Article

Cour d'appel Bruxelles, 17/02/2017, 2012/AR/1378, R.D.C.-T.B.H., 2017/9, p. 985-992

Cour d'appel de Bruxelles 17 février 2017

INTERMÉDIAIRES COMMERCIAUX
Agent commercial - Qualification
Il n'y a pas lieu de requalifier en contrat d'agence un « contrat de management » par lequel une société de management, est chargée des aspects opérationnels et commerciaux de toutes les activités d'une société anonyme, et rémunérée par une partie fixe élevée et une partie variable conditionnée par la réalisation par la société anonyme d'un certain bénéfice. Les offres adressées aux clients par la personne physique derrière la société de management, le sont en vertu de ses fonctions de direction de la société anonyme, et ne sont pas le fait d'un intermédiaire commercial externe disposant de sa propre organisation.
TUSSENPERSONEN (HANDEL)
Handelsagentuur - Kwalificatie
Een managementvennootschap die belast wordt met de operationele en commerciële aspecten van alle activiteiten van een naamloze vennootschap, tegen een grote vaste vergoeding en een variabele vergoeding in functie van de winst van de naamloze vennootschap, is geen handelsagent. Offertes voor de klanten zijn opgesteld door de natuurlijke persoon achter de managementvennootschap omwille van zijn functie als commercieel en operationeel directeur van de naamloze vennootschap en zijn niet het feit van een externe handelstussenpersoon die beschikt over een eigen organisatie.

SA L&C / J.H., Deep Green SA, O.W. et F.Z.

Siég.: M. Salmon (conseiller f.f. président), H. Reghif et C. Verbruggen (conseillers)
Pl.: Mes V. Poisson et D. Chaval, R. Dupont, N. Van der Borght
Affaire: 2012/AR/1378

En cette cause, tenue en délibéré le 22 décembre 2016, la cour prononce l'arrêt suivant.

Vu les pièces de la procédure, et notamment:

- le jugement prononcé par le tribunal de commerce de Bruxelles, le 26 avril 2011, non signifié;

- la requête d'appel déposée le 15 mai 2012 pour la SA L&C (ci-après « L&C »);

- l'arrêt interlocutoire du 11 janvier 2013;

- les conclusions de synthèse déposées le 14 avril 2014 pour M. H.;

- les conclusions additionnelles et de synthèse déposées le 15 avril 2014 pour L&C;

- les conclusions de synthèse déposées le 30 mai 2014 pour la SA Deep Green (ci-après « Deep Green »);

- les conclusions de synthèse déposées le 15 juillet 2014 pour M. W. et M. Z.;

- les pièces déposées par les parties.

Entendu les conseils des parties à l'audience publique du 22 décembre 2016 à laquelle les débats ont été repris ab initio dans la mesure des points non tranchés par l'arrêt interlocutoire du 11 janvier 2013.

I. Exposé des faits utiles à l'appréciation du litige

1. Les faits utiles à la compréhension du litige peuvent être relatés comme suit:

- M. H. développe, avec trois autres personnes, un procédé et système pour le nettoyage d'un sol contaminé, technologie connue sous le nom de « Thermopile »; celle-ci fait l'objet d'un brevet n° EP 1 604 749, dont la demande a été déposée en 2004 par L&C, mais qui a ensuite délivré en 2009 à Deep Green après son acquisition de la technologie (voir ci-après).

- M. H. exerce des activités commerciales utilisant cette technologie au sein de la L&C - constituée en 2006 et dénommée au départ Deep Green (pour éviter la confusion, cette société est dénommée dans cet arrêt depuis le départ « L&C », en ce compris pendant la période où elle était dénommée Deep Green) -; la société a pour objet notamment le traitement des sols et des boues contaminées au sens large ainsi que toutes les activités liées au traitement de matériaux similaires;

- Par jugement du 26 mai 2008, L&C, en difficultés financières, se voit accorder un sursis provisoire.

- Le 25 septembre 2008, en vue de reprendre les actifs de L&C et notamment l'activité liée à la Thermopile, Deep Green est constituée - à l'époque sous la dénomination D2G - (pour éviter la confusion, cette société est dénommée dans cet arrêt depuis le départ « Deep Green », en ce compris pendant la période où elle était dénommée D2G), avec pour objet, notamment, « pour compte propre, pour compte d'autrui ou en participation, le traitement des sols et des boues contaminées au sens large, ainsi que toutes les activités liées au traitement des matériaux similaires »; son actionnaire principal est une société du groupe Duferco, Duferco Diversification, tandis que la SPRL Exago, représentée par M. H., est actionnaire minoritaire (ceci ressort de la « convention-cadre de restructuration de l'actionnariat et de refinancement de la société D2G », pièce 44 in fine du dossier de L&C).

- Le 29 septembre 2008, une première « convention de management, de participation aux bénéfices et de garantie » est conclue entre Deep Green (en formation) et la SPRL Exago, représentée par M. H.

- Le même jour, Deep Green conclut également une convention de management avec la SPRL Mandar Management (représentée par M. R.) et avec la SPRL KMS, représentée par M. K., toutes les deux auparavant liées par un contrat de management avec L&C; la SPRL KMS est chargée de la supervision des aspects commerciaux de toutes les activités de la société, en Belgique et à l'étranger (cf.art. 3 de son contrat); la SPRL Mandar Management est chargée « des aspects opérationnels pour toutes les activités de la société, en Belgique et à l'étranger ».

- Par acte du 6 février 2009, L&C (alors encore dénommée « Deep Green ») adopte sa dénomination actuelle de « L&C ».

- Selon ce qui est mentionné ultérieurement dans la convention (cf.ci-après), les actifs relatifs à l'activité Thermopile sont transférés par L&C à Deep Green (convention de cession non produite par les parties).

- Le 1er septembre 2009, une « convention de management, de participation aux bénéfices et de garantie » (ci-après la « convention ») est conclue par Deep Green - représentée par deux administrateurs, MM. Z. et W. -, avec L&C et la SPRL Opabinia, représentées toutes deux par M. H., en présence de la SPRL Exago (également représentée par M. H., la SPRL Exago est présente à la convention en raison du fait qu'elle exerçait précédemment des services de gestion journalière au bénéfice de Deep Green, convention à laquelle il est mis fin en raison de la convention; une convention de management, de participation aux bénéfices et de garantie avait aussi été conclue le 29 septembre 2008 entre ces parties. Dans le cadre de la convention, l'ensemble des droits et obligations issues de la première convention de management sont transférés à L&C et à la SPRL Opabinia, agissant solidairement).

La convention regroupe une convention de management (en son chapitre I) et des garanties de passif (en son chapitre II).

L'objet de la convention de management est précisé en son article 3:

L&C est « chargée des aspects opérationnels et commerciaux pour toutes les activités de [Deep Green] en Belgique et à l'étranger ».

Cette mission est exécutée « en toute autonomie et indépendance et ne sera guidée dans l'exécution de ses prestations que par les décisions prises par le conseil d'administration et le délégué à la gestion journalière de [Deep Green] » (art. 4). L&C s'engage d'autre part à faire appel en priorité pour l'exercice de sa mission à M. H.

La rémunération octroyée à L&C se compose d'une partie fixe (130.000 EUR par an, payable par douzième) et d'une partie variable, conditionnée par la réalisation par Deep Green d'un EBIT trimestriel positif (art. 5). L&C bénéficie également d'une participation aux bénéfices de Deep Green (art. 6).

Le contrat de management est conclu pour une durée indéterminée (art. 8).

Il comporte encore une clause de non-concurrence à charge de L&C et d'Exago (art. 11), une obligation d'exclusivité dans le chef de L&C (art. 12) et une clause réservant à Deep Green la propriété intellectuelle des inventions, perfectionnements et procédés qui seraient mis au point en rapport avec sa mission par L&C (art. 13).

- Le même jour, M. H. signe un engagement personnel par lequel il reconnaît avoir connaissance de la convention et s'engage à respecter ses dispositions dans le cadre des missions qui lui seront confiées par L&C; il s'engage plus particulièrement à respecter les clauses de confidentialité, non-concurrence, exclusivité et propriété intellectuelle.

- Par acte du 7 septembre 2009, Deep Green (alors encore dénommée « D2G ») adopte sa dénomination actuelle de « Deep Green ».

- A une date indéterminée, M. H. est désigné administrateur et président du conseil d'administration de Deep Green.

- Fin 2009, le groupe Duferco décide de recentrer les activités de Deep Green sur la mise au point de la technologie Thermopile et de réduire les coûts commerciaux.

- Début février 2010, M. H. rencontre M. W. pour discuter d'une modification des conditions de la collaboration entre L&C et Deep Green, tenant compte de la nouvelle stratégie.

- Le 5 février 2010, M. H. envoie par e-mail à M. W. des propositions de modifications contractuelles.

- Le 7 février 2010, M. W. répond à cette proposition en défendant son point de vue; il précise qu'il n'a pas encore eu d'échange avec les autres administrateurs.

- Le 8 février 2010 a lieu le dîner annuel du personnel de Deep Green, au cours duquel une annonce est faite; selon L&C et M. H., il est annoncé qu'un accord est intervenu entre Deep Green et L&C pour la modification des fonctions de celle-ci; selon Deep Green il est annoncé que M. H. n'a plus de fonction directement dans la gestion de la société, qu'un directeur général est nommé et que Deep Green et L&C négocient une modification de leur accord.

- Le 9 février 2010, M. H. adresse une nouvelle proposition à M. W.; il se réfère à un « pré-accord » intervenu « à confirmer jeudi lors du CA ».

- M. W. en accuse réception le même jour.

- Le jeudi 25 février, M. Z. adresse à M. H. « un projet de PV du CA de Deep Green pour validation de l'amendement à la convention de L&C » en le remerciant de ses remarques et en indiquant « je le soumettrai à la signature des consensus. L'amendement devrait être prêt mardi (congé demain). Nous devons encore valider l'aspect compensation 'rémunération vs licence fees' ».

- Le 2 mars 2010, M. Z. adresse une version légèrement modifiée du projet de PV en lui demandant: « Peux-tu faire tourner ce PV du CA pour signature, après les modifications discutées? As-tu eu l'occasion de mettre la main sur le brevet définitif? ».

- Le 8 mars 2010, un projet d'avenant à la convention est adressé par Deep Green à M. H.; il fait état d'une modification de la stratégie de Deep Green (réduction de l'effort commercial et renforcement de la recherche et du développement de la technologie Thermopile).

- Le 11 mars 2010, le conseil d'administration de Deep Green se réunit; l'avenant à conclure avec L&C n'est pas mis à son ordre du jour ni discuté.

- Le 26 mars 2010, un conseil d'administration de Deep Green est convoqué, avec à son ordre du jour:

° « discussion et décision quant à l'opportunité de poursuivre/mettre fin à la convention de management entre L&C et Deep Green;

° discussion et décision quant à l'opportunité de poursuivre/mettre fin à la convention de management entre KMS BV et Deep Green;

° nomination d'un nouveau président du conseil d'administration ».

- Cette réunion du conseil d'administration est reportée au 31 mars 2010; le conseil décide ce jour-là de mettre fin à la convention de management (PV de cette réunion non produit) et de nommer M. Z. président du conseil, en remplacement de M. H.

- Le jour même, Deep Green notifie à L&C la résiliation de la convention de management, avec effet immédiat moyennant le versement d'une indemnité compensatoire de préavis. Deep Green rappelle que la résiliation « n'aura aucun effet sur la validité des autres chapitres de la convention ni sur l'application, notamment, des articles 10 (confidentialité) et 11 (non-concurrence). Nous vous rappelons donc qu'en vertu de la convention, la L&C reste tenue, pendant une durée indéterminée, par une obligation de confidentialité. De même, nous vous rappelons les termes de l'article 11 prévoyant que L&C reste tenue, pendant une durée de 3 ans à dater de la présente, des engagements de non-concurrence souscrits ».

- Le même jour, Deep Green résilie également la convention de management conclue avec la société KMS.

- Début avril 2010, M. H. envoie à ses contacts professionnels (une centaine de personnes) un e-mail les informant de la « cessation de ses activités de conseil pour la SA Deep Green », et met ce fait en relation avec un changement de stratégie brutal de l'actionnaire majoritaire Duferco, impliquant que la société se consacrerait prioritairement à l'application en interne, le service aux clients externes étant « relégué au second plan, et seulement si cela génère des marges exceptionnelles ».

- Le 26 avril 2010, Deep Green cite L&C et M. H. en référé devant le président du tribunal de première instance de Bruxelles, en vue notamment de leur enjoindre de cesser l'envoi aux clients ou potentiels clients de Deep Green d'e-mails de nature à porter atteinte à la réputation de celle-ci ou violant les obligations de confidentialité et de non-concurrence assumées, ainsi que de restituer des documents et matériels de Deep Green; L&C et M. H. forment des demandes reconventionnelles.

- Le 27 mai 2010, une assemblée générale extraordinaire de Deep Green démet M. H. de son mandat d'administrateur.

- Par ordonnance du 14 juillet 2010, le président du tribunal de première instance de Bruxelles fait partiellement droit à la demande de Deep Green et à la demande reconventionnelle; concernant l'engagement de non-concurrence, prima facie, il fait droit à l'argument de L&C et de M. H. selon lequel il n'est pas valable, car la mission confiée par Deep Green à L&C constitue un contrat d'agence commerciale, et que, suivant l'article 24 de la loi sur le contrat d'agence, un tel contrat ne peut contenir une clause de non-concurrence que pour autant qu'elle n'excède pas 6 mois après l'expiration du contrat;

- Le 17 septembre 2010, M. H. et la SPRL Opabinia constituent la SA Green and More, dénommée ultérieurement (le 26 novembre 2010) TPS Technologies. L'acte de constitution indique que cette société a pour objet social notamment « la dépollution de sites, la construction durable, les énergies renouvelables ainsi que le traitement de déchets et matériaux similaires et toute combinaison au sens large ainsi que toutes les activités liées ».

- Deep Green indique que trois autres procédures sont encore pendantes entre elle et TPS Technologies et M. H.: l'une en contrefaçon du brevet n° EP 1 604 749, une deuxième en nullité d'un brevet déposé par TPS Technologies uniquement en Belgique et une troisième fondée sur la communication de documents confidentiels de M. H. à TPS Technologies en violation alléguée de l'engagement unilatéral signé par ce dernier envers Deep Green.

II. Antécédents de procédure et demandes formées devant la cour

2. Le 18 mai 2010, L&C et M. H. citent Deep Green, M. W. et M. Z. devant le tribunal de commerce de Bruxelles.

Ils sollicitent par citation, outre une série de mesures avant dire droit (cf.ci-après) de:

A titre principal:

- déclarer « l'avenant conclu le 8 février 2010 » valable et opposable à Deep Green et en prononcer l'exécution en nature partielle et la « résiliation » à ses torts pour le surplus;

- exécution en nature:

° condamner Deep Green à leur octroyer une licence exclusive du brevet Thermopile sur les pays suivants: Etats-Unis, Canada, Mexique, Norvège, Islande, Suède, Finlande, Danemark;

° si le tribunal devait considérer que l'exécution en nature est impossible, alors condamner Deep Green à les indemniser de l'intégralité de leur préjudice, fixé provisoirement à 1 EUR provisionnel pour résiliation ou résolution de l'avenant à ses torts;

- « résiliation » aux torts de Deep Green:

° condamner Deep Green au paiement de 3.193.784 EUR;

° imputer sur ces sommes dues en principal les sommes incontestablement dues allouées au titre de mesure avant dire droit;

° annuler toutes les décisions prises au conseil d'administration du 11 mai 2010.

A titre subsidiaire:

- condamner Deep Green à exécuter la convention du 1er septembre 2009 et à payer 233.743,05 EUR, à majorer en raison des retards de paiement d'un intérêt de 10% sur une base annuelle ainsi que d'une clause pénale de 15% de la somme non payée;

- condamner, solidairement, in solidum, et de manière indivisible, MM. W. et Z. pour responsabilité extracontractuelle basée sur les articles 1382 et 1383 du Code civil résultant du dépassement du mandat qu'ils auraient reçu de Deep Green, au paiement de 3.193.784 EUR;

- imputer sur ces sommes dues en principal les sommes incontestablement dues par Deep Green et auxquelles celle-ci a été condamnée sur la base de la convention du 1er septembre 2009;

- condamner Deep Green et MM. W. et Z. à les indemniser pour la perte d'une licence exclusive du brevet Thermopile sur les pays suivants: Etats-Unis, Canada, Mexique, Norvège, Islande, Suède, Finlande, Danemark, somme fixée provisoirement à 1 EUR.

3. Les parties mettent l'affaire en état uniquement concernant les mesures provisoires sollicitées par L&C (seule L&C conclut et demande ces mesures; M. H. ne conclut pas lui-même) sur la base de l'article 19, alinéa 2 (texte en vigueur à l'époque) du Code judiciaire, visant la condamnation de Deep Green, à titre de mesure provisoire, à lui payer différents montants.

Deep Green conclut à l'irrecevabilité de cette demande et à titre subsidiaire à son non-fondement.

4. Par le jugement entrepris du 26 avril 2011, le tribunal dit non fondée la demande en mesures provisoires, et renvoie la cause au rôle pour le surplus.

Le tribunal arrive à cette conclusion, estimant en substance que si, sur la base des éléments à sa disposition, Deep Green apparaît devoir à L&C une indemnité compensatoire de 65.000 EUR et un montant de 6.637,90 EUR pour facture impayée, il est aussi possible que Deep Green soit en même temps créancière d'une indemnité importante, de sorte que L&C ne justifie pas la mesure avant-dire droit sollicitée. Prima facie, il estime notamment que la qualification de contrat d'agence commerciale n'apparaît pas devoir être retenue (p. 7 du jugement).

Le jugement ne fait état d'aucune demande de M. H. lui-même.

5. L&C interjette appel de ce jugement le 15 mai 2012, mettant à la cause M. H., Deep Green et MM. W. et Z.

6. La cour rend un arrêt interlocutoire, le 11 janvier 2013, uniquement relatif aux mesures provisoires sollicitées par Deep Green sur le fondement de l'article 19, alinéa 2, du Code judiciaire, concernant la cessation d'activités concurrentes et une interdiction de débauchage de personnel et de clientèle.

Dans cet arrêt, prononcé contradictoirement sauf à l'égard de MM. W. et Z., la cour dit cette demande irrecevable, en raison de l'autorité de chose décidée attachée à l'ordonnance de référés rendue par le président du tribunal de première instance de Bruxelles le 26 avril 2006.

7. A ce stade, la cour n'est saisie que des demandes au fond des parties, par l'effet dévolutif de l'appel. Celles-ci sont les suivantes.

L&C demande à la cour de qualifier juridiquement les relations entre elle-même et Deep Green de contrat d'agence commerciale et,

à titre principal:

- déclarer « l'avenant conclu le 8 février 2010 » valable et opposable à Deep Green et la résiliation aux torts de Deep Green, pour le surplus;

- compte tenu de l'avenant et de la résiliation aux torts de Deep Green, ordonner le paiement par Deep Green d'une indemnité équivalente à 5.435.644 EUR, sous réserves d'augmentation ou de diminution en cours d'instance, à L&C;

à titre subsidiaire:

- déclarer que le contrat conclu le 1er septembre 2009 a été résilié aux torts de Deep Green;

- compte tenu de la résiliation aux torts de Deep Green, ordonner le paiement par Deep Green d'une indemnité équivalente à 233.743,05 EUR à L&C, à majorer en raison des retards de paiement d'un intérêt de 10% sur base annuelle ainsi que d'une clause pénale d'une valeur de 15% de la somme non payée, sous réserves d'augmentation ou de diminution en cours d'instance;

(…)

8. Deep Green demande à la cour de:

- déclarer les demandes de L&C contestées par Deep Green non fondées;

(…)

9. M. H. ne forme pas de demande devant la cour. Il conclut au non-fondement des demandes de Deep Green et à sa condamnation au paiement des indemnités de procédure des deux instances, soit 5.500 EUR par instance.

(…)

III. Discussion
III.1. Relation contractuelle entre Deep Green et L&C et conséquences

11. Les demandes des parties requièrent la détermination de la relation contractuelle entre Deep Green et L&C.

L&C soutient d'une part que la convention a été modifiée par un avenant, et d'autre part que, vu les tâches qui lui étaient confiées, le contrat de management entre les parties doit être qualifié - qu'il ait été ou non modifié par l'avenant - de contrat d'agence, ce qui entraîne l'application de la loi du 13 avril 1995 relative au contrat d'agence commerciale, telle qu'applicable à l'époque.

Selon Deep Green, les parties n'ont pas conclu d'avenant à la convention et le contrat de management ne constitue pas un contrat d'agence.

(i) Quant à la conclusion d'un avenant au contrat de management

12. Conformément au principe du consensualisme, un contrat se conclut ou se modifie en règle valablement par la rencontre des consentements des parties sur les éléments essentiels et substantiels du contrat ou de sa modification, en vue de produire des effets juridiques.

Lorsque l'accord à conclure est complexe, sa conclusion peut être précédée de préaccords ou avant-contrats.

13. En l'espèce, L&C et Deep Green ont négocié les termes d'un possible accord modifiant le contrat de management, à partir de début février 2010.

Contrairement à ce que prétend L&C, elles n'ont pas finalisé leur accord le 8 février 2010, Deep Green n'ayant pas émis son consentement sur la proposition de M. H. à cette date.

Certes, M. H. évoque le 9 février 2010 un « préaccord » intervenu entre lui-même et M. W., mais précisément, selon ses propres termes, il ne s'agit que d'un « préaccord » et pas encore de l'accord final, dont il sait bien que, vu son importance, il ne pourrait être approuvé par Deep Green qu'après une délibération de son conseil d'administration (cf. ce qu'il indique lui-même, à savoir que ce « préaccord » est « à confirmer jeudi lors du CA », ce qui implique qu'il n'a pas encore été approuvé par le conseil d'administration de la société, et qu'il sait qu'il devra l'être). La conclusion de l'accord ne ressortait manifestement pas du domaine de la gestion journalière, ce dont tant M. W. que M. H. étaient conscients.

L'envoi d'un projet de PV de conseil d'administration à M. H. par M. Z., le 25 février 2010, et les termes de cet envoi (cf. supra: « je le soumettrai à la signature dès consensus. L'amendement devrait être prêt mardi (congé demain). Nous devons encore valider l'aspect compensation a rémunération vs licence fees »), indiquent également qu'à cette date le projet d'accord envisagé n'a pas encore été approuvé par le conseil d'administration et doit lui être soumis. Malgré l'intitulé du projet de PV « réunion du conseil d'administration tenue le 12 février 2010 », il est manifeste qu'aucun conseil ne s'est tenu à cette date. Ce projet n'a jamais été approuvé.

Il en va ainsi même si Deep Green a effectivement demandé à ses avocats de préparer des textes modificatifs du contrat de management, pour refléter les termes du préaccord intervenu entre M. H. et M. W. Le fait qu'une société fasse préparer des projets de contrat n'implique pas qu'elle les ait préalablement approuvés.

Le conseil d'administration n'examinera ce projet qu'à sa réunion du 31 mars 2010, pour finalement décider de ne pas modifier le contrat avec L&C, mais plutôt de le résilier, ce qui sera fait le jour même.

Partant, il faut conclure que le contrat de management n'a pas été modifié par un accord des parties.

L&C ne peut invoquer à son profit l'existence d'une clause de double signature par deux administrateurs dans le cadre d'un contrat prétendument conclu verbalement. En tout état de cause, comme rappelé précédemment, L&C était bien consciente que la conclusion du contrat devait être soumise au conseil d'administration, ce qui ressortait aussi des écrits de MM. W. et Z.

Pour cette raison, elle ne peut pas non plus se prévaloir d'un mandat apparent de ces derniers, n'ayant ni eu ni pu avoir la croyance légitime qu'ils engageaient la société sans délibération du conseil d'administration.

14. L'avenant vanté par L&C n'ayant pas été conclu, celle-ci est déboutée de ses chefs de demande fondés sur l'existence de cet avenant, en particulier sa demande d'une indemnité de préavis de 19 mois.

(ii) Quant à la (re-)qualification du contrat de management en contrat d'agence

15. Le contrat de management peut être défini comme « le contrat par lequel une personne physique ou morale, le manager ou gestionnaire, s'engage à gérer, contre une rémunération, tout ou partie d'une entreprise à la demande du propriétaire ou de l'exploitant de cette entreprise, le commettant, de manière indépendante, c'est-à-dire sans lien de subordination entre le manager et le commettant » (D. Willermain et N. Vanderstappen, « Contrats et sociétés de management », in Les contrats commerciaux en pratique, C.U.P., vol. 169, Larcier, 2016, p. 10).

Ce type de contrat est fréquemment conclu dans une situation où un membre de la direction ou bien un manager d'une société exerce ses activités à travers une société de management, qui se voit alors chargée, par un contrat de management, de tâches liées à la gestion de la première société. Il s'agit d'une alternative au contrat de travail conclu directement avec le membre de la direction ou haut cadre, qui présente pour les parties des avantages en termes fiscal et de sécurité social. Pour éviter la requalification, les activités doivent cependant être exercées en toute indépendance, sans lien de subordination.

Le contrat de management constitue un contrat innommé, sui generis, intuitu personae dans le chef du gestionnaire, qui constitue un contrat mixte entre le contrat d'entreprise et le mandat.

16. Selon la définition classique de MM. Van Ryn et Heenen, « l'agent est un intermédiaire indépendant chargé moyennant rémunération de négocier et, éventuellement, de conclure un nombre indéfini d'opérations commerciales au nom et pour le compte d'une entreprise économique dont il n'est pas le subordonné. Généralement, il représente d'une manière permanente, dans une ville ou dans une région, une ou plusieurs maisons de commerce, au moyen d'une organisation qui lui est propre » (J. Van Ryn et J. Heenen, Principes de droit commercial, t. IV, 2e éd., Bruxelles, Bruylant, 1988).

Le contrat d'agence a été réglementé par la loi du 13 avril 1995 relative au contrat d'agence commerciale, transposant la directive n° 86/653/CEE relative à la coordination des droits des Etats membres concernant les agents commerciaux indépendants, dont les dispositions ont été intégrées par l'effet de la loi du 2 avril 2014 dans le Chapitre X du Code de droit économique.

Tenant compte des dispositions applicables à l'époque des faits, l'article 1er de la loi du 13 avril 1995 dispose alors que:

« Le contrat d'agence commerciale est le contrat par lequel l'une des parties, l'agent commercial, est chargée de façon permanente, et moyennant rémunération, par l'autre partie, le commettant, sans être soumis à l'autorité de ce dernier, de la négociation et éventuellement de la conclusion d'affaires au nom et pour compte du commettant.

L'agent commercial organise ses activités comme il entend et dispose librement de son temps. »

La directive n° 86/653/CEE précitée prévoit en son article 1er que:

« Un agent commercial aux fins de la présente directive ne peut être notamment:

- une personne qui, en qualité d'organe, a le pouvoir d'engager une société ou association ;

- un associé qui est légalement habilité à engager les autres associés ;

- un administrateur judiciaire, un liquidateur ou un syndic de faillite. »

Ces exceptions au champ d'application de la directive n'ont pas été reprises dans la loi du 13 avril 1995, non pas parce que le législateur n'a pas voulu les reprendre, mais parce qu'il les estimait évidentes (cf. exposé des motifs de la loi, Sénat, s.e., 1991-1992, Doc. 355-1, p. 6: « Le gouvernement estime que ces catégories ne peuvent en aucun cas être visées par le présent projet et qu'il n'est donc pas nécessaire de les exclure explicitement. »).

Par conséquent, il faut reconnaître qu'il s'agit d'exceptions implicites à l'application du régime légal de l'agent commercial (P. Kileste et N. Godin, « Contrat d'agence com-merciale », R.P.D.B., Larcier, 2017, p. 44, n° 72; Y. Van Couter, F. Pauwels et R. De Smedt, Commentaar bij art. X.1 WER, Afl. 103 (octobre 2015) p. 7).

17. En l'espèce, le contrat de management vise de manière générale les aspects opérationnels et commerciaux pour toutes les activités de Deep Green en Belgique et à l'étranger (cf. art. 3: L&C est « chargée des aspects opérationnels et commerciaux pour toutes les activités de [la Deep Green] en Belgique et à l'étranger »). Le contrat prévoit que la mission sera exécutée prioritairement par M. H.

Cet objet - qui correspond à une fonction de directeur commercial et opérationnel - est beaucoup plus vaste que la seule négociation d'affaires pour le compte de Deep Green, même si cette activité, caractéristique d'un contrat d'agence, pourrait être considérée comme comprise dans son large éventail d'activités. Ainsi, la mission confiée par le contrat n'a pas pour objet essentiel la prospection et le développement de la clientèle de Deep Green.

Il n'y a dès lors pas lieu d'accorder à L&C la protection offerte par la réglementation du contrat d'agence commerciale. La situation qui se présente n'est pas une de celles visées par la loi.

Il faut aussi tenir compte du contexte général des relations entre les parties, dans le cadre duquel le contrat de management entre Deep Green et L&C s'inscrit, soit une vente des actifs de L&C, en particulier l'activité liée à la Thermopile, avec poursuite des activités des personnes physiques à l'origine de cette activité (non seulement M. H., par le contrat conclu avec L&C, mais aussi certains de ces collègues, comme M. K.) dans la nouvelle société comme managers de haut niveau indépendants, pour assurer une poursuite harmonieuse de cette activité.

C'est ainsi que M. H. se voit d'une part confier un mandat d'administrateur dans Deep Green, et est même désigné président du conseil d'administration, tandis qu'en parallèle, L&C se voit confier un contrat de management à exécuter par le même M. H. Par ailleurs, M. H. est aussi, à travers une de ses sociétés, actionnaire minoritaire de Deep Green, à hauteur de 10% (cf.ce pourcentage indiqué dans la « proposition JH » annexée à l'e-mail de M. W. du 7 février 2010 à M. H. (pièce 7 dossier L&C)).

Dans ce contexte, la relation entre les parties doit être régie par le principe de l'autonomie de la volonté. Il faut laisser aux parties le soin de déterminer comme elles le souhaitent leurs droits et obligations en tenant compte du contexte général de leur relation, sans être limitées ou contraintes par la réglementation spécifique du contrat d'agence commerciale qui ne permet pas d'appréhender la complexité de leur relation et le large éventail d'activités de L&C et de M. H.

18. Les parties ayant qualifié la relation de contrat de management et non de contrat d'agence, il n'y a pas lieu de procéder à la requalification du contrat, sauf s'il apparaissait de la manière dont le contrat a été exécuté que la qualification choisie par les parties ne correspond pas à la réalité. En effet, selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation à laquelle la cour adhère, « lorsque les parties ont qualifié leur convention, le juge du fond ne peut y substituer une qualification différente lorsque les éléments soumis à son appréciation ne permettent pas d'exclure la qualification donnée par les parties » (cf. notamment Cass., 23 décembre 2002, Pas., 2002, I, p. 2469; Cass., 28 avril 2003, Pas., 2003, I, p. 880).

Or, les éléments que L&C invoque pour justifier un contrat d'agence ne sont en rien contraires avec la qualification de contrat de management:

- le nom de M. H. - et non celui de la L&C - est indiqué sur les offres commerciales comme personne de contact de Deep Green, ce qui correspond à la fonction de direction commerciale assumée par L&C/M. H.;

- M. H. a effectivement des contacts avec des clients potentiels auxquels il adresse de la documentation, mais ces mails ne sont pas adressés par L&C mais signés par « M. J.H., président Deep Green », depuis une adresse électronique « Deep Green », et parfois envoyés au nom de M. H. par une assistante marketing de Deep Green (cf.pièce 41).

Ces éléments confirment donc que les contacts commerciaux noués par M. H. l'ont été dans le cadre de l'organisation interne de Deep Green, de par ses fonctions de direction, et n'ont pas été le fait d'un intermédiaire commercial externe disposant de sa propre organisation.

C'est ce qu'a également relevé le premier juge, à bon droit (cf. p. 7 du jugement), comme le fait que L&C n'établit en réalité pas avoir eu une activité de démarchage concrète et active de la clientèle.

Le mode de rémunération prévu dans le contrat de management (rémunération fixe élevée, rémunération variable liée à un EBIT trimestriel positif, participation bénéficiaire, remboursement de tous les frais, pas de commissions par contrat) est aussi indicatif du fait qu'il s'agit bien d'un contrat de management, et pas d'un contrat d'agence commerciale.

19. Par ailleurs, si Deep Green a proposé, dans le cadre de la renégociation du contrat de management, que L&C/M. H. assume un rôle d'agent commercial, c'était précisément dans le cadre d'une modification de leur rôle et d'une réduction de celui-ci (cf. la diminution notable de la rémunération), comme cela ressort clairement de la proposition: « la proposition faite le 28 janvier consistait à réduire drastiquement la mission en renonçant à toute intervention dans la gestion de Deep Green et en réduisant le volume de l'activité commerciale:

1. un rôle d'administrateur par le biais de la participation;

2. un rôle d'agent commercial;

3. une mission de lobbying;

4. un rôle de conseil en R&D.

Les points 2 à 4 de la mission étaient couverts par un terme fixe de 3.000 EUR/mois, sans prise en charge de frais supplémentaire, et par un terme variable lié à l'activité commerciale » (pièce 7, p. 2, du dossier de L&C).

La possible conclusion d'un contrat d'agence commerciale dans le cadre de la modification envisagée des fonctions n'a dès lors aucun impact sur la qualification du contrat passé.

Comme indiqué précédemment, la négociation relative à une modification du contrat de management n'a pas abouti.

20. Les parties n'étant pas liées par un contrat d'agence, L&C est déboutée de ses chefs de demande fondés sur l'existence d'un pareil contrat, notamment sa demande relative à une indemnité d'éviction.

(…)

Par ces motifs,

La cour,

Statuant contradictoirement,

Vu les dispositions de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire,

Statuant par voie de dispositions nouvelles en vertu de l'effet dévolutif de l'appel,

Dit la demande de la SA L&C recevable mais non fondée et l'en déboute,

(…)