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Affaire Proximus : un éclairage jurisprudentiel en matière de recevabilité d'une action en réparation collective, R.D.C.-T.B.H., 2018/7, p. 710-720

RECHTSVORDERING
Collectieve rechtsvordering - Ontvankelijkheid - Doelmatigheid - Factoren voor de beoordeling van de doelmatigheid - Optiesysteem - Opt-in gepast - Bekendmaking - Proximus -zaak
Het verbod aan de groepsvertegenwoordiger de rechtsvordering tot herstel van een collectieve schade niet meer te wijzigen of uit te breiden geldt enkel vanaf het ontvankelijkheidsvonnis en niet daarvoor.
De rechtsvordering tot collectief herstel is slechts ontvankelijk indien een beroep erop meer doelmatig lijkt dan een rechtsvordering van gemeen recht. De beoordeling van de schade in het kader van die ontvankelijkheidsvoorwaarde houdt een prima facie-onderzoek van de grond van de zaak in. Algemeen zal de rechtsvordering tot collectief herstel als meer doelmatig worden beoordeeld wanneer een groot aantal consumenten potentieel schade hebben geleden door een gemeenschappelijke oorzaak. Op het ogenblik van het instellen van de vordering tot collectief herstel moet er geen sprake te zijn van “geleden” schade.
Om te oordelen of de vordering tot collectief herstel meer doelmatig is dan een individuele vordering van gemeen recht, kan met een aantal elementen rekening worden gehouden: de potentiële omvang van de groep, het bestaan van individualiseerbare schade die voldoende in verband kan worden gebracht met het collectieve schadegeval, de complexiteit en de juridische efficiëntie van de rechtsvordering tot collectief herstel en de juridische zekerheid voor de groep consumenten. Het schadebedrag per consument kan geen decisief element zijn. De schaalgrootte van de collectieve rechtsvordering brengt mee dat de vorderingen voor een klein bedrag financieel haalbaar worden. Bovendien laat de collectieve rechtsvordering toe de feiten en de motieven in één procedure te beoordelen en derhalve tot een stabiele en geharmoniseerde gerechtelijke oplossing te komen.
Opdat het bewijs van schade en van het causaal verband voor alle groepsleden op individuele wijze zou kunnen geleverd en beoordeeld worden, moet de persoonlijke situatie en het gedrag van elke consument nagegaan worden, hetgeen vereist dat de leden van de groep geïdentificeerd zijn in de gegrondheidsfase van het geding. Het opt-in-systeem is meer geschikt als het nodig blijkt de leden van de groep snel, exact en met naam te identificeren. Wanneer het noodzakelijk is om in de gegrondheidsfase de persoonlijke situatie en/of het gedrag van elke consument te onderzoeken, dient het opt-in-systeem gekozen te worden.
ACTION EN JUSTICE
Action en réparation collective - Recevabilité - Efficience - Paramètres - Opt-in préféré à l'opt-out - Publication - Affaire Proximus
L'interdiction faite au représentant de modifier ou d'étendre l'action en réparation d'un préjudice collectif ne vaut qu'à partir de la décision sur la recevabilité et pas avant celle-ci.
L'action en réparation collective n'est recevable qui si le recours à cette action est plus efficient qu'une action de droit commun. L'appréciation du préjudice exige dans ce contexte une appréciation « prima facie ».
En règle, l'appréciation du caractère efficient de l'action pourra prendre en compte l'ampleur potentielle du groupe concerné, l'existence d'un préjudice individuel qui pourra être mis en corrélation avec le préjudice collectif, la complexité et l'efficacité juridique de l'action et la sécurité juridique qui en résulte pour le groupe de consommateurs.
Le montant du préjudice par consommateur n'est pas un facteur décisif. L'échelle de l'action permet d'assurer l'indemnisation de dommages individuels même faibles.
La preuve et l'ampleur du dommage subi par chaque membre du groupe, l'existence d'un lien causal et l'analyse du comportement du consommateur impliquent que, lors de la phase d'indemnisation, tous les consommateurs puissent être identifiés de façon précise. Ceci exige qu'un système d'opt-in soit choisi plutôt qu'un système d'opt out.
















Affaire Proximus: un éclairage jurisprudentiel en matière de recevabilité d'une action en réparation collective
Florence Danis et Elodie Falla [1]
1. Introduction

1.L'arrêt annoté constitue la première décision rendue en degré d'appel en Belgique relativement à la phase de recevabilité d'une action en réparation collective. Il constitue un éclairage précieux sur les conditions de recevabilité d'une action en réparation collective et sur les balises à définir par le juge au stade de la recevabilité, en particulier au regard du mécanisme d'option (opt-in ou opt-out).

2.Après des commentaires liminaires relatifs à la phase de recevabilité dans le cadre de l'action en réparation collective (2.), la présente contribution évoque les faits à la base de l'affaire Proximus (3.), les éléments-clés de la décision de recevabilité rendue en première instance (4.), le raisonnement sous-tendant la décision de la cour d'appel (5.), ainsi qu'une série d'enseignements pouvant être tirés du cas d'espèce (6.).

2. Quelques rappels en matière de recevabilité

3.La phase de recevabilité d'une action en réparation collective poursuit deux objectifs principaux [2].

Premièrement, elle vise à garantir la qualité des recours exercés. Elle protège le défendeur potentiel contre les recours abusifs [3], d'une part, et les membres absents contre des représentants peu soucieux de la défense de leurs intérêts, d'autre part [4]. Outre les conditions de recevabilité prévues par le Code judiciaire pour l'introduction d'une requête, le juge doit vérifier que le représentant du groupe satisfait aux conditions légales, qu'il peut mener la procédure de façon adéquate [5], que la cause invoquée par le représentant constitue une violation « potentielle [6] » (« mogelijke ») par l'entreprise défenderesse d'une de ses obligations contractuelles ou d'un des actes énumérés à l'article XVII.37 du Code de droit économique (ci-après, « CDE ») et, finalement que l'action en réparation collective semble plus « efficiente » qu'une action de droit commun [7].

Deuxièmement, la phase de recevabilité vise à déterminer les grandes lignes du litige. Dans sa décision de recevabilité, le juge doit notamment décrire de façon détaillée le dommage et le groupe de personnes lésées, déterminer le système d'option applicable à la composition du groupe, fixer les délais de l'option, et les modalités de publicité de ladite décision [8].

La décision de recevabilité doit être intégralement publiée au Moniteur belge et sur le site internet du SPF Economie, PME, Classes moyennes et Energie [9]. Le juge peut, en outre, ordonner des mesures additionnelles de publicité [10]. La publicité de la décision de recevabilité est particulièrement importante dans la mesure où elle constitue le point de départ du délai d'option à l'expiration duquel le groupe représenté dans l'action sera composé. Le législateur favorise une diffusion large de la décision de la recevabilité afin d'assurer aux victimes potentiellement lésées un exercice de leur droit d'option en pleine connaissance de cause [11].

La loi accorde un rôle important au juge [12] et lui délègue notamment le pouvoir de trancher deux questions essentielles et délicates: non seulement la recevabilité de l'action en réparation collective mais également, au cas où une telle action est jugée recevable, le mode de composition du groupe [13]. Il appartient au juge de choisir le système d'option d'inclusion ou opt-in (seuls les consommateurs qui se sont manifestés expressément seront liés par le résultat de l'action) ou celui de l'option d'exclusion ou opt-out (toutes les personnes lésées par le préjudice collectif sont membres du groupe à moins qu'elles aient explicitement exprimé une volonté contraire de s'en exclure). Le législateur rend, toutefois, le système d'option d'inclusion obligatoire pour (i) les préjudices collectifs corporels ou moraux [14] ainsi que pour (ii) les consommateurs ne résidant pas habituellement en Belgique et les PME n'ayant pas leur établissement principal en Belgique [15].

3. Les faits de l'affaire Proximus

4.Les faits de l'espèce, tels qu'ils ressortent de la décision du tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles du 4 avril 2017 [16] et de l'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles annoté, peuvent être résumés comme suit:

Jusqu'en 2016, les services de Proximus TV étaient disponibles par l'intermédiaire d'un décodeur connu sous l'appellation « V3 ». En raison de modifications techniques, ce décodeur V3 n'allait plus permettre d'accéder aux services de Proximus TV à compter du 31 janvier 2017.

Par lettres des 25 mai et 8 juin 2016, Proximus a informé les acheteurs d'un décodeur V3 que ce décodeur ne permettrait plus d'accéder aux services de Proximus TV à compter du 31 janvier 2017. Ces courriers indiquaient que le décodeur V3 pouvait être remplacé par un nouveau décodeur dans le cadre d'un contrat de location, pour un montant de 8 EUR par mois. Cette proposition était accompagnée d'une offre commerciale, accordant une année de location gratuite [17] du nouveau décodeur, pour toute souscription dans des délais précis.

Il est apparu que la période de location gratuite offerte par Proximus se clôturait à la fin du mois de juillet 2017.

Test-Achats a estimé que, ce faisant, Proximus s'est rendue coupable de pratique commerciale agressive et trompeuse. Elle aurait en effet incité ses clients à se débarrasser immédiatement de décodeurs V3 (sans attendre le 31 janvier 2017), alors que ces décodeurs pouvaient fonctionner sans frais supplémentaires jusqu'au 31 janvier 2017, tout en leur donnant l'impression qu'ils allaient bénéficier d'une année gratuite de location du nouveau décodeur à compter du 1er février 2017 (soit jusque fin janvier 2018), alors qu'en réalité la période de gratuité se clôturait à la fin du mois de juillet 2017.

Test-Achats a tenté de négocier avec Proximus afin d'obtenir une année gratuite complète de location (jusqu'au 31 janvier 2018) au bénéfice des clients ayant changé de décodeur [18]. Les parties ne se sont pas entendues et Test-Achats a introduit une action en réparation collective contre Proximus le 30 novembre 2016.

4. Les éléments-clés de la décision du tribunal de première instance de Bruxelles

5.Par décision du 4 avril 2017, le tribunal de première instance a jugé que l'action en réparation collective de Test-Achats remplissait les conditions de l'article XVII.36 du CDE et l'a donc déclarée recevable.

6.Le tribunal a, tout d'abord, estimé que la cause invoquée par Test-Achats constituait bien une violation potentielle par Proximus de ses obligations contractuelles ou de l'une des dispositions légales visées par l'article XVII.37 du CDE. A cet égard, le tribunal a insisté sur le fait que la phase de recevabilité n'a pas pour objectif de déterminer si la violation invoquée est établie ou même suffisamment probable [19]. Selon le tribunal, la brièveté de la phase de recevabilité voulue par le législateur confirme ce point [20]. Le tribunal a donc conclu qu'il devait uniquement examiner si l'offre critiquée était susceptible de violer les dispositions invoquées par Test-Achats [21]. Il a considéré que tel était effectivement le cas en l'espèce.

7.Le tribunal a ensuite confirmé que Test-Achats, une association défendant les intérêts des consommateurs, possédant la personnalité juridique et siégeant au Conseil de la consommation, répondait aux exigences de l'article XVII.39 du CDE. Il a en outre considéré, sans autre explication ou justification, que Test-Achats était « adéquate » pour agir comme représentant du groupe et qu'elle était suffisamment représentative pour représenter tous les consommateurs dupés [22].

8.Enfin, le tribunal a affirmé que l'on était en présence d'un groupe de consommateurs et d'un préjudice collectif. Le groupe concerné retenu par le tribunal est celui de l'ensemble des propriétaires d'un décodeur V3 ayant reçu l'offre (selon Test-Achats) trompeuse de Proximus et ayant souscrit à cette offre, soit 30.000 personnes. Ce faisant, le tribunal a écarté la position de Test-Achats, qui souhaitait voir inclus dans le groupe l'ensemble des acquéreurs d'un décodeur V3, qu'ils aient ou non souscrit à l'offre. Le préjudice collectif mis en avant par le tribunal est le fait que, sur les 12 mois de gratuité annoncés par Proximus, les consommateurs n'en n'auraient bénéficié que de 5.

Sur la base des constatations qui précèdent, le tribunal de première instance a conclu que l'action en réparation collective semblait plus efficiente qu'une action de droit commun dans le cas d'espèce. La justification avancée nous semble un peu rapide. Le tribunal n'invoque, en effet, aucun des paramètres visés par les travaux préparatoires pour soutenir son constat d'efficience (« économie d'échelle substantielle », « solution judiciaire stable et harmonisée », ou encore « sécurité juridique dans le chef des consommateurs » [23]) et n'a pas procédé à un test particulier d'efficience, tel qu'il a pu être recommandé par certains commentateurs [24].

9.Concernant la constitution du groupe de consommateurs, le tribunal de première instance a retenu le système de l'opt-out pour les personnes préjudiciées dont la résidence habituelle est située en Belgique. Un délai de 6 semaines prenant cours le jour de la publication du jugement au Moniteur belge a été octroyé à ces personnes pour exercer leur faculté d'exclusion du groupe auprès du greffe du tribunal.

Pour justifier son choix d'option, le tribunal a mis en avant un critère étonnant, lequel avait également été dégagé au stade de la recevabilité dans l'affaire Thomas Cook [25]. Il consiste à choisir le système de composition du groupe en fonction de la « prise de conscience [26] » du consommateur de l'existence de son préjudice. D'après le tribunal, « wanneer de consument zich ervan bewust is dat hij het slachtoffer is geworden van een schade en hij zich ook vrij gemakkelijk een beeld kan vormen van zijn rechten [27] », le système de l'option d'inclusion (opt-in) est approprié; en revanche, le système de l'opt-out doit être retenu « in de gevallen dat de vergoeding van de schade niet meteen voor de hand ligt en de consument zich mogelijks in eerste instantie zelf niet bewust is van de schade dat hij lijdt [28] ».

Dans son commentaire relatif à la décision de recevabilité rendue par le tribunal de première instance dans l'affaire ici commentée, S. Voet a relevé l'incohérence de l'attitude du tribunal, qui se base sur un standard général (« algemene standaard »), alors que le législateur commande précisément au juge de choisir le système d'option sur la base des faits et des circonstances concrètes de l'affaire en cause, du type de dommage et des arguments invoqués par les parties [29].

En se fondant sur une telle argumentation, le tribunal semble surtout opérer une confusion entre le choix, d'une part, du mode de composition du groupe et, d'autre part, des mesures de publicités additionnelles. La faculté octroyée au juge d'ordonner une diffusion du contenu du jugement adaptée à chaque affaire particulière vise incontestablement à tenir informé - à conscientiser - le consommateur qui fait partie du groupe des victimes de la procédure et de ses droits.

A côté de ce « test de prise de conscience » de son préjudice par la personne lésée, le tribunal s'est appuyé sur deux critères plus convaincants pour justifier l'option d'exclusion. D'une part, l'ampleur limitée des dommages individuels subis (estimés, d'après la décision du tribunal, à environ 56 EUR par référence aux conclusions de Test-Achats). D'autre part, le nombre potentiellement important de membres du groupe.

10.Conformément à l'article XVII.43, 3° du CDE, le tribunal de première instance a ordonné que le jugement soit, à l'issue du délai de recours, publié dans son intégralité au Moniteur belge et sur le site web du SPF Economie, PME, Classes Moyennes et Energie.

En outre, le tribunal a complété cette mesure obligatoire de publicité collective par une diffusion du jugement plus ciblée; son caractère individuel visant à notre sens à garantir l'image et la réputation du défendeur au stade de la recevabilité. En particulier, il a condamné Proximus à envoyer une lettre par pli simple à la dernière adresse connue de tous les propriétaires d'un décodeur V3 qui avaient souscrit à l'offre de Proximus en vue d'une location gratuite pour un an. Cette lettre devait reprendre les éléments pertinents du jugement. Une simple mention du jugement dans une facture n'était, d'après le tribunal, pas suffisante pour informer les personnes lésées. Il a considéré que les consommateurs ne liraient pas (ou, à tout le moins, pas suffisamment) les informations qui viendraient s'ajouter aux précisions relatives à la facturation.

11.Proximus a interjeté appel contre la décision du tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles. Dans son arrêt du 10 janvier 2018, la cour d'appel de Bruxelles a confirmé la recevabilité de l'action en réparation collective. Elle a modifié cependant les paramètres de celle-ci et, réformant le jugement a quo sur ce point, a décidé que le groupe de consommateurs devrait être constitué sur la base d'un système d'opt-in et non d'opt-out.

L'arrêt de la cour de Bruxelles a été publié dans son intégralité en néerlandais au Moniteur belge du 24 janvier 2018, ainsi que sur le site web du SPF Economie, PME, Classes Moyennes et Energie.

5. Le raisonnement de la cour d'appel de Bruxelles
5.1. Quant au groupe

12.La cour a confirmé que le groupe est constitué d'environ 30.000 consommateurs, propriétaires d'un décodeur V3, auxquels Proximus a - par courrier des 25 mai et 28 septembre 2016 - offert un an de location gratuite du nouveau décodeur, à la condition qu'ils échangent leur ancien décodeur dans le délai spécifié (un mois ou 15 jours), et ayant réagi à cette offre.

Proximus arguait que Test-Achats aurait étendu sa demande, en ce que sa requête visait deux numéros de série de décodeurs, appartenant à un consommateur unique, et qu'elle aurait ensuite tenté d'étendre la demande à un groupe d'environ 30.000 consommateurs. D'après Test-Achats, Proximus aurait, ce faisant, agi en violation de l'article XVII.64 du CDE [30].

Rejetant l'argument de Proximus, la cour a souligné que l'interdiction de modification ou d'extension de l'action en réparation collective contenue à l'article XVII.64 du CDE ne vaut que pour la période postérieure à la décision de recevabilité [31].

Pour soutenir cette analyse, la cour a rappelé les développements contenus dans les travaux parlementaires sur ce point [32]. Ceux-ci confirment en effet que l'objectif de l'interdiction de l'article XVII.64 CDE est de permettre aux consommateurs de décider s'ils exercent ou non l'option qui leur est offerte, et ce en pleine en connaissance de cause, sans risque de voir l'objet de la demande évoluer ultérieurement.

En d'autres termes, la cour confirme qu'une éventuelle extension de la demande au cours de la procédure relative à la recevabilité ne peut être interdite sur pied de l'article XVII.64 du CDE.

5.2. Quant à l'absence invoquée de dommage subi

13.Proximus contestait l'existence d'un quelconque dommage subi par les consommateurs au moment de l'introduction de l'action en réparation collective par Test-Achats, dans la mesure où aucun consommateur n'avait - à cette date - dû payer le moindre montant pour la location du nouveau décodeur.

La cour a rejeté l'argument de Proximus. Soulignant que l'action en réparation collective ne modifie pas les règles de la responsabilité civile [33], la cour rappelle que le droit commun de la responsabilité requiert un dommage certain, mais que ce dommage certain peut être actuel ou futur [34].

A l'instar du tribunal de première instance [35], la cour a considéré que le dommage revendiqué apparaissait bien réel et certain. La cour a rejeté la position de Proximus, selon laquelle - pour établir le dommage - il convenait de comparer la situation des clients ayant réagi à l'offre critiquée à l'hypothèse dans laquelle ces clients-ci n'auraient pas réagi à l'offre, ou dans laquelle l'offre n'aurait pas été formulée. Selon la cour, la cause du dommage revendiqué n'est pas l'offre ou l'acceptation de l'offre, mais le contenu trompeur de l'offre. Les personnes ayant réagi à l'offre pensaient bénéficier d'une année de gratuité pour la location de leur nouveau décodeur, alors qu'elles n'en ont bénéficié que pendant quelques mois.

5.3. Quant à l'efficience de l'action en réparation collective

14.La cour rappelle tout d'abord que l'évaluation de l'efficience peut notamment prendre en compte l'étendue potentielle du groupe, l'existence de dommages individualisables et suffisamment liés, la complexité et l'efficience juridique de l'action en réparation collective, la sécurité juridique pour le groupe de consommateurs, une protection efficace des consommateurs ou encore le fonctionnement fluide de la justice [36]. Elle rappelle également que le montant du dommage subi par le consommateur ne doit pas nécessairement être significatif [37].

In casu, la cour est parvenue à la conclusion que l'action en réparation collective serait plus efficiente que des actions individuelles sur la base des considérations suivantes:

    • un nombre élevé de consommateurs a potentiellement subi un dommage - la cour mentionne le chiffre d'environ 30.000 consommateurs potentiels;
    • le dommage de chacun des consommateurs a une cause commune, à savoir l'offre trompeuse formulée par Proximus dans ses courriers des 25 mai et 8 juin 2016;
    • le dommage consiste en un montant faible (selon Test-Achats: nombre de mois entre remplacement du décodeur et 1er février 2017 x 8 EUR par mois x nombre de décodeurs par consommateur, augmenté de la compensation forfaitaire prévue par les conditions générales de Proximus), qu'une action en réparation collective permettrait de réparer;
    • l'action en réparation collective permet au tribunal et ensuite à la cour d'évaluer les faits et les griefs dans une procédure unique, menant à une solution judiciaire stable et harmonisée.

    Dans la mesure où la cour a évalué le rapport entre les résultats atteints (p. ex. une décision sur le fond opposable à tous les consommateurs lésés) et le nombre de procédures à engager (en l'occurrence une procédure unique) [38], elle semble avoir évalué l'efficience d'une action en réparation collective davantage dans le respect de ce qui avait été souhaité par le législateur que ce que n'avait initialement fait le tribunal.

    En revanche, la cour nous semble avoir omis certains éléments importants dans son analyse de l'efficience de l'action en réparation collective en cause.

    D'une part, elle vise un groupe de 30.000 consommateurs (destinataires des offres émises), alors qu'elle précise elle-même que seuls ceux de ces 30.000 consommateurs ayant réagi à l'offre formulée sont susceptibles d'avoir subi un dommage [39]. Le groupe ayant subi un dommage est donc potentiellement constitué d'un nombre de consommateurs bien inférieur à 30.000 consommateurs. La cour ne prend pas ce point en compte.

    D'autre part, la cour reconnaît que le dommage et le lien causal peuvent être différents pour chacun des consommateurs concernés. Elle ne tente cependant pas de déterminer dans quelle mesure une analyse individuelle de chaque dommage et de chaque lien causal pourrait en réalité réduire (à néant) l'efficience de l'action en réparation collective.

    L'absence de prise en compte des éléments précités - couplée aux éléments auxquels la cour a recours dans le choix du système d'option (voy. points 15 et s.) - fait craindre que les éléments individuels puissent, dans le cas d'espèce, prendre le pas sur les éléments communs, au détriment de l'efficience voulue.

    5.4. Quant à l'option à mettre en oeuvre pour constituer le groupe

    15.Contrairement au tribunal de première instance, la cour d'appel a retenu le système de l'option d'inclusion (opt-in) comme mode de composition du groupe.

    Son argument principal repose sur un passage des travaux préparatoires en vertu duquel le choix pour le système de l'opt-in est plus adéquat, inter alia, lorsque la nature du dommage nécessite l'intervention active des personnes lésées pour l'établissement et l'évaluation du préjudice [40]. La cour ajoute que l'option d'inclusion serait plus appropriée lorsqu'il est nécessaire que les membres du groupe soient identifiés rapidement, exactement et nommément [41].

    Pour la cour, la situation personnelle et le comportement individuel de chaque consommateur devront, in casu, être évalués lors de l'examen au fond de l'action, ce qui implique que chaque membre du groupe soit précisément identifié à ce stade de la procédure. La preuve du dommage et du lien de causalité entre la publicité prétendument trompeuse de Proximus et le dommage subi doit être apportée et évaluée pour chaque membre du groupe sur une base individuelle. En effet, il n'est pas inconcevable, selon la cour, que des consommateurs aient réagi à l'offre de Proximus, non pas à cause de son caractère prétendument trompeur, mais simplement parce qu'ils auraient pu estimer intéressante l'offre d'un an gratuit de location d'un nouveau décodeur et/ou auraient souhaité profiter le plus rapidement possible des avantages de ce nouveau décodeur [42].

    En statuant ainsi, la cour rappelle que les principes de droit commun régissant l'établissement du lien de causalité doivent également être respectés lors de l'examen au fond de l'action en réparation collective [43]. Elle les applique strictement en considérant qu'il devra être établi à l'égard de chacun des membres du groupe que le dommage qu'il a subi in concreto est bien imputable à la cause commune et que c'est bien cette cause commune qui a provoqué le dommage et non une autre cause. Pour établir le dommage, il faudra - conformément au droit commun - partir d'une comparaison entre la situation actuelle de chaque membre du groupe et celle qui aurait été la sienne si la faute n'avait pas eu lieu. Cela revient à prévoir ce qui se serait passé si chacun des consommateurs avait été correctement informé.

    Hormis dans les cas où le nombre et l'identité exacts des membres du groupe sont connus, et à considérer qu'ils sont dans une situation dommageable identique, l'application stricte de cette théorie dans le cadre de l'action en réparation collective implique une recherche individuelle systématique, laquelle sera soit, impossible, soit extrêmement longue et périlleuse, remettant ainsi en cause le caractère efficient de la procédure de l'action en réparation collective. Ceci est d'autant plus vrai dans le contexte des publicités mensongères ou trompeuses, où force est d'admettre que les réactions d'un consommateur à une information (in)correcte pourraient le plus souvent être très diverses et fortement dépendantes du contexte particulier de l'achat et des besoins propres à chacun d'eux [44].

    A notre sens, l'approche individualiste de la cour sur le plan de l'établissement du lien de causalité est contradictoire avec son examen de la condition de recevabilité relative au caractère plus efficient de l'action en réparation collective par rapport à une action individuelle de droit commun. Une action en réparation collective ne peut être plus efficiente qu'une action de droit commun, c'est-à-dire apporter de réelle plus-value, si elle se désagrège dans la résolution d'une multitude de situations individuelles et qu'elle ne génère pas de puissants éléments de convergence entre ces situations. Cette considération a une implication concrète sur les dommages soumis à la réparation dans une action en réparation collective. Le groupe ne doit pas seulement être unifié par l'identité du défendeur et par la « cause commune ». Il doit l'être aussi par les dommages dont le représentant demande la réparation.

    Par conséquent, la satisfaction, in casu, de la condition relative au caractère plus efficient de l'action en réparation collective doit rendre, à notre sens, possible l'établissement d'un « préjudice commun » sans individualisation possible a priori. La cohérence entre les dommages individuels doit, en effet, permettre de supposer que la situation hypothétique - la situation de la victime en l'absence de comportement fautif de l'entreprise défenderesse - est similaire pour chacun des membres du groupe, de sorte que la perte patrimoniale puisse se dessiner de manière analogue dans le chef de chaque membre du groupe. Dans le cas contraire, l'action en réparation collective ne peut être plus efficiente qu'une action de droit commun.

    En tout état de cause, l'argument de la cour concernant la nécessaire intervention de chaque victime - avant l'examen au fond du litige - pour connaître rapidement et précisément l'identité de chaque membre du groupe pourrait prêter le flanc à la critique, dans la mesure où il est concevable que Proximus dispose d'un listing de ses clients et des informations requises pour identifier les personnes auxquelles les lettres litigieuses ont été envoyées, et qui ont accepté l'offre. Ce point factuel n'est néanmoins pas vérifié par la cour.

    16.Pour justifier la mobilisation des membres du groupe en début de procédure, la cour met également en exergue l'évidence selon laquelle l'étendue du dommage de chaque victime dépend, d'une part, du moment auquel elle a accepté l'offre de Proximus (avant la fin du mois de juin 2016 pour celles qui ont reçu les lettres datées du 25 mai 2016 et du 8 juin 2016, ou avant le 15 novembre 2016 pour celles qui ont reçu la lettre du 28 septembre 2018) et, d'autre part, du nombre de décodeurs échangés.

    Nous ne voyons pas la nécessité de l'intervention de chaque victime - avant l'examen au fond du litige - pour l'évaluation de l'étendue de son dommage. Il ressort clairement de la loi et de ses travaux préparatoires que les dommages individuels des membres du groupe peuvent être différents quant à leur étendue [45]. Les circonstances de l'espèce laissent à penser qu'ils ne peuvent pas être d'une ampleur éminemment différente les uns des autres. Ils semblent en tous les cas aisément quantifiables, puisque leur montant correspondrait, d'après Test-Achats, au nombre de mois entre le remplacement du décodeur et le 1er février 2017 x 8 EUR x le nombre de décodeurs détenus par consommateur, augmenté de la compensation forfaitaire prévue par les conditions générales de Proximus.

    Pour le surplus, il convient de rappeler que la loi offre la possibilité au juge de diviser le groupe en plusieurs sous-groupes [46]. Créer des sous-catégories entre les personnes lésées en fonction, d'une part, du mois au cours duquel elles ont accepté l'offre et, d'autre part, du nombre de décodeurs échangés permettrait de systématiser les particularités individuelles et, partant, d'évaluer les préjudices sur la base d'une grille d'indemnisation au stade de l'étape de la liquidation.

    17.On relèvera ensuite avec intérêt que la cour d'appel a subsidiairement réfuté l'argument de Proximus qui justifiait le système de l'option d'inclusion en faisant sien le critère dégagé par le tribunal de première instance relatif à la prise de conscience de son préjudice par la personne lésée et, partant, en avançant que l'opt-in protégeait suffisamment l'intérêt de chaque victime individuellement parce que les victimes étaient conscientes qu'elles avaient subi un dommage et qu'elles avaient droit à une réparation [47]. D'après Proximus, les consommateurs lésés étaient suffisamment informés par la lettre envoyée par Test-Achats leur exposant leurs droits, l'information diffusée sur le site Internet de cette association des consommateurs et via différents communiqués de presse.

    La cour confirme que la prise de conscience de ses droits par la personne lésée n'est évoquée nulle part dans les travaux préparatoires comme critère devant guider le choix du juge entre l'option d'inclusion ou d'exclusion. Elle considère, à juste titre, que le législateur a prévu le système de publicité de l'article XVII.3, § 3, du CDE précisément pour assurer cette information aux personnes lésées, et les rendre conscientes de leurs droits.

    18.Accessoirement, la cour d'appel a - contrairement au tribunal de première instance - rejeté l'argument de Test-Achats qui se fondait sur le caractère diffus [48] du dommage pour justifier le choix de l'opt-out. D'après la cour, le fait que le dommage soit peu important d'un point de vue individuel a pour conséquence qu'une action en réparation collective est plus efficace qu'une action individuelle mais n'implique pas nécessairement que la personne lésée ne soit pas au courant de son dommage et de ses droits, de sorte qu'elle manifestera aisément sa volonté de faire partie du groupe et, partant, est suffisamment protégée par un système d'opt-in  [49].

    Ce faisant, la cour d'appel s'écarte d'une des lignes directrices énoncées dans les travaux préparatoires censées guider le juge dans le choix du mode d'option [50]. En effet, le législateur recommande notamment le recours au système de l'option d'exclusion en cas de dommages diffus [51]. Il relève à cet égard que « l'avantage manifeste du système d'opt-out est qu'il offre une réponse à l'ignorance ou l'apathie du consommateur lésé en termes de démarche judiciaire [52] ». A un autre endroit, il justifie cette recommandation en relevant qu'« en cas de préjudice diffus [...], aucun consommateur ne va prendre la peine d'adhérer au groupe, en ce cas, l'option d'exclusion est à recommander [53] ».

    Sur ce point, l'expérience de l'affaire commentée confirme la clairvoyance du législateur belge. En effet, d'après des sources informelles [54], moins de 1.500 personnes potentiellement lésées par la publicité prétendument trompeuse de Proximus auraient manifesté, endéans le délai imparti, la volonté de faire partie du groupe représenté par Test-Achats. Pour rappel, le préjudice individuel de chaque consommateur est évalué in casu par Test-Achats à environ 56 EUR et le nombre de personnes potentiellement lésées aux environs de 30.000. Il s'agit donc bien de dommages diffus [55] qui, envisagés non pas de manière individuelle mais comme parties à une collectivité de dommages issus d'un même fait dommageable, apparaissent dans une dimension collective qui leur accorde un crédit indiscutable et leur donne une importance susceptible de les faire échapper à l'indifférence de la règle de droit.

    Le faible nombre de personnes lésées qui seront in fine liées par le résultat de l'action introduite par Test-Achats tend à remettre en cause le choix d'option retenu par la cour d'appel ainsi que le constat d'efficience de l'action en réparation collective (voy. point 14 ci avant). Il ne répond en tous les cas pas aux objectifs poursuivis par la loi sur l'action en réparation collective.

    En insérant un mécanisme d'action en réparation collective dans l'arsenal juridique belge, le législateur a clairement annoncé poursuivre deux objectifs: renforcer l'accès des consommateurs à la justice [56] et contribuer à une meilleure administration de la justice [57]. Un troisième objectif, plus implicite mais non moins certain, ressort d'une lecture attentive de la loi et de ses travaux préparatoires, celui de la dissuasion des comportements dommageables [58]. En d'autres termes, le législateur attend de l'action en réparation collective qu'elle contribue à une forme de régulation économique, d'assainissement de la concurrence et qu'elle contribue ainsi à l'effectivité du respect du droit de la consommation [59].

    Lorsqu'une action en réparation collective vise la réparation de dommages individuels de faible importance, l'action en réparation collective ne peut prétendre poursuivre prioritairement la réparation de préjudices individuels. Ce type d'action ouvre l'accès à la justice aux dommages diffus dans le but principal de renforcer la confiance dans le marché de la concurrence et de la consommation de sorte que l'indemnisation des victimes n'a qu'une importance secondaire. En d'autres termes, l'action en réparation collective vise dans cette hypothèse à ne pas laisser sans indemnisation des petits préjudices qui se répètent par milliers, tout en ne laissant pas impunis des comportements fautifs lucratifs.

    In casu, l' opt-in ne semble pas répondre aux objectifs précités dans la mesure où - si la responsabilité de Proximus est retenue au fond - le défendeur va être condamné à réparer le dommage seulement d'une petite partie des personnes lésées. De plus, le faible engouement des victimes pour l'action ne va vraisemblablement pas inciter Proximus à s'asseoir à la table des négociations et, partant, ne contribuera pas à une meilleure administration de la justice.

    On pourrait soutenir que l'absence de manifestation massive des personnes lésées de leur volonté de faire partie du groupe ne se justifie pas seulement par un état de « rational apathy », caractéristique des victimes de dommages diffus, mais se fonderait également sur une mauvaise communication de leurs droits.

    5.5. Quant aux mesures de publicité

    19.Pourtant, la cour d'appel a confirmé la mesure de publicité additionnelle adoptée - conformément à l'article XVII.43, § 3, du CDE - par le tribunal de première instance enjoignant Proximus d'adresser une lettre à chacun des clients visés par la définition du groupe de personnes lésées, reprenant les considérations pertinentes de l'arrêt, afin de les éclairer au sujet de leurs droits et démarches à accomplir pour faire partie de ce groupe [60].

    Le manque de réactivité des personnes lésées malgré cette publicité ciblée invite à s'interroger sur la qualité de la communication avec les clients potentiellement membres du groupe.

    A cet égard, on peut regretter que le Roi n'ait pas encore usé de son pouvoir de fixer des règles plus détaillées sur la forme et le contenu de publicité de la décision de recevabilité [61].

    6. Quelques autres enseignements tirés de l'affaire Proximus
    6.1. La durée de la phase de recevabilité

    20.En vertu de l'article XVII.43, § 1er du CDE, le juge doit en principe statuer sur la recevabilité dans un délai de 2 mois à compter du dépôt de la requête ayant pour objet une réparation collective. De nombreux commentateurs ont, avec nous, évoqué le caractère surréaliste de ce délai de 2 mois [62].

    L'affaire Proximus confirme cette crainte. La requête en réparation collective de Test-Achats date du 30 novembre 2016 et la décision du tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles a été prononcée en date du 4 avril 2017. Un délai de plus de 4 mois a donc été nécessaire pour voir le juge statuer sur la recevabilité. Le respect de ce délai théorique s'est avéré encore davantage illusoire en degré d'appel. En effet, la cour d'appel de Bruxelles a été saisie par requête d'appel du 3 mai 2017 par Proximus et a prononcé son arrêt le 10 janvier 2018. 8 mois ont ainsi été nécessaires pour obtenir une décision sur la recevabilité en degré d'appel.

    Le constat qui précède n'est pas propre à l'affaire Proximus. Le caractère excessivement optimiste du délai de 2 mois voulu par le législateur s'est en effet également confirmé dans l'affaire Thomas Cook [63]: la requête initiale a été déposée le 2 octobre 2015 et la décision sur la recevabilité a été rendue le 4 avril 2016, soit après un délai de 6 mois. L'écart se creuse encore davantage dans l'affaire du Dieselgate: la requête en réparation collective date du 30 juin 2016 et la décision sur la recevabilité a été rendue le 18 décembre 2017, soit après plus de 16 mois!

    Il est à craindre que le délai de 2 mois visé à l'article XVII.43, § 1er, du CDE ne puisse en réalité jamais être respecté.

    6.2. La mise en état au cours de la phase de recevabilité

    21.Nous avons déjà eu l'occasion de souligner que, le Titre II du Livre XVII du CDE ne dérogeant pas aux dispositions du Code judiciaire relatives à la mise en état des procédures, les parties à une action en réparation collective doivent pouvoir établir un calendrier d'échange de conclusions [64].

    L'arrêt de la cour d'appel confirme que la phase de recevabilité de l'affaire Proximus a fait l'objet d'une mise en état conformément à l'article 747, § 1er, du Code judiciaire. L'arrêt se réfère en effet à une ordonnance rendue par la cour sur pied de cet article, ainsi qu'au dépôt, à tout le moins, de conclusions de synthèse par chacune des parties. Ceci laisse entendre que trois tours d'écrits procéduraux seraient intervenus.

    22.Il est intéressant de souligner qu'une mise en état différente a, par exemple, été mise en oeuvre dans le cadre de l'affaire Thomas Cook. Le jugement de recevabilité reproduit sur le site Internet du SPF Economie, PME, Classes Moyennes et Energie [65] ne vise en effet pas d'ordonnance prise sur pied de l'article 747, § 1er du Code judiciaire. Ce jugement révèle que Test-Achats et Thomas Cook ont toutes deux déposé leurs premières conclusions à la même date (lors d'une audience), suivies d'un nouveau dépôt par Thomas Cook seule ultérieurement. Ce calendrier serait le résultat d'un accord amiable des parties [66]. Le jugement précise également que les parties ont expressément renoncé à l'article XVII.43, § 1er du CDE, ce qui a été acté par le tribunal.

    7. Conclusion

    23.Les praticiens disposent d'un nombre croissant de décisions se prononçant sur la recevabilité de l'action en recevabilité collective, susceptibles de les éclairer sur la mise en oeuvre du Titre 2 du Livre XVII du CDE.

    L'arrêt annoté présente un intérêt tout particulier, en ce qu'il permet de dresser un premier bilan sur les critères mobilisés pour définir le système d'option applicable à la composition du groupe et, partant, de s'interroger sur les paramètres à retenir.

    Il illustre, par ailleurs, les difficultés rencontrées par les juridictions bruxelloises à concilier, d'une part, les objectifs poursuivis par le législateur en introduisant une action en réparation collective en droit belge, d'autre part, la mise en oeuvre des règles classiques de la responsabilité civile et, enfin, le souhait évident de ces mêmes juridictions de donner vie à l'action en réparation collective et de la mettre en oeuvre dans le respect desdits objectifs et règles.

    L'oeuvre n'est assurément pas aisée.

    [1] F. Danis, avocate au barreau de Bruxelles; E. Falla, docteur en droit et collaboratrice notariale; la présente contribution constitue l'opinion personnelle des auteurs et n'engage nullement les associations au sein desquelles exercent les auteurs.
    [2] Doc. parl., Ch. repr., 2013-2014, n° 53-3300/001-3301/001, exposé des motifs, p. 13.
    [3] Doc. parl., Ch. repr., 2013-2014, n° 53-3300/001-3301/001, exposé des motifs, p. 15.
    [4] Sur le caractère essentiel de cette étape du point de vue de la protection des intérêts des membres absents, voy. not. S. Voet, Een Belgische vertegenwoordigende collectieve rechtsvordering, Antwerpen-Cambridge, Intersentia, 2012, pp. 181-185.
    [5] Art. XVII.36, 2°, CDE.
    [6] Ni la loi belge de 2014 (loi du 28 mars 2014 portant insertion d'un Titre 2 « De l'action en réparation collective » au Livre XVII « Procédures juridictionnelles particulières » du Code de droit économique et portant insertion des définitions propres au Livre XVII dans le Livre 1er du Code de droit économique (M.B., 29 avril 2014, pp. 35.197-35.198), ni les travaux préparatoires ne précisent ce qu'il faut entendre par « violation potentielle ». Nous sommes d'avis avec d'autres que la violation de la norme invoquée ne doit pas, au stade de la recevabilité, être pleinement établie et prouvée; une telle discussion et une telle preuve devant faire l'objet de débats au fond. Le juge, amené à statuer sur cette condition de recevabilité, doit donc statuer comme « en référé ». Il doit procéder à un examen prima facie du bien-fondé de la demande ce qui implique qu'il doit vérifier qu'il existe suffisamment d'éléments qui démontrent, en fait et en droit, une apparence de violation.

    En ce sens, voy. not. H. Boularbah, « Le cadre de l'action en réparation collective », in L'action en réparation collective, Limal, Anthemis, 2015, p. 27, n° 34; S. Voet et B. Allemeersch, « De rechtsvordering tot collectief herstel: een Belgische class action voor consumenten », R.W., 2014, p. 646, note de bas de page n° 38: « Wat een (wellicht soms moeilijk) prima facie-onderzoek van de grond van de zaak impliceert. 'Mogelijk' betekent niet dat er zekerheid moet zijn, maar dat er in redelijkheid voldoende elementen zijn die (kunnen) wijzen op een schending. »
    [7] Art. XVII.36, 3°, CDE. L'exposé des motifs précise que le terme « efficient » « met l'accent sur l'optimisation (dans le chef des consommateurs ou sur le plan de l'efficacité procédurale) des outils mis en oeuvre pour parvenir à un résultat » (Doc. parl., Ch. repr., 2013-2014, n° 53-3300/001-3301/001, exposé des motifs, p. 9). L'exposé des motifs ajoute plus loin que l'exigence d'efficience par rapport à une action de droit commun « implique que le juge évalue, sur la base des faits et motifs invoqués par les parties, l'intérêt pour le groupe de consommateurs potentiellement concernés de recourir à une action en réparation collective plutôt qu'à une procédure classique en réparation » (Doc. parl., Ch. repr., 2013-2014, n° 53-3300/001-3301/001, exposé des motifs, p. 21).
    [8] Art. XVII.43, § 2, CDE.
    [9] Art. XVII.43, § 3, CDE (sans préjudice de la notification aux parties conformément à l'art. 792 C. jud.).
    [10] Art. XVII.43, § 2, 9°, CDE.
    [11] Doc. parl., Ch. repr., 2013-2014, n° 53-3300/001-3301/001, exposé des motifs, p. 31.
    [12] Voy. not. M. Taeymans, « Consumenten kunnen collectieve vordering instellen », Juristenkrant, 26 mars 2014, n° 286, p. 1; E. Falla, The Role of the Court in Collective Redress Litigation. Comparative Report, Bruxelles, Larcier, 2014.
    [13] En faisant ce choix, la loi belge de 2014 s'écarte de la recommandation de la Commission européenne qui impose le système d'inclusion et qui n'admet d'exceptions à ce principe uniquement pour des motifs tenant à la bonne administration de la justice (recommandation (2013/396/UE) de la Commission du 11 juin 2013 relative à des principes communs applicables aux mécanismes de recours collectif en cessation et en réparation dans les Etats membres en cas de violation des droits conférés par le droit de l'Union, art. 21). En réalité, en accordant un tel pouvoir d'appréciation au juge, le législateur belge s'est débarrassé d'une question controversée qui, comme on le sait, est plus politique que juridique. Par ailleurs, en organisant la coexistence du système d'option d'inclusion avec celui de l'exclusion, le législateur belge s'écarte des modèles qui lui ont servi de source d'inspiration et qui sont exclusivement fondés sur un système d'option d'exclusion (E. Falla, La réparation des dommages de masse. Propositions visant à renforcer l'efficacité de l'action en réparation collective, Bruxelles, Bruylant, 2017, p. 87, n° 67).
    [14] Art. XVII.43, § 2, 3°, CDE. Plus précisément, dans cette disposition, il n'est pas fait mention de « dommages corporels ou moraux » mais bien de « préjudice collectif corporel ou moral ».
    [15] Art. XVII.38, CDE.
    [16] Civ. Bruxelles, 4 avril 2017, D.C.C.R. 2017, pp. 140 et s.
    [17] Les courriers des 25 mai et 8 juin 2016 mentionnaient ainsi par exemple: « Ruil dan je huidige decoder in tegen ons nieuwste model en betaal het eerste jaar niets hiervoor » (traduction libre: « échangez donc votre décodeur actuel pour notre modèle le plus récent et ne payez rien pour celui-ci au cours de la première année ») ou encore « 1 jaar van de huur van de decoder volledig gratis cadeau te krijgen » (traduction libre: « recevoir 1 an de location du décodeur complètement gratuitement »).
    [18] L'action en réparation collective ne doit pas nécessairement être introduite par une requête contentieuse. Les parties peuvent déposer une requête conjointe en vue de faire homologuer un accord préalable de réparation collective. Dans ce cas de figure, les parties s'entendent sur la réparation à accorder aux personnes lésées en dehors de toute procédure contentieuse et donc avant que le juge n'ait statué sur la recevabilité de l'action en réparation collective. La requête conjointe vise uniquement l'homologation de l'accord déjà négocié et son exécution subséquente conformément aux dispositions de la loi.
    [19] Voy. point 21 du jugement a quo.
    [20] Voy. art. XVII.43, § 1er, du CDE qui dispose que le juge doit en principe statuer sur la recevabilité dans un délai de 2 mois à compter du dépôt de la requête.
    [21] « Bijgevolg beperkt het onderzoek zich in deze tot de vraag of het hier bekritiseerde aanbod de aangehaalde bepalingen zou kunnen schenden zoals voorgehouden door Test Aankoop. »
    [22] A notre connaissance, l'ensemble des actions en réparation collective qui ont été introduites à ce jour, l'ont été par Test-Achats. Sur ce « monopole », voy. not. E. Cleeren, « La 'class action' donne à Test-Achats un quasi-monopole », De Tijd, 4 mars 2014. A noter qu'à l'époque seuls des consommateurs pouvaient bénéficier de l'action en réparation collective. La loi du 30 mars 2018 a étendu le bénéfice de cette action aux PME (M.B., 22 mai 2018).
    [23] Doc. parl., Ch. repr., 2013-2014, n° 53-3300/001-3301/001, exposé des motifs, p. 8 et p. 21.
    [24] Voy. p. ex. H. Boularbah, « Le cadre et les conditions de l'action en réparation collective », in J. Englebert et al., L'action en réparation collective, Limal, Anthemis, 2015, p. 30.
    [25] Civ. Bruxelles, 4 avril 2016, AR 2015/4019, M.B., 28 juin 2016, p. 39.309, point 36.
    [26] Expression traduite du néerlandais (« bewustzijnscriterium ») et empruntée à S. Voet, dans sa contribution intitulée « Ontvankelijkheid van een rechtsvordering tot collectief herstel », D.C.C.R., 2017, 117-2017, p. 38, n° 8.
    [27] Traduction libre: « lorsque le consommateur est conscient qu'il a été victime d'un dommage et qu'il peut comprendre ses droits assez facilement »
    [28] Traduction libre: « dans les situations où l'indemnisation des dommages n'est pas nécessairement évidente et que le consommateur peut, dans un premier temps, ne pas être au courant qu'il a subi un dommage ».
    [29] S. Voet, dans sa contribution intitulée « Ontvankelijkheid van een rechtsvordering tot collectief herstel », D.C.C.R., 2017, 117-2017, p. 38, n° 8.
    [30] L'art. XVII.64 du CDE dispose que « Par dérogation à l'article 807 du Code judiciaire, le représentant du groupe ne peut plus modifier ou étendre l'action en réparation d'un préjudice collectif. »
    [31] Voy. point 16 de l'arrêt annoté.
    [32] Doc. parl., Ch. repr., 2013-2014, n° 53-3300/001-3301/001, exposé des motifs, p. 43 et p. 73.
    [33] Concernant ce postulat, nous avons déjà eu l'occasion de souligner qu'à notre estime, le Livre XVII du CDE semblait en réalité introduire une série de modifications au droit commun de la responsabilité civile; voy. F. Danis, E. Falla et Fr. Lefèvre, « Introduction aux principes de la loi relative à l'action en réparation collective et premiers commentaires critiques », R.D.C., 2014, p. 567.
    [34] En ce sens, voy. not. I. Durant, « Chapitre X - La réparation dite intégrale du dommage », in Le dommage et sa réparation dans la responsabilité contractuelle et extracontractuelle, Bruxelles, Bruylant, 2015, p. 448.
    [35] Voy. jugement a quo, point 36.
    [36] Voy. point 35 de l'arrêt annoté.
    [37] Doc. parl., Ch. repr., 2013-2014, n° 53-3300/001-3301/001, exposé des motifs, p. 8 et p. 21.
    [38] Doc. parl., Ch. repr., 2013-2014, n° 53-3300/001-3301/001, exposé des motifs, p. 8.
    [39] Voy. points 61 à 65 de l'arrêt annoté.
    [40] Doc. parl., Ch. repr., 2013-2014, n° 53-3300/001-3301/001, exposé des motifs, p. 30.
    [41] Voy. point 46 de l'arrêt annoté.
    [42] Voy. point 46 de l'arrêt annoté.
    [43] Doc. parl., Ch. repr., 2013-2014, n° 53-3300/001-3301/001, exposé des motifs, p. 37; Doc. Parl,Ch. repr., 2013-2014, n° 53-3300/004, rapport, p. 44.
    [44] Comme l'a souligné Th. Leonard: « [ce contexte] dépend évidemment de l'influence de l'information sur le choix commercial du consommateur en cause. Les uns n'auraient pas acheté le produit ou le service, les autres oui. Certains auraient opté pour un autre produit ou service du prestataire, d'autres auraient changé de prestataire et acquis un autre produit ou service. Le dommage subi pourrait donc être différent selon les personnes, allant de l'absence de dommage, à la perte de tout ou partie de la valeur du produit/service en passant par une évaluation ex æquo et bono de la perte d'usage ou d'un simple dommage moral. Bref, il risque d'y avoir absence ou très peu d'homogénéité des dommages individuels constituant le préjudice collectif, ce qui le rend difficile à apprécier au regard des règles de la responsabilité civile de droit commun » (Th. Leonard, « Le secteur des télécommunications: prétexte à voyage aux confins de la loi sur la réparation collective (Livre XVII du CDE) », in L'action en réparation collective, Limal, Anthemis, 2015, p. 351, n° 20).
    [45] Voy. par ex., Doc. parl., Ch. repr., 2013-2014, n° 53-3300/001-3301/001, exposé des motifs, p. 17: « Le fait que l'étendue matérielle du préjudice subi par ces consommateurs varie n'empêche pas le recours à la procédure de réparation collective. »
    [46] Art. XVII.38, § 2, CDE.
    [47] Voy. point 47 de l'arrêt annoté.
    [48] Dans la doctrine classique relative aux recours collectifs, il est traditionnellement fait une distinction entre les dommages diffus (« strooischade ») et les dommages substantiels.
    [49] Voy. point 48 de l'arrêt annoté.
    [50] Pour un examen approfondi et critique de ces lignes directrices, voy. L. Frankignoul, « L'exécution de l'accord homologue ou de la décision sur le fond », in L'action en réparation collective, Limal, Anthemis, 2015, pp. 131-135, nos 11-17.
    [51] Doc. parl., Ch. repr., 2013-2014, n° 53-3300/001-3301/001, exposé des motifs, p. 29.
    [52] Doc. parl., Ch. repr., 2013-2014, n° 53-3300/001-3301/001, exposé des motifs, p. 29.
    [53] Doc. parl., Ch. repr., 2013-2014, n° 53-3300/001-3301/001, exposé des motifs, p. 29.
    [54] www.rtbf.be/info/societe/detail_1346-personnes-dans-l-action-collective-de-test-achats-contre-proximus?id=9873946.
    [55] Voy. égal. la contribution de L. Frankignoul dans laquelle il distingue trois catégories de dommages diffus: « La notion de dommage diffus reste toutefois large, et englobe à la fois les dommages individuels qui s'élèvent à un montant trop faible pour justifier l'introduction d'une action individuelle (un préjudice de 250 EUR, p. ex.), les dommages trop faibles que pour motiver un membre potentiel à exercer son droit d'option (25 EUR, p. ex.) ou encore les dommages à ce point faibles qu'ils ne justifient pas une manifestation des personnes qui les ont subis, alors même qu'elles n'auraient qu'à se manifester au terme de la procédure pour en bénéficier (2,5 EUR, p. ex.) » (L. Frankignoul, « L'exécution de l'accord homologué ou de la décision sur le fond », in L'action en réparation collective, Limal, Anthemis, 2015, p. 140, n° 26).
    [56] Doc. parl., Ch. repr., 2013-2014, n° 53-3300/001-3301/001, exposé des motifs, pp. 5 et 10.
    [57] Doc. parl., Ch. repr., 2013-2014, n° 53-3300/001-3301/001, exposé des motifs, pp. 7-8 et 21.
    [58] E. Falla, La réparation des dommages de masse. Propositions visant à renforcer l'efficacité de l'action en réparation collective, Bruxelles, Bruylant, 2017, nos 468-471.
    [59] Voy. A. Puttemans, « L'action de groupe française et l'action en réparation collective belge. Eléments de comparaison », in 40 ans du Centre de droit de la consommation et du marché de Montpellier, Editions de la Faculté de droit et de science politique de Montpellier, Lextenso, sous presse.
    [60] Voy. point 56 de l'arrêt annoté.
    [61] Art. XVII.43, § 3, CDE.
    [62] Voy. p. ex. S. Voet, « De rechtsvordering tot collectief herstel: toepassingsgebied, hoedanigheid en ontvankelijkheidsvoorwaarden », in J. Rozie et al., Class Actions, Anvers, Intersentia, 2015, p. 36; F. Danis, E. Falla et Fr. Lefèvre, « Introduction aux principes de la loi relative à l'action en réparation collective et premiers commentaires critiques », R.D.C., 2014, p. 570.
    [63] Voy. la page du site du SPF Economie relative aux décisions rendues dans le cadre d'actions en réparation collective: www.economie.fgov.be/fr/themes/protection-des-consommateurs/action-en-reparation/decisions-rendues-dans-le.
    [64] F. Danis, E. Falla et Fr. Lefèvre, « Introduction aux principes de la loi relative à l'action en réparation collective et premiers commentaires critiques », R.D.C., 2014, p. 570.
    [65] www.economie.fgov.be/sites/default/files/Files/Consumer-protection/Vonnis-rechtbank-1e-aanleg-Brusse l-class-action-Thomas-Cook-Airlines.pdf.
    [66] H. Boularbah et M.-C. Van den Bossche, « De rechtsvordering tot collectief herstel: law in action », in Le droit économique en mouvement/Het economisch recht in beweging, Bruxelles, Bruylant, 2017, p. 52.