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La suppression du capital dans la société à responsabilité limitée, R.D.C.-T.B.H., 2018/9, p. 967-983

La suppression du capital dans la société à responsabilité limitée

Henri Culot [1]

TABLE DES MATIERES

Introduction. La société à responsabilité limitée dans le CSA

I. Absence de capital A. Motifs de la suppression du capital

B. Méthode et effets de la suppression du capital

II. Suppression du capital et constitution de la société A. Apports et contrôle des apports 1. Apports

2. Contrôle des apports

B. Capitaux propres suffisants

C. Garanties et responsabilité des fondateurs

III. Maintien du patrimoine de la société A. Distribution 1. Principes et double test

2. Compétence et procédure

3. Responsabilités et remboursement

4. Extensions

B. Sonnette d'alarme

C. Acquisition d'actions propres

D. Assistance financière

IV. Droit transitoire

V. Considérations prospectives

RESUME
La suppression du capital dans la SRL est une des nouveautés principales introduites par le Code des sociétés et des associations, en vue de simplifier les règles applicables à cette société appelée à devenir la « société de base ». Dans un contexte européen de mobilité accrue des sociétés et de concurrence réglementaire entre Etats en vue d'attirer les sociétés grâce à des règles moins contraignantes, les exigences de capital font en effet figure de vestiges du passé et de coûts inutiles. Il convenait donc de les retravailler, tout en s'assurant que les tiers (en particulier les créanciers de la société) restent protégés, si possible plus efficacement qu'auparavant. Ceci impliquait de revoir fondamentalement les règles relatives au capital lors de la constitution de la société et au cours de son fonctionnement, en particulier en ce qui concerne les distributions aux actionnaires et les opérations analogues. S'agissant d'une modification majeure du régime de la SPRL, des règles spécifiques de droit transitoire s'imposaient. Cet article expose les différents aspects du nouveau régime avant de proposer quelques considérations plus prospectives.
SAMENVATTING
De afschaffing van het kapitaal in de BV is een van de belangrijkste nieuwigheden die door het Wetboek van Vennootschappen en Verenigingen is ingevoerd om de regels voor deze vennootschap, die bestemd is om de “basisvennootschap” te worden, te vereenvoudigen. In een Europese context van toegenomen mobiliteit van vennootschappen en mededinging op regelgevingsgebied tussen de lidstaten om bedrijven aan te trekken dankzij minder dwingende regels, zijn de kapitaalvereisten immers overblijfselen uit het verleden en leiden ze tot onnodige kosten. Het was dus noodzakelijk om ze te herwerken en er tegelijkertijd voor te zorgen dat derden (in het bijzonder de crediteuren van de vennootschap) beschermd blijven, indien mogelijk doeltreffender dan voorheen. Dat impliceerde een grondige herziening van de kapitaalregels bij de oprichting en tijdens de werking van de vennootschap, in het bijzonder met betrekking tot de uitkeringen aan aandeelhouders en soortgelijke verrichtingen. Aangezien dit een fundamentele wijziging in het bvba-stelsel was, waren specifieke overgangsrechtregels vereist. In dit artikel worden de verschillende aspecten van het nieuwe stelsel uiteengezet alvorens enkele meer prospectieve beschouwingen te bieden.
Introduction. La société à responsabilité limitée dans le CSA [2]

1.Réforme du droit des sociétés et ses limites. Le souhait de réformer en profondeur le droit belge des sociétés ne pouvait se réaliser pleinement dans le droit de la société anonyme, alors pourtant que celle-ci est généralement considérée, parmi les formes de sociétés, comme un modèle [3] que les autres, mineures, n'imitent qu'imparfaitement. La société anonyme, a fortiori si ses titres sont cotés en bourse, est en effet largement régie par des directives européennes, qui ont été, au fil du temps, transposées en droit national. Le législateur belge ne peut donc pas modifier fondamentalement les règles qui s'appliquent à cette forme, et doit se limiter à en améliorer le fonctionnement sur certains points précis.

En conséquence, c'est sur la société privée à responsabilité limitée, « petite soeur » de la SA mais depuis longtemps la forme sociale la plus utilisée dans notre pays, que se sont reportées les ambitions du législateur. Il s'agit en quelque sorte d'inverser l'opinion commune tout en confirmant la pratique, pour faire de cette société la « société de base » dans notre système juridique.

2.Panorama de la réforme de la SRL. Pour qu'elle devienne vraiment la « société de base », la SRL doit être dotée de toutes les fonctionnalités disponibles dans une SA, notamment en termes de titres et de gouvernance. C'est un aspect important de la réforme, développé dans la contribution de D. Willermain  [4].

Les règles doivent aussi être simplifiées et le fonctionnement facilité. Ainsi, de nombreuses contraintes ou formalités disparaissent. Certains mécanismes auparavant impératifs ou d'ordre public deviennent supplétifs. Soucieux de la liberté contractuelle et statutaire, le législateur a cependant veillé à ce que les parties ne soient pas livrées à elles-mêmes pour définir leurs relations. Il a ainsi, le plus souvent, élaboré des règles supplétives, en distinguant clairement dans le texte légal les règles supplétives et le droit impératif. Les entrepreneurs ont donc le choix entre le prêt-à-porter légal - qui conviendra dans la plupart des cas - et le sur-mesure que pourront tailler leurs conseillers juridiques, mais dont le coût ne se justifie que dans certains cas.

3.Plan. La suppression du capital dans la SRL est un aspect de la simplification. Tel est l'objet de cet article. Dans un contexte européen de mobilité accrue des sociétés et de concurrence réglementaire entre Etats en vue d'attirer les sociétés grâce à des règles moins contraignantes, les exigences de capital font en effet figure de vestiges du passé et de coûts inutiles. Il convenait donc de les retravailler, tout en s'assurant que les tiers (en particulier les créanciers de la société) soient tout de même protégés, et si possible plus efficacement qu'auparavant (I.). Ceci impliquait de revoir fondamentalement les règles relatives au capital lors de la constitution de la société (II.) et au cours de son fonctionnement, en particulier en ce qui concerne les distributions aux actionnaires et les opérations analogues (III.). S'agissant d'une modification fondamentale du régime de la SPRL, des règles spécifiques de droit transitoire s'imposaient (IV.). Enfin, on terminera avec quelques considérations plus prospectives (V.).

I. Absence de capital
A. Motifs de la suppression du capital

4.Pour ou contre le capital? Même au sein du monde capitaliste, le capital - au sens que lui donne le droit des sociétés - a ses partisans et ses détracteurs. Pour simplifier, on peut dire que la conception du capital comme garantie des tiers, en contrepartie de la responsabilité limitée accordée aux associés, s'est généralisée en Europe sous l'influence allemande [5], alors que l'Angleterre n'y a fondamentalement jamais cru [6].

Comme d'autres, la Belgique s'est, pendant longtemps, rangée à la conception germanique [7], au point de maintenir, voire d'introduire, des exigences capitalistiques même lorsque le droit européen ne l'imposait pas, singulièrement en ce qui concerne les SPRL et SCRL [8]. Exiger un capital minimum allait de soi pour une société à responsabilité limitée au moment où la SPRL a été introduite en droit belge [9], en s'inspirant d'ailleurs - moyennant un détour par le droit français - d'une figure d'abord développée en Allemagne. Que les règles européennes relatives au capital ne s'appliquent pas à la SPRL n'a pas conduit, jusqu'à récemment, à remettre en cause leur pertinence (sauf quelques allégements) pour les SPRL.

5.Carences du capital. Malheureusement, le système construit sur le concept de capital, en tout cas tel qu'il était pratiqué, n'offre pas réellement les garanties qu'on attend de lui.

D'une part, il s'avère relativement inefficace pour protéger les tiers, particulièrement les créanciers de la société. Ceux-ci attendent en effet que la société dispose de liquidités suffisantes pour payer ses dettes exigibles ou, à défaut, d'actifs saisissables, non grevés de sûretés et qui peuvent être aisément liquidés [10]. Le capital ne le garantit aucunement car, sauf à l'instant précis de la constitution, l'existence d'un capital n'implique pas la présence d'un actif correspondant, encore moins d'un actif liquide. Certes, le capital interdit, à concurrence de son montant, que les associés s'approprient - par exemple par le biais de dividendes - les actifs de la société. Mais les prélèvements d'associés ne sont généralement pas la source principale des difficultés financières de la société et, de toute manière, le montant minimum du capital est trop bas pour constituer, même sur ce plan, une protection significative.

D'autre part, l'exigence d'un capital formé au départ par les apports des associés doit éviter que ceux-ci constituent trop légèrement des sociétés dépourvues de projet économique sérieux et d'espoirs raisonnables de profit [11]. Le capital impose en effet, toujours à concurrence de son montant, que les associés supportent une partie des risques sociaux, ce qui se matérialise par la perte de leur mise en cas d'échec du projet sociétaire. Si cette prise de risque existe en théorie, le montant du capital minimum requis n'est cependant pas suffisant, en pratique, pour empêcher les constitutions de sociétés non viables, surtout si l'on intègre dans la réflexion les possibilités, en droit ou en fait, de réduire encore le risque encouru ou d'échapper aux responsabilités corrélatives.

Dans les deux cas, le montant trop faible du capital minimum est une cause de son inefficacité. Mais, dans le contexte actuel, il n'est guère envisageable de l'augmenter. La jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne au cours des dernières années a en effet libéré la mobilité intraeuropéenne des sociétés [12], ce qui a conduit à une concurrence réglementaire entre les états de l'Union, dont certains permettent la constitution de sociétés à responsabilité limitée moyennant un apport en capital très réduit. La Belgique subit les effets de cette concurrence et les ressentirait davantage en cas de relèvement des exigences.

En outre, l'exigence d'un capital minimum d'égal montant pour toutes les SPRL est une règle par trop forfaitaire, souvent inadaptée aux particularités (et singulièrement à la taille) de chaque société. L'exigence d'un plan financier et la responsabilité pour capital de départ insuffisant pallie en partie ce problème, mais seulement pendant les quelques années suivant la constitution de la société.

6.Solution choisie. Partant de l'idée que le système actuel du capital ne remplit pas ses promesses en termes de protection des tiers et qu'à supposer que cela soit une solution, il n'est pas possible d'augmenter les montants requis, deux idées sont alors envisageables: conserver, comme l'ont fait d'autres Etats européens, une organisation du droit des sociétés à responsabilité limitée fondée sur le capital, tout en réduisant drastiquement le montant du capital minimum (possiblement aussi bas qu'un euro), soit supprimer totalement le capital et établir un mode de fonctionnement indépendant de ce concept.

La seconde solution a été choisie pour trois raisons principales. Premièrement, le législateur souhaitait marquer la rupture et montrer sa volonté de réformer le droit des sociétés en profondeur. On ne voulait pas se rattacher au système antérieur, en construisant une solution qui aurait d'ailleurs été artificielle, dès lors qu'un capital d'un euro n'offre pas plus de protection que l'absence de capital. Et l'imitation de la SPRL-Starter, dont il faut reconnaître qu'elle n'a pas été un succès [13], aurait été malvenue.

En outre, le législateur ne voulait pas entretenir l'illusion, en conservant le concept de capital tout en annihilant sa portée concrète, que subsistait un capital conçu comme limite aux distributions aux actionnaires [14] ou comme protection des tiers. En supprimant ce concept du droit de la SRL, il devient clair que ce n'est plus là que se définit l'équilibre entre les droits des créanciers et ceux des actionnaires. Les créanciers savent qu'ils ne peuvent plus (du tout) compter sur le capital pour être rassurés quant au paiement de leur créance.

Enfin, la suppression totale du capital est une manière pour le droit belge de se différencier plus radicalement des droits des pays proches, lui offrant ainsi - espère-t-on - un avantage comparatif [15] dans la course européenne à la réglementation la plus attractive des sociétés. Il y a donc également dans cette suppression une visée publicitaire, dont l'avenir dira si elle produit les effets souhaités.

B. Méthode et effets de la suppression du capital

7.Fonction de protection des créanciers. Une fois décidée la disparition du concept de capital des règles applicables à la SRL, deux types de questions se posent.

D'une part, quel sort faut-il réserver aux règles qui, auparavant, étaient destinées à assurer la réalité et le « maintien » du capital, c'est-à-dire ces règles autrefois pensées comme « annexes » à l'exigence d'un capital, dont principalement le contrôle des apports et le contrôle des distributions (au sens large)? A première vue, on pourrait croire que ces dispositions disparaissent avec le capital qui était leur raison d'être. Mais la réflexion doit être poursuivie plus avant, car la suppression du capital a toujours été conçue comme s'accompagnant d'autres techniques, préférablement plus efficaces, de protection des créanciers. Or, il n'est pas exclu que certaines des règles « accessoires » au capital puissent être conservées dans cette perspective. On n'échappe pas si facilement au « dilemme fondamental » [16] (et historique): il subsiste bel et bien un trade off entre légèreté de la réglementation et protection des tiers. Alors qu'on partait d'une proposition assez radicale [17], le CSA conserve finalement la plupart de ces règles. Nous y reviendrons dans la suite de cette contribution.

8.Fonction de répartition des droits des actionnaires. D'autre part, la suppression du capital nécessite aussi de le remplacer dans son autre fonction, à savoir celle de lien (au moins en principe) entre les apports des associés et leurs droits dans la société. Ce lien n'a jamais été absolu, et il ne doit pas toujours être strictement proportionnel. Mais sur le plan des principes, qui se reflétaient dans un certain nombre de règles supplétives, voire impératives, un rapport proportionnel unissait les apports de chaque associé et ses droits, financiers et politiques, dans la société. Ce lien passait par le capital et par les parts: en principe, qui apportait un quart de la mise de départ constituait un quart du capital, recevait un quart des parts et avait droit à un quart des droits de vote et des dividendes.

Ce « système » résultait de la combinaison des articles 232, 238 et 239 du Code des sociétés: toutes les parts étaient représentatives du capital; chacune en représentait la même proportion et donnait à son titulaire un droit égal dans la répartition des dividendes.

La suppression du capital emporte celle de ce lien. Désormais, le rapport entre les apports et les droits des actionnaires devient purement contractuel, ou plutôt statutaire [18]. Les statuts, voire une convention d'actionnaires, doivent fixer les droits accordés aux actionnaires (ou à chaque actionnaire) en échange de l'apport qu'il(s) fait (font) à la société. Plutôt que de passer par les concepts de capital et de part (action) et les liens de proportionnalité qui leur étaient corrélatifs, on s'en remet à un accord de volontés pour déterminer le « prix » des droits sociaux, ce prix étant payé au moyen de l'apport. A titre supplétif, si aucune clause des statuts ou d'une convention d'actionnaires n'en dispose autrement, l'article 5:41 prévoit pour les actions que « chaque action donne droit à une part égale du bénéfice et du solde de la liquidation », mais aucune règle n'indique combien d'actions sont attribuées à chaque actionnaire.

Les droits des associés, qui étaient définis en fonction de leur part dans le capital de la société (p. ex. aux art. 268 et 286 C. soc.), devront désormais reposer sur un autre critère. Le pourcentage du nombre total d'actions dont l'actionnaire est titulaire a généralement été choisi.

II. Suppression du capital et constitution de la société
A. Apports et contrôle des apports
1. Apports

9.Apports et actions. L'article 1:8 définit l'apport comme « l'acte par lequel une personne met quelque chose à disposition d'une société à constituer ou d'une société existante pour en devenir associé ou accroître sa part d'associé, et dès lors participer aux bénéfices ». L'apport suppose donc, dans la SRL, l'attribution à l'apporteur, en contrepartie de son apport, d'une ou plusieurs actions. La mise à disposition d'une chose à la société, sans attribution de titres ou moyennant l'attribution de titres qui ne confèrent pas des droits sociaux n'est pas un apport au sens de l'article 1:8. Les règles applicables aux apports, singulièrement le contrôle des apports en nature, ne s'y appliquent pas. La société doit émettre au moins une action conférant au moins un droit de vote. L'article 5:40 précise d'ailleurs, inversement, que « chaque action est émise en contrepartie d'un apport ». Si un titre est attribué sans apport du bénéficiaire, alors ce titre n'est pas une action.

10.Apports en industrie - Principes. Depuis longtemps, la difficulté d'apprécier correctement la valeur des apports en industrie et de s'assurer qu'ils soient effectivement libérés a conduit à les exclure des apports qui, dans la société anonyme, peuvent être rémunérés par des actions de capital (art. 46 de la directive n° 2017/1132 [19]; art. 443 C. soc., repris à l'art. 7:6 CSA). Par extension, la même règle a été appliquée à la SPRL (art. 218 C. soc.), même si le droit européen ne l'imposait pas. Dans la SA, on pouvait rémunérer ce type d'apport par des parts bénéficiaires (art. 483 C. soc.), mais celles-ci étaient interdites dans la SPRL [20].

Le CSA renverse cette logique et autorise désormais les apports en industrie dans la SRL. Ceux-ci sont considérés comme une sous-catégorie d'apports en nature, et sont donc admis sans restriction, tout en étant soumis aux règles applicables aux apports en nature, notamment quant à leur évaluation (voir infra, n° 17). Ces apports sont, comme les autres, rémunérés en principe par des actions. Il est toutefois possible de prévoir que la mise à disposition de « choses » à la société ne soit pas rémunérée par des droits sociaux, mais cela n'entre alors pas dans la définition de l'apport.

Cette réforme permet de valoriser le travail d'un actionnaire en le rémunérant par des droits sociaux. La société conserve ainsi ses liquidités pour financer ses investissements et son activité, et l'actionnaire actif profite de l'accroissement de valeur de l'entreprise résultant de son activité.

Les apports en industrie ne sont toutefois pas pris en compte pour la formation du capital au sens fiscal du terme [21].

11.Apports en industrie - Régime. Le CSA considère l'apport en industrie comme une sous-catégorie d'apport en nature (art. 1:8, § 2, al. 3). Cela ne correspond pas à l'opinion traditionnelle, qui y voyait plutôt une troisième catégorie d'apport, à côté des apports en numéraire et en nature [22]. Les caractéristiques de l'apport en industrie sont en effet différentes à plusieurs égards, notamment en ce que, généralement, cet apport n'est pas inscrit à l'actif du bilan et qu'il n'est pas intégralement libéré au moment de la souscription.

L'apport en industrie présente d'autres particularités, au moins sur deux points. D'une part, son évaluation est, plus encore que pour les autres apports en nature, difficile à établir de manière objective. D'autre part, et plus crucialement, il pose des difficultés en termes de libération, car celle-ci est nécessairement progressive et dépend souvent d'une personne déterminée. En ce sens, l'apport en industrie est presque toujours une opération intuitu personae.

Le code contient des règles supplétives au sujet de l'apport en industrie. L'apporteur doit faire bénéficier la société des profits qu'il a réalisés dans le cadre de l'activité apportée. Il ne peut faire concurrence à la société ni développer des activités de nature à nuire à la société ou à diminuer la valeur de son apport (art. 1:9, § 2, 3°). En outre, en cas de décès ou d'incapacité de l'apporteur, ainsi qu'en cas de cause étrangère l'empêchant définitivement d'exécuter son obligation, les actions qu'il a reçues en contrepartie sont caduques et il ne peut recevoir le dividende correspondant à l'exercice en cours que pro rata temporis (art. 5:10).

Il reste néanmoins indispensable en pratique de compléter ces règles dans les statuts. Il faut notamment prévoir les modalités de libération (une libération intégrale au moment de la souscription, comme la prévoit le CSA à titre supplétif, est difficilement envisageable) et la sanction de l'inexécution de l'obligation de fournir les prestations prévues, en particulier dans les cas non prévus par le CSA [23]. On pourra aussi prévoir les conséquences d'une cession des actions attribuées en contrepartie de l'apport si cette cession intervient avant la libération complète de l'apport en industrie.

12.Apports en industrie - Difficultés. L'utilisation de l'apport en industrie dans les SRL, quoiqu'utile dans certains cas, ne manquera pas de poser des difficultés. Outre celles qui ont déjà été évoquées, trois d'entre elles méritent d'être soulignées.

Premièrement, la cession d'actions obtenues en échange d'un apport en industrie, et qui ne sont pas totalement libérées, soulèvera des problèmes pratiques. Certes, la cession des actions ne libère pas l'apporteur de son obligation d'apporter. L'article 5:66 trouve en principe à s'appliquer, ce qui signifie que tant le cédant que le cessionnaire, ainsi que tous les cessionnaires ultérieurs, sont solidairement tenus de la libération envers la société. Mais il est probable que le travail promis ne puisse utilement être effectué que par le premier apporteur. Qu'il ait vendu ses actions ne le libère pas, en droit, de son obligation, mais on peut imaginer qu'en fait, sa motivation ne sera plus la même. En cas d'inexécution fautive de l'obligation du premier apporteur, la société peut lui réclamer des dommages et intérêts, dont le calcul du quantum n'est toutefois pas évident. Il en va d'autant plus ainsi si la société ne réclame pas le montant à l'apporteur lui-même, mais au cessionnaire des actions ou à un cessionnaire ultérieur. Une des manières de limiter le problème est probablement d'interdire statutairement la cession d'actions non libérées lorsqu'elles ont été souscrites en échange d'un apport en industrie. L'article 5:154, § 1er, alinéa 2, 1°, qui interdit la démission des fondateurs pendant les deux premiers exercices de la société, participe d'une logique similaire.

En second lieu, on peut se demander ce qui se passe si la société est déclarée en faillite avant la libération totale des apports en industrie. Sauf si le curateur décide de poursuivre les activités, l'apporteur est mis dans l'impossibilité d'exécuter son obligation en nature. L'inexécution n'est, sauf circonstance particulière, pas fautive dans son chef: il n'est donc pas possible de réclamer qu'il exécute son obligation par équivalent en payant des dommages et intérêts. Ainsi, c'est la société - donc ses créanciers - qui subit les effets de l'inexécution, sans pouvoir obtenir une libération des apports, ni en nature ni par équivalent. Certes, dans une société sans capital, les créanciers ne peuvent pas considérer le capital comme « bloqué » de manière intangible dans la société. Mais ils doivent en principe pouvoir compter sur les apports comme un élément de l'actif de la société, sur lesquels ils peuvent exercer leurs droits en cas de concours. Cela paraît d'ailleurs tout naturel pour les apports en numéraire, même dans une société sans capital: si ces apports n'ont pas été totalement libérés, le curateur peut, comme aujourd'hui, en réclamer la libération au profit de la masse. Il semble bien que ce ne sera pas possible pour les apports en industrie, sauf continuation de l'activité.

Enfin, l'idée d'un « dividende relatif à l'exercice en cours » réduit pro rata temporis en cas de caducité des actions résultant d'une inexécution de l'apport en industrie pour cause de décès, d'incapacité ou d'une cause étrangère est difficile à mettre en oeuvre dans un système où le dividende n'est pas (ou plus) lié à un exercice comptable. Les SRL peuvent en effet distribuer à tout moment des dividendes au moyen des bénéfices de l'exercice en cours, de ceux des exercices passés, ou même des apports des actionnaires (infra, nos 29 et 35). Elles peuvent aussi décider de ne pas en distribuer pendant un ou plusieurs exercices et de distribuer plus tard les bénéfices qui, entretemps, se seront accumulés. Dans le même contexte, la manière dont on applique (totalement ou partiellement?) la caducité des actions attribuées en rémunération de l'apport en industrie lorsque cet apport a été partiellement, mais pas totalement libéré, risque aussi de conduire à de longs débats.

13.Souscription des apports. Les apports doivent être intégralement souscrits, comme dans le droit antérieur. Les souscriptions sous condition sont interdites (art. 5:5). Ces règles sont sanctionnées par une obligation de garantie à charge des fondateurs (art. 5:15) [24].

Comme l'article 217 du Code des sociétés, le CSA interdit la souscription d'actions par la société elle-même, qu'elle agisse directement ou par l'intermédiaire d'une filiale ou d'une autre personne agissant pour son compte ou pour le compte de sa filiale (art. 5:6). Ces règles sont impératives, et ne s'appliquent pas si le souscripteur est un établissement de crédit ou une société de bourse agissant en tant qu'opérateur sur titres, ce qui sera rarement le cas lors de la constitution d'une SRL. Les sanctions sont les mêmes que dans le code précédent. Si les actions ont été souscrites par la société ou par sa filiale, les droits y afférents sont suspendus jusqu'à l'aliénation des actions irrégulièrement souscrites. La personne qui a souscrit pour le compte de la société ou de sa filiale est supposée avoir souscrit pour son propre compte. Les fondateurs sont solidairement tenus - au sens d'une obligation de garantie - de la libération de ces actions (art. 5:15, 3°).

14.Libération des apports. Le CSA prévoit que les apports doivent être intégralement libérés. Mais cette règle est seulement supplétive: les statuts peuvent librement modaliser les modalités de libération (art. 5:8). Il n'existe donc plus, comme précédemment, de minimum à libérer au moment de la constitution.

2. Contrôle des apports

15.Introduction. Le système du capital se caractérise par un strict contrôle des apports. Ce sont eux en effet qui - au moins à la création de la société - constituent la contrepartie du capital et qui en déterminent le montant. Dans l'intérêt des tiers, il faut vérifier la réalité de leur existence, l'effectivité de leur mise à disposition de la société et l'exactitude de la valeur qui leur est reconnue par les fondateurs ou actionnaires.

16.Apport en numéraire. La valeur des apports en numéraire ne pose en principe pas problème. C'est pourquoi le Code des sociétés se limitait à imposer leur dépôt sur un compte bancaire spécial, bloqué jusqu'au moment où la société acquiert la personnalité juridique. A cet instant, ses organes prennent possession des apports simplement en accédant au compte bancaire, qui est alors débloqué. Le notaire chargé de la constitution de la société doit obtenir de la banque une attestation certifiant que les apports ont été virés sur le compte spécial et qu'ils demeurent bloqués jusqu'au dépôt au greffe de l'extrait de l'acte constitutif.

Le CSA maintient ce mécanisme (art. 5:9). Si la société n'est pas constituée dans le mois de l'ouverture du compte spécial, ceux qui ont versé les fonds peuvent les récupérer.

Pour éviter la formalité du compte spécial, on peut facilement prévoir dans les statuts ou dans l'acte constitutif que les apports ne sont pas libérés à la constitution, mais dans un délai défini après l'acquisition de la personnalité juridique. Cela étant, il faut tôt ou tard ouvrir un compte bancaire au nom de la société.

17.Apport en nature. En ce qui concerne les apports en nature, la question de la détermination et du contrôle de leur valeur est prépondérante. C'est pourquoi le Code des sociétés imposait en principe l'intervention d'un réviseur d'entreprises, qui devait indiquer si les valeurs des apports, déterminées par les fondateurs, correspondent au moins au montant de la valeur nominale ou du pair comptable des parts attribuées à l'apporteur, c'est-à-dire au montant du capital dont ces apports constituent la contrepartie.

Le CSA maintient ce contrôle (art. 5:7). Il organise de manière plus rationnelle la séquence entre le rapport des fondateurs et celui du réviseur, en codifiant la pratique courante. Ainsi, il est désormais prévu que les fondateurs rédigent un projet de rapport décrivant les apports, la valorisation qu'ils en proposent et la contrepartie accordée à l'apporteur. Il n'est évidemment plus question d'un montant de capital ni de valeur nominale ou de pair comptable des actions, mais d'un nombre d'actions dont il faudra encore déterminer quels droits elles confèrent à leur titulaire. Le réviseur d'entreprises intervient ensuite pour donner son avis sur cette valorisation et sur la rémunération de l'apporteur, en indiquant si celle-ci est raisonnable. Les fondateurs finalisent alors leur rapport, en précisant s'ils s'écartent ou non des conclusions du réviseur.

Le CSA maintient les trois cas dans lesquels la procédure précitée n'est pas obligatoire, parce que l'on dispose par ailleurs d'une base solide et vérifiée, ou au moins vérifiable, pour valoriser les apports (art. 5:7, § 2). Il s'agit, moyennant certaines conditions qu'on ne détaillera pas ici [25], de titres cotés sur un marché réglementé, d'éléments d'actif qui ont été récemment évalués par un réviseur d'entreprises et d'éléments d'actif dont la valeur est tirée de comptes annuels audités. Ces trois cas, qui proviennent de l'article 50 de la directive n° 2017/1132, sont ceux également applicables à la SA. Le CSA n'ajoute aucune exception, ce qu'il aurait pu faire par exemple pour les apports de créances exigibles sur un débiteur manifestement solvable ou sur la société elle-même. Il est en effet de tradition d'apporter ces créances à leur valeur nominale et l'évaluation par un réviseur n'est guère utile dans ces cas.

18.Renonciation au contrôle révisoral. En dehors de ces cas, les fondateurs pourraient-ils unanimement renoncer au contrôle des apports en nature? Une telle possibilité de renonciation serait cohérente: dès lors qu'il n'y a plus de capital conçu comme protection des tiers, la valeur des apports - qui n'a plus d'incidence sur la valeur d'un capital - n'a plus réellement d'importance pour ces derniers. Dans le nouveau système, la valeur des apports est importante pour déterminer la proportion des droits sociaux alloués à chaque actionnaire: si un apport en nature est surévalué, il en résultera un « glissement » de droits sociaux en faveur de son apporteur et au détriment des autres [26]. Mais cette question ne concerne que les rapports entre actionnaires, et on devrait donc admettre, s'ils acceptent de prendre ce risque, qu'ils renoncent unanimement à la procédure d'évaluation censée les protéger.

Quoique la question ait été débattue [27], le CSA ne prévoit pas cette possibilité de renonciation. Pourtant, conformément à l'objectif de simplification, de nombreuses autres de ses dispositions autorisent les actionnaires unanimes, dans diverses circonstances, à renoncer à des formalités en principe obligatoires (p. ex. art. 5:121, § 2, 5:130, § 2, 12:65 et 12:81).

Dans l'exposé des motifs, on décèle trois arguments. La valeur des apports en nature est une information importante pour les actionnaires, surtout minoritaires. Il s'agit aussi d'une information utile pour les tiers, même dans un système sans capital. En effet, cette valeur est une des données qui doit figurer dans le plan financier (infra, n° 21), et c'est notamment à l'aune de la valeur des apports que s'apprécie l'obligation des fondateurs de prévoir des « capitaux propres de départ » suffisants. Enfin, la valeur des actifs indiquée dans les comptes annuels doit être exacte [28].

Le premier argument est exact, mais il n'explique pas pourquoi des actionnaires, éventuellement minoritaires, mais pleinement conscients, ne pourraient pas renoncer au contrôle.

Quant au second argument, il devrait alors logiquement impliquer qu'une renonciation à la procédure d'évaluation des apports en nature devrait être possible en cas d'apports nouveaux pendant la vie de la société, moment auquel il n'est plus question de plan financier ni de responsabilité des fondateurs (ou de l'administrateur) pour des capitaux propres insuffisants. Or, il n'y a pas de renonciation possible dans ce cas-là non plus, même à l'unanimité (art. 5:133).

Quant au troisième argument, le principe de l'image fidèle dans la comptabilité de la société doit certainement être respecté: les biens apportés doivent être comptabilisés adéquatement, mais il en va de même de tous les autres actifs pour lesquels on n'exige pourtant pas un contrôle révisoral dans la très grande majorité des sociétés.

19.Quasi-apport. Conformément à ce qu'impose l'article 52 de la directive n° 2017/1132 pour les sociétés anonymes, le Code des sociétés soumettait les quasi-apports à une procédure d'évaluation similaire à celle des apports en nature, de manière à éviter que la vérification de l'évaluation soit contournée en « déguisant » les apports en nature en un achat d'actif par la société au moyen de fonds apportés en numéraire.

Cette réglementation n'apparaît plus dans le Livre 5 du CSA, consacré à la SRL. Il est donc possible que le procédé de contournement décrit ci-dessus refasse surface. Certes, les règles de conflits d'intérêts seront parfois applicables [29], si l'opération implique que la société ait, fût-ce indirectement, un intérêt patrimonial opposé à celui de son administrateur. Mais tel n'est pas nécessairement le cas, notamment si le bien est acquis d'un fondateur ou actionnaire qui n'est pas administrateur.

B. Capitaux propres suffisants

20.Obligation positive. Outre l'exigence d'un capital minimum, le Code des sociétés prévoyait que la société devait, à sa constitution, disposer de moyens suffisants pour la conduite de ses activités pendant les 2 premières années de son existence. Mais cette obligation n'était pas formulée de manière positive: seule était prévue la responsabilité des fondateurs si les moyens financiers n'étaient manifestement pas suffisants (art. 229, 5°, C. soc.).

Pour H. Kelsen, il n'y a pas de différence entre une règle juridique et sa sanction, la nature de celle-là résidant tout entière dans l'application de celle-ci [30]. Cette conception n'est pas suivie par le législateur, qui a jugé plus clair d'énoncer de manière positive l'obligation à charge des fondateurs, avant de régler leur responsabilité en cas d'inexécution de cette obligation. Ainsi l'article 5:3 prévoit que: « Les fondateurs veillent à ce que la société à responsabilité limitée dispose lors de sa constitution de capitaux propres qui, compte tenu des autres sources de financement, sont suffisants à la lumière de l'activité projetée. »

Cette disposition confirme en même temps la jurisprudence majoritaire qui, à juste titre, tenait compte des apports, des prêts et comptes courants d'actionnaires (même s'ils ne sont pas subordonnés), des emprunts bancaires, des crédits fournisseurs, etc. Rien n'impose que les activités de la société soient financées exclusivement ou principalement par des apports ou par des fonds propres: toutes les sources de financement envisagées doivent être prises en compte [31].

21.Plan financier. Pour objectiver l'examen judiciaire et éviter autant que possible que les magistrats, qui par hypothèse statuent sur ce point après la faillite de la société, se fondent sur l'insolvabilité avérée pour considérer trop systématiquement que les capitaux propres de départ n'étaient (forcément …) pas suffisants, le code impose la rédaction d'un plan financier dans lequel les fondateurs exposent les hypothèses et les prévisions qui les conduisent au montant des capitaux propres qu'ils ont décidé.

Cette obligation existait déjà, mais la pratique a montré que certains plans financiers sont rudimentaires, lacunaires, incompréhensibles ou incohérents [32]. Ces défauts sont souvent cités dans la jurisprudence à l'appui de décisions de condamnation des fondateurs, même si - on ne le rappellera jamais assez - le fait générateur de la responsabilité est l'insuffisance manifeste des capitaux propres, et non l'indigence du plan financier. Il n'y a pas de lien nécessaire entre les deux.

Quoi qu'il en soit, le législateur a estimé utile d'imposer légalement un contenu minimum du plan financier (art. 5:4, § 2). Il s'est inspiré à cet égard - horresco referens - des dispositions auparavant applicables à la SPRL-Starter [33]: lors de leur rédaction, on avait en effet considéré que des exigences plus fortes en matière de plan financier contrebalançaient adéquatement des règles moins strictes en matière de capital minimum.

Ainsi, le plan financier doit désormais contenir au moins six rubriques, la septième n'étant applicable qu'en cas de rédaction du plan par un professionnel du chiffre, ce qui n'est pas obligatoire [34]:

    • « une description précise de l'activité projetée;
    • un aperçu de toutes les sources de financement à la constitution en ce compris, le cas échéant, la mention des garanties fournies à cet égard;
    • un bilan d'ouverture […], ainsi que des bilans projetés après douze et vingt-quatre mois;
    • un compte projeté de résultats après douze et vingt-quatre mois […];
    • un budget des revenus et dépenses projetés pour une période d'au moins deux ans à compter de la constitution;
    • une description des hypothèses retenues lors de l'estimation du chiffre d'affaires et de la rentabilité prévus;
    • le cas échéant, le nom de l'expert externe qui a apporté son assistance lors de l'établissement du plan financier. »

    Les prévisions de bilans et de comptes de résultats, visés aux 3° et 4°, peuvent être établis selon une autre périodicité (p. ex. semestrielle), pour autant que les prévisions couvrent une période d'au moins 2 ans à partir de la constitution de la société.

    Si l'intervention d'un expert n'est pas obligatoire, la rédaction du plan financier conformément à ces exigences nécessite néanmoins de bonnes connaissances comptables. Pour de nombreux entrepreneurs, il sera donc avisé de consulter un professionnel du chiffre pour la rédaction du plan. Les coûts associés peuvent probablement être considérés comme raisonnables au regard du risque de responsabilité en cas de faillite de la société, que l'intervention d'un comptable ne supprime certes pas, mais qu'en pratique elle réduit considérablement.

    C. Garanties et responsabilité des fondateurs

    22.Introduction. La responsabilité des fondateurs pour le respect des règles applicables à la constitution de la société subsiste dans son principe [35]. Quelques adaptations sont toutefois à noter.

    23.Notion de fondateur. Le CSA introduit dans le droit de la SRL la distinction, que le Code des sociétés connaissait déjà pour la SA, des fondateurs et des « souscripteurs ordinaires » (art. 5:11, al. 2). En principe, les fondateurs sont tous ceux qui comparaissent à l'acte constitutif de la société. Mais ne sont pas considérés comme fondateurs - et échappent donc aux responsabilités corrélatives - ceux qui y comparaissent en se limitant à souscrire des actions, moyennant des apports en numéraire, sans bénéficier d'aucun « avantage particulier », si par ailleurs des actionnaires détenant au moins un tiers des actions sont désignés comme fondateurs. Le CSA supprime ainsi une différence entre la SA et la SPRL [36].

    Le concept d'avantage particulier risque d'être difficile à utiliser dans un contexte où rien n'impose d'accorder aux apporteurs des droits proportionnels à leurs apports. Si deux actionnaires apportent chacun 10.000 EUR et que l'un reçoit 100 actions conférant (par action) deux droits de vote et un droit au dividende mais aucun droit au boni de liquidation, alors que l'autre reçoit 70 actions donnant droit à trois droits de vote, un droit au dividende et la totalité du boni de liquidation, l'un et/ou l'autre reçoit-il un avantage particulier? Eventuellement, lequel des deux? Fondamentalement, en quoi l'avantage est-il particulier, sinon par référence à ce que l'actionnaire aurait reçu en application des règles de proportionnalité antérieurement applicables et qui, précisément, ne sont plus en vigueur?

    24.Obligations de garantie. Les fondateurs sont, d'abord, tenus à des obligations de garantie (art. 5:15) qui concernent, comme dans le Code des sociétés, la souscription intégrale et inconditionnelle des actions, ainsi que la libération des actions dont ils sont réputés souscripteurs. Ils sont en outre tenus de la libération des actions souscrites par la société, par sa filiale, ou par un tiers pour le compte de celles-ci. Il n'y a pas lieu ici d'établir l'existence d'une faute ou d'un dommage: l'obligation de garantie est en quelque sorte automatique. Ceci n'est pas nouveau, mais une simple adaptation des règles qui figuraient à l'article 229, 1° à 3°, du Code des sociétés.

    25.Responsabilité. Pour plus de clarté, les responsabilités proprement dites figurent désormais dans un article distinct (art. 5:16). Les fondateurs sont responsables du préjudice résultant de la nullité de la société, de l'absence ou de la fausseté des mentions obligatoires de l'acte constitutif, ainsi que de la surévaluation des apports en nature.

    La responsabilité pour capitaux propres de départ manifestement insuffisants est reprise dans des termes similaires au libellé précédent (art. 229, 5°, C. soc.). La nouvelle définition de l'entreprise applicable au Livre XX C.D.E. implique que les sociétés que l'on qualifiait auparavant de civiles sont susceptibles d'être déclarées en faillite. Leurs fondateurs n'échapperont donc plus à cette responsabilité.

    Enfin, les fondateurs d'une SRL sont responsables de la réparation du préjudice qu'ils occasionnent s'ils choisissent pour la société une dénomination identique à, ou trop proche de, celle d'une autre société (art. 2:3, § 2).

    III. Maintien du patrimoine de la société

    26.Plan. Sous le libellé de « maintien du patrimoine », le CSA regroupe les règles concernant les distributions (A.), la sonnette d'alarme (B.), l'acquisition d'actions propres (C.) et l'assistance financière (D.).

    A. Distribution
    1. Principes et double test

    27.Créanciers vs actionnaires. Les opérations de distribution, surtout aux actionnaires, sont révélatrices du conflit majeur inhérent aux sociétés à responsabilité limitée. La logique juridique et économique requiert que les fonds de la société soient d'abord affectés au désintéressement des créanciers, titulaires d'un droit subjectif au paiement de leur créance, avant d'être versés aux actionnaires, qualifiés de residual claimants, qui ne disposent pas d'un tel droit, mais seulement d'un espoir de gain.

    Cette logique est suivie dans le cadre des opérations de liquidation. Mais si l'on admet qu'il ne faut pas nécessairement attendre la liquidation pour verser des montants aux actionnaires, alors il faut pouvoir s'assurer que les créanciers pourront être payés au moment où leur créance sera exigible, nonobstant des distributions faites aux actionnaires.

    Les actionnaires, qui devraient être servis en derniers, sont maîtres de décider d'une éventuelle distribution. Cette allocation du pouvoir n'est pas fortuite, mais elle est la contrepartie du fait que les actionnaires n'ont aucun droit, mais seulement une vocation, à obtenir des dividendes. Dans un tel contexte, les règles juridiques doivent s'interposer pour fixer des limites à la distribution, de manière à protéger les droits des créanciers [37].

    A cet égard, l'approche précédemment suivie, fondée principalement sur l'analyse des fonds propres du bilan, n'était pas satisfaisante. En résumé, elle interdisait simplement de distribuer le capital et les réserves indisponibles, sans réellement se préoccuper, directement du moins, du désintéressement des créanciers. Elle avait certes un effet positif indirect pour ceux-ci, mais il résultait surtout du fait qu'une limite était posée aux distributions, de sorte que les actionnaires ne pouvaient s'approprier autant de fonds qu'ils voulaient. Ce seuil pouvait cependant être aussi bas que le montant minimum à libérer du capital minimum, ce qui était presque insignifiant.

    28.Double test. Aussi, la suppression du capital dans la SRL s'est accompagnée d'un effort pour mieux protéger les créanciers dans le cadre des distributions, sans toutefois les empêcher ni les obérer des formalités trop pesantes, surtout dans les cas où les créanciers de la société n'ont aucune crainte raisonnable à avoir. Le choix s'est porté sur l'ajout d'un mécanisme qui vérifie plus directement ce qui intéresse vraiment les créanciers: la distribution ne rendra-t-elle pas la société incapable d'honorer ses dettes? Une analyse des fonds propres n'est pas abandonnée pour autant. En ses articles 5:141 à 5:144, le CSA prévoit ainsi un mécanisme de distribution reposant sur un double test [38].

    29.Test de solvabilité. D'une part, la distribution ne doit pas avoir pour effet que l'actif net de la société devienne négatif ou, si le bilan de la société comporte des capitaux propres indisponibles, qu'il devienne inférieur au montant de ceux-ci. En somme, il s'agit de l'adaptation de l'ancien critère (art. 320 C. soc.), en tenant le capital (qui n'existe plus) pour nul. L'actif net se calcule comme précédemment, c'est-à-dire en déduisant du total de l'actif les provisions et les dettes, ainsi que, le cas échéant, les montants non encore amortis des frais d'établissement et d'expansion et des frais de recherche et développement.

    Quelques précisions ou améliorations sont apportées au dispositif légal. Ainsi, pour éviter certaines manoeuvres de contournement, les montants non amortis des plus-values de réévaluation sont considérés comme indisponibles et ne peuvent donc pas être distribués.

    L'actif net se calcule en principe sur la base des derniers comptes annuels approuvés, mais la société peut aussi décider de se fonder sur un état actif et passif plus récent, qu'elle fait établir. Ceci permet de distribuer le bénéfice de l'exercice en cours ou de l'exercice précédent avant qu'il soit acté dans des comptes approuvés [39]. Dans ce cas, la société qui a désigné un commissaire doit lui faire vérifier l'état actif et passif. Ceci rappelle certains aspects du mécanisme de l'acompte sur dividendes (art. 618 C. soc.), qui n'existait pas dans la SPRL, sans toutefois s'y identifier complètement. Notamment, il ne s'agit pas d'un acompte à valoir sur un dividende qui sera décidé ultérieurement par l'assemblée générale, mais bien d'une distribution attribuée de manière définitive.

    30.Test de liquidité. D'autre part, la distribution ne peut se faire que si elle n'empêche pas la société de payer ses dettes exigibles. La perspective est doublement limitée. D'abord, on ne tient compte que des dettes qui deviendront exigibles dans les 12 mois qui suivent la date de la distribution, c'est-à-dire la date à laquelle celle-ci a été décidée par l'assemblée générale. Il va de soi que la société ne doit pas nécessairement disposer, dès cette date, de toutes les liquidités nécessaires pour payer ses dettes de l'année à venir. Elle peut tenir compte des rentrées de liquidités qui surviendront pendant la même période. Ensuite, l'examen se limite aux « développements auxquels on peut raisonnablement s'attendre ». Il ne faut donc pas, en principe, conserver des fonds pour faire face à des événements extraordinaires et imprévisibles. Cela étant, on ne saurait trop conseiller de tenir dûment compte des événements prévisibles (a fortiori des événements prévus) affectant significativement la liquidité de la société, même s'ils se produiront après la période de 12 mois que la loi indique: l'intention du législateur est certes d'éviter d'imposer des prévisions, voire des conjectures, à trop long terme, mais elle est d'abord que la distribution d'un dividende ne mette pas en péril le paiement des créanciers [40].

    Ce second test, qu'on appelle « de liquidité » [41], se distingue du test de solvabilité, ou « bilantaire », sur deux plans au moins. Premièrement, il évalue, comme son nom l'indique, la liquidité de la société, donc l'existence de liquidités ou d'actifs assimilés, au moment où la société en a besoin pour payer ses créanciers. On s'attache ainsi à un critère plus directement en lien avec ce qui préoccupe ces derniers, c'est-à-dire que la société puisse les payer à l'échéance, l'existence d'autres actifs (notamment ceux qui sont investis à long terme ou difficile à revendre) étant moins utile dans cette perspective. En second lieu, alors que le test de bilan est tourné vers le passé, à savoir l'accumulation de bénéfices grâce aux activités déjà accomplies, le test de liquidité s'intéresse au contraire à l'avenir, c'est-à-dire aux 12 mois qui suivent la décision de distribution. A nouveau, c'est un critère qui convient mieux aux créanciers, intéressés de savoir s'ils seront payés à l'échéance de leur créance plus qu'ils ne se demandent si la société a naguère réalisé des bénéfices. Le test de liquidité évite ainsi qu'une société en difficulté financière, mais qui possède d'importantes réserves comptables pour des raisons historiques, ne décide de vider ce qui reste dans sa caisse au profit des actionnaires.

    Le test de liquidité peut être effectué sur la base du bilan (ou de l'état actif et passif plus récent) de la société, surtout si celui-ci n'est pas trop ancien: le bilan peut, dans certains cas, indiquer de manière suffisamment claire que la société n'aura pas de dettes exigibles importantes et qu'elle dispose(ra) des liquidités nécessaires pour les honorer. L'organe d'administration doit être en mesure de savoir si la situation va ou non évoluer à cet égard. Mais il peut et, en cas de doute, il doit, se baser aussi sur des projections plus précises en termes de liquidités, par exemple en établissant une prévision des flux financiers à venir [42].

    L'introduction du test de liquidité n'a pas pour objectif ni pour effet d'interdire à la société d'emprunter afin de mettre en paiement le dividende, ni de comptabiliser la créance résultant de la distribution dans le « compte courant » du ou des actionnaires [43]. Simplement, dans la mesure où ces procédés, licites et largement utilisés dans la pratique, auraient un effet sur la liquidité de la société au cours des 12 mois ultérieurs, il convient d'en tenir compte lors de la réalisation du test de liquidité.

    2. Compétence et procédure

    31.Rôle de l'assemblée générale et de l'organe d'administration. Au dédoublement du test à réaliser pour autoriser une distribution correspond une répartition des tâches entre l'assemblée générale et l'organe d'administration.

    La première est chargée de décider de la distribution dans les limites autorisées par le test bilantaire uniquement. Est ainsi désormais explicitement consacrée à l'article 5:141 la compétence de l'assemblée générale pour décider de l'affectation du bénéfice et d'une éventuelle distribution, ce qui n'était pas le cas auparavant même s'il n'y avait aucun doute à ce sujet [44]. On y voit aussi une trace du lien qui, dans la pratique de la plupart des sociétés, unit l'approbation des comptes, l'affectation du résultat et les décisions concernant les distributions, qui sont généralement prises lors de l'assemblée générale ordinaire. La règle, consacrée par la jurisprudence [45], selon laquelle une distribution peut être décidée à tout moment de l'exercice, n'est cependant pas remise en cause [46].

    Une fois cette autorisation accordée, intervient l'organe d'administration, qui est chargé de mettre en oeuvre le test de liquidité. Il est en effet le mieux placé pour apprécier le montant des dettes à payer pendant les 12 prochains mois et pour vérifier si la mise en paiement du dividende n'empêchera pas la société d'y faire face. L'organe d'administration motive sa décision dans un rapport, qui ne doit toutefois pas être publié; son absence n'entraîne pas la nullité de la distribution [47]. Si la société a désigné un commissaire, il devra évaluer les données qui y figurent. De manière similaire au plan financier (supra, n° 21), le rapport a pour objectif de permettre, le moment venu, de se remémorer les éléments pris en compte par l'organe d'administration lorsqu'il a réalisé le test de liquidité, pour vérifier si son attitude était raisonnable au moment où il a pris la décision et éviter ainsi, autant que possible, les raisonnements a posteriori.

    Si le test de liquidité s'avère négatif, la décision de distribution prise par l'assemblée générale ne produit pas ses effets. Ceci signifie au minimum que l'organe d'administration ne peut pas mettre le dividende en paiement. Mais la décision de l'assemblée générale n'est pas caduque. On pourrait imaginer en effet que, quelque temps plus tard, les prévisions de liquidité de la société deviennent meilleures qu'espérées, par exemple parce que la société était défenderesse dans un litige important et qu'elle n'est finalement pas condamnée. L'autorisation de l'assemblée générale conserve donc sa validité même si le test de liquidité conduit dans la foulée n'est pas positif. Elle n'est pas éternelle pour autant. Lors de l'approbation des comptes de l'exercice en cours, le bilan de référence n'est plus le même et il faut donc, le cas échéant, une nouvelle décision de distribution de l'assemblée générale, basée sur le dernier bilan en date. A ce moment, la décision fondée sur le bilan antérieur ou sur l'état actif et passif plus récent perd sa validité.

    Il se pourrait aussi que les liquidités de la société ne soient pas suffisantes pour distribuer la totalité du montant décidé par l'assemblée générale, mais qu'une exécution partielle de sa décision soit possible. Dans ce cas, il n'y a pas d'obstacle à ce que la distribution soit mise en paiement à due concurrence, même si le texte légal n'envisage pas ce cas.

    32.Délégation. A la manière de l'« acompte sur dividendes » (art. 618 C. soc.), qui n'était pas prévu dans la SPRL, les statuts peuvent désormais autoriser l'organe d'administration à décider lui-même de certaines distributions (art. 5:141, al. 2).

    Il ne peut le faire que dans le respect du double test exposé ci-dessus. En outre, il ne peut distribuer de cette manière que le bénéfice de l'exercice en cours, et celui de l'exercice précédent si les comptes de cet exercice n'ont pas encore été approuvés. Une éventuelle perte reportée vient en déduction de ce montant; un bénéfice reporté s'y ajoute.

    Ceci marque donc la différence entre le bénéfice reporté et la réserve disponible. Le premier peut, moyennant une autorisation statutaire, être distribué par l'organe d'administration. Seule l'assemblée générale peut décider de distribuer la seconde.

    Cette délégation permettra peut-être d'éviter que les actionnaires s'approprient les bénéfices de l'exercice en cours par le biais de prélèvements comptabilisés en « compte courant », lequel est ensuite apuré par compensation avec les créances des actionnaires résultant du dividende ultérieurement décidé par l'assemblée générale [48]. Mais le nouveau code n'interdit pas cette pratique, qui n'est pas sujette à critique sur le plan strictement juridique [49].

    La distribution décidée par l'organe d'administration est définitive; elle n'est pas un acompte à valoir sur une distribution qui serait ultérieurement décidée ou confirmée par l'assemblée générale.

    3. Responsabilités et remboursement

    33.Responsabilité de l'organe d'administration. Si les membres de l'organe d'administration ont procédé à une distribution alors qu'ils savaient ou devaient savoir que les conditions du test de liquidité n'étaient pas réunies, ils sont solidairement responsables du dommage causé à la société et aux tiers (ce qui vise principalement les créanciers, éventuellement représentés par un curateur).

    L'article 5:144 est très proche sur ce point de la règle générale de responsabilité pour violation de la loi ou des statuts (art. 2:56, al. 3). La référence à ce qu'ils savaient ou devaient raisonnablement savoir ne change probablement rien au critère d'appréciation de la faute, et ne constitue pas l'exigence d'une intention particulière. Un administrateur normalement prudent doit en effet être en mesure d'apprécier, dans les conditions requises par l'article 5:143, si la société pourra ou non s'acquitter de ces dettes. En cas de doute, il préfère s'abstenir de toute distribution.

    L'administrateur qui n'est pas d'accord avec la décision de ses collègues et qui estime qu'une distribution mettrait en péril la situation de liquidité de la société pourrait-il faire usage de la faculté de dénonciation prévue à l'article 2:56, alinéa 4, pour échapper à la responsabilité solidaire? La réponse dépend de l'analyse qu'on fait de l'article 5:144: soit il constitue une répétition de l'article 2:56, mais il est alors inutile, soit il renferme une règle particulière (lex specialis) pour un cas précis de responsabilité, ce qui paraît plus conforme aux postulats de rationalité et de cohérence du législateur et d'effet utile des règles qu'il édicte. Si l'on retient la seconde interprétation, il faut bien constater que la possibilité de dénonciation n'est pas prévue.

    34.Remboursement par les actionnaires. Si la distribution est intervenue en violation du test bilantaire ou du test de liquidité, les actionnaires sont tenus de rembourser à la société les montants qu'ils ont reçus, même s'ils les ont perçus de bonne foi, c'est-à-dire en faisant confiance aux organes sociaux quant au respect des conditions de distribution. Que la distribution d'un dividende soit irrégulière, même par la faute de l'organe d'administration, ne change rien au fait que ce sont les actionnaires qui reçoivent l'argent.

    Cette possibilité d'obtenir un remboursement est une garantie supplémentaire pour la société, dont l'efficacité concrète dépend probablement du nombre d'actionnaires: on imagine bien qu'elle pourrait assigner ses deux actionnaires qui ont reçu un dividende d'un million d'euros, mais plus difficilement qu'elle assigne un million d'actionnaires ayant chacun reçu 2 EUR … C'est aussi une manière pour les administrateurs de réduire le dommage subi par la société (et dont ils répondent) en cas de dividende irrégulier.

    La distribution d'un dividende sans respecter les conditions imposées par l'un des deux tests entraîne une obligation de remboursement, mais n'altère pas sa nature de dividende. On ne pourrait pas, en d'autres termes, soutenir qu'il s'agit d'un paiement fait aux actionnaires à un autre titre. La question pourrait se poser si l'actionnaire est aussi un administrateur et si le fisc venait prétendre que le montant versé au titre du dividende ne constitue pas un dividende à défaut de respecter l'un des deux tests, et se qualifie donc de rémunération d'administrateur. Au demeurant, un tel argument serait voué à l'échec également en raison de l'obligation de remboursement qui pèserait alors sur l'actionnaire: si le montant perçu doit être remboursé, il n'y a pas de rémunération.

    4. Extensions

    35.Tantièmes et restitution des apports. Les règles relatives à la distribution, exposées ci-dessus, s'appliquent également, comme précédemment, aux distributions de tantièmes aux administrateurs. Les montants distribués à ces derniers viennent en déduction des montants qui peuvent être distribués aux actionnaires, et vice-versa. Malheureusement, la règle imposant la restitution à la société des montants distribués sans respecter les deux tests (art. 5:144, al. 2) n'est pas formulée en tenant compte de ce cas; ses termes n'imposent un remboursement qu'aux actionnaires.

    Il faudra également appliquer ces règles à la restitution aux actionnaires de la valeur des apports faits à la société. C'est l'équivalent de la réduction de capital, qui n'existe plus en tant que telle dans la SRL. On voit là sans doute l'effet le plus tangible de la suppression du capital: sauf s'ils ont été déclarés indisponibles, la valeur des éléments apportés n'est pas « bloquée » dans la société, mais elle est distribuable comme des réserves. C'est en somme l'« intangibilité » associée au capital qui disparaît avec lui. Il n'y a donc plus de majorité ni de procédure spéciale pour restituer la valeur des apports aux actionnaires. Le mécanisme de protection des créanciers par l'octroi éventuel d'une sûreté disparaît également, ce qui est logique dès lors que les apports de départ (ou quelqu'autre équivalent du capital) ne sont plus considérés comme le « gage » des créanciers de la SRL. Dans le même mouvement, rien ne s'oppose à ce que les fonds propres provenant d'apports soient distribués aux membres de l'organe d'administration au titre de tantièmes.

    36.Démission, démission de plein droit et exclusion à charge du patrimoine social. Ces formes de retrait de la société, que l'on connaissait auparavant dans la société coopérative, existent désormais, moyennant une clause statutaire en ce sens, dans la SRL (art. 5:154 à 5:156). Il s'agit aussi d'une forme de distribution à l'actionnaire démissionnaire ou exclu et le double test s'y applique également. Ces mécanismes sont exposés en détails dans la contribution de D. Willermain [50].

    B. Sonnette d'alarme

    37.Double test appliqué à la sonnette d'alarme. Si le mécanisme de la sonnette d'alarme reste ce qu'il a toujours été, il est néanmoins aménagé pour qu'il soit adapté aux évolutions intervenues par ailleurs (art. 5:153).

    Ainsi, il existe désormais deux critères de déclenchement. Le premier concerne le cas où l'actif net de la société est négatif ou risque de le devenir. Comme pour le test bilantaire applicable aux distributions, on évite la référence au capital et on fait comme si celui-ci était égal à zéro (supra, n° 29). Sans surprise, le second critère se réfère à la situation de liquidité de la société et vise le cas où la société ne sera plus en mesure de s'acquitter de ses dettes exigibles pendant les 12 mois à venir. On retrouve donc le test de liquidité applicable aux distributions (supra, n° 30).

    Ceci signifie qu'en cas de distribution, un résultat négatif du test de liquidité, non seulement interdit de procéder à la distribution décidée par l'assemblée générale, mais impose aussi à l'organe d'administration de faire retentir la sonnette d'alarme, ce qui implique de retourner vers l'assemblée générale pour lui proposer des mesures de nature à assurer la continuité de la société ou, à défaut, la dissolution de celle-ci.

    Toutefois, le test de liquidité ne doit pas être effectué seulement lorsqu'une distribution a été décidée par l'assemblée générale. A tout moment, même indépendamment de toute décision concernant les distributions, l'organe d'administration doit être attentif à la situation de liquidité et, si les conditions sont remplies, activer la sonnette d'alarme.

    38.Procédure de sonnette d'alarme. La procédure impose de convoquer une réunion de l'assemblée générale, qui doit se tenir dans les 2 mois du moment où l'on constate, ou où l'on aurait dû constater, que les conditions sont remplies. L'organe d'administration doit rédiger un rapport dans lequel il propose des mesures de nature à redresser la situation pour que la continuité soit assurée, ou la dissolution de la société. Le texte légal voit a priori la première solution de manière plus positive [51].

    L'assemblée générale statue à la majorité simple. Si la procédure de sonnette d'alarme a été accomplie et que la situation d'actif net négatif ou de doute sur la liquidité persiste, il n'est plus obligatoire de convoquer l'assemblée générale pour le même motif dans un délai de 12 mois prenant cours à la date de convocation de la première assemblée générale. A contrario, il faudra refaire le processus chaque année, tant qu'un critère de déclenchement subsiste.

    C. Acquisition d'actions propres

    39.Conditions d'acquisition. Dans une SRL, l'acquisition d'actions propres ou de certificats se rapportant à ces actions n'est pas soumise aux conditions fixées par la directive n° 2017/1132. Aussi, des modalités simplifiées peuvent être prévues. Elles résultent des quatre conditions fixées à l'article 5:145, qui ne s'écartent guère des règles antérieures.

    Premièrement, l'autorisation de procéder à l'acquisition doit être donnée par l'assemblée générale, aux conditions de quorum et de majorité requises pour modifier les statuts. L'assemblée générale détermine le nombre maximal d'actions ou de certificats qui peuvent être acquis, le prix maximum et minimum, ainsi que la durée de son autorisation, qui n'est plus limitée à 5 ans. Ces conditions peuvent figurer dans le procès-verbal de la réunion de l'assemblée générale ou dans une disposition statutaire. La décision de l'assemblée générale n'est pas requise lorsque les actions sont acquises en vue d'être distribuées au personnel.

    Ensuite, le prix d'achat ne peut être payé qu'au moyen de montants distribuables, ce qui se réfère tant au test de bilan qu'au test de liquidité, qu'il faudra donc réaliser avant de procéder à l'acquisition. L'achat d'actions propres est, en effet, une forme indirecte de distribution aux actionnaires, même si ses effets économiques et juridiques ne sont pas parfaitement identiques à ceux de la distribution d'un dividende.

    Troisièmement, seules peuvent être acquises des actions totalement libérées, ou des certificats se rapportant à de telles actions.

    Enfin, l'égalité des actionnaires doit être respectée en permettant à chacun de vendre ses actions à la société dans les mêmes conditions. Eventuellement, il faudra procéder aux acquisitions proportionnellement au nombre d'actions détenues par chaque actionnaire qui souhaite vendre. On peut toutefois déroger à cette condition si tous les actionnaires y consentent, ce qui suppose une décision unanime d'une assemblée générale à laquelle tous les actionnaires sont présents ou représentés. C'était déjà le cas auparavant, mais la loi le précise désormais expressément.

    Il n'y a donc plus de limite légale en termes de proportion du nombre total d'actions qui peuvent être acquises [52].

    40.Sort des actions acquises. La société peut détenir ou annuler les actions acquises.

    Une annulation suppose une modification des statuts, dès lors que ceux-ci mentionnent le nombre d'actions émises par la société. La réserve indisponible constituée au moment de l'acquisition est alors supprimée.

    Si la société détient les actions en portefeuille, la réserve indisponible correspondant au montant du prix d'achat doit être maintenue au passif du bilan. Le droit aux dividendes est frappé de caducité et les autres droits attachés aux actions (dont le droit de vote) sont suspendus. Le droit de vote conféré par des actions certifiées, dont la société a acquis les certificats, n'est suspendu que si les certificats ont été émis avec la collaboration de la société (art. 5:148).

    L'aliénation des actions propres suppose une autorisation de l'assemblée générale dans les conditions de quorum et de majorité applicables à la modification des statuts, en respectant ces conditions dans chaque classe d'actions, le cas échéant.

    L'égalité des actionnaires, éventuellement au sein de chaque classe, doit aussi être respectée, ce qui se réalise en offrant les actions à revendre par préférence aux actionnaires de la société, proportionnellement au nombre d'actions qu'ils détiennent, sauf si les actions ont été acquises pour être ensuite cédées à des membres du personnel de la société (art. 5:149). On retrouve là un mécanisme similaire au droit de préférence en cas d'émission d'actions contre des apports en numéraire (art. 5:128), ce qui se comprend parfaitement: si l'acquisition d'actions propres est une forme indirecte de distribution aux actionnaires, leur aliénation est corrélativement un mode indirect d'émission d'actions.

    D. Assistance financière

    41.Conditions d'octroi. Les règles de l'assistance financière sont quelque peu simplifiées par rapport au droit antérieur. La prise en gage de ses propres actions par la société ne fait plus l'objet d'un régime spécifique. Elle est donc en principe librement autorisée et elle est, le cas échéant, soumise à la procédure de conflits d'intérêts.

    Sauf exception, l'octroi par la société d'un financement ou d'une sûreté en vue de l'acquisition par un tiers de ses actions ou de certificats se rapportant à ses actions est soumis à quatre conditions, qui ressemblent à celles de l'acquisition d'actions propres (art. 5:152):

      • l'opération doit être autorisée par l'assemblée générale aux conditions de quorum et de majorité prévues pour la modification des statuts;
      • cette décision doit, à peine de nullité, être prise sur rapport de l'organe d'administration, qui doit y décrire les motifs et les conditions de l'opération, ainsi que ses conséquences pour la société en termes de risques sur sa solvabilité et sa liquidité; le rapport est mis à la disposition des actionnaires; l'organe d'administration prend la responsabilité de l'opération;
      • les sommes affectées à l'assistance financière (et non, comme l'indique le texte français de l'article 5:152, § 1er, 3°, « à cette acquisition ») doivent provenir de montants distribuables, conformément au double test désormais prévu dans la SRL;
      • une réserve indisponible correspondant au montant de l'assistance doit être constituée au passif de la société; elle peut être ultérieurement réduite si le montant de l'assistance diminue.

      Ce régime reste contraignant, mais au moins il est relativement clair et de nature à éviter les abus manifestes [53].

      42.Exceptions. Il n'est pas obligatoire de respecter les deux premières de ces conditions lorsque l'assistance financière est prêtée à des membres du personnel de la société ou d'une société liée, ou à une société dont la moitié au moins de droits de vote est détenue par des membres du personnel de la société dont les actions sont acquises, si la société détenue majoritairement par les membres du personnel acquiert des actions ou certificats auxquels se rapporte au moins la moitié des droits de vote. On vise donc ici le cas du management buy-out.

      On se référera à cet égard à la définition du « personnel » de l'article 1:27 qui, au-delà des employés, vise aussi les personnes physiques ou morales travaillant dans le cadre d'un contrat de management ou d'un contrat similaire, ainsi que les membres de l'organe d'administration.

      IV. Droit transitoire

      43.Sort du capital. On ne pourrait pas exposer ici toutes les règles de droit transitoire, mais on se borne à décrire celle qui accompagne spécifiquement la suppression du capital dans la SRL.

      A compter du 1er janvier 2020, les SPRL existant avant l'entrée en vigueur du CSA seront transformées de plein droit en SRL. Les règles impératives du CSA s'y appliqueront. Ces sociétés, qui avaient un capital, n'en auront donc plus (art. 39, § 2, al. 2).

      Le capital libéré et la réserve légale seront transformés de plein droit en « un compte de capitaux propres statutairement indisponibles ». Comme l'indique leur nom, ces fonds propres sont « indisponibles », c'est-à-dire qu'ils ne peuvent pas être utilisés pour distribuer un dividende, à tout le moins pas dans les conditions normales. C'est ce qui les distingue de la réserve disponible. En revanche, ils peuvent être distribués aux actionnaires, ou même aux administrateurs à titre de tantièmes, moyennant une modification des statuts, ce qui suppose notamment de réunir une majorité qualifiée, en général des 3/4. C'est en cela qu'ils sont « statutairement » indisponibles. Il va de soi que le double test désormais applicable dans le SRL devra être accompli de manière concluante.

      Cette règle transitoire vise à éviter toute rupture dans la vie et les contrats des sociétés. En particulier, les clauses des contrats de financement qui interdisent à la société de réduire son capital sous peine d'exigibilité immédiate du solde restant dû de l'emprunt ne devraient pas trouver à s'appliquer, dès lors que le montant de l'ancien capital restera affecté d'une indisponibilité similaire à celle du capital.

      44.Capital non libéré. Le montant non libéré du capital sera quant à lui converti, également de plein droit, en un compte d'« apport non appelé », inscrit négativement au sein des capitaux propres. En cas de libération de ces apports, ils viendront s'ajouter aux capitaux propres statutairement indisponibles dont il est question ci-avant.

      45.Adaptation des statuts. Au plus tôt le jour de la publication de la loi au Moniteur belge, les SPRL peuvent décider d'adapter leurs statuts aux nouvelles règles prévues pour les SRL. Ces modifications aux statuts ne peuvent toutefois pas entrer en vigueur avant le 1er mai 2019. Au plus tard le 1er janvier 2024, leurs statuts devront avoir été adaptés. Au moment où elle procède à cette adaptation, qui doit aussi se faire à la majorité requise pour la modification des statuts, l'assemblée générale peut décider du sort qu'elle entend réserver à l'ancien capital et à l'ancienne réserve légale. Dès ce moment, elle pourrait décider de les distribuer aux actionnaires, si les conditions sont remplies, ou de les transformer en réserves disponibles pour pouvoir les distribuer plus facilement ultérieurement. Ce changement d'affectation au sein des fonds propres n'est pas une distribution et ne nécessite donc pas de réaliser le double test.

      Il conviendra d'être attentif aux conséquences fiscales de la décision qui est envisagée et à son incidence éventuelle sur le sort de conventions conclues par la société. Il n'est pas rare en effet que les contrats de crédit prévoient un remboursement immédiat dans certaines circonstances qu'ils indiquent, et ces circonstances peuvent être liées à une modification de la structure du « capital ».

      V. Considérations prospectives

      46.Introduction. Il est évidemment trop tôt pour tirer le bilan de la réforme. Prenons néanmoins le risque de quelques prévisions sur la signification réelle de la suppression du capital et sur les réactions des différents acteurs face à cette évolution.

      47.Le capital a-t-il vraiment disparu? C'est un fait indubitable. Il n'y a, formellement, plus de capital au sens juridique dans les SRL, et même celles qui le souhaiteraient ne peuvent pas décider d'en avoir un.

      Mais on est très loin du raz-de-marée qui aurait complètement débarrassé le droit des sociétés privées des lourdes règles impératives qui entouraient et protégeaient le capital, surtout au stade de la constitution de la société. En définitive, les changements principaux résident dans la possibilité de distribuer les apports (ce qui revient à faire comme si la société avait un capital de zéro) et dans l'introduction du test de liquidité. Pour le reste, on continuera à contrôler les apports en nature et à limiter par des règles restrictives (quoiqu'un peu moins) les acquisitions d'actions propres et l'assistance financière. Les distributions et la sonnette d'alarme sont soumises à des règles plus sévères qu'auparavant.

      En clair, dans ce domaine au moins, la disparition du capital n'équivaut pas à une liberté sans limites. On pourrait le regretter, et reprocher au législateur de ne pas oser aller au bout de sa logique. Mais il faut aussi lui reconnaître une forme de prudence sur le plan de la protection des tiers. Que le capital disparaisse ne signifie pas nécessairement qu'il ne faille plus accorder aux créanciers une protection qui forme la contrepartie du privilège de la responsabilité limitée dont les actionnaires jouissent, au moins en principe. Le droit est question d'équilibre: l'objectif n'était pas de le rompre, mais de le réaliser d'une manière plus efficace.

      48.Le capital sera-t-il recréé? De nombreux mécanismes juridiques et économiques reposaient, au moins partiellement, sur le capital. Cela ne signifie pas nécessairement qu'il serait impossible de les adapter à des sociétés sans capital. Mais le poids du passé et la persistance du capital dans les sociétés anonymes ne va-t-il pas conduire à trouver plus facile de recréer une notion de capital qui n'en porte pas le nom? Plusieurs indices le laissent penser.

      On les trouve d'abord dans le code lui-même. Par exemple, les circonvolutions du législateur pour déterminer comment on calcule le maximum de la soulte dans une fusion ou scission (en principe, le dixième de la valeur nominale ou du pair comptable des actions attribuées) ne peuvent se comprendre autrement que comme une manière de reconstituer ce qui, auparavant, était le capital (al. 2 des art. 12:2 à 12:5). La disposition transitoire qui transforme le capital en réserve indisponible est également une manière de maintenir l'intangibilité qu'on voulait précisément supprimer. Plus subtilement, on se demande comment on va apprécier la notion d'« avantage particulier » qui empêche de ne pas être considéré comme fondateur (art. 5:11, al. 2), sinon en se référant à un rapport proportionnel entre les apports et les droits sociaux attribués en contrepartie, rapport proportionnel que réalisait le capital et dont on veut s'affranchir.

      Le législateur fiscal se fondait aussi très largement sur la notion de capital et/ou sur l'intangibilité qui lui était associée. Diverses dispositions prévoyaient des conditions exigeant, pour bénéficier de telle exonération, réduction ou imposition plus avantageuse, un apport en capital ou une indisponibilité analogue à celle du capital. Sans entrer dans les détails de toutes les adaptations fiscales, il suffit ici de remarquer que la loi adaptant le droit fiscal au CSA inclut une définition du capital pour les besoins de l'application des autres dispositions du CIR, qui se réfère aux « capitaux propres de la société […] dans la mesure où ils sont formés par des apports en numéraire ou en nature, autres que des apports en industrie » [54]. L'intangibilité ne fait donc, en principe, plus partie de la notion fiscale de capital, mais l'exclusion des apports en industrie subsiste.

      Enfin, les créanciers, en particulier bancaires, pourraient en pratique exiger la reconstitution d'un capital qu'ils considéreraient comme une garantie utile parmi d'autres. La frilosité des banques à l'égard des SPRL-Starters, en raison notamment de l'absence d'un capital significatif, est en effet une des causes du désamour à l'égard de cette forme sociale. Gageons qu'il n'en ira pas de même à l'égard des SRL, ne serait-ce que par une forme de pragmatisme concurrentiel qui interdit de se priver d'une clientèle aussi nombreuse. Mais les créanciers institutionnels pourraient néanmoins réagir à la suppression du capital de différentes manières: exiger la constitution d'une société anonyme ou la transformation en société anonyme pour l'octroi de certains financements ou imposer à la SRL qu'elle constitue une réserve statutairement indisponible à laquelle elle ne peut toucher sans le consentement de la banque. Dans les deux cas, on a en réalité rétabli un capital.

      49.Le capital sera-t-il remplacé? Enfin, on peut prédire sans trop de risque que la suppression du capital pourrait mener, en pratique, à un renforcement des responsabilités ou - si l'on s'écarte du sens strictement technique - à une réduction de la protection résultant de la responsabilité limitée.

      Ainsi, une réaction naturelle des créanciers volontaires (à nouveau, il s'agira principalement des banques) sera d'exiger des sûretés complémentaires, par exemple sous la forme de sûretés réelles ou personnelles accordées par les actionnaires ou par les dirigeants. Ainsi, les ressources qu'ils n'ont pas consacrées à la constitution d'un capital pourraient bien être « mises à risque » d'une autre manière.

      Cette technique ne sera pas accessible aux créanciers involontaires ou incapables de négocier un traitement privilégié. Mais, l'humain étant ce qu'il est, on peut facilement imaginer qu'il paraîtra inacceptable de voir des entrepreneurs se soustraire au paiement de « leurs » dettes alors qu'ils n'ont pas eux-mêmes risqué une part de leur patrimoine dans l'aventure sociétaire. Celui qui, sans rien perdre pour n'avoir rien investi, laisse derrière lui des créanciers impayés, surtout s'il le fait plusieurs fois, doit s'attendre à voir sa responsabilité engagée avec une sévérité accrue. Qu'il s'agisse d'une responsabilité en tant que fondateur, dirigeant ou même actionnaire ayant perçu un dividende indu dépendra des circonstances de l'espèce et n'est pas vraiment important. L'effet sera que, d'une manière ou d'une autre, les dettes de la société seront mises à sa charge, au moins partiellement.

      50.Des raisons d'espérer. La promulgation du nouveau code n'est pas la fin de l'aventure. Avec le temps, on peut espérer un changement des mentalités, même s'il ne sera que progressif. Le lien entre capital et responsabilité limitée va s'estomper, ce qui conduira, petit à petit, à adapter à nouveau les règles juridiques, par exemple en supprimant les restes du régime d'intangibilité que le CSA n'a pas voulu ou pas osé supprimer. Les pratiques vont s'adapter; les réserves indisponibles vont être distribuées; les conditions d'octroi des crédits vont évoluer. La disparition du capital sera, en ce sens, un processus plutôt qu'une décision. Il n'est ni étonnant ni préoccupant qu'il en aille ainsi. Les juristes, mais aussi les acteurs économiques, préfèrent en effet souvent la continuité dans l'évolution au choc brutal de la révolution.

      [1] Professeur à l'UCLouvain, professeur invité à l'Université Saint-Louis - Bruxelles. Avocat au barreau de Bruxelles.
      [2] Dans le texte qui suit, la référence au CSA doit se comprendre comme visant le Code des sociétés et des associations, introduit par la loi du 23 mars 2019, et la référence au droit antérieur comme visant le droit fixé dans le Code des sociétés de 1999, dans son état en décembre 2018. La première partie du présent article (Introduction, I. et II.) est une version remaniée et actualisée de D. Bruloot et H. Culot, « De kapitaalloze BV - La SRL sans capital », in Le projet actuel du nouveau Code des sociétés et des associations, Larcier, 2018, pp. 93-117.
      [3] X. Dieux, « De la société anonyme comme modèle et de la société cotée comme prototype », in Droit, morale et marché, Bruxelles, Bruylant, 2013, pp. 275 et s.
      [4] Sur la réforme de la SRL en général, voy. R. Aydogdu et L. Nickels, « La société à responsabilité limitée et les autres formes de sociétés », in R. Aydogdu et O. Caprasse (dir.), Le Code des sociétés et des associations. Introduction à la réforme du droit des sociétés, Liège, Anthemis, 2018, pp. 65-90; T. Tilquin et A.-P. André-Dumont (coord.), La société à responsabilité limitée, Bruxelles, Larcier, 2019.
      [5] M. Lutter, Kapital, Sicherung der Kapitalaufbringung und Kapitalerhaltung in den Aktien- und GmbH-Recht der EWG, Karlsruhe, C.F. Müller, 1964, 580 p.
      [6] J. Armour, « Legal capital: An Outdated Concept? », European Business Law Review, 2006, pp. 5-27; V. Edwards, EC Company Law, Oxford University Press, 1999, pp. 51-52; L. Enriques et L. Macey, « Creditors versus capital formation: the case against the European legal capital rules », Cornell Law Review, 2001, pp. 1165-1204.
      [7] M. Coipel, Les sociétés privées à responsabilité limitée, Bruxelles, Larcier, 2008, pp. 101-102.
      [8] M. Coipel, Les sociétés privées à responsabilité limitée, Bruxelles, Larcier, 2008, p. 104.
      [9] Voy. Cass., 1er mars 1928, Rev. prat. soc., 1928, p. 194: « Parmi les types juridiques de sociétés, il en est que la loi a soustraites à la liberté contractuelle, en raison de ce que les associés n'y sont tenus des dettes sociales que dans la mesure de leurs apports respectifs, de sorte que les créanciers n'y ont d'autre gage que les biens apportés en société et leurs accroissements; qu'aux fins de garantir les tiers contre la diminution que ce gage peut subir, la loi a voulu que, dans les statuts de ces sociétés à responsabilité limitée ou sociétés par actions, la masse des biens formée par les apports fût évaluée à une somme déterminée, dite capital statutaire ou capital social, laquelle représente le minimum de valeur que les associés s'engagent à maintenir, au patrimoine social dans l'intérêt des tiers. »
      [10] H. Culot et M. Van Buggenhout, « Droit européen des sociétés: vers une réforme du 'capital'? », J.T. dr. eur., 2007, p. 196.
      [11] M. Miola, « Legal Capital and Limited Liability Companies: the European Perspective », E.C.F.R., 2005, p. 421.
      [12] Récemment, et parmi d'autres, M. Fallon et E.-J. Navez,« La transformation transfrontalière d'une société par transfert du siège statutaire après l'arrêt Polbud », R.P.S.-T.R.V., 2018, pp. 349-385.
      [13] H. De Wulf, « Het voorontwerp van een Wetboek van Vennootschappen en Verenigingen: een eerste overzicht », Tax, Audit and Accountancy, octobre 2017, p. 17; O. Caprasse et M. Wyckaert, « Limitation du nombre de sociétés: qu'en est-il des sociétés de capitaux (SA, SPRL, SCRL)? », Modernisation du droit des sociétés, Bruxelles, Larcier, 2014, pp. 66 et 80.
      [14] H. De Wulf, « Het voorontwerp van een Wetboek van Vennootschappen en Verenigingen: een eerste overzicht », Tax, Audit and Accountancy, octobre 2017, p. 17.
      [15] Dans son rapport Doing business 2018 (p. 147), la Banque Mondiale classe honorablement la Belgique au 16e rang en ce qui concerne la facilité de création d'une entreprise. Ce classement est basé, entre autres critères, sur celui du capital minimum requis, et le chiffre retenu pour la Belgique est égal à 16,80% du revenu par tête, ce qui correspond vraisemblablement aux 6.200 EUR à libérer minimalement au moment de la constitution d'une SPRL.
      [16] M. Coipel, Les sociétés privées à responsabilité limitée, Bruxelles, Larcier, 2008, pp. 102-103.
      [17] O. Caprasse et M. Wyckaert, « Limitation du nombre de sociétés: qu'en est-il des sociétés de capitaux (SA, SPRL, SCRL)? », Modernisation du droit des sociétés, Bruxelles, Larcier, 2014, p. 76.
      [18] O. Caprasse et M. Wyckaert, « Limitation du nombre de sociétés: qu'en est-il des sociétés de capitaux (SA, SPRL, SCRL)? », Modernisation du droit des sociétés, Bruxelles, Larcier, 2014, p. 79.
      [19] Directive (UE) n° 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 relative à certains aspects du droit des sociétés (J.O., L. 169, 30 juin 2017, pp. 46-127).
      [20] Voy. M. Coipel, Les sociétés privées à responsabilité limitée, Bruxelles, Larcier, 2008, p. 221.
      [21] Art. 2, § 1er, 6°, CIR 1992, tel que modifié par la loi du 17 mars 2019 adaptant certaines dispositions fiscales fédérales au nouveau Code des sociétés et des associations, M.B., 10 mai 2019, p. 45450.
      [22] C.E., avis n° 61.988/2 du 9 octobre 2017, Doc. parl., Ch. repr., 2017-2018, n° 54-3119/002, p. 31.
      [23] On peut imaginer une exécution forcée en nature ou par équivalent ou une clause résolutoire expresse. L'insertion d'une clause pénale est aussi envisageable.
      [24] Comparer M. Coipel, Les sociétés privées à responsabilité limitée, Bruxelles, Larcier, 2008, pp. 213-214, pour qui la condition doit être réputée non écrite.
      [25] Voy. not. H. Culot et P.-Y. Thoumsin,« Contrôle et maintien du capital: une réforme sans audace », J.T., 2009, pp. 93-99; A. Coibion et G. de Pierpont, « Assistance financière, rachat d'actions propres et apports en nature: assouplissement nécessaire ou coup d'épée dans l'eau? », in Y. De Cordt et A.-P. André-Dumont, Droit des sociétés. Millésime 2011, Bruxelles, Larcier, 2011, pp. 51-62.
      [26] Y. De Cordt (coord.), Société anonyme, Bruxelles, Bruylant, 2014, pp. 38-40.
      [27] H. De Wulf, « Het voorontwerp van een Wetboek van Vennootschappen en Verenigingen: een eerste overzicht », Tax, Audit and Accountancy, octobre 2017, p. 19.
      [28] Projet de loi introduisant le Code des sociétés et des associations et portant des dispositions diverses, exposé des motifs, Doc. parl., Ch. repr., 2017-2018, n° 54-3119/001, p. 130.
      [29] R. Aydogdu et L. Nickels, « La société à responsabilité limitée et les autres formes de sociétés », in R. Aydogdu et O. Caprasse (dir.), Le Code des sociétés et des associations. Introduction à la réforme du droit des sociétés, Liège, Anthemis, 2018, p. 68.
      [30] H. Kelsen, Théorie générale des normes, trad. O. Beaud et F. Malkani, Paris, P.U.F., 1996, p. 176.
      [31] D. Bruloot, Vennootschapskapitaal en schuldeisers, Anvers, Intersentia, 2014, p. 54 et réf. cit.; M. Coipel, « Les sociétés privées à responsabilité limitée », Rép. not., Bruxelles, Larcier, 2008, p. 202; H. Culot, « Plan financier et avances d'associé », R.D.C., 2016, pp. 470-472; M.A. Delvaux, « Les responsabilités des fondateurs, associés, administrateurs et gérants des SA, SPRL et SCRL », vol. 1, Guide juridique de l'entreprise, Livre 24.3, 2011, n° 215; P. Hainaut-Hamende et G. Raucq, « Les sociétés anonymes », t. 1, Constitution et fonctionnement, Rép. not., Bruxelles, Larcier, 2005, p. 176 et réf. cit.; T. Tilquin et V. Simonart, Traité des sociétés, t. 3, Bruxelles, Kluwer, 2005, p. 520. En jurisprudence, Bruxelles, 20 avril 2010, R.D.C., 2012, p. 38; Anvers, 16 avril 2015, R.D.C., 2016, pp. 468-470.
      [32] Pour un exemple récent, voy. Gand, 26 juin 2017, D.A.O.R., 2017/124, p. 30, où les fondateurs ont rédigé un plan financier pour un magasin alors que la société exploite ensuite un restaurant, tout en omettant de prévoir les dépenses de gaz et d'électricité.
      [33] Art. 219bis et s. de l'A.R. du 30 janvier 2001 portant exécution du Code des sociétés.
      [34] R. Aydogdu et L. Nickels, « La société à responsabilité limitée et les autres formes de sociétés », in R. Aydogdu et O. Caprasse (dir.), Le Code des sociétés et des associations. Introduction à la réforme du droit des sociétés, Liège, Anthemis, 2018, p. 70.
      [35] Y. De Cordt (coord.), Société anonyme, Bruxelles, Bruylant, 2014, pp. 38-40; T. Tilquin et V. Simonart, Traité des sociétés, t. III, Bruxelles, Kluwer, 2005, pp. 590 et s.
      [36] M. Coipel, Les sociétés privées à responsabilité limitée, Bruxelles, Larcier, 2008, p. 137.
      [37] D. Bruloot et H. Culot, « De kapitaalloze BV - La SRL sans capital », in Le projet actuel du nouveau Code des sociétés et des associations, Larcier, 2018, p. 105; W. Schön, « Balance sheet tests or solvency tests - or both? », E.B.O.R., 2006, p. 184.
      [38] La combinaison des deux approches a été recommandée par des auteurs renommés, dont W. Schön, « Balance sheet tests or solvency tests - or both? », E.B.O.R., 2006, pp. 181-198. En droit belge, la réforme de la SRL en ce qui concerne le capital prend appui sur les travaux de D. Bruloot, Vennootschapskapitaal en schuldeisers, Anvers, Intersentia, 2014, 824 p.
      [39] Une controverse existait à propos de ce dernier cas. Voy. H. De Wulf, « Moet de mogelijkheid tot winstuitkering volgens artikel 617 W.Venn. steeds aan de hand van de laatste jaarrekening berekend worden? », R.D.C., 2005, pp. 396-399.
      [40] Voy. projet de loi introduisant le Code des sociétés et des associations et portant des dispositions diverses, exposé des motifs, Doc. parl., Ch. repr., 2017-2018, n° 54-3119/001, pp. 178-179; D. Bruloot et H. Culot, « De kapitaalloze BV - La SRL sans capital », in Le projet actuel du nouveau Code des sociétés et des associations, Larcier, 2018, p. 109.
      [41] Un tel test est connu dans d'autres ordres juridiques, comme alternative ou complément au système du capital. Voy. M. Miola, « Legal Capital and Limited Liability Companies: the European Perspective », E.C.F.R., 2005, pp. 454-459.
      [42] Projet de loi introduisant le Code des sociétés et des associations et portant des dispositions diverses, exposé des motifs, Doc. parl., Ch. repr., 2017-2018, n° 54-3119/001, p. 179.
      [43] D. Bruloot et H. Culot, « De kapitaalloze BV - La SRL sans capital », in Le projet actuel du nouveau Code des sociétés et des associations, Larcier, 2018, p. 109.
      [44] Not. J.-F. Goffin, « Le rôle de l'assemblée générale des actionnaires dans la distribution de dividendes en droit belge », J.D.S.C., 2009, pp. 94-108.
      [45] Cass., 23 janvier 2003, Rev. prat. soc., 2003, pp. 379-389, obs. M. De Wolf, « Du pouvoir de l'assemblée générale de procéder en tout temps à la distribution des réserves disponibles antérieurement constituées ».
      [46] D. Bruloot et H. Culot, « De kapitaalloze BV - La SRL sans capital », in Le projet actuel du nouveau Code des sociétés et des associations, Larcier, 2018, p. 110.
      [47] Projet de loi introduisant le Code des sociétés et des associations et portant des dispositions diverses, exposé des motifs, Doc. parl., Ch. repr., 2017-2018, n° 54-3119/001, pp. 179-180.
      [48] D. Bruloot et H. Culot, « De kapitaalloze BV - La SRL sans capital », in Le projet actuel du nouveau Code des sociétés et des associations, Larcier, 2018, p. 107.
      [49] Voy. H. Culot et O. Mareschal, « Rémunération du gérant: mention dans la comptabilité et approbation par l'assemblée générale » (note sous Comm. Liège (div. Liège), 21 avril 2015), R.P.S.-T.R.V., 2016, pp. 301-302.
      [50] Egalement D. Bruloot et H. Culot, « De kapitaalloze BV - La SRL sans capital », in Le projet actuel du nouveau Code des sociétés et des associations, Larcier, 2018, pp. 111-112.
      [51] D. Bruloot et H. Culot, « De kapitaalloze BV - La SRL sans capital », in Le projet actuel du nouveau Code des sociétés et des associations, Larcier, 2018, p. 116.
      [52] D. Bruloot et H. Culot, « De kapitaalloze BV - La SRL sans capital », in Le projet actuel du nouveau Code des sociétés et des associations, Larcier, 2018, p. 113; R. Aydogdu et L. Nickels, « La société à responsabilité limitée et les autres formes de sociétés », in R. Aydogdu et O. Caprasse (dir.), Le Code des sociétés et des associations. Introduction à la réforme du droit des sociétés, Liège, Anthemis, 2018, p. 73.
      [53] Voy. D. Bruloot et H. Culot, « De kapitaalloze BV - La SRL sans capital », in Le projet actuel du nouveau Code des sociétés et des associations, Larcier, 2018, p. 114.
      [54] Art. 2, § 1er, 6°, CIR 1992, tel que modifié par la loi du 17 mars 2019 adaptant certaines dispositions fiscales fédérales au nouveau Code des sociétés et des associations, précitée.