DWANGSOM
Toerekening - Orgaan van rechtspersoon - Vordering tot staking - Oneerlijke praktijken jegens anderen dan consumenten
De natuurlijke persoon-orgaan van de rechtspersoon die binnen de grenzen van zijn functie handelt voor rekening van de rechtspersoon, moet ermee worden geïdentificeerd. Zijn daden zijn rechtstreeks toerekenbaar aan de rechtspersoon, of het een rechtshandeling of een feitelijke handeling betreft, zoals een daad die strijdig is met de eerlijke handelsgebruiken. De vordering tot staking die steunt op de artikelen VI.97, VI.100, VI.104 et VI.105, 1° en 2° WER heeft uitsluitend betrekking op daden gepleegd door ondernemingen en is dus ongegrond indien zij gericht is tegen een persoon als deze handelt als orgaan.
Een stakingsbevel heeft een onbeperkte duur, tenzij indien het anders bepaalt. Als de aan het bevel onderliggende wetgeving later wordt gewijzigd, zal de theorie van de actualiteit van de titel toepassing vinden en bepalen of het bevel nog uitwerking heeft of niet, onder controle van de beslagrechter. Het stakingsbevel hoeft dus niet te preciseren dat het slechts geldt zolang de onderliggende wetgeving ongewijzigd is.
Bij de bepaling van het bedrag van de dwangsom dient rekening te worden gehouden met de moeilijkheidsgraad om elk van de eventuele inbreuken vast te stellen. Het bedrag moet dus voldoende hoog zijn opdat het economisch niet redelijk zou zijn voor de veroordeelde partijen om opzettelijk het bevel te schenden, rekenend op de waarschijnlijkheid dat men niet zal worden gevat.

Pratiques du marché déloyales par des organes - Action en cessation contre l'organe ou la société?
Olivier Vanden Berghe [1]

Dans les deux arrêts reproduits partiellement ci-dessus, la cour d'appel de Bruxelles se prononce sur ce que la presse a qualifié de «  guerre des transporteurs » à la gare du Midi à Bruxelles. FlibTravel, qui offre des services de navettes en autocar entre la gare du Midi et l'aéroport de Charleroi, demandait la cessation d'agissements de chauffeurs de taxis qui accostent de façon organisée des voyageurs qui sortent de la gare du Midi et se dirigent vers les autocars, en leur proposant plutôt de faire le trajet en taxi-camionnette, chaque taxi attendant d'être complet, c'est-à-dire d'avoir rassemblé 7 ou 8 passagers, avant de démarrer. Sur base de constats d'huissiers et de rapports de détectives privés, la cour considère que ces agissements sont avérés et qu'ainsi les taxis violent les interdictions légales contenues dans la réglementation applicable aux services de taxis dans la Région de Bruxelles-Capitale, telle l'interdiction de mettre à disposition des passagers des places individuelles plutôt que la totalité du véhicule, l'interdiction de prédéterminer la destination plutôt que de laisser le client fixer celle-ci, et l'interdiction de racoler des clients.

Avant de constater l'infraction, la cour d'appel a souhaité vérifier si la législation invoquée par FlibTravel ne violait pas le droit européen. Elle a demandé à la Cour de justice de l'Union européenne si l'article 96, 1., du TFUE, qui interdit d'appliquer «  aux transports exécutés à l'intérieur de l'Union, des prix et conditions comportant tout élément de soutien ou de protection dans l'intérêt d'une ou de plusieurs entreprises ou industries particulières » pouvait s'appliquer aux services de taxi lorsque par exemple les courses en taxi litigieuses ne sont, pour le passager, qu'une étape d'un voyage plus long dont le point d'arrivée ou le point de départ se situent dans un autre pays de l'Union. Dans son arrêt du 15 mars 2017, la Cour de justice répond que « l'article 96, 1., TFUE doit être interprété en ce sens qu'il ne s'applique pas à des restrictions imposées aux opérateurs de taxis, telles que celles en cause au principal ». La cour d'appel décide que les agissements des chauffeurs de taxis violent les dispositions légales et constituent donc, en vertu de l'article Vl.104 du Code de droit économique, des actes contraires aux pratiques honnêtes du marché, portant atteinte aux intérêts professionnels de FlibTravel.

La Cour se penche toutefois sur la question de l'imputabilité de ces agissements, dès lors que certains chauffeurs concernés travaillent en tant qu'indépendants mais sont par ailleurs gérants ou associés des personnes morales dont l'objet social est l'exploitation de taxis. Le premier juge avait déclaré l'action en cessation fondée à l'égard de ces chauffeurs en personne physique, au motif qu'ils « exercent donc la profession de chauffeurs de taxis en leur qualité d'indépendant et ont été cités en cette qualité. Le fait que ces personnes physiques soient par ailleurs également organes (gérants) de la société pour laquelle elles travaillent en tant qu'indépendant ne peut avoir aucune influence sur la validité de l'action intentée par les demanderesses. La théorie de l'organe [...] est donc inopérante et irrelevante dans le cadre de la présente procédure ». La cour d'appel estime en revanche que l'organe d'une personne morale qui agit, dans les limites de ses attributions, pour le compte de la personne morale s'identifie à celle-ci. L'acte ainsi accompli par un organe, qu'il s'agisse d'un acte juridique ou d'un acte purement matériel liés à l'activité de la personne morale, est imputable directement à la personne morale elle-même. Ainsi ces chauffeurs de taxi incarnent la personne morale dans leurs agissements liés à l'activité de la personne morale. Ce qu'ils font est donc imputable à la personne morale plutôt qu'à eux-mêmes. L'action en cessation fondée sur les articles VI.97, VI.100, VI.104 et VI.105, 1° et 2°, du Livre VI du Code de droit économique vise exclusivement les pratiques ou actes commis par des entreprises et est donc non fondée si elle est dirigée contre la personne lorsque celle-ci agit comme organe. Elle l'est en revanche contre la personne physique qui exploite un taxi en nom propre et constitue à ce titre une entreprise. Elle l'est également à l'égard des chauffeurs qui sont associés commandités de sociétés en commandite simple. En effet, ces sociétés ne bénéficient que d'une personnalité juridique incomplète et leurs actes sont assimilés à des actes de leurs associés commandités, qui ont dès lors la qualité d'entreprise pour l'application du Code de droit économique.

Les exploitants de taxis arguaient que la demande en cessation des activités litigieuses « à ou aux alentours de la gare du Midi » était trop imprécise et trop large. La cour confirme qu'un ordre de cessation doit définir clairement l'acte auquel il entend mettre fin et en énoncer tous les éléments déterminants, de sorte que la portée de cet ordre ne puisse susciter pour celui auquel il s'adresse aucun doute raisonnable et afin que soient évitées pour autant que possible les éventuelles difficultés d'exécution ultérieures, en particulier lorsque l'ordre de cessation est accompagné d'une astreinte. La cour considère toutefois que, dans ce cas, l'expression « aux alentours de la gare du Midi » n'est pas susceptible de donner lieu à confusion et est utile pour éviter un risque de contournement de l'ordre de cessation par le biais, par exemple d'un déplacement du rang de taxis vers une autre rue.

Les exploitants de taxis demandaient également une limitation dans le temps de l'ordre de cessation, compte tenu du projet de modification de la réglementation bruxelloise applicable aux taxis. Dès lors qu'il ne s'agit à ce stade que d'un projet dont le contenu est encore incertain, il n'y pas lieu, selon la cour, de prévoir expressément une durée limitée de l'ordre. Si la législation sous-jacente à un ordre de cessation est ultérieurement modifiée, c'est la théorie de l'actualité du titre qui trouvera application et qui déterminera si l'ordre continue ou non à sortir ses effets, sous le contrôle du juge des saisies.

Quant au montant de l'astreinte, FlibTravel réclamait 10.000 EUR par infraction, la cour la fixa à 1.000 EUR, montant suffisamment élevé pour être dissuasif, sans dépasser ce qui paraît nécessaire à cet effet. La cour a égard, pour fixer ce montant, au prix de la course et au nombre limité de trajets qu'un taxi peut pratiquement effectuer par jour entre Bruxelles et Charleroi. La cour prend également en considération le fait qu'il sera en pratique impossible de constater et de prouver chacune des infractions qui seraient éventuellement commises, ce qui dilue le coût moyen effectif de l'astreinte; il faut donc en fixer le montant à un niveau suffisamment élevé pour qu'il ne soit pas économiquement rationnel pour les exploitants de taxis d'enfreindre délibérément l'ordre de cessation en comptant sur la probabilité de ne pas être pris. La cour précise enfin, afin d'éviter toute ambiguïté, qu'en cas d'infraction à l'ordre de cessation, l'astreinte ne sera due que par celui ou ceux des intimés à qui l'infraction sera imputable, et non à l'ensemble des parties condamnées.

[1] Avocat Liedekerke Wolters Waelbroeck Kirkpatrick.