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Tribunal de commerce Liège (division Namur), 02/05/2017, A/16/00030, R.D.C.-T.B.H., 2018/7, p. 640-642

Tribunal de commerce de Liège (division Namur)2 mai 2017

TRANSPORT
Transport de marchandises par route - Transport international CMR - Destinataire - Paiement du fret - Article 13, 2., CMR
Selon l'article 13, § 2., CMR, le destinataire n'est tenu de payer les frais de transport que s'il a demandé et obtenu la livraison de la marchandise et le deuxième exemplaire de la lettre de voiture.
VERVOER
Vervoer goederen over de weg - Internationaal vervoer CMR - Bestemmeling - Betaling van de vracht - Artikel 13, 2. CMR
Overeenkomstig artikel 13, § 2 CMR is de bestemmeling gehouden de transportkosten te betalen enkel wanneer hij de aflevering van de goederen en het tweede exemplaar van de vrachtbrief gevorderd en bekomen heeft.

Jost SARL / Fondatel Lecomte

Siég.: W. David (juge), B. Doneux et J.-Ch. Weicker (juges consulaires)
Pl.: Mes S. Flamey et P. Lemaire
Affaire: A/16/00030

(...)

II. Exposé du litige
A. Les faits pertinents de la cause

1. La défenderesse a commandé régulièrement du coke à la société italienne SRL Italiana Coke. Ce coke était livré par la demanderesse, qui est une société de transport routier.

Le transport des marchandises était organisé par la SRL Italiana Coke et devait également être payé par celle-ci. Le prix payé par la défenderesse pour le coke comprenait donc le prix du transport.

2. La défenderesse soutient, sans être contredite sur ce point, qu'elle a payé dans les délais la totalité des factures de la SRL Italiana Coke. Cette dernière, en revanche, n'a pas payé 13 factures qui lui ont été adressées par la demanderesse entre le 24 novembre 2014 et le 28 février 2015 pour un montant total de 28.418,40 EUR et serait à ce jour en redressement judiciaire.

3. Le 28 juillet 2015, la demanderesse a mis la défenderesse en demeure de lui payer les factures susvisées et a fondé sa demande sur l'article 13 de la convention du 19 mai 1956 relative au contrat de transport international de marchandises par route (ci-après, « CMR »).

La défenderesse a refusé de s'exécuter volontairement. La demanderesse l'a donc citée devant le tribunal de céans.

B. Les prétentions des parties

4. La demanderesse postule la condamnation de la défenderesse au paiement de la somme de 28.418,40 EUR à majorer des intérêts au taux légal à partir du 28 juillet 2015 jusqu'au parfait paiement et des dépens.

La défenderesse conclut au rejet de l'action dirigée contre elle.

III. Discussion
A. La prescription de la demande

5. L'article 32 CMR prévoit un délai de prescription annal. Il dispose en effet que:

« 1. Les actions auxquelles peuvent donner lieu les transports soumis à la présente convention sont prescrites dans le délai d'un an. (...) La prescription court:

(...)

c) dans tous les autres cas, à partir de l'expiration d'un délai de trois mois à dater de la conclusion du contrat de transport. »

6. La défenderesse en déduit que la demande fondée sur les cinq premières factures litigieuses serait prescrite au motif qu'elles auraient toutes trait à des livraisons antérieures au 5 janvier 2015 (soit un an avant la date de la citation).

L'article 32, 1., c), CMR précise toutefois que le délai de prescription commence à courir 3 mois après la conclusion du contrat de transport. Or, en l'espèce, les premiers contrats de transport ont été conclus en novembre 2014, soit moins de 3 mois avant le 5 janvier 2015.

Il faut donc considérer que la demande fondée sur les factures afférentes à ces contrats de transport n'est pas prescrite puisqu'elle a été formulée moins de 15 mois (3 + 12) après la conclusion desdits contrats.

B. Le fondement de la demande
1. Principes applicables

7. La demanderesse fonde son action sur l'article 13 CMR qui dispose que:

« 1. Après l'arrivée de la marchandise au lieu prévu pour la livraison, le destinataire a le droit de demander que le deuxième exemplaire de la lettre de voiture lui soit remis et que la marchandise lui soit livrée le tout contre décharge. Si la perte de la marchandise est établie, ou si la marchandise n'est pas arrivée à l'expiration du délai prévu à l'article 19, le destinataire est autorisé à faire valoir en son propre nom vis-à-vis du transporteur les droits qui résultent du contrat de transport.

2. Le destinataire qui se prévaut des droits qui lui sont accordés aux termes du § 1 er du présent article est tenu de payer le montant des créances résultant de la lettre de voiture. En cas de contestation à ce sujet, le transporteur n'est obligé d'effectuer la livraison de la marchandise que si une caution lui est fournie par le destinataire. »

Elle affirme que cette disposition est applicable en l'espèce au motif :

(i) que la défenderesse a accepté les marchandises livrées et qu'elle est donc devenue partie au contrat de transport; et

(ii) que la remise de la seconde lettre de voiture au destinataire ne serait, selon elle, pas déterminante pour que l'article 13, 2., CMR s'applique.

8. La doctrine majoritaire considère qu'en acceptant les marchandises et en disposant de celles-ci, le destinataire devient partie au contrat de transport (J. Van Ryn et J. Heenen, Principes de droit commercial, tome IV, 2 e édition, Bruylant, 1988, pp. 625-626; J. Putzeys, Le contrat de transport routier de marchandises, Bruylant, 1981, p. 205, n° 618; V. De Smet et J.-P. Kesteloot, « Transport routier », in Traité pratique de droit commercial, tome 6, Kluwer, 2015, p. 17), ce qui implique notamment qu'il peut faire valoir des droits à l'égard du transporteur (p. ex. en cas de retard de livraison ou de perte de la marchandise).

9. Certains auteurs ajoutent que « par cette adhésion », le destinataire « se constitue d'autre part débiteur des sommes encore dues au transporteur en vertu du contrat » (J. Van Ryn et J. Heenen, Principes de droit commercial, tome IV, 2 e édition, Bruylant, 1988, p. 625) et passent sous silence la seconde condition prévue à l'article 13, 1., CMR, à savoir la remise de la seconde lettre de voiture au destinataire.

D'autres rappellent que pour que le destinataire soit tenu de payer les créances qui résultent de la lettre de voiture, il faut non seulement que les marchandises lui aient été livrées mais en outre que le destinataire ait demandé que « le deuxième exemplaire de la lettre de voiture lui soit remis » (J. Putzeys, Le contrat de transport routier de marchandises, Bruylant, 1981, p. 353, n° 1029).

La jurisprudence, quant à elle, est très peu abondante sur sujet. La demanderesse produit les deux décisions suivantes:

- le tribunal de commerce d'Anvers, division Turnhout, considère, dans un jugement du 15 décembre 2016 (produit par la demanderesse), que le fait que la lettre de voiture n'ait pas été transmise au destinataire est sans incidence sur le fait que celui-ci est tenu de payer le coût du transport dès que les marchandises lui ont été livrées;

- la cour d'appel d'Anvers a, par un arrêt déjà ancien du 10 mars 1978 (également produit par la demanderesse) pris une décision analogue.

Il faut encore relever un arrêt de la cour d'appel de Gand du 27 juin 2005 ( T.G.R., 2005, p. 348) mais qui ne se prononce pas expressément sur cette question.

10. Le tribunal, quant à lui, considère qu'il ne faut ni ajouter ni retrancher de conditions au texte du traité.

En vertu de celui-ci : « Le destinataire qui se prévaut des droits qui lui sont accordés aux termes du § 1 er du présent article est tenu de payer le montant des créances résultant de la lettre de voiture. » (le tribunal souligne) (art. 13, 2., CMR). Le paragraphe 1. de l'article 13, auquel l'article 13, 2., renvoie, précise quant à lui, que: « 1. Après l'arrivée de la marchandise au lieu prévu pour la livraison, le destinataire a le droit de demander que le deuxième exemplaire de la lettre de voiture lui soit remis et que la marchandise lui soit livrée le tout contre décharge. » (le tribunal souligne).

En d'autres termes, l'article 13, 2., prévoit que le destinataire n'est tenu de payer les frais de transport au transporteur que s'il s'est prévalu des droits qui lui sont accordés à l'article 13, 1., CMR. Cette dernière disposition, quant à elle, stipule que « le destinataire a le droit de demander que le deuxième exemplaire de la lettre de voiture lui soit remis et que la marchandise lui soit livrée le tout contre décharge » (le tribunal souligne).

Si les mots ont un sens, il faut donc, pour que le destinataire soit tenu à l'égard du transporteur, non seulement qu'il ait demandé et qu'il se soit vu remettre le deuxième exemplaire de la lettre de voiture mais en outre que la marchandise lui ait été livrée.

Dès lors, même s'il faut admettre que le destinataire est devenu partie au contrat de transport dès que les marchandises lui ont été livrées, encore cette circonstance n'a-t-elle pas pour conséquence de le rendre débiteur du prix du transport. L'obligation de payer ce prix continue de peser uniquement sur l'expéditeur. Ce n'est que dans l'hypothèse où le destinataire s'est aussi vu remettre, à sa demande, un exemplaire de la lettre de voiture qu'il est, lui aussi, tenu de payer le prix du transport.

Le tribunal ajoute à titre surabondant que cette interprétation de l'article 13 CMR, qui semble la plus conforme au texte du traité, est en outre parfaitement logique sur le plan juridique: l'article 13 CMR déroge au droit commun et ne peut dès lors être interprété de manière extensive (et ce d'autant que l'art. 13, 2., CMR peut avoir pour conséquence que le destinataire doive payer deux fois le prix du transport: une première fois à l'expéditeur (lorsque le prix des marchandises comprend leur transport) et une seconde fois au transporteur impayé par l'expéditeur).

2. Application des principes au cas d'espèce

11. En l'espèce, la défenderesse conteste avoir demandé et avoir reçu le second exemplaire des lettres de voiture. La demanderesse, quant à elle, ne démontre pas qu'elle a remis lesdites lettres à la défenderesse.

Il faut donc considérer que cette condition essentielle pour que le transporteur puisse se prévaloir de l'article 13, 2., CMR n'est pas rencontrée en l'espèce.

Pour ce seul motif, la demande doit être déclarée non fondée.

12. Le tribunal ajoute à titre surabondant que c'est à juste titre que la défenderesse a stigmatisé le comportement de la demanderesse qui a poursuivi ses livraisons pendant plus de 3 mois alors qu'elle n'était pas payée par l'expéditeur et ce, sans avertir la défenderesse de la situation.

Dans une telle hypothèse, il peut en effet être attendu d'un transporteur normalement prudent et diligent qu'il avise rapidement le destinataire du fait que les transports antérieurs n'ont toujours pas été payés afin que celui-ci puisse prendre les dispositions qu'il estime utiles, comme par exemple de ne plus payer le prix du transport à l'expéditeur. Une telle attitude peut d'autant plus être attendue du transporteur dans l'hypothèse où il considère que le destinataire sera in fine tenu de lui payer le prix du transport en vertu de l'article 13, 2., CMR.

(...)