Article

Tribunal de commerce Liège (division Dinant), 14/02/2018, A/17/000473, R.D.C.-T.B.H., 2018/7, p. 699-701

Tribunal de commerce de Liège (division Dinant)14 février 2018

INSOLVABILITÉ
Faillite (loi ancienne) - Déclaration de faillite - Jugement déclaratif - Voies de recours - Opposition
L'article 1047 nouveau du Code judiciaire dispose que tout jugement par défaut rendu en dernier ressort peut être frappé d'opposition, sauf exceptions prévues par la loi. L'article 14 de la loi sur les faillites dispose que tout jugement déclaratif de faillite est exécutoire par provision et exécutoire sur minute dès la prononciation. Ce jugement est susceptible d'opposition par les parties défaillantes. Conformément à l'adage « Specialia generalibus derogant », le régime particulier résultant de la loi sur les faillites déroge à la règle générale résultant du nouvel article 1047 C. jud.
INSOLVENTIE
Faillissement (oude wet) - Faillietverklaring - Rechtsmiddelen - Verzet
Het nieuwe artikel 1047 van het Gerechtelijk Wetboek bepaalt dat tegen ieder verstekvonnis dat in laatste aanleg is gewezen verzet kan worden gedaan, onverminderd de bij de wet bepaalde uitzonderingen. Artikel 14 van de faillissementswet bepaalt dat ieder vonnis van faillietverklaring bij voorraad en op de minuut vanaf de uitspraak uitvoerbaar is. Tegen dit vonnis kan verzet worden gedaan door de verstekdoende partijen. Overeenkomstig het adagium “Specialia generalibus derogant”, primeert het specifieke regime van de faillissementswet op de algemene regel van het nieuwe artikel 1047 Ger.W.

SPRL Groupe Thomas Nicolas / Procureur du Roi et B. Castaigne

Siég.: E. Hody (juge président), P. Contor et R. Sanchioni (juges consulaires)
Pl.: D. Moreau, substitut du procureur du Roi et Me O. Valange
Affaire: A/17/000473

Vu les pièces de procédure régulièrement constituées, et notamment:

• le jugement prononcé par défaut le 20 septembre 2017 par le tribunal de céans;

• la citation en opposition du 20 octobre 2017;

• les conclusions déposées pour la curatelle ainsi que pour la SPRL Groupe Thomas Nicolas;

• l'avis de M. le juge commissaire Quin, daté du 20 novembre 2017;

Vu les dispositions de la loi du 15 juin 1935 concernant l'emploi des langues en matière judiciaire;

Entendu les parties comparaissant comme dit ci-dessus en leurs explications données en langue française à l'audience du 17 janvier 2018.

I. Les faits - L'objet de la demande

Par jugement prononcé le 20 septembre 2017 par défaut à l'égard de la SPRL Groupe Thomas Nicolas, le tribunal de céans a prononcé la faillite de ladite société, à la requête du ministère public;

Me Bernard Castaigne en a été désigné curateur;

Le 20 octobre 2017, la SPRL Groupe Thomas Nicolas forme opposition au jugement précité, contestant que les conditions de la faillite aient été réunies dans son chef au moment du jugement; elle poursuit donc la réformation dudit jugement et sollicite le rapport de la faillite.

II. Quant à la recevabilité de l'opposition

1. La curatelle conclut à l'irrecevabilité de l'opposition; selon elle, dès lors que le jugement déclaratif de faillite n'a pas été prononcé en dernier ressort, seule la voie de l'appel était ouverte au failli, conformément à l'article 1047 C. jud.

2. L'opposante conteste ce point de vue; elle estime qu'il convient au contraire de se référer aux articles 14 et 15 de la loi sur les faillites, qui prévoient et organisent l'opposition aux jugements déclaratifs de faillite, et qui n'ont pas été modifiés par l'entrée en vigueur du nouvel article 1047 C. jud.

3. Depuis la loi Pot-Pourri V du 6 juillet 2017, l'article 1047 nouveau du Code judiciaire dispose que tout jugement par défaut rendu en dernier ressort peut être frappé d'opposition, sauf les exceptions prévues par la loi.

Cette quasi-suppression de l'opposition est entrée en vigueur le 3 août 2017, le nouveau régime s'appliquant aux jugements prononcés à cette date ou après celle-ci.

4. L'article 14 de la loi sur les faillites dispose que:

« Tout jugement déclaratif de faillite ou fixant la date de cessation de paiement est exécutoire par provision et sur minute dès la prononciation.

Les jugements prévus à l'alinéa premier sont susceptibles d'opposition par les parties défaillantes et de tierce opposition de la part des intéressés qui n'y ont pas été parties. »

L'article 15 dispose quant à lui que:

« L'appel, l'opposition ou la tierce opposition dirigés contre le jugement déclarant la faillite ou refusant de la déclarer, sont instruits avec célérité. »

5. Ces dispositions, qui ouvrent et organisent le droit de former opposition aux jugements déclaratifs de faillite, n'ont pas été abrogées à l'occasion de la loi du 6 juillet 2017;

Conformément à l'adage specialia generalibus derogant, le régime particulier résultant de ces dispositions légales déroge à la règle générale résultant du nouvel article 1047 C. jud.

La loi sur les faillites contient ainsi différents articles (v. égal. art. 114 LF), qui constituent bien un régime particulier dérogatoire au droit commun (voir Closset-Marchal, Code judiciaire: droit commun de la procédure et droit transitoire, commentaire des articles 2 et 3 du code judiciaire, n° 84, p. 88), et non un simple renvoi à ces dispositions de droit commun; pareil renvoi serait au demeurant dénué de sens, tous les jugements déclaratifs de faillite étant appelables: ils ne seraient donc jamais sujets à opposition, dans la thèse de la curatelle;

L'article 2 C. jud. ne permet pas d'écarter l'application de tels régimes particuliers.

6. Vainement, la curatelle se réfère à l'intention du législateur de généraliser l'application de l'article 1047 nouveau C. jud.

Certes, les mots « sauf les exceptions prévues par la loi » visés à l'article 1047 C. jud., déjà existants avant la réforme, renvoyaient aux cas exceptionnels où les jugements prononcés par défaut ne pouvaient jamais être frappés d'opposition, et non ceux où la loi autorisait de tels recours;

La thèse de la curatelle prive cependant de tout sens les termes des articles 14 et 15 LF, qui n'ont pas été abrogés; certes, à l'occasion de l'élaboration de la loi Pot-Pourri V, les parlementaires avaient été interpellés sur ce problème et avaient été invités à toiletter le texte pour éviter la naissance rapide de controverses ( Doc. parl., Chambre, 2016-2017, Doc. 54-2259/008, pp. 170-174); cependant, on cherche en vain comment déduire l'intention du législateur de l'absence de réaction de sa part à cette invitation.

7. L'intention du législateur peut par contre être plus sûrement déduite de la loi du 11 août 2017 portant insertion du Livre XX « Insolvabilité des entreprises », dans le Code de droit économique, adoptée après la loi Pot-Pourri V; les articles XX.108 et XX.109, appelés à entrer en vigueur le 1 er mai 2018, réaffirment en des termes quasi identiques les dispositions des articles 14 et 15 de la loi sur les faillites; il serait absurde que le législateur entende maintenir des dispositions légales qui n'auraient aucune vocation à s'appliquer.

8. L'opposante est donc recevable à former opposition au jugement prononcé le 20 septembre 2017 en application de l'article 14 de la loi sur les faillites.

III. Quant au fondement de l'opposition

1. Suivant l'article 2 de la loi sur les faillites, un commerçant se trouve en état de faillite lorsqu'il a cessé ses paiements et que son crédit est ébranlé;

Ces conditions de fond doivent être réunies au moment où le tribunal de commerce se prononce; c'est donc en l'espèce au jour du jugement dont opposition que le tribunal doit se placer pour apprécier la situation du commerçant concerné et dire s'il était dans les conditions pour être déclaré en faillite.

2. La cessation de paiement est définie comme le fait matériel du commerçant qui, n'honorant plus ses dettes liquides et exigibles, a arrêté son mouvement de caisse; cette condition n'implique pas nécessairement que le débiteur ait cessé tous ses paiements, il suffit que ses principaux paiements aient cessé;

La loi exige en outre que la cessation de paiement soit persistante; une difficulté passagère de trésorerie est donc insuffisante: le juge devra évaluer si le manque de liquidité apparaissant du non-paiement de certaines dettes révèle une situation plus grave devant aboutir, à très bref délai, à la cessation de paiement généralisée;

Quant au crédit du commerçant, celui-ci est ébranlé quand il perd la confiance des investisseurs et sa capacité corrélative à trouver des financements.

3. La citation introductive d'instance, à laquelle il a été fait droit, était motivée par le fait que la SPRL Groupe Thomas restait redevable d'une somme de 22.224,14 EUR envers le SPF Finances, et de 738,81 EUR envers l'ONSS, qu'elle n'avait pas déposé ses comptes annuels 2015 et 2016, et par le fait qu'elle n'avait pas répondu aux convocations de la chambre d'enquête commerciale;

La SPRL Groupe Thomas Nicolas fait quant à elle valoir que les comptes ont été déposés, qu'une réclamation a été introduite contre la dette SPF Finances, qu'un plan d'apurement a été négocié avec l'UCM et que la dette TVA peut être payée par le compte bancaire de la société;

* Si la SPRL Groupe Thomas Nicolas produit aujourd'hui ses comptes annuels 2015 et 2016, il faut constater que:

- ceux-ci n'ont été déposés qu'après prononcé de la faillite (I);

- la SPRL Groupe Thomas Nicolas accusait une perte d'exploitation de 12.318,21 EUR à fin 2015, et de 21.214,11 EUR à fin 2016, mettant les fonds propres en négatif;

- au 31 décembre 2016, l'endettement était de 73.786,03 EUR;

- aucune situation bilantaire plus récente n'est produite, qui permettrait de croire que la situation se serait améliorée;

* Quant à la dette à l'égard du SPF Finances (13.411,93 EUR), il résulte des pièces produites que:

- la réclamation n'a été introduite que le 18 décembre 2017, soit après prononcé du jugement dont opposition; la recevabilité de cette réclamation pose question;

- la réclamation ne porte que sur la dette ISOC 2016 (comparer pièce 9 de la SPRL Groupe Thomas Nicolas et pièce 3 bis de la curatelle), soit la moitié seulement de la dette fiscale;

- au jour du prononcé du jugement déclaratif de faillite, aucun plan d'apurement n'a été proposé ni a fortiori accepté par le SPF Finances, qui dit souhaiter la confirmation du jugement déclaratif de faillite (pièce 6 de la curatelle);

* Si la SPRL Groupe Thomas Nicolas dit respecter un plan d'apurement de la dette à l'égard de l'UCM (13.317,59 EUR produits à la faillite - pièce 2 de la curatelle), il apparaît cependant des pièces des dossiers déposés que:

- elle ne produit aucune preuve des versements vantés, ni du plan d'apurement qui aurait été conclu;

- interpellée par la curatelle, l'UCM n'a pas confirmé l'existence d'un quelconque accord (pièce 7 de la curatelle);

* La curatelle a confirmé que les avoirs bancaires sont limités à la somme de 1.396,98 EUR; ils ne permettent pas de réduction sensible du passif social; elle a également indiqué qu'aucune créance n'était à récupérer.

4. Quant au passif social, le curateur relève qu'aux termes du premier procès-verbal de vérification des créances, le passif s'établirait à la somme de 34.892,37 EUR sans compter la créance en compte courant du gérant de la société, de 51.802 EUR; il conclut que les conditions de la faillite étaient et sont manifestement réunies et l'opposition, non fondée; l'avis de M. le juge commissaire est également en ce sens, relevant notamment que la société n'avait pu atteindre la rentabilité jusqu'à présent malgré les apports du gérant;

Il résulte de ces considérations que la SPRL Groupe Thomas Nicolas ne dispose d'aucun actif circulant suffisant pour faire face à court ou moyen terme au passif social, qu'à la date du jugement dont opposition, elle n'avait négocié et obtenu aucun plan d'apurement avec ses créanciers; elle n'a plus la capacité à trouver des financements; si elle soutient aujourd'hui que son gérant est disposé à la soutenir, la capacité de ce dernier à apporter des liquidités en sus de son compte courant est invérifiée et apparaît trop tardive;

A la date de prononcé du jugement dont opposition, la SPRL Groupe Thomas Nicolas était manifestement en état de cessation de paiement tandis que son crédit était ébranlé; l'opposition doit être rejetée;

Ouï, madame Delphine Moreau, substitut du procureur du Roi, en son avis;

Par ces motifs, le tribunal,

Statuant contradictoirement en premier ressort,

Sur l'avis verbal du ministère public,

Vu les dispositions de la loi du 15 juin 1935 statuant sur l'emploi des langues en matière judiciaire,

Vu la loi sur les faillites et la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire;

Dit l'opposition recevable mais non fondée; confirme le jugement dont opposition;

En déboute la SPRL Groupe Thomas Nicolas et la condamne aux dépens.

(...)