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L'attractivité internationale comme moteur des projets de loi sur la BIBC et sur le futur Code des sociétés et associations au regard du droit international privé, R.D.C.-T.B.H., 2019/1, p. 7-51

L'attractivité internationale comme moteur des projets de loi sur la BIBC et sur le futur Code des sociétés et associations au regard du droit international privé

Marc Fallon [1]

TABLE DES MATIERES

I. Sur le droit applicable au commerce international devant la BIBC A. L'autonomie de la volonté et ses tempéraments 1. Enjeu du choix du droit applicable

2. Le pouvoir de juridiction international comme complément fonctionnel

B. Le dispositif du projet BIBC concernant le conflit de lois 1. Règle de rattachement applicable par la BIBC

2. Condition procédurale du droit désigné

3. Le cas des lois de police et de l'exception d'ordre public

C. Le dispositif du projet BIBC concernant la compétence judiciaire 1. La compétence judiciaire de la BIBC selon le projet de loi

2. Impact du Règlement Bruxelles Ibis

II. Sur le rattachement de la personne morale selon le siège statutaire A. Portée du critère du siège statutaire 1. Concrétisation du siège statutaire

2. Incidence d'un établissement

3. Le siège statutaire comme facteur de rattachement

B. Un argumentaire en termes d'avantages comparatifs 1. Un contexte général de mobilité

2. Une analyse tronquée des risques et bénéfices des critères de siège

C. L'autonomie de la volonté comme notion sous-jacente du projet de loi 1. Le principe d'autonomie comme élément explicatif

2. Limites inhérentes au principe d'autonomie en droit des conflits de lois

D. Incidence du droit de l'Union européenne 1. Le droit primaire, sur une ligne de partage des eaux a) Entrave à l'entrée

b) Entrave à la sortie

c) Une équivalence des mérites des sièges statutaire et réel?

d) Analyse de bilan

2. Le droit dérivé, sous l'emprise d'un principe de réalité dans les secteurs réglementés

E. Aspects de compétence judiciaire internationale

Conclusion

RESUME
Cette étude a pour objet de croiser les disciplines du droit international privé et du droit de l'entreprise à l'occasion de deux projets de lois concernant respectivement la création d'une Brussels International Business Court (BIBC) et l'introduction d'un nouveau Code des sociétés et des associations (CSA). Celui-ci a été adopté en séance plénière le 28 février 2019 et la loi a été promulguée le 23 mars 2019.
La première partie porte sur la détermination du droit applicable devant la BIBC, en comparant le projet de loi avec l'avant-projet, qui permettait aux parties de faire choix d'un droit non étatique. L'analyse porte sur les motifs du retour du projet aux règles ordinaires de conflit de lois et sur la portée de ce changement sur la composition de la BIBC.
La seconde partie est consacrée à l'introduction de la doctrine du siège statutaire pour la détermination de la lex societatis. Après un examen de la définition donnée à ce critère de rattachement, sont examinés les objectifs poursuivis, le lien entre le critère du siège statutaire et le principe d'autonomie de la volonté, ainsi que l'incidence du droit de l'Union européenne.
SAMENVATTING
Deze bijdrage heeft als doel om de disciplines van het internationaal privaatrecht en het ondernemingsrecht te kruisen ter gelegenheid van twee wetsontwerpen, betreffende respectievelijk de oprichting van een Brussels International Business Court (BIBC) en de invoering van een nieuw Wetboek van Vennootschappen en Verenigingen (WVV). Dit laatste ontwerp werd aangenomen in plenaire vergadering op 28 februari 2019 en de wet werd afgekondigd op 23 maart 2019.
Het eerste deel gaat over de bevestiging van het recht dat door de BIBC wordt toegepast. Het vergelijkt het wetsontwerp met het voorontwerp dat de partijen toeliet een niet-statelijk recht te kiezen. Het wordt onderzocht om welke redenen het wetsontwerp de gewone conflictenregels beslist te handhaven en ook in welke mate deze wijziging de samenstelling van de BIBC kan beïnvloeden.
Het tweede deel is gewijd aan het invoeren van de leer van de statutaire zetel om de lex societatis te bepalen. Eerst wordt nagegaan hoe de statutaire zetel door het wetsontwerp is vastgesteld. Daarna wordt nader bekeken welke doelen de statutaire zetel eigenlijk beoogt, in verband met het beginsel van partijautonomie, samen met de gevolgen van het recht van de Europese Unie.

1.Droit et politique législative. Deux projets de loi déposés au printemps 2018 illustrent le lien entre création du droit et réalisation d'une politique, dans le domaine du commerce international. Ils confirment l'hypothèse que, loin de se déduire de l'appréhension conceptuelle de la nature propre à une institution juridique, la norme juridique est fonction d'une politique dont elle contribue à assurer la mise en oeuvre, sans préjudice du respect que, dans le système de l'Etat de droit, la norme particulière doit aux normes supérieures d'ordre constitutionnel, nationales, européennes ou internationales, en particulier relatives à la protection des droits fondamentaux.

Le premier projet, déposé à la Chambre le 15 mai 2018 [2], porte sur l'instauration d'un « tribunal de l'entreprise anglophone, appelé Brussels International Business Court, en abrégé BIBC » (art. 3). Le second, introduit le 4 juin 2018 et introduisant un nouveau Code des sociétés et des associations (CSA), affecte la détermination du droit national applicable aux sociétés, associations et fondations (lex societatis[3]. Le synchronisme de ces projets n'est pas fortuit. L'un et l'autre ciblent des acteurs du commerce international, tantôt entreprises impliquées dans un « litige international », tantôt personnes morales dont la création répond aux facilités que commande le commerce international. Dans l'un et l'autre cas, les règles envisagées ont pour objectif de placer la Belgique au centre d'un enjeu de compétition régulatoire, à savoir inciter les acteurs économiques à y localiser, tantôt la résolution des litiges, tantôt la constitution de sociétés. Ainsi, le degré d'excellence injecté dans le système judiciaire et dans le droit des sociétés vise à doter le droit national d'un arsenal propre à vaincre ses rivaux grâce à son attractivité pour les acteurs de la mondialisation.

L'objectif politique est explicitement affirmé à propos de la BIBC. Selon l'exposé des motifs du projet de loi:

« Les évolutions économiques et politiques nationales et internationales de ces derniers mois ont souligné l'importante nécessité de disposer en Belgique d'un tribunal étatique spécialisé de haut niveau apte à trancher des litiges commerciaux transfrontaliers et ce, par nature, dans la lingua franca du commerce international, à savoir l'anglais. Beaucoup de ces litiges échappent de ce fait déjà actuellement à la juridiction des tribunaux belges. […] Et on ne peut que le déplorer, vu le rôle que Bruxelles joue encore actuellement et doit continuer à jouer sur la scène européenne et internationale, dès lors qu'elle accueille le siège de très nombreuses institutions et entreprises internationales et européennes. Il n'est pas logique de faire de Bruxelles la plaque tournante de la vie politique et du monde des affaires au niveau international alors que les acteurs concernés - et leurs cabinets d'avocats et autres conseillers - n'ont d'autre possibilité que de faire trancher leurs différends juridiques à l'étranger s'ils souhaitent faire appel à un juge étatique et ne souhaitent donc pas recourir à l'arbitrage. »

Quant au nouveau CSA, l'intention initiale en est explicitée d'emblée lors d'un « échange de vues avec le ministre de la Justice et des experts du Centre belge de droit des sociétés sur la modernisation du droit des sociétés », au sein de la commission de droit commercial et économique de la Chambre, le 3 décembre 2015 [4]. Selon le ministre de la Justice, la simplification et la modernisation projetées du droit des sociétés devrait « permettre à la Belgique de devenir, grâce notamment à son droit des sociétés, l'un des pays les plus attractifs d'Europe » [5]. Est cité à titre de comparaison le modèle du « voisin néerlandais, qui, en matière d'implantation de sociétés holding, joue un rôle majeur. La besloten vennootschap (BV - société privée), qui y existe depuis 1971, est l'élément clé de l'attractivité des Pays-Bas en matière d'implantation de sociétés internationales ».

En raison de tels objectifs généraux, les auteurs de l'un et de l'autre projets sont particulièrement sensibles à la problématique du conflit de lois. S'agissant de la BIBC, l'avant-projet, qui permettait aux parties de choisir un droit non étatique applicable au rapport juridique, a subi une mutation dans le projet de loi, qui revient au respect des « règles du droit international privé belge ». En matière de sociétés, le nouveau code abandonne la « doctrine du siège réel » pour retenir la « doctrine du siège statutaire ».

2.Vers une autonomie accrue des acteurs privés. Ces deux projets invoquent un contexte commun, à savoir une place centrale qu'occuperait la Belgique pour le commerce international, à tout le moins au sein de l'Union européenne. A cet égard, le projet BIBC fait une allusion lucide, mais non sans malice ni cynisme, au Brexit et aux « difficultés qui en découlent, [lesquels] induiront une augmentation exponentielle du nombre de litiges commerciaux internationaux ». Quant à « l'objectif majeur » de la consécration du critère du siège statutaire comme outil de modernisation du droit des sociétés, soutenue par les experts du Centre belge du droit des sociétés entendus par la commission de droit commercial et économique de la Chambre, il « consiste avant tout à veiller à ce que la Belgique n'accuse pas un préjudice concurrentiel ». Celui-ci serait dû au fait que, en vertu de la liberté d'établissement consacrée par le droit de l'Union européenne, une juridiction belge serait obligée d'admettre, par exemple, qu'une entreprise puisse se constituer conformément au droit néerlandais tout en localisant ses activités en Belgique [6]. L'un et l'autre projets mobilisent ainsi le contexte européen pour appuyer des réformes induisant des solutions de conflit de lois au-delà de ce contexte, pouvant couvrir toute situation transfrontière, même non européenne, dont aurait à connaître une autorité belge dans la matière considérée.

Par leur contenu respectif, ces projets ont également en commun d'exprimer une orientation favorable à un accroissement d'autonomie des acteurs du commerce international. En droit des sociétés, le choix du critère du siège statutaire permet pratiquement le choix de la loi la plus favorable à la formation de la personne morale sans la contrainte de la localisation d'activités dans l'Etat de la lex societatis. En droit commercial international, la tentative initiale était même d'offrir une échappatoire à la contrainte du choix d'une loi étatique. En effet, comme le relève l'exposé des motifs de l'article 43 du projet de loi instaurant la BIBC, « l'avant-projet contenait une paraphrase de l'article 28 de la loi-type CNUDCI », tout en concédant finalement qu'une « réglementation belge cède aux règles internationales et européennes éventuellement applicables à effet direct » pour justifier que l'avant-projet n'aie pas repris les « 3° et 4°, typiques de l'arbitrage ».

Ainsi, le gouvernement soumettait au Parlement les éléments d'une politique encourageant les acteurs économiques à exploiter une forme de marché international des produits normatifs, pour faire choix du système normatif le plus favorable à leurs intérêts. Ces acteurs pourraient ainsi se soustraire aux contraintes d'une réglementation étatique visant, par nature, la préservation de l'intérêt général d'une collectivité, alors que le droit international privé s'attache à identifier un lien de rattachement suffisamment étroit entre la situation et le système juridique pertinent. Paradoxalement, la puissance étatique met son système institutionnel et normatif au service d'une libération du carcan juridique pesant sur les entreprises. Une telle démarche pourrait signifier une renonciation de l'Etat à exercer toute emprise sur les comportements individuels, qu'il serait impuissant à maîtriser dans un contexte de mondialisation exacerbée. De manière quelque peu cynique pourtant, sinon avec une certaine naïveté, l'attente affichée serait plutôt d'attirer les opérateurs internationaux, en raison de l'excellence d'un service normatif de qualité [7] offert par l'Etat: dans un jeu de concurrence réglementaire, chacun prétend naturellement à la victoire. Nulle assurance pourtant qu'une guerre normative soit plus bénéfique, voire plus efficace, que toute guerre commerciale [8]

La carotte et le bâton sont des incitants communs pour obtenir un comportement déterminé: utilisés à bon escient, ils amèneront l'âne à avancer. La politique inhérente aux deux projets précités entend certes privilégier la carotte. Pourtant, elle ne peut s'abstraire de la politique du bâton, inhérente à la gouvernance des opérations du commerce international. Le rattachement des sociétés projeté en marge du nouveau CSA et le traitement du litige commercial international devant la BIBC méritent un examen au regard des incitants et limites à l'autonomie de la volonté, où le droit de l'Union occupe une place croissante.

I. Sur le droit applicable au commerce international devant la BIBC

3.Avant d'évoquer les orientations choisies par le gouvernement belge à propos du fonctionnement de la BIBC, respectivement sous l'angle du conflit de lois et de la compétence judiciaire internationale, il convient de resituer certaines méthodes générales utilisées par le droit international privé.

A. L'autonomie de la volonté et ses tempéraments

4.Le droit international privé connaît, comme le droit matériel national, divers outils de gestion des contrats internationaux, à deux niveaux. En premier lieu, comme le droit matériel, il assure à la fois une autonomie d'action des opérateurs, leur permettant d'adapter le rapport juridique à leurs besoins propres, et une contrainte par le biais de dispositions impératives ou d'ordre public. En second lieu, il distingue les dispositifs de fond et de procédure: une chose est de déterminer la substance des droits et obligations des parties, autre chose de déterminer quelles juridictions nationales sont compétentes pour en connaître.

1. Enjeu du choix du droit applicable

5.Une autonomie balisée en droit des conflits de lois. L'enjeu de l'autonomie diffère radicalement pour les situations internes et internationales. Alors que les premières se cantonnent par hypothèse dans un espace normatif clos qui en conserve intégralement la maîtrise, les secondes sont à même d'échapper à cette emprise si les Etats intéressés n'y prennent garde. Il appartient alors à ceux-ci d'utiliser des techniques propres à garder le contrôle de certaines situations internationales en y étendant l'application de solutions valables pour les situations internes [9].

Dans le domaine des contrats internationaux par exemple, le principe d'autonomie s'exprime par une faculté étendue de choix par les parties du droit national applicable. Cependant, il exige que ce choix porte sur un droit étatique et il a pour tempérament l'applicabilité de lois de police, visant à préserver l'effectivité de certaines dispositions impératives ou d'ordre public d'une importance particulière en raison de l'objectif d'intérêt général déterminé. Ce tempérament, initié par la jurisprudence au visa de l'article 3, alinéa 1er, du Code civil, principalement dans le domaine du contrat de travail, est aussi utilisé largement par le législateur, national ou européen. Le droit belge fournit l'exemple de la protection du concessionnaire exclusif ou de l'agent commercial en cas de rupture unilatérale de contrat [10].

En droit de l'Union, le règlement n° 593/2008 « Rome I » utilise le procédé à plusieurs niveaux: d'abord pour réserver le cas de toute règle impérative à propos d'un contrat purement interne ayant fait choix d'un droit étranger (art. 3, 3.); ensuite pour préserver les intérêts du consommateur ou du travailleur en lui assurant, par le biais d'un rattachement objectif de principe, la protection établie, respectivement, par le droit de sa résidence habituelle (art. 6) et par le droit de l'exécution habituelle des prestations (art. 8); enfin pour permettre, par une disposition générale, la prise en compte de toute « loi de police » du for (art. 9, 2.) ou de toute loi de police de l'Etat d'exécution d'une obligation qui rende illégale l'exécution du contrat (art. 9, 3.).

Une application prétorienne de lois de police qualifiables d'européennes s'observe aussi plus généralement dans le contexte du droit du marché intérieur de l'Union, visant à assurer - par un procédé analogue à la méthode prétorienne issue antérieurement de l'article 3 du Code civil - l'application de dispositions impératives du droit de l'Union à un contrat international ayant fait choix du droit d'un Etat non membre de l'Union et présentant un lien étroit avec le territoire des Etats membres [11].

6.Des règles propres au commerce international. Inversement aussi, l'Etat peut décider de développer des règles propres aux situations internationales, résolument distinctes de celles applicables aux situations internes. Dans un certain sens, la règle de conflit de lois y prétend tout en s'efforçant d'éviter un traitement discriminatoire. D'un côté, en rattachant par exemple le contrat international à la loi de la résidence du vendeur, une règle belge distingue forcément le cas d'un vendeur belge, soumis au Code civil belge, de celui d'un vendeur français, soumis aux dispositions différentes du Code civil français. D'un autre côté, la technique du rattachement multilatéral, qui désigne l'ordre juridique pertinent, national ou étranger, au moyen d'un facteur de localisation défini de manière abstraite - telle la résidence d'une partie - soumet les uns et les autres à une règle unique, sans les différencier.

Une autre technique de différenciation est plus radicale, lorsque l'Etat soumet les opérations internationales à des règles matérielles propres, à l'exclusion des opérations internes. Ce phénomène s'observe en particulier pour les contrats internationaux, et il résulte toujours d'une initiative commune à plusieurs Etats, dans un objectif d'uniformisation. Si, dans le secteur du transport, les Etats n'ont pas hésité à étendre les règles uniformes aux situations internes, il en va autrement pour la vente de marchandises, telle la Convention de Vienne du 11 avril 1980 (CVIM), dans l'intention de préserver la portée utile des dispositions du Code civil pour les contrats ne relevant pas de l'applicabilité internationale de l'instrument [12].

2. Le pouvoir de juridiction international comme complément fonctionnel

7.Un déclencheur de la politique législative. Il est cohérent que le législateur veille, en particulier dans le secteur du commerce international, à assortir les règles de conflit de lois de règles de compétence internationale à même de refléter la politique suivie pour le conflit de lois.

Sous l'angle procédural, l'Etat n'est capable de conserver une emprise sur les situations internationales par le maintien de l'application de ses propres dispositions impératives ou d'ordre public que s'il s'assure préalablement du maintien du pouvoir de juridiction de ses propres organes. En effet, toute règle de conflit de lois ne saurait avoir de force obligatoire qu'à l'égard des seuls organes institutionnels de l'Etat qui en est l'auteur. L'enjeu des règles de compétence internationale est donc distinct, et plus radical, de celui de la compétence interne, puisque la règle de compétence internationale sert de déclencheur à la règle de conflit de lois destinée à mettre en oeuvre une politique législative.

L'autonomie de la volonté comme règle générale de conflit de lois peut avoir pour pendant la faculté pour les parties de faire choix des juridictions d'un Etat pour connaître des litiges relatifs à un rapport de droit déterminé. Concrètement, le procédé consiste à permettre une prorogation volontaire de compétence des juridictions de l'ordre juridique dont est issue la règle d'autonomie - à l'exemple de l'article 25 du Règlement n° 1215/2012 « Bruxelles Ibis », ou de l'article 6 CODIP ; pour être complète, elle doit avoir pour complément une règle organisant aussi les modalités d'une dérogation volontaire à la compétence de ces mêmes juridictions dans certaines situations internationales - à l'exemple de l'article 7 CODIP [13].

8.Incidence de lois de police sur la compétence internationale. Toute politique de préservation de l'application de lois de police n'est efficace que si la règle de conflit de lois a pour corollaire une disposition assurant la saisine d'une juridiction à l'égard de laquelle la loi de police a force obligatoire. Le procédé a pour résultat de faire coïncider compétences législative et juridictionnelle: en retenant le même élément de localisation pour fonder l'applicabilité de la loi de police et la compétence judiciaire, le législateur assure la saisine d'une juridiction préservant l'effet utile de la loi de police ou, autrement dit, appliquant la loi du for. Et le procédé entend bien neutraliser une clause de juridiction éventuelle cherchant à conforter une clause de choix d'une loi contractuelle étrangère.

Le phénomène affecte également l'admissibilité d'une clause d'arbitrage, voire peut fonder une règle de compétence indirecte. Celle-ci, destinée à assurer l'effet utile du pouvoir de juridiction attribué aux tribunaux de l'Etat, permet de refuser la reconnaissance d'une sentence arbitrale étrangère n'ayant pas assuré une protection équivalente de l'intérêt poursuivi par la loi de police nationale. Le droit belge en fournit des exemples significatifs, à propos du contrat de concession de vente et du contrat d'agence commerciale, par l'adoption d'une règle unique couvrant l'applicabilité et la compétence internationale [14]. La jurisprudence y ajoute l'inopposabilité d'une clause d'arbitrage et un refus, pour motif d'ordre public, de reconnaissance d'une sentence arbitrale lorsque le recours à l'arbitrage ne permet pas d'assurer la politique de protection voulue par le législateur [15].

En droit de l'Union, le procédé s'avère plus discret. Face à l'effet de principe d'une clause de juridiction, le Règlement Bruxelles Ibis n'organise la protection d'une partie faible dans la relation contractuelle qu'à propos du consommateur et du travailleur. Mais plus largement à propos de situations externes - ayant un lien avec un pays tiers -, l'arrêt Ingmar de la Cour de justice [16], relatif à la protection d'un agent commercial actif sur le territoire de l'Union où il est établi pour le compte d'une entreprise d'un pays tiers, affirme l'application nécessaire des dispositions impératives de la directive n° 86/653: un tel impératif d'application nécessaire de ces règles de protection devrait induire une inopposabilité à la partie faible d'une clause de juridiction désignant les juridictions d'un pays tiers, afin de permettre la saisine d'une juridiction d'un Etat membre qui assurerait l'effectivité de la politique de protection.

B. Le dispositif du projet BIBC concernant le conflit de lois

9.L'arbitrage comme modèle. Afin d'assurer l'attractivité de la BIBC pour les milieux d'affaires internationaux, en particulier lorsque l'opération ne comporte aucun lien de rattachement avec l'ordre juridique belge, le projet n'établit pas seulement l'anglais comme langue de procédure, à l'instar de ce que font d'autres projets analogues dans les pays voisins [17]. Essentiellement, selon l'exposé des motifs, « le but visé est de charger une instance spécialisée […] de fonctionner avec des règles calquées sur la méthode de travail des arbitres » (p. 10), tout en ciblant des acteurs - « et leurs cabinets d'avocats et autres conseillers » - qui « souhaitent faire appel à un juge étatique et ne souhaitent donc pas recourir à l'arbitrage » (p. 5). Aussi,

« L'alignement de la BIBC sur les milieux des affaires internationaux, en vue de trancher des litiges commerciaux internationaux, requiert également sa dissociation du droit procédural commun belge qui ne contient pas nécessairement les instruments les plus adaptés pour le règlement de ces différents typiques, a fortiori si ces litiges n'ont aucun rattachement avec la Belgique sur le plan juridique ou du contenu » (p. 10).

Par conséquent, « le choix s'est porté sur une application mutatis mutandis, du moins en principe, de la loi type sur l'arbitrage commercial international de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (Cnudci) - adoptée le 21 juin 1985 et modifiée le 7 juillet 2006. Cette loi type est, à cet égard, l'instrument le plus adapté, précisément en raison du fait qu'elle a été élaborée en vue du règlement de litiges commerciaux internationaux et donc qu'elle tient également compte des différences d'approche entre les systèmes juridiques occidentaux-continentaux et anglo-américains […] » (p. 10).

La nature autosuffisante de la BIBC au regard des règles de fonctionnement applicables aux juridictions ordinaires soulevait, pour les auteurs du projet, la question de la méthode à utiliser par cette instance pour déterminer le droit applicable au fond du litige.

Le projet y apporte plusieurs réponses, dont l'insertion est prévue dans le Code judiciaire comme des éléments de « Procédure ». A une disposition sur la désignation du droit applicable s'en ajoutent d'autres sur la condition procédurale du droit désigné. En revanche, le projet ne prévoit pas de disposition relative aux lois de police ou à l'exception d'ordre public permettant d'écarter le droit désigné, omission cohérente au regard de l'orientation initiale de l'avant-projet.

1. Règle de rattachement applicable par la BIBC

10.De l'avant-projet au projet: un revirement radical. Selon le nouvel article 1385quaterdecies /17 du Code judiciaire (art. 45 du projet):

« Sous réserve de l'application des traités internationaux, du droit de l'Union européenne ou de dispositions contenues dans des lois particulières, la BIBC tranche le différend en application du droit matériel déterminé par le droit international privé belge. »

Ce libellé se différencie nettement du nouvel article 1385quaterdecies/18 que proposait l'article 41 de l'avant-projet de loi, comme suit:

« La BIBC tranche le différend conformément aux règles de droit choisies par les parties comme étant applicables au fond du différend. Toute désignation de la loi ou du système juridique d'un Etat donné est considérée, sauf indication contraire expresse, comme désignant directement les règles juridiques de fond de cet Etat et non ses règles de conflit de lois.

A défaut d'une telle désignation par les parties, la BIBC applique la loi désignée par la règle de conflit de lois qu'il juge applicable en l'espèce. »

Le projet est radicalement en retrait de l'avant-projet. Alors que le texte primitif se voulait cohérent avec l'orientation générale de la BIBC comme une juridiction certes étatique mais qui fonctionnait comme un arbitre, le texte final s'en remet, ni plus ni moins, aux règles ordinaires de conflit de lois comme le ferait un tribunal étatique.

11.Enjeu d'une référence au « droit international privé belge ». Comme s'en explique l'exposé des motifs (p. 37), l'avant-projet paraphrasait l'article 28 de la loi type de la CNUDCI, permettant pratiquement aux parties d'évincer l'application de toute loi étatique. Finalement, le gouvernement concède que la primauté des instruments internationaux, et surtout européens en la matière - à savoir essentiellement le Règlement Rome I - « va sans dire mais cela ira encore mieux en le disant ». Or, une telle primauté est hors de propos dans le contexte de l'arbitrage international, source d'inspiration de l'article 41 de l'avant-projet, puisque l'arbitre statue hors de toute contrainte autre que le respect de la volonté des parties qui, précisément, entendent exclure le recours à l'arsenal normatif étatique.

Le projet en revient ainsi pratiquement au respect pur et simple des Règlements Rome I et Rome II en matière contractuelle et quasi délictuelle que l'exposé des motifs prend soin de citer, comme y renvoie aussi l'article 98 CODIP. Au Code de droit international privé, il reprend encore les termes dans lesquels l'article 2 renvoie aux instruments internationaux ou européens ou à des lois particulières. Et l'exposé des motifs de justifier l'omission d'une règle de choix de loi dans le projet du fait que le Règlement Rome I « fait appliquer, en ordre principal, le droit choisi par les parties au contrat [de sorte que] il n'y a plus besoin de faire expressément référence à ce choix ».

L'interprète ne devra pas se méprendre sur la portée utile de l'article 45 du projet, de portée purement déclaratoire. Dès lors que la BIBC n'est autre qu'une juridiction belge, la mention devait être omise. Au vrai, la disposition n'a d'autre raison d'être que d'indiquer que comme toute juridiction étatique en Belgique, la BIBC ne peut qu'appliquer l'ensemble des règles de conflit de lois ayant force obligatoire en Belgique, en particulier les règlements européens [18]. La référence au droit international privé « belge » ne doit donc pas se comprendre comme visant nécessairement des instruments adoptés par le législateur national.

En renonçant ainsi à amener la BIBC à se prononcer en marge de tout droit étatique comme le ferait un arbitre, le gouvernement réduit nettement l'envergure du projet, en raison des contraintes des règlements européens. Ce faisant, il transforme aussi l'essence de la BIBC.

En effet, lorsque les règlements énoncent une faculté de choix de loi pour les parties, ils entendent la loi « d'un pays » [19], ôtant ainsi au choix de règles non étatiques la portée d'un choix de loi au sens du droit international privé. Subsidiairement, à défaut de choix, le juge saisi désignera pratiquement, en matière de contrats, la loi de l'établissement principal du débiteur de la prestation caractéristique du contrat en cause, à savoir par exemple, pour la vente, la loi de l'établissement du vendeur, ou, pour la prestation de services, la loi de l'établissement du prestataire (art. 4).

Tout choix par les parties d'usages du commerce, international ou pratiqués en un lieu déterminé, comme l'entrevoyait l'article 41 de l'avant-projet, ne sera pas dépourvu de toute portée utile pour autant. Il recevra la portée admise par le droit matériel national désigné en vertu du Règlement Rome I. Aussi l'enjeu véritable du choix de loi dans le contexte de la BIBC sera, pour les parties, de se fixer sur le droit d'un Etat dont les règles matérielles répondent au mieux à leurs attentes et d'y vérifier, le cas échéant, la portée et les modalités d'un accord portant sur des usages ou sur une appréciation en équité.

Lorsque la matière en litige devant la BIBC ne sera pas de manière contractuelle, un choix de loi par les parties sera moins étendu. En matière quasi délictuelle, il n'est admis que par dérogation à la règle générale de rattachement au droit du pays de résidence des parties ou, à défaut de résidence dans le même pays, au droit du pays de survenance du dommage, sauf le cas de liens plus étroits avec un autre pays (art. 4): un choix de loi pourra être fait avant la naissance du litige par « un accord librement négocié » si les parties « exercent toutes une activité commerciale » (art. 14), ce qui sera par hypothèse le cas devant la BIBC (infra, n° 18). Cependant, le règlement impose la même réserve que le Règlement Rome I à propos de situations purement internes ou purement européennes (infra, n° 20), situations que le projet de loi n'exclut pas explicitement (infra, n° 19).

Une faculté de choix de loi par les parties est plus problématique en d'autres matières pouvant relever de la compétence d'attribution de la BIBC. C'est le cas en matière de propriété intellectuelle, couverte par des conventions internationales de droit matériel uniforme et à défaut, par l'article 93 CODIP, qui n'évoque pas une telle faculté de choix.

12.Pas de requiem pour la CVIM. Le retour à la normalité du droit des conflits de lois soulève une question particulière que l'exposé des motifs n'évoque pas, relative à l'application, devant la BIBC, de la Convention de Vienne de 1980 sur la vente internationale de marchandises. Or, cette convention, du fait de sa ratification par la Belgique, a bien force obligatoire pour tout organe de l'Etat belge, pourvu que la situation entre dans le domaine d'application de l'instrument.

Le domaine de la Convention de Vienne est fixé par son article 1er, qui vise, principalement, (a) la vente conclue entre parties qui sont établies dans deux Etats différents ayant ratifié la convention. A défaut, (b) le juge d'un Etat lié par la convention, comme la Belgique, en assure aussi l'application si sa règle de conflit de lois - en l'occurrence celle établie par le Règlement Rome I - désigne le droit d'un Etat qui est lié par la convention.

Techniquement, l'article 1er, a), comprend une règle de conflit de lois qui, sous forme d'une règle spéciale d'applicabilité - méthode distincte de la règle de rattachement qui caractérise par exemple le Code de droit international privé ou les Règlements Rome I et II [20] -, a bien pour objet de déterminer le droit applicable au rapport juridique concerné. Par conséquent, lorsqu'une juridiction belge est saisie d'une demande qui entre dans le domaine matériel de la Convention de Vienne - portant par exemple sur la formation d'un contrat de vente de marchandises ou sur l'exécution de l'obligation de livraison du vendeur -, elle vérifie si les parties sont établies dans deux Etats (différents) liés par la convention, par exemple la Belgique et la France. Dans l'affirmative, elle applique les règles matérielles conventionnelles, sans le détour des règles de rattachement du Règlement Rome I [21]. Elle n'applique celles-ci en matière de vente que si l'une des ou les parties au contrat sont établies dans un ou des Etats non liés par la convention, tel le Royaume-Uni. En d'autres termes, la Convention de Vienne constitue bien un instrument international réglant les conflits de lois en matière d'obligations contractuelles, auquel l'article 25 du Règlement Rome I consent la priorité.

En revanche, la Convention de Vienne admet que, une fois son applicabilité constatée, les parties « excluent » son application (art. 6). Dans ce cas, le juge saisi assure l'application des règles de conflit de lois nationales.

Comme toute juridiction d'un Etat lié par la Convention de Vienne, la BIBC aura donc à en faire application lorsque le litige entre dans son domaine matériel et spatial, sauf volonté d'exclusion des parties.

13.La BIBC, juridiction normale. La remise en jeu de la règle de conflit de lois pourrait avoir un effet par ricochet sur la composition de la BIBC. Le retour à la normale que constitue l'application, par le juge étatique, d'un droit d'origine étatique porte à douter de l'utilité de composer le siège de ce tribunal belge de l'entreprise anglophone de « spécialistes belges ou étrangers en droit commercial international » (art. 6 du projet, insérant un art. 85/2 au C. jud.), élément clé du concept de BIBC.

En effet, on ne voit plus une telle nécessité dès lors que, comme ceux d'autres juridictions étatiques, les juges de la BIBC auront à appliquer un droit « national », étranger ou du for. La circonstance que, plus que d'autres juridictions, ils auront à en faire application avec une plus grande fréquence ne semble pas justifier la mise en place d'un arsenal institutionnel dérogatoire au droit commun [22]. Toute juridiction ayant le commerce dans ses attributions peut y suffire. Tout au plus une connaissance large du droit comparé est-elle appropriée, outre une pratique courante de la langue anglaise. Du reste, le secteur du transport maritime atteste, en Belgique, de la notoriété des juridictions d'Anvers, amenées à traiter, par nature, un nombre important de litiges fréquemment soumis à un droit étranger, en particulier au droit anglais. Plutôt paradoxalement, la composition du siège faisant appel à des « experts » extérieurs, essentiellement en raison de leur capacité à mettre en oeuvre le principe « jura novit curia » [23], risque d'affecter la réputation des juges de profession et, partant, l'image de qualité du service public de la justice, alors que cette image constituerait un facteur déterminant d'attractivité pour les opérateurs du commerce international [24].

Pour le reste, le traitement de litiges commerciaux internationaux peut justifier la création d'une chambre anglophone spécialisée, obéissant à des règles de procédure adaptées, dès lors que l'usage de cette langue est prévisible pour les parties en litige, sans encourir le risque d'un traitement discriminatoire pourvu que les situations visées ne soient pas objectivement comparables à celles d'autres instances en matière commerciale [25].

2. Condition procédurale du droit désigné

14.Quant à la connaissance du contenu du droit applicable. L'avant-projet de loi contenait deux dispositions de nature à intéresser l'établissement du contenu du droit applicable devant la BIBC. D'une part, celle-ci pouvait charger un expert de « lui faire rapport sur des points précis d'ordre factuel, technique ou juridique qu'elle déterminera », voire « demander à une partie de fournir à l'expert tous renseignements appropriés » (art. 38). D'autre part, une procédure d'amicus curiae était prévue (art. 39) qui, à la demande de la BIBC ou sur son autorisation, permettait que des tiers « adressent à la BIBC des avis écrits concernant les points de droit soulevés dans l'affaire ».

Le projet de loi supprime l'amicus curiae et ôte, des missions d'un expert, celle de rapporter sur un point d'ordre « juridique » (art. 41 introduisant un art. 1385quatordecies/15 au C. jud.). L'exposé des motifs rapporte l'objection du Conseil d'Etat, pour qui les termes précités de l'avant-projet « s'écartent du principe fondamental de l'office du juge en procédure civile et de l'autonomie du juge dans la recherche et la détermination du droit applicable au litige, traduit par l'adage 'jura novit curia' » (p. 37), à l'appui de la jurisprudence de la Cour de cassation relative aux missions d'expertise, limitées à la collecte d'éléments de faits à l'exclusion de tout avis sur le bien-fondé de la demande [26].

Par conséquent, la BIBC aura à appliquer les règles générales sur la mission du juge relatives à l'application du droit étranger désigné par la règle de conflit de lois, établies par l'article 15 du Code de droit international privé. A vrai dire, les dispositions de l'avant-projet étaient cohérentes dans le contexte d'une juridiction appelée à appliquer des règles de droit de nature non étatique puisque, de ce fait, les règles pertinentes ne seraient pas qualifiables d'« étrangères »; et le recours à des experts aurait été utile pour leur connaissance de la lex mercatoria. En revanche, un retour (implicite) vers l'article 15 CODIP découlait inéluctablement de la réorientation du projet concernant la désignation du droit (national) applicable.

Ceci ne devrait pas empêcher pour autant la BIBC de désigner tout expert en vue de déterminer, comme un fait, le contenu d'une disposition du droit étranger, sans que l'expert puisse la lier sur le bien-fondé de la demande. En effet, l'article 15 CODIP ne l'exclut pas, dès lors que la recherche du contenu du droit étranger consiste à rendre compte de ce droit tel qu'il est « reçu » à l'étranger [27].

Ainsi, l'introduction d'une forme d'amicus curiae mérite l'attention, malgré la critique du Conseil d'Etat. Elle pourrait être pensée plus généralement comme une précision à apporter à l'article 15 CODIP, relatif aux conditions d'application du droit étranger devant le juge. Sachant que celui-ci peut requérir la collaboration des parties dans la recherche du contenu et de l'interprétation reçue du droit étranger, le juge ne se verrait pas davantage lié par les conclusions d'un expert [28].

15.Quant à l'applicabilité d'office de la règle de conflit de lois. La primauté des principes généraux de procédure civile soulève encore la question distincte de savoir s'il appartient au juge de soulever d'office la question de la désignation du droit applicable ou s'il doit attendre une demande d'une partie en ce sens, selon la portée qu'il convient de donner au principe dispositif en droit des conflits de lois. Cette question de portée générale n'appelle pas d'autre précision dans ce contexte-ci que d'indiquer que la BIBC aura à appliquer ce principe comme toute juridiction belge dans une des matières relevant de ses attributions [29].

Par conséquent, si la matière en litige devant la BIBC est de celles où les parties ont la faculté de circonscrire l'objet du litige par un accord procédural aux conditions prévues par le droit judiciaire interne, les parties pourraient agir indirectement sur la désignation du droit applicable en amenant la Court à limiter le débat à un « point de droit » ou de fait au sens entendu par la Cour de cassation [30]. Transposée au moyen relatif au conflit de lois, la notion d'accord procédural semble n'impliquer qu'une faculté de renonciation à invoquer le droit étranger normalement applicable, au bénéfice du droit du for [31].

3. Le cas des lois de police et de l'exception d'ordre public

16.Des moyens absents de l'exposé des motifs. L'omission de toute référence à la problématique des lois de police et de l'exception d'ordre public était cohérente au regard du contexte initial de l'avant-projet du gouvernement.

En effet, l'instauration d'une instance analogue à une juridiction arbitrale, tout en conservant la nature institutionnelle d'une juridiction étatique (supra, n° 9), donnait à croire qu'il était naturel de faire l'impasse sur des préoccupations d'intérêt général propres à un Etat déterminé. L'objectif d'attirer les opérateurs internationaux vers une plateforme de règlement des différends localisée en Belgique de manière en quelque sorte extraterritoriale, sans que le litige ait à avoir un quelconque point de contact avec l'ordre juridique belge, devait inciter la BIBC à statuer comme un arbitre, c'est-à-dire en résolvant le fond du litige sur base du mandat conféré par les parties à l'instar de ce que prévoit l'article 28 de la loi type CNUDCI (supra, n° 11).

De fait, dans l'instance directe devant l'arbitre international, il n'y a pas autrement lieu de se préoccuper de lois de police ou d'ordre public nationales que, le cas échéant, aux fins de s'assurer de l'effectivité de la sentence à intervenir, au moment où la nullité ou la reconnaissance et/ou la force exécutoire en sera demandée dans un Etat déterminé: à ce moment, il appartiendra au juge national d'appliquer d'éventuels motifs de nullité ou de refus d'efficacité prévus par le droit du for, sous le contrôle éventuel d'instruments internationaux canalisant de tels motifs. Dans ce contexte, l'arbitre se doit certes de rester sensible ex ante au risque d'un refus d'efficacité d'une sentence dont les parties lui ont confié la responsabilité en vue d'une résolution effective de leur différend [32].

Quant au projet de loi, toute référence explicite y devient sans objet depuis que la résolution du litige au fond dépend des règles « du droit international privé belge ». Or celui-ci, y compris avec les règlements européens qui en font partie, réserve aux lois de police une place certaine, de manière à permettre encore à l'Etat de « sauvegarder ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique » [33]. Ainsi, la BIBC aura à donner effet à toute loi de police belge exigeant son application quelle que soit la loi nationale applicable en vertu de la règle de rattachement, voire à prendre en considération une loi étrangère analogue selon les modalités propres à la matière en cause.

17.Un enjeu fonction des intérêts en cause. A priori, la problématique de la prise en compte de lois de police nationales est certes d'un intérêt pratique marginal tant que le projet cible des opérations du commerce international qu'il veillerait à définir dans un sens étroit, comme s'y efforce par exemple la Convention de Vienne de 1980 sur la vente internationale des marchandises (CVIM) et avant elle, les Conventions de La Haye de 1964 (LUVI), voire, à leur suite, le projet d'un règlement de l'Union européenne relatif à un droit commun européen de la vente (DCEV/CESL) [34].

Pourtant l'incidence de lois de police est fonction des matières comprises dans les attributions de la BIBC, selon le degré d'affectation de l'intérêt général.

Les intérêts en cause sont déterminés de manière similaire dans l'avant-projet (art. 15) et dans le projet de loi (art. 20), à propos des dispositions relatives à la détermination de la compétence internationale de la BIBC (infra, C.). Tout en portant sur la question de la compétence, cette définition affecte a fortiori la détermination du droit applicable au fond.

L'attribution de la BIBC se définit au moyen de deux types de critères, à savoir la matière en litige, en particulier la qualité des parties, et la configuration internationale de la situation.

18.Des intérêts commerciaux. Les critères relatifs à la matière en litige et à la qualité des parties s'entendent plutôt largement. D'une part, y est visé « un rapport de droit déterminé, contractuel ou non contractuel ». D'autre part, les parties sont des « entreprises », entendues comme « toutes personnes qui poursuivent de manière durable un but économique, y compris les entreprises publiques ». Le projet de loi précise que ces entreprises sont, soit des « personnes physiques qui exercent une activité professionnelle à titre indépendant », soit des personnes morales, de droit privé ou de droit public, pourvu que celles-ci « proposent des biens ou services sur un marché », soit encore toute « organisation sans personnalité juridique » pourvu qu'elle « poursuive [un] but de distribution [ou] procède effectivement à une distribution à ses membres ou à des personnes qui exercent une influence décisive sur la politique de l'organisation ».

En somme, sous l'angle de la matière, de tels termes permettent en soi - si n'était la primauté finalement consentie aux règles du droit international privé par le projet de loi - de couvrir tout litige entre entreprises en matière civile ou commerciale, et non pas seulement de nature contractuelle, par exemple en matière de propriété intellectuelle, de diffamation, voire, en matière de sociétés, un litige entre la société et des actionnaires ou des créanciers [35].

19.Des intérêts du commerce international. Sous l'angle spatial, l'avant-projet prend soin d'identifier le « litige international ». Il tente d'appréhender les seules opérations relevant du commerce « réellement » international.

Cette « connotation d'extranéité » [36] est rencontrée selon l'article 15 de l'avant-projet lorsque, soit (a) les parties sont établies dans des Etats différents, soit à défaut, à savoir si les parties sont établies dans le même Etat, (b) se trouve dans un autre Etat « le lieu où doit être exécutée une partie substantielle des obligations issues de la relation commerciale ou le lieu avec lequel l'objet du différend a le lien le plus étroit », soit (c) les parties « sont convenues expressément que l'objet du litige a des liens avec plus d'un pays », soit encore (d) « les éléments pour résoudre le litige se trouvent en droit étranger ».

Cependant, l'article 18 du projet dans sa version déposée à la Chambre ôtait le point (c) mais il ajoutait une condition matérielle cumulative de nature linguistique, exigeant qu'une « autre langue que le néerlandais, le français ou l'allemand [ait] été couramment utilisée dans le cadre [de la] relation juridique [des parties] [selon ce qui] ressort suffisamment d'éléments objectifs [de cette relation] ». Ces deux modifications avaient été introduites au vu de l'avis du Conseil d'Etat, soucieux de verrouiller la notion de commerce « réellement international » et d'éviter tout risque de discrimination linguistique à l'égard de situations internes. Or, la condition linguistique posée définit moins l'internationalité requise - puisque l'anglais peut être utilisé dans une relation interne - qu'un trait matériel du milieu du commerce international, à savoir l'usage d'une « lingua franca » [37]. Critiquée au cours des travaux parlementaires, cette condition matérielle a été ôtée du projet de loi en première lecture [38].

Les critères (a), (b) et (c) de l'avant-projet reprenaient en substance ceux de l'article 1er la loi type CNUDCI [39], soucieux de formaliser une notion de « commerce international » qui a suscité de longs débats dans la doctrine générale des conflits de lois. Ils expriment donc le souci d'une définition précise et plutôt stricte.

Quant au critère (c), son inspiration et son but sont tout autres. L'exposé des motifs y voit une « facilité » qui présente « un 'avantage comparatif' intéressant et donc une opportunité pour la BIBC », vu le recrutement international des membres de la Court et la faculté de choix d'un droit étranger par les parties [40]. A bien comprendre l'argumentaire, le « commerce international » pourrait être affecté du seul fait de la soumission du litige à un droit étranger en vertu d'un accord des parties. En d'autres termes, il pourrait y avoir « contrat international » par le seul choix d'un droit étranger lorsque les éléments de rattachement se cantonnent en Belgique [41].

Il y aurait donc, à la fois, une contradiction entre une définition stricte du commerce international par certains critères, et une internationalité étendue du rapport juridique laissée à la volonté des parties. Le Conseil d'Etat entendait plutôt une limitation aux litiges concernant « effectivement » les échanges commerciaux internationaux: le projet de loi croit y répondre en supprimant le critère (c) précité tout en maintenant l'ancien (d) visant le cas où les éléments pour résoudre le litige se trouvent « en droit étranger ». Selon le ministre, cet aménagement répondrait à l'objection du Conseil d'Etat; et le critère (d) obéirait à une « opportunité » du fait du recrutement international des Judges et parce que le fond de la contestation peut être régi par un droit étranger « désigné par les parties » [42]. C'est avoir à l'esprit que le critère peut viser un cas soumis à un droit étranger du seul fait de la volonté des parties, alors que le Conseil d'Etat objectait la nécessité de liens réels avec plus d'un pays indépendamment de la volonté des parties. Quant à la justification tirée de la présence au siège de Judges étrangers, elle signifie que la plus-value de cette composition est leur connaissance du droit étranger, un argument qui devrait ne pas être décisif (supra, n° 14).

Ainsi, la flexibilité de la « connotation d'extranéité » autant que la matière visée donnent à prévoir que la BIBC aura à connaître de moyens d'intérêt général.

20.Une affectation de l'intérêt général. La BIBC pourrait avoir à prendre en compte des lois impératives ou d'ordre public qualifiables de lois de police, que ce soit en matière contractuelle selon le dispositif général de l'article 9 du règlement Rome I (supra, n° 5) ou en d'autres matières (art. 16 Règlement n° 864/2007 Rome II en matière quasi délictuelle; art. 20 CODIP). Outre le contexte international de l'applicabilité de mesures d'embargo ou de blocage, deux cas particuliers méritent l'attention.

D'abord, lorsque tous les éléments de la situation se localisent en Belgique mais que le choix des parties a porté sur un droit étranger, ce choix ne peut pas affecter des « règles impératives » du droit belge auxquelles un accord ne peut déroger (art. 3, 3. Règlement Rome I; art. 14, 2. Règlement Rome II). A l'échelle européenne, il en va de même de règles impératives de l'Union lorsque ces éléments se localisent sur le territoire d'Etats membres (art. 3, 4. Règlement Rome I; art. 14, 3. Règlement Rome II).

Ensuite, l'attribution conférée à la BIBC est de nature à inclure, notamment, le contrat de concession exclusive de vente et le contrat d'agence commerciale. Or, les « règles de droit international privé belge » dont le projet de loi admet la primauté incluent des lois de police telles que les dispositions impératives de protection du concessionnaire ou de l'agent commercial, que celles-ci soient établies par le législateur belge, un législateur étranger ou l'Union européenne même. Ainsi, en matière d'agence commerciale, il y a lieu de tenir compte, non seulement des dispositions du Livre X du Code de droit économique (Titre 1er, notamment la règle d'applicabilité de l'art. X.25), mais encore des règles impératives de la directive n° 86/653 dont la Cour de justice entend assurer l'application à toute situation qui présente « un lien étroit avec l'Union », notamment par l'exercice de l'activité de l'agent sur le territoire d'un Etat membre: la BIBC ne pourra donc que respecter de telles dispositions, que la Cour de cassation a pris soin de qualifier de lois de police au sens de l'article 7 de la Convention de Rome sur le visa de la Cour de justice [43].

21.Incidence pour la reconnaissance d'une décision à l'étranger. Si la BIBC avait pu soumettre le fond du litige à toute règle de droit choisie par les parties selon l'avant-projet, ou si elle venait à appliquer le droit d'un Etat non membre de l'Union sans considération pour d'éventuelles règles impératives, la décision pourrait violer le droit de l'Union. Ce risque serait présent dans une affaire analogue à l'affaire Ingmar, à propos de la loi californienne n'assurant pas la protection voulue par la directive n° 86/653 lorsque l'agent exerce ses activités sur le territoire de l'Union (supra, n° 5).

L'étendue de la portée du jugement serait accrue par l'effet de reconnaissance dans d'autres Etats membres de l'Union. En effet, comme décision émanant d'une juridiction d'un Etat membre dans une matière régie par le Règlement Bruxelles Ibis, sa reconnaissance et sa force exécutoire bénéficieraient des facilités de ce règlement, notamment de sa conception stricte du motif d'ordre public de l'Etat requis. En particulier, un jugement de la BIBC au sens de l'avant-projet aurait constitué une forme de sentence quasi arbitrale mais bénéficiant du principe de confiance mutuelle qui sous-tend le règlement.

Par contraste, il en aurait été autrement pour la même décision rendue par une sentence formellement arbitrale, dont la reconnaissance dans un ordre étatique dépend du droit national du juge requis ou des conditions de la Convention de New York de 1958. Or on sait combien la jurisprudence belge n'a pas hésité à invoquer contre une sentence visée par la convention, le motif de l'ordre public pour sauvegarder la protection du concessionnaire ou de l'agent voulue par le législateur belge [44].

Si l'avant-projet de loi avait été soumis et adopté tel quel, l'ordre juridique belge aurait donc comporté une incohérence systémique, par l'organisation d'une brèche dans un mur de protection de l'intérêt général construit par le législateur ou par la jurisprudence. En effet, il aurait permis de sécuriser une décision judiciaire nationale rendue comme un arbitrage mais qui, si elle avait été rendue par une juridiction arbitrale, aurait pu être dépourvue d'effectivité [45].

C. Le dispositif du projet BIBC concernant la compétence judiciaire

22.Un dispositif nécessaire? L'insertion dans le Code judiciaire du régime instaurant la BIBC atteste d'une approche privilégiant les conditions de fonctionnement de l'organe, en termes d'organisation, de compétence et de procédure. L'essentiel réside pourtant dans l'objet de l'attribution conférée, à savoir, selon l'avant-projet initial, organiser l'application au fond du litige de toute « règle de droit », essentiellement de nature non étatique, comme aurait pu le faire une instance arbitrale [46].

Toute règle de droit nécessite, pour son déclenchement, un acteur juridictionnel en mesure d'en assurer l'application: la mise en place d'un pouvoir de juridiction propre à obtenir ce résultat constitue donc un outil indispensable, en particulier dans les litiges internationaux par la désignation du for approprié (supra, n° 7). C'est en ce sens qu'en droit de l'arbitrage, les règles de compétence revêtent un enjeu déterminant. Il n'en va pas autrement pour la BIBC. Autre est la question de la détermination de leur contenu. Or, le projet ne peut le fixer utilement que pour la compétence interne, non pour la compétence internationale.

La condition d'une prorogation volontaire était indispensable selon l'exposé des motifs, en raison du Règlement Bruxelles Ibis. A défaut auraient joué les chefs ordinaires de compétence du Règlement Bruxelles Ibis (domicile du défendeur, lieu d'exécution de l'obligation contractuelle, localisation du fait dommageable, …), du moins pour toute demande portée contre un défendeur domicilié dans l'Union.

Pourtant, la prorogation volontaire même n'échappe pas à l'emprise du règlement dès lors que la désignation porte sur la juridiction d'un Etat membre, dont les conditions sont fixées par l'article 25 du règlement. Aussi, après un exposé des conditions prévues par le projet de loi convient-il d'analyser les conditions d'une clause de juriction selon le règlement.

1. La compétence judiciaire de la BIBC selon le projet de loi

23.Un agencement de la compétence interne. L'article 20 du projet de loi établit une compétence d'attribution, logée à l'article 576/1 du Code judiciaire. Outre la définition de la matière, utilisant les notions de commerce, d'entreprise et d'internationalité (supra, nos 18-19), les termes de l'attribution sont identifiés au moyen d'une condition de fond: la compétence n'est attribuée que par une prorogation volontaire. En d'autres termes, la volonté des parties est nécessaire, et suffisante. Dans ce contexte, la condition d'un « consentement de l'ensemble des parties » est essentielle. Il est précisé que ce consentement « ressort d'un contrat ou d'une clause d'un contrat » des parties.

Le consentement peut également résulter, plus largement, du « renvoi » par une autre instance judiciaire, même étrangère ou arbitrale, « dans lequel est acté le consentement des parties avec ce renvoi ». Ces termes ambigus semblent viser, à comprendre l'exposé des motifs, le cas d'un accord portant sur un renvoi vers la BIBC. En bref, un accord procédural est suffisant, du moment qu'il soit exprès. Dès lors, l'exigence d'un terme contractuel semble affaiblie: l'accord peut intervenir après la naissance de la contestation - ce que confirme l'exposé des motifs, devant un juge étatique ou arbitral, probablement selon les formes autorisées par le droit procédural de ce for, le cas échéant par un échange de conclusions.

Le texte évoque aussi la compétence territoriale de la BIBC. L'article 3 du projet de loi présente « un tribunal de l'entreprise anglophone dont les limites territoriales sont l'ensemble de la Belgique et dont le siège est établi à Bruxelles » (art. 73 C. jud.). Il est précisé qu'il « siège à Bruxelles » mais qu'il pourra « se réunir en tout lieu qu'il jugera approprié pour l'organisation du délibéré entre ses membres, l'audition des témoins, des experts ou des parties, ou pour l'inspection de marchandises, d'autres biens ou de pièces. » (art. 35 insérant un art. 1385quaterdecies/9 au C. jud.). Inspirée de l'article 20 de la loi type CNUDCI, cette faculté de délocalisation n'est que relative: tant en vertu de l'article 35 précité qu'en raison de son appartenance à l'ordre judiciaire belge, la BIBC ne saurait siéger hors du territoire national, alors qu'une telle contrainte ne pèse pas sur une instance arbitrale.

L'un et l'autre de ces dispositifs fixant respectivement l'attribution et le ressort territorial de la Court portent sur ce qu'il convient d'identifier, au sens du droit international privé, comme la compétence judiciaire interne dans un litige international préalablement circonscrit (supra, n° 19). En d'autres termes, le mécanisme mis en place par le législateur belge était impuissant à déterminer directement le pouvoir de juridiction international de la BIBC. L'explication réside dans la portée du Règlement Bruxelles Ibis.

2. Impact du Règlement Bruxelles Ibis

24.Un effet direct sur le régime de reconnaissance des jugements à l'étranger. Le projet de loi entend conforter le concept de BIBC en invoquant, dans le Règlement Bruxelles Ibis, l'applicabilité du Chapitre III du règlement relatif à la reconnaissance et à l'exécution des décisions - de même que de la Convention de La Haye de 2005 sur les accords d'élection de for - en raison de la nature étatique de la BIBC [47]. Le cas envisagé par le gouvernement est celui d'une demande de reconnaissance ou d'exécution d'un jugement de la BIBC dans un autre Etat membre de l'Union ou dans un Etat tiers partie à la convention.

Il est incontestable que ce régime de facilitation, fondé sur un principe de confiance mutuelle dans les juridictions des Etats membres, bénéficie à un tel jugement. Seul un nombre restreint de motifs de refus lui serait opposable (art. 45). On comprend alors l'enthousiasme de l'auteur de l'exposé des motifs, pour qui « l'exécution internationale des jugements de la BIBC […] ne peut susciter aucune discussion au sein de l'Union européenne eu égard au règlement ».

Pourtant, un tel jugement ne bénéficie d'aucune immunité absolue. Outre l'ordre public de l'Etat requis qui peut être affecté par le résultat atteint par le jugement quant au fond du litige, mais sans se confondre pour autant avec une révision au fond qui est interdite (art. 52), on songe au respect des droits de la défense en cas de jugement par défaut lorsque l'acte introductif n'a pas été communiqué au défendeur en temps utile (art. 45, 1., b)). En particulier, il ne faut pas exclure tout risque de remise en cause éventuelle, dans un autre Etat membre, pour violation d'un ordre public procédural de cet Etat lorsque, aux yeux du juge requis, la procédure suivie et inspirée de la loi type de la CNUDCI ne répondrait pas en tous points, au vu des éléments de l'espèce, aux exigences du standard étatique, en particulier telles que déduites de la convention européenne de sauvegarde [48].

25.Un effet indirect sur la validité de la clause de juridiction. Le Règlement Bruxelles Ibis peut avoir une incidence sur les conditions de la prorogation volontaire de compétence internationale, dont l'exposé des motifs n'évoque pas la portée exacte. Le Titre II du règlement établit en effet le régime d'une « convention attributive de juridiction » désignant une juridiction d'un Etat membre (art. 25). Ce régime est autosuffisant, sauf renvoi à la loi de l'Etat dont la juridiction est désignée pour la sanction éventuelle de nullité pour violation d'une condition de validité « quant au fond » de la convention (art. 25, 1.). Il établit un régime de faveur à la prorogation volontaire, sans exiger nul lien de rattachement entre le litige et le système de la juridiction choisie - contrairement à ce que prévoit l'article 6 CODIP par une exception de forum non conveniens.

Or, le domaine d'applicabilité spatiale de l'article 25 est large au point de se substituer, pour les matières qu'il vise, aux règles nationales correspondantes, à savoir les articles 6 et 7 CODIP. Il n'en va autrement qu'en cas de dérogation volontaire au profit d'une juridiction d'un Etat qui n'est lié ni par le règlement ni par la Convention de La Haye de 2005. La version de l'article 23 du Règlement Bruxelles I de 2000 limitait le domaine au cas où l'une des parties était domiciliée dans un Etat membre. Désormais, ce domaine est sans considération de domicile, de sorte que le texte nouveau couvre pratiquement tout accord désignant la juridiction d'un Etat membre. Quant à la Convention de La Haye de 2005, elle est applicable, en matière contractuelle, si l'accord désigne une juridiction d'une partie contractante dès lors que l'une des parties à l'accord réside dans une partie contractante non membre de l'Union [49]: le règlement cède ainsi en faveur de la convention si la clause désigne une juridiction belge alors qu'une partie réside au Mexique, au Monténégro ou à Singapour.

En d'autres termes, les articles 3 et 20 du projet de loi ne revêtent d'autre portée que celle d'une règle de compétence (d'attribution) interne: celle-ci ne peut jouer qu'après que - et dès que - l'attribution de la compétence internationale aura été acquise valablement en vertu du règlement ou de la convention de 2005.

26.Des conditions plus flexibles de validité de la clause. Les conditions de forme de la prorogation de juridiction font l'objet d'un régime d'autosuffisance établi par l'article 25 du règlement, ce qui signifie que le droit national ne peut y ajouter ni en extraire. Or, ce régime donne à penser que certaines des conditions prévues par l'article 20 du projet de loi sont plus strictes. En effet, en exigeant d'une part une « clause contractuelle » et en permettant d'autre part un consentement déduit de l'attitude des parties devant une juridiction étatique ou arbitrale qui a renvoyé l'affaire à la BIBC, le texte s'écarte de l'article 25, lequel reste maître de la forme de la convention de juridiction avec l'interprétation qu'en donne la Cour de justice de l'Union. Or, celui-ci valide non seulement l'écrit ou la confirmation écrite d'un accord verbal, couvrant alors une clause contractuelle, voire un accord procédural, pourvu qu'un écrit émane d'une partie sans soulever d'objection de l'autre; il admet encore toute autre modalité conforme aux habitudes des parties ou « aux usages […] connus des parties […] dans la branche commerciale considérée » [50].

Par ailleurs, les exigences du projet de loi concernant l'internationalité du litige dépassent les prévisions du règlement: dépourvu de toute définition de l'internationalité, il se contente de déterminer toute compétence internationale pour les cas appropriés, par hypothèse pourvus d'un élément d'extranéité quelconque. En d'autres termes, l'article 25 ne requiert pas que les parties soient établies dans des Etats différents, ou que l'exécution des prestations ait lieu dans un Etat autre que l'Etat de résidence. En revanche, il s'en remet au droit de l'Etat dont une juridiction a été choisie pour évaluer si « la validité de la convention […] est entachée de nullité quant au fond » [51]. Ainsi, dans le cas où une clause respecte la condition d'internationalité du règlement mais non celle de la loi désignant la BIBC, celle-ci ne pourrait être compétente. Se pose alors la question de la validité de la clause en raison d'une erreur quant à son objet, ou de la désignation du tribunal de l'entreprise ordinaire, alors peu conciliable avec la volonté des parties.

La différence de régime de la clause selon le règlement et selon le projet de loi pourrait donner à penser que le premier n'affecte que la compétence internationale, laissant au second de déterminer la compétence interne. Une telle différenciation est certes possible à propos du for général du domicile du défendeur, établi par l'article 4 du règlement qui désigne dans leur ensemble « les juridictions » de cet Etat. D'autres dispositions du règlement, tel l'article 7, déterminent simultanément la compétence internationale et interne, en désignant « le tribunal du lieu » pertinent. Quant à l'article 25, il permet aux parties de convenir « de juridictions » d'un Etat (p. ex. les juridictions belges, sans précision du tribunal spécialement compétent), tantôt « d'une » juridiction (p. ex. « le tribunal de l'entreprise de Bruxelles »). Ce choix-ci ne requiert pas le déclenchement d'une règle nationale de compétence interne. Or, en désignant la BIBC, juridiction unique en termes d'attribution et de ressort territorial, les parties identifient bien la compétence à la fois internationale et interne.

Il semble donc que le règlement affecte la portée utile du dispositif du projet relatif à la compétence interne. En effet, toute condition d'attribution plus stricte que celles de l'article 25 peut conduire à une impasse: soit la prorogation volontaire est inopérante en vertu du règlement, soit elle est valable en vertu du règlement et les conditions du droit national sont éventuellement écartées en raison de la primauté d'application des conditions du règlement. Un troisième résultat semble à exclure, qui identifierait parmi les juridictions belges, celle ayant dans ses attributions le litige en cause, à savoir le tribunal de l'entreprise ordinaire, dans la mesure où le choix des parties n'aurait pas cet objet.

27.Prise en compte d'autres dispositifs du règlement. La BIBC ne saurait connaître d'une demande relevant de la compétence exclusive d'une juridiction d'un autre Etat membre de l'Union (art. 25, 4. du règlement). Le cas peut se présenter dans le contexte du Règlement Bruxelles Ibis, pour les matières visées par l'article 24. Il en va ainsi notamment en matière de droits réels immobiliers, de validité des personnes morales et de décisions de leurs organes, de validité de droits intellectuels. Il n'en va autrement que si le critère de compétence pertinent est localisé en Belgique: vu que l'article 24 vise la compétence internationale et non interne, celle-ci reste régie par le droit national.

La BIBC bénéficiera du régime de litispendance et de connexité du règlement (art. 31) puisque toute juridiction d'un autre Etat membre devra surseoir à statuer jusqu'à ce que la Court décide qu'elle n'est pas compétente en vertu de la prorogation volontaire. Selon l'article 22 du projet (art. 643/1.3 nouveau C. jud.), cette décision pourrait n'apparaître que dans le jugement sur le fond.

II. Sur le rattachement de la personne morale selon le siège statutaire

28.Un argumentaire à charge du siège réel. La loi du 23 mars 2019 introduisant le Code des sociétés et des associations traite des situations internationales sous deux aspects de droit international privé. D'une part, il introduit le critère du siège statutaire comme facteur de rattachement d'une règle universelle [52] et comme critère de compétence judiciaire internationale exclusive (art. 13 et 14). D'autre part, il instaure un dispositif important de règles matérielles adaptées à une opération de transformation transfrontalière, processus de changement de loi applicable résultant de la mobilité du facteur de rattachement pertinent pour désigner la lex societatis (art. 112 CODIP).

La justification d'une réforme du rattachement des sociétés repose sur un arsenal argumentaire développé dans l'exposé des motifs, qui fournit un matériau précieux pour le droit des conflits de lois. Cet argumentaire s'attache cependant davantage à cibler les défauts du siège réel qu'à convaincre de la nécessité du siège statutaire.

Outre une présentation du contenu du siège statutaire (A.), l'objectif affiché de mobilité semble moins déterminant (B.) que l'intention sous-jacente de consacrer l'autonomie de la volonté (C.), alors que l'invocation des exigences du droit de l'Union paraît excessive et insuffisante à fonder une règle d'application universelle (D.). La réforme vise également à exclure la compétence judiciaire internationale à l'égard de sociétés régies par un droit étranger quoique ayant leur établissement principal en Belgique (E.).

A. Portée du critère du siège statutaire

29.Le siège statutaire comme critère exclusif. Désormais, l'article 110 CODIP reçoit la nouvelle rédaction suivante: « La personne morale est régie par le droit de l'Etat où se situe son siège statutaire. » (art. 14); et corrélativement, le for de « l'établissement principal » en Belgique de la personne morale est ôté de la règle de compétence internationale de l'article 109 CODIP (art. 13) [53], qui le retenait aux côtés du siège statutaire.

De plus, sous le Titre 10 du CSA intitulé « Dispositions de droit international privé », l'article 2:146 reprend une formulation unilatérale de la nouvelle règle de rattachement, en posant que « le présent code est applicable aux personnes morales qui ont leur siège statutaire en Belgique ». L'exposé des motifs indique que les personnes morales « ne peuvent être régies que par les dispositions du présent code si elles ont leur siège statutaire en Belgique » et que l'article 2:146 doit donc être lu « en combinaison avec l'article 109  CODIP - en réalité l'article 110 CODIP. Une telle disposition correspond à l'ancien article 56 du Code des sociétés, qui avait été abrogé par la loi du 16 juillet 2004 portant le Code de droit international privé afin d'éviter un doublon. De fait, l'ajout dans le CSA d'une règle d'applicabilité unilatérale fixant le domaine spatial de celui-ci est dépourvu de tout effet utile [54]. La règle de rattachement suffit à établir qu'une personne morale dont le siège statutaire est en Belgique n'est régie que par le CSA - du moins devant une autorité belge - sans avoir à le confirmer dans une règle spéciale d'applicabilité.

Exclusif de tout autre [55], le critère du siège statutaire remplace ainsi, dans l'article 110 CODIP, celui de « l'établissement principal » de la personne morale, pour déterminer le droit qui régit celle-ci dès sa constitution ainsi qu'en cas de transformation transfrontalière (art. 112 CODIP, art. 16 du projet). Il identifie la loi de la société (lex societatis) - dont le domaine est circonscrit par l'article 111 CODIP, laissé inchangé [56] -, outre la compétence judiciaire internationale (infra, E.).

Cependant, la société simple semble échapper à ce critère. Certes, le CSA couvre la « société simple », dont il instaure le régime (art. 4:1 à 4:21). Tout en la distinguant de l'association de fait simplement « régie par la convention des parties » (art. 1:6), il la définit par l'absence de personnalité juridique (art. 1:5), à moins que les associés n'en décident autrement, lui donnant alors la forme d'une société en nom collectif ou en commandite (art. 4:22). Or, ce régime ne sera pas applicable nécessairement à une société ayant son « siège » en Belgique [57]. En effet, la règle de rattachement de l'article 110 CODIP ne couvre que les « personnes morales ». Il y a donc lieu d'utiliser une autre règle de rattachement. Celle-ci ne peut, en raison de la nature de l'acte de société, être trouvée que dans la catégorie des obligations contractuelles, à savoir le Règlement Rome I. Certes, celui-ci exclut de son domaine « les questions relevant du droit des sociétés, associations et personnes morales » (art. 1er, § 2, f)), exclusion qui semble couvrir, selon une interprétation dominante, les sociétés dépourvues de personnalité tout en répondant à une identité légale distincte de celle des associés [58]. Mais le législateur belge a pris soin de soumettre en principe à cet instrument toute « obligation contractuelle » ainsi exclue (art. 98, § 1er, al. 2, CODIP). Concrètement, les associés pourront donc choisir la lex societatis, tout en respectant les limites posées par le règlement (infra, nos 44 et 45); à défaut de choix, la société est normalement régie par le droit de l'Etat avec lequel « le contrat […] présente les liens les plus étroits » (art. 4, 4.), à moins de pouvoir identifier - assez hypothétiquement - une partie « qui doit fournir la prestation caractéristique », dont le droit de la résidence habituelle serait alors appliqué (art. 4, 2.) [59]. Le lien étroit pourrait être trouvé au lieu de l'administration centrale ou centre de direction de la société, mais non au siège statutaire lorsque celui-ci est dépourvu d'éléments suffisamment concrets.

Si le législateur avait voulu éviter un tel résultat, il aurait élargi la catégorie de rattachement de l'article 110 CODIP. Ou encore, l'article 1:46 CSA précité aurait pu couvrir toute société ou personne morale ayant son siège en Belgique, mais une telle règle aurait été insuffisante à déterminer le droit applicable à une société simple étrangère.

1. Concrétisation du siège statutaire

30.Le cas du conflit mobile. La transformation transfrontalière vise le cas d'un changement de la loi de la société consécutif à un conflit mobile, c'est-à-dire à un déplacement dans l'espace du facteur de rattachement pertinent. Dans le Code de droit international privé, la formulation actuelle de l'article 110 prend soin de préciser que le siège est celui de la personne morale « dès sa constitution »: ce faisant, le texte donne la solution du conflit mobile comme il le fait systématiquement pour chaque matière civile et commerciale. La nouvelle formulation omet une telle précision. Cette omission ne semble pas altérer le sens de la règle de rattachement mais elle n'est pas en harmonie avec la méthode suivie par le législateur de 2004 qui, dans un but de lisibilité, veille à accompagner toute règle de rattachement d'une précision sur le conflit mobile, même lorsque le critère renvoie à une formalité administrative. A tout le moins, une indication sur la localisation au moment de la constitution signale que cette concrétisation à ce moment vaut tant que le siège n'est pas déplacé au-delà d'une frontière.

Concrètement, le déplacement du siège statutaire d'un Etat à un autre peut entraîner un changement de la lex societatis du point de vue des autorités belges, par exemple lorsqu'une personne morale déplacera ce siège de l'étranger vers la Belgique [60]. Une telle opération relève d'une règle particulière, établissant des rattachements successifs en fonction de la date du transfert: la société est régie par le droit de l'Etat de la nouvelle localisation du siège « à partir du transfert » (art. 112, al. 2, CODIP nouveau). Ceci implique que l'opération, dans son ensemble, obéisse aux conditions de sortie du droit des sociétés de l'Etat de l'ancien siège ainsi qu'aux conditions d'entrée du droit des sociétés du nouveau siège [61]. La règle s'accompagne cependant d'un rattachement cumulatif concernant le maintien de la personnalité morale: celui-ci n'est assuré que conformément au droit de chacun des Etats concernés [62]. Lorsque le transfert entraîne un changement de lex societatis, il est réputé opérer une « transformation transfrontalière ».

La détermination des modalités de transformation constitue une part importante du nouveau CSA, en vue d'une adaptation aux évolutions européennes. Outre la règle de rattachement précitée, qui est conforme à la jurisprudence de la Cour de justice (infra, n° 52), le CSA instaure judicieusement une réglementation globale et exigeante de l'opération tendant à assurer la réussite de la transformation au regard de la même jurisprudence. Ces dispositions anticipent la récente proposition de 14e directive sur les transformations et fusions [63].

31.Référence à l'adresse officielle. Une définition formelle du siège statutaire ne se déduit que des termes de l'exposé des motifs. Il s'agit de « l'adresse officielle de [la] personne morale telle que mentionnée dans ses statuts. Cette adresse est sise dans l'Etat dans lequel la personne morale est constituée » (p. 339), définition qui « renvoie […] au lieu de constitution de la personne morale » (p. 343).

L'adresse sise ainsi dans l'Etat « de constitution » ne peut être modifiée ultérieurement que par une « décision de modification des statuts » et, lorsque le changement est vers un autre Etat, celui-ci donne lieu à l'application de « la procédure particulière de transformation transfrontalière » (p. 339).

Les affirmations de l'exposé des motifs ne sont que partiellement exactes. Plus précisément, en termes de conflit de lois, la mention de l'adresse dans les statuts ou dans tout autre document, l'obligation de localiser cette adresse « dans l'Etat de constitution », de même que la nécessité d'une décision de modification des statuts et le respect de la procédure de transformation ne sont requis qu'en fonction de ce qu'exige le droit de l'Etat du siège statutaire, désigné comme tel par la règle de rattachement, sans préjudice du respect ultérieur des conditions de l'Etat d'entrée pour se conformer au droit des sociétés de cet Etat nouvellement applicable.

La notion de siège statutaire entend se dissocier radicalement de la référence à tout autre élément de localisation que l'adresse, de nature à concrétiser le facteur de rattachement. Ainsi, sont indifférents le centre de direction, l'exploitation principale, la nationalité des principaux actionnaires. Sont donc rejetés les éléments d'appréciation d'un « établissement principal » au sens de l'article 4, § 3, CODIP, lequel énonce, dans un ordre décroissant, le centre de direction, le centre des affaires ou des activités et, enfin, le siège statutaire [64].

En même temps, la notion de siège statutaire doit être distinguée formellement de celle d'« incorporation » du droit de common law ou de simple enregistrement dans un registre des sociétés, malgré leur proximité sémantique: un siège statutaire peut en soi être requis par le législateur en l'absence même de registre public, et inversement, un pays d'incorporation peut ignorer la notion de siège statutaire (« registered office »), en fonction de ce que connaît le droit matériel national des sociétés. Pays de siège statutaire et pays de constitution ne sont donc pas des notions absolument interchangeables. L'un et l'autre, cependant, ont en commun de se référer à une formalité, entourée d'une certaine publicité. En revanche, le critère d'« incorporation » semble par nature peu conciliable avec un processus de mobilité, puisqu'il focalise le rattachement sur la constitution de la personnalité morale comme un lieu de « naissance » [65].

2. Incidence d'un établissement

32.Résurgence d'une trace d'établissement de la personne morale. Toute référence à un lieu d'« établissement » n'est pas absente. Selon la première version de l'article 2:4 CSA: « Le siège de toute personne morale régie par le code doit être établi en Belgique. Les statuts doivent indiquer la région dans laquelle le siège de la personne morale est établi. Ils peuvent aussi indiquer l'adresse à laquelle le siège de la personne morale est établi. »

La seule obligation d'une mention statutaire porte sur l'indication d'une région [66]. La mention d'une adresse plus précise dans les statuts n'est que facultative. Mais lorsqu'elle s'y trouve, elle ne peut être déplacée, en Belgique, que par une modification des statuts. En revanche, l'acte constitutif doit mentionner « la désignation précise de l'adresse à laquelle le siège de la société est établi » (art. 2:8.2.2°). Un extrait de l'acte doit être versé au dossier de la société (art. 2:8.1), qui est tenu « au greffe du tribunal de l'entreprise du siège de la personne morale » (art. 2:7.1): de fait, ce tribunal ne peut être identifié territorialement que si l'adresse précise du siège est connue …

La référence de la disposition à l'obligation d'établir le siège statutaire en Belgique a été supprimée de la version adoptée en première lecture. De fait, elle répétait à première vue la règle de rattachement, dans une formulation unilatérale, comme le fait encore l'article 2:146 (supra, n° 29). Néanmoins, insérée dans un titre posant les conditions de fixation du siège, elle pouvait se comprendre aussi comme une condition matérielle et avoir pour effet utile d'entendre, non pas que ce siège soit réel [67], mais qu'il ne saurait être factice, élément d'un montage artificiel. Du moins cela est-il exigé d'un siège localisé en Belgique seulement. En effet, le texte précise ne viser qu'une personne morale « régie par le code ».

Selon l'article 2:4, ce siège doit être « établi » dans une Région au moins. Et l'exposé des motifs évoque une « adresse » [68], facultative dans les statuts mais requise a minima dans l'acte constitutif et dans le registre des entreprises. Ceci suppose une certaine réalité, sans prémunir pour autant contre tout risque d'une forme de « boîte aux lettres ». Autre est la question de savoir si cette exigence d'une adresse est un élément du facteur de rattachement, ou si elle constitue une règle matérielle dont la sanction relève alors du CSA après que celui-ci aura été désigné en vertu de la règle de rattachement …

S'agissant d'un siège prétendument localisé à l'étranger, il faudra appliquer la règle de rattachement de l'article 110 CODIP; et on peut croire qu'il y aurait alors seulement lieu de vérifier si le droit étranger désigné prévoit l'obligation de la mention d'une adresse. Pourtant, selon une définition du siège statutaire donnée par ailleurs dans l'exposé des motifs (supra, n° 31), il convient de localiser « l'adresse officielle […] telle que mentionnée dans les statuts ». Cette exigence-ci serait alors inhérente au facteur de rattachement même, à savoir la présence de concrétisation minimale d'une forme d'établissement.

L'opérabilité du facteur de rattachement pourrait donc être problématique lorsque le droit étranger dont la désignation est vérifiée n'exige pas de mention d'une adresse dans les statuts ni dans l'acte constitutif.

33.L'exigence d'établissement effectif d'une succursale. L'exigence de localisation d'un « établissement » est encore présente à propos d'une succursale d'une personne morale étrangère. En effet, un dossier est tenu au greffe du tribunal de l'entreprise « dans le ressort duquel la succursale est établie » (art. 2:23), formalité parallèle à celle qui affecte les personnes morales régies par le CSA.

La définition d'une succursale transparaît de l'évocation par l'exposé des motifs de la notion de « centre d'opération » utilisée par la loi sur les associations et fondations à propos des associations étrangères, à savoir un « établissement durable sans personnalité juridique distincte dont les activités sont conformes à l'objet de la fondation », termes jugés conformes à la définition d'une « succursale » selon « la jurisprudence et la doctrine ».

Ainsi, la succursale s'entend pratiquement dans un sens analogue à celui d'un « établissement » au sens de l'article 49 TFUE relatif au droit d'établissement, selon la définition qu'en donne la Cour de justice comme la localisation d'une activité économique effective au moyen d'une installation durable pour une durée indéterminée, supposant une « implantation réelle […] et l'exercice d'une activité économique effective » [69].

Il y a tout lieu de croire que lorsqu'une société - belge ou étrangère - constituera une filiale dans un autre pays que le sien, elle le fera normalement pour y investir des moyens au moins analogues aux éléments précités d'une succursale. Ainsi paraît-il étrange, en termes de politique législative, de concevoir qu'une personne morale puisse se constituer en Belgique sans aucune effectivité territoriale autre qu'un siège statutaire se référant à une formalité, alors que la création d'autres entités, sous une forme ou une autre, n'aurait de sens qu'en raison de la localisation d'activités.

3. Le siège statutaire comme facteur de rattachement

34.Insuffisance du critère du siège statutaire dans une règle de rattachement. L'exposé des motifs révèle ainsi la difficulté inhérente à tout effort de concrétisation d'un rattachement empruntant au concept de siège statutaire voire, dans les pays de droit anglo-saxon, au concept de « incorporation ».

Un tel concept lie le contenu du facteur de rattachement au contenu d'une règle matérielle du droit des sociétés de l'Etat qui produit la règle de rattachement. Cette méthode ne tient pas compte du contenu du droit étranger des sociétés potentiellement applicable. Elle se heurte ainsi à une difficulté opérationnelle dès lors qu'elle se réfère d'une manière ou d'une autre à une formalité de nature administrative, tel un enregistrement. Et elle trouve à s'expliquer, probablement, du fait qu'en matière de rattachement des personnes morales, une confusion traditionnelle est opérée entre détermination du rattachement et détermination de la nationalité (infra, n° 51). Or, celle-ci est par principe opérée de manière unilatérale, car il appartient à chaque Etat de déterminer qui sont ses nationaux, au risque de créer des conflits, surtout positifs, de nationalités, bien connus à propos des personnes physiques.

Or, il apparaît que toute règle de rattachement dans une matière couvrant les personnes morales de manière multilatérale - c'est-à-dire permettant à la juridiction ou à l'autorité saisie de désigner aussi un droit étranger en fonction de la localisation du facteur pertinent dans un cas individuel - doit prévoir une règle subsidiaire de rattachement, pour le cas où le facteur précité ne peut pas être localisé. Ce risque est inhérent à tout facteur lié à une formalité administrative - tel le domicile comme inscription dans le registre de la population - voire à la nationalité en cas d'apatridie, ou encore à un facteur utilisant la volonté des parties, comme en matière de contrats. Il en va de même d'une référence au siège statutaire ou à l'incorporation. Cette difficulté est rencontrée notamment par la désignation subsidiaire, en Suisse du droit de l'Etat dans lequel la société est « administrée en fait », ou aux Pays-Bas, du droit de l'Etat du « centre des activités » [70]. Elle l'est également dans les travaux du Groupe européen de droit international privé (GEDIP) [71].

35.Unilatéralité du critère sur un fond d'attractivité du droit du for. La conjonction de la règle de rattachement et de la règle de compétence judiciaire internationale retenues par le projet devrait certes ne pas confronter une juridiction belge à l'application potentielle d'un droit étranger, un but précisément recherché par l'exposé des motifs (p. 342). En effet, pour connaître d'une demande relevant du droit des sociétés au sens de l'article 111 CODIP, un juge belge ne serait normalement compétent que si la société en cause a son siège statutaire en Belgique (infra, E.) … Par conséquent, au moment d'aborder la question de la loi applicable, le juge aura préalablement à vérifier que le siège statutaire est bien en Belgique, ce qui entraînera l'application du CSA [72].

Sous cet angle, le rôle exclusif réservé au critère du siège statutaire comme critère exclusif de compétence judiciaire et de conflit de lois apparaît, aux yeux de l'exposé des motifs, comme facteur d'accroissement de « l'attractivité du droit belge des personnes morales », en permettant de « faciliter le choix du droit belge et, partant, son applicabilité et, ainsi, de stimuler l'attractivité de la Belgique en tant que pays d'implantation » (p. 339). Dans cet esprit, la perspective de la soumission d'une personne morale à un droit étranger est occultée [73].

Pourtant, la bonne application de la règle de droit ne se réduit pas à un processus judiciaire. D'autres acteurs juridiques sont concernés qui, opérant hors d'un contexte institutionnel conduisant à une décision dotée de force de chose jugée, doivent construire des solutions ex ante bénéficiant d'une sécurité juridique satisfaisante, tels les avocats, notaires, juristes d'entreprise. Ceux-ci auront à conseiller une constitution de société, ou une transformation transfrontalière, conforme au droit de l'Etat où les fondateurs ou associés envisagent de localiser la personne morale.

A cet égard, à vouloir retenir un facteur de rattachement libéré de toute contrainte de localisation effective, la méthode la plus transparente ne consiste-t-elle pas à énoncer une règle principale de libre choix de la loi applicable? En effet, le principe d'autonomie de la volonté semble bien constituer la toile de fond de l'approche du législateur pour le droit international privé des sociétés, associations et fondations, comme une projection d'une « nouvelle liberté de choix » offerte aux fondateurs par l'exposé des motifs (p. 13) (infra, C.).

B. Un argumentaire en termes d'avantages comparatifs

36.Flexibilisation et simplification. Selon l'exposé des motifs, « L'introduction de la doctrine du siège statutaire [est] l'un des principaux objectifs » du projet de loi (p. 339). Quant aux motifs du choix de la « doctrine » du siège statutaire, ils sont de plusieurs ordres. Les uns appartiennent au contexte général d'une modernisation du droit des sociétés, d'autres à des impératifs propres au droit international privé, outre d'autres raisons qui sont empruntées aux contraintes du droit européen du marché intérieur (infra, D.).

La modernisation portée par le projet consiste, non seulement à façonner un ensemble cohérent se substituant à « un texte coordonné foisonnant et sur certains points incohérent », mais essentiellement, quant au contenu du droit des sociétés, à réaliser une « simplification de grande envergure » et une « flexibilisation poussée » tout en préservant la protection des intérêts des parties prenantes (pp. 5, 8 et 12). De tels objectifs induisent une référence dominante au principe de la liberté contractuelle.

L'argumentaire concernant le choix du critère du siège statutaire se veut particulièrement précis. On peut y voir la volonté de fonder solidement un changement majeur du droit international privé belge des sociétés, celui-ci étant attaché traditionnellement, dès la réforme de 1873, à la « doctrine » du siège réel concrétisée par la localisation de l'établissement principal.

L'argumentaire présente, successivement, le contexte général de mobilité internationale ainsi que les risques et bénéfices respectifs des doctrines en présence. A l'analyse, sa présentation en termes de contraintes s'imposant au législateur en faveur du siège statutaire a moins de force explicative du rattachement que l'objectif avancé de flexibilisation et de simplification, dont le droit général des conflits de lois rend compte par le principe d'autonomie de la volonté (infra, C.). L'argumentaire relatif au conflit de lois omet en revanche l'évocation d'une protection des parties prenantes voulue par le CSA et présente dans ses dispositions matérielles, protection que le critère du siège statutaire est cependant insuffisant comme tel à assurer, contrairement au principe d'autonomie du droit international privé.

1. Un contexte général de mobilité

37.Mobilité, compétition régulatoire et investissements. D'emblée, l'exposé des motifs fait état d'un climat de « compétition accrue » entre Etats (p. 15), fait de deux composantes. D'une part, se remarque en Europe un mouvement de modernisation du droit national des sociétés « pour le rendre plus compétitif », de sorte que la Belgique doit également se doter d'un « droit attractif qui soit compétitif sur le plan international par rapport aux droits des autres pays membres de l'Union européenne ». D'autre part, la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne « a favorisé la libre circulation des sociétés ». Il en résulte qu'une société constituée à l'étranger dans un pays de siège statutaire (tel le Royaume-Uni), « sous l'empire d'un droit plus simple et plus flexible » peut « poursuivre librement ses activités en Belgique […], à titre principal » (p. 6).

Dans un tel contexte, ce nouveau droit belge des sociétés attractif et compétitif serait un élément « favorisant des investissements étrangers et contribuant à maintenir un lien entre nos dernières grandes sociétés multinationales belges et notre pays ». Il permettrait de contrer une « tendance » de la Cour de justice, en l'absence de droit dérivé établissant des règles communes de conflit de lois, à « favoriser l'établissement en Belgique de sociétés étrangères conservant leur nationalité d'origine » (pp. 6 et 7).

Globalement, la « doctrine du siège statutaire […] permettra d'accroître l'attractivité du droit belge des personnes morales, de faciliter le choix du droit belge et, partant, son applicabilité et, ainsi, de stimuler l'attractivité de la Belgique en tant que pays d'implantation » (p. 339).

38.Une apparence trompeuse. Ces arguments favorables au critère du siège statutaire pourraient se révéler contre-productifs. La présentation du contexte rend compte d'une réalité politique, qu'exacerbe en Europe l'actualité du Brexit, où émerge un mouvement de patriotisme économique - peu en phase avec un principe de coopération loyale porté par le Traité sur l'Union européenne (art. 4, 3. TUE) -; et les opérateurs du commerce international seraient d'autant plus encouragés à exploiter cette attractivité lorsque l'Etat utiliserait pour outil une règle de conflit de lois permettant de facto un libre choix absolu du droit applicable sans le tempérament de l'application de lois de police. A cet égard, le choix de la doctrine du siège statutaire constitue assurément un tel outil. Cependant, il peut jouer dans les deux sens, certes comme un incitant à l'importation de sociétés, attendu par le projet, mais aussi à l'exportation, négligé par le projet en raison, probablement, de l'excellence attendue du nouveau droit national des sociétés en comparaison de ses concurrents [74].

Au demeurant, l'argumentaire évoque un effet paradoxal du facteur d'attractivité dont procéderait la doctrine du siège statutaire. En effet, la simple faculté offerte de facto de choisir le droit belge des sociétés par la seule mention de la localisation du siège dans l'acte constitutif, ferait de la Belgique un pays « d'implantation » (p. 339), y « favorisant des investissements étrangers » et contribuant à « maintenir un lien » avec des sociétés multinationales « belges » (p. 6). Ainsi, la raison d'être du critère du siège statutaire apparaîtrait comme l'importation d'éléments d'actifs sur le territoire, pourtant peu en phase avec une définition du siège n'appelant aucune localisation d'activités sur le territoire. Quant à l'allusion au « maintien d'un lien avec la Belgique dans le chef de certaines multinationales « belges », elle laisse perplexe: le texte vise-t-il le cas d'une société dont le siège réel resterait en Belgique mais désireuse de se transformer sans déplacer ce siège [75]? Ou inversement, voit-il une délocalisation effective d'un champion national tout en le fidélisant émotionnellement par le seul maintien de sa loi de constitution? Enfin, rien n'est dit sur le risque de sortie de sociétés qui, tout en maintenant leur implantation effective en Belgique, choisiraient un droit étranger par une simple formalité - enregistrement, mention de siège statutaire - dans un Etat qui retiendrait, ou non, [76] un tel critère de rattachement: la prévision est sans doute que par sa qualité, le nouveau droit belge des sociétés ait une force d'attraction suffisante …

Quoi qu'il en soit, on comprend mal comment attirer des investissements au moyen d'un critère de siège statutaire dépourvu de toute exigence d'effectivité autre que l'insertion d'une adresse dans des statuts ou un registre. Sauf à invoquer l'objectif de facilitation, visant à encourager le transfert vers la Belgique du seul siège réel d'une société constituée à l'étranger sans avoir à suivre une procédure de transformation transfrontalière, comme le sous-entend l'exposé des motifs dans son analyse comparative des mérites des critères de siège. Ceci reviendrait à reconnaître paradoxalement, d'une part les mérites du siège réel pour l'économie nationale, dont l'impact fiscal ne serait pas des moindres, et, d'autre part, la possibilité d'un droit étranger des sociétés plus attractif que le CSA.

2. Une analyse tronquée des risques et bénéfices des critères de siège

39.Un plaidoyer pro domo. La doctrine du siège réel ne serait pas « soutenable » selon l'exposé des motifs (pp. 339-340), outre qu'elle ne serait plus « souhaitable en termes de stratégie » du fait du recours au critère du siège statutaire « dans la plupart des pays voisins et principaux partenaires commerciaux ». Plus précisément, elle est « obsolète » pour diverses raisons, à savoir (1°) « une grande insécurité juridique » du fait de la marge d'appréciation de sa localisation laissée au juge, (2°) le risque d'un transfert de siège réel de facto opéré sans décision formelle [77], (3°) le risque d'inconciliabilité de décisions d'Etats différents sur la localisation, et (4°) le manque de clarté et d'harmonisation internationale des critères de localisation du siège réel.

Le critère du siège statutaire, de son côté, aurait pour avantage comparatif, selon l'exposé des motifs, de permettre à une société de pouvoir « investir ou ouvrir des établissements […] quel que soit l'endroit du monde » sans avoir à se transformer (p. 340): ainsi, une société régie par le droit belge en raison de la localisation de son siège statutaire en Belgique pourrait investir à l'étranger tout en restant soumise au droit belge. Inversement, une société ayant son siège statutaire à l'étranger qui voudrait investir et ouvrir des établissements en Belgique « ne doit pas craindre » d'être soumise au droit belge des personnes morales tant que fait défaut une décision formelle de transfert du siège statutaire [78].

De telles assertions à sens unique paraissent insuffisantes à fonder un tel critère, dans la mesure où elles présentent des demi-vérités. En effet, au lieu d'opposer sièges statutaire et réel dans la stratégie d'une entreprise, elles opposent siège statutaire et « établissement » ou « investissement », pour en déduire que la localisation de l'un ou l'autre de ces éléments d'actifs est sans incidence sur un changement de loi applicable que l'entreprise n'aurait donc pas à « craindre » en l'absence d'une décision formelle de changement. Or, la même chose peut être dite à propos du siège réel, entendu dans le sens dominant comme le centre de direction: une société dont le centre est à l'étranger ne se transformera nullement du fait d'un investissement ou de la création d'un établissement (sous forme de succursale) en Belgique, et inversement pour une société dont le centre de direction est en Belgique qui exporterait des éléments d'actifs hors de Belgique. A moins, bien entendu, d'assortir le critère du siège statutaire d'une condition d'établissement - dissociable de celle d'établissement principal -, entendue comme l'exercice durable et effectif d'une activité économique (voy. supra, n° 33).

Quant à l'obsolescence du critère du siège réel, certains arguments portent à faux. Certes, comme tout critère de rattachement faisant appel à des éléments concrets plutôt que formels, il se prête à une marge d'appréciation. Et les organes doivent rester vigilants en cas de décision de transfert du centre de direction, voire même en cas d'éclatement de ce siège [79]. Mais ceci est-il un signe d'obsolescence pour autant, à moins de considérer que le contexte de mobilité garantit une transformation sans incidence sur la vie de l'entreprise - ce qu'infirment les règles matérielles du CSA sur la procédure de transformation. Quant au risque de décisions inconciliables d'un pays à l'autre, il découle moins d'un critère déterminé que du fait d'une disparité des critères de rattachement en droit comparé [80]. Enfin, une référence convergente au critère du centre de direction va croissant dans des secteurs clés de la gouvernance économique, dont atteste en particulier le droit dérivé de l'Union européenne (infra, D, 2.).

En définitive, la préférence du législateur pour le siège statutaire résulterait de facteurs autres que ceux propres au droit des conflits de lois, à savoir, outre l'emprise du droit de l'Union trop largement mobilisé par l'exposé des motifs (infra, D.), essentiellement un principe latent d'autonomie de la volonté favorisant le libre choix du droit applicable à la société (infra, C.).

40.Un rappel: origine historique des doctrines du siège. Prétendre comparer des doctrines en fonction de leur degré d'obsolescence revient à suggérer un vice de vétusté opposé à un atout de modernité. Connu traditionnellement sur le continent, le siège réel présenterait de ce point de vue un handicap face à un critère d'« incorporation » largement pratiqué dans des pays anglo-saxons connus pour privilégier le dynamisme des opérations économiques internationales.

Pourtant, si on retourne aux conditions d'apparition de chacun de ces critères, dans des contextes distincts en termes de sources normatives, on décèle au-delà de l'apparence de solutions variées, non seulement leur apparition historiquement concomitante, mais aussi la constante d'une volonté d'assimilation des personnes morales aux personnes physiques sous l'angle de leur statut juridique. Ce point de départ est source de confusions, en particulier entre les notions de reconnaissance, de nationalité et de rattachement des personnes morales.

En Belgique, l'embryon de législation sur le conflit de lois contenu dans l'article 3 du Code civil de 1804 - en vigueur jusqu'en 2004 - forçait le juriste à faire entrer tout rapport juridique de droit privé sous l'une des trois catégories juridiques traditionnelles qu'étaient « le statut personnel » (art. 3, al. 3), « le statut réel » (art. 3, al. 2) et les « lois de police » (art. 3, al. 1er). Précisément, le rattachement des sociétés appelait un processus d'interprétation de ces termes, en veillant à rattacher soit une personne à sa nationalité, soit un patrimoine à sa localisation, soit un comportement au lieu de sa survenance.

La question s'est posée à l'origine en termes de « reconnaissance » de la personnalité morale étrangère, qui était à double dimension. Avant toute chose, il convenait d'accepter que l'octroi de la personnalité, due à un acte public étranger, soit susceptible de reconnaissance dans l'Etat du for à une époque où prévalait un principe de non-reconnaissance en l'absence de traité [81]. Ceci admis [82], la question de la validité s'analysait en termes de statut personnel, en raison d'une volonté d'assimilation du traitement de la personne morale à celui d'une personne physique. A ce titre, le facteur de la nationalité avait vocation à s'imposer, renvoyant au droit de l'Etat en vertu duquel la personnalité avait pu se constituer - au risque de créer des conflits potentiels de nationalités, comme pour les personnes physiques. Pourtant, si la nationalité a bien pu, et peut encore, être liée au droit de l'Etat en vertu duquel la personne morale a été constituée, elle n'a pas toujours rempli ce rôle pour déterminer le rattachement de la société (lex societatis).

En pratique, la loi du domicile a servi de référence dans la jurisprudence de la Cour de cassation au cours du XIXe siècle, malgré une qualification en termes de statut personnel. Se fondant d'abord sur un principe « universellement admis du droit des gens », la Cour a ensuite utilisé l'article 3 du Code civil tout en substituant à la nationalité le critère du « siège », interprété comme une référence à l'établissement principal de la société [83].

Au Royaume-Uni, berceau de la doctrine de l'« incorporation », la jurisprudence s'était appuyée sur un raisonnement analogue, également soucieux d'une assimilation de la personne morale à la personne physique. Cependant, en droit international privé anglais, le statut personnel d'une personne physique relevait, non de sa nationalité, mais de son « domicile of origin ». Comme celui-ci s'entend du domicile des parents, coïncidant souvent avec le lieu de la naissance de la personne en cause, la jurisprudence s'est orientée naturellement vers un critère figeant le moment de la constitution de la personne morale, concrétisé en droit anglais par une formalité d'enregistrement [84].

41.Le résultat: une confusion entre nationalité et rattachement. De là une confusion constante - notamment dans la jurisprudence européenne - entre reconnaissance, nationalité et rattachement d'une personne morale: ce rattachement obéirait à une fatalité, du fait qu'une personne dite morale - a « legal » person - ne doit son existence que par l'effet de la loi [85]. Mais en va-t-il finalement autrement pour la constitution de tout rapport juridique, personnel ou familial, que celui-ci procède ou non d'un acte volontaire de l'individu? Y a-t-il une impossibilité ontologique à penser séparément, pour les personnes morales, la nationalité et le rattachement? Il y a bien des raisons pratiques de dissocier. En effet, comme la nationalité se détermine en fonction de ce que prévoit chaque Etat unilatéralement, en raison d'une répartition des compétences qu'admet le droit international, les conflits de nationalités sont inévitables. De plus, la nationalité conférée par un Etat étranger peut avoir à être reconnue dans l'Etat du for alors même que la société est rattachée à un autre système juridique, en vertu d'une obligation internationale contractée par l'Etat, voire d'une loi spéciale de cet Etat visant un contentieux spécifique [86].

Il peut donc y avoir lieu à ventiler plusieurs points de droit. D'abord, la reconnaissance, qui s'entend dans un sens spécifique comme visant la capacité à faire valoir un droit en justice afin de revendiquer l'exercice d'un droit, par exemple en cas d'inexécution d'une obligation contractuelle, est régie par tout droit d'un Etat conférant cette capacité [87]: telle est la portée spécifique de l'article 2:148 CSA [88]. Ensuite, la nationalité se révèle pertinente lorsque cette qualité est exigée par une norme déterminée - telle la protection diplomatique ou l'article 49 TFUE sur le droit d'établissement qui renvoie, aux seules fins de déterminer son domaine d'application, à l'article 54 TFUE, celui-ci donnant une typologie des critères attributifs, au risque de conduire à des cas de multinationalité [89]. Enfin, la détermination de la loi qui régit les conditions dans lesquelles la personne morale peut réaliser les missions statutaires, englobe, comme lex societatis, son mode de fonctionnement autant que, en amont, les conditions de formation qui conditionnent le fonctionnement (capitaux, organes, …) et, en aval, les conditions de dissolution. On sait par ailleurs qu'une forme de dépeçage du rattachement de la lex societatis peut s'observer à propos de la dissolution, selon que celle-ci découle ou non d'une situation d'insolvabilité. D'autres lois encore peuvent intervenir sur la vie de la société dans des matières particulières qui, en droit des conflits de lois, relèvent de lois de police (infra, n° 45).

Certes, on peut comprendre le souci de soumettre une personne morale à une loi unique, en termes de sécurité juridique et de facilité. Force est toutefois, d'une part, d'admettre qu'un tel besoin existe aussi pour d'autres rapports juridiques complexes non moins importants pour la collectivité, notamment en droit familial. D'autre part, tout facteur de rattachement est impuissant à réaliser cet objectif en l'absence d'un contexte global d'unification du droit. En effet, l'adoption par un Etat de la doctrine du siège statutaire, ou du siège réel, n'empêche pas tout autre Etat de soumettre la même société à un autre droit: tout comme le droit civil ou commercial, le droit dit international privé est un droit national par essence, sans préjudice de sources internationales - ou européennes - ayant force obligatoire pour les autorités nationales.

C. L'autonomie de la volonté comme notion sous-jacente du projet de loi
1. Le principe d'autonomie comme élément explicatif

42.Un reflet de la flexibilisation du droit matériel. Il appartient en somme à tout législateur national conscient de la dimension internationale des rapports juridiques privés visés par une réforme du droit matériel, d'évaluer comment réaliser les objectifs de ces règles matérielles par la désignation du droit national le plus approprié, mais tout en restant conscient de la subsistance d'une disparité normative au-delà des frontières de l'Etat, à laquelle les opérateurs internationaux sont irrémédiablement exposés. Les opérateurs privés avisés veillent toutefois à réduire ce risque en configurant leurs projets de manière à respecter les contraintes cumulées des divers ordres juridiques intéressés, ou à les adapter au gré d'une mobilité transfrontalière évolutive.

Le projet de loi portant le nouveau Code des sociétés et des associations illustre combien, lorsque le législateur envisage une réglementation globale et cohérente du régime matériel d'un rapport de droit déterminé, tel le rapport de société, il cherche aussi à s'assurer de la cohérence des règles de conflit de lois avec cette politique législative. Dans un tel contexte, ces règles de conflit ne peuvent que chercher à refléter les orientations de cette politique. De fait, l'exposé des motifs manifeste clairement, par son objectif de « flexibilisation poussée », à organiser une nouvelle liberté de choix des associés en droit (matériel) des sociétés.

Ainsi se comprend la mise en avant du critère du siège statutaire [90]. En effet, en ne soumettant cette notion à aucune exigence en termes d'effectivité de localisation d'actifs, si ce n'est, lorsque le siège est fixé en Belgique, la soumission nécessaire aux formalités de mention d'une adresse et l'inscription dans le registre des entreprises, le législateur offre pratiquement la faculté d'un choix par les parties de la loi nationale la plus favorable à la réalisation de leur projet sociétaire en consacrant une forme d'autonomie de la volonté [91]. Cette orientation se situe au demeurant dans un contexte plus général favorable, en droit des conflits de lois, à un principe d'autonomie des volontés, comme en témoigne le droit familial [92]. Ce contexte même reflète, à son tour, une culture mettant l'individu au centre de l'intérêt collectif au risque d'exacerber, dans une perspective mondialisée, une mobilité transfrontière. En quelque sorte, l'intérêt sociétal se met au service de l'intérêt sociétaire.

43.Evaluation du critère du siège au regard du principe d'autonomie. C'est donc à l'aune de ce principe d'autonomie de la volonté du droit des conflits de lois qu'il conviendrait de mesurer la portée du libre choix de la loi applicable par les parties à un rapport juridique. Or, ce principe induit aujourd'hui deux modèles théoriques, dont il n'y a pas lieu d'exclure a priori toute pertinence lors d'une mise en oeuvre du principe d'autonomie en matière de personnes morales. L'un est récent qui, dans certaines matières auparavant exclues du principe d'autonomie, introduit une forme d'option de législation encadrée, réduisant le choix à certains droits prédéterminés par le législateur: cette tendance est observable en matière familiale. L'autre, traditionnel en matière contractuelle, tel qu'aujourd'hui configuré dans le Règlement Rome I, offre un libre choix aux parties. De ces deux modèles, celui-ci est le plus pertinent pour expliquer la doctrine du siège statutaire. Le premier modèle supposerait de limiter la faculté de choix au droit d'Etats avec lesquels le rapport juridique présente un lien de proximité significatif.

Le modèle du Règlement Rome I comprend pourtant deux verrous à une volonté libre, du fait que l'enjeu de l'autonomie en droit des conflits est plus radical que celui de la liberté contractuelle en droit civil. En effet, le choix d'un droit national porte non seulement sur des dispositions supplétives mais aussi sur l'ensemble des sources normatives qui constituent le système juridique désigné, y compris les règles impératives. C'est en fonction de l'ampleur du choix d'un droit national que des balises sont fixées par le législateur.

Or, le dispositif mis en place par le législateur ne rend guère compte d'un tel double verrou.

2. Limites inhérentes au principe d'autonomie en droit des conflits de lois

44.Le cas des situations purement internes. Le premier verrou concerne l'internationalité de la situation ou du rapport juridique concerné, une préoccupation centrale dans le projet BIBC (supra, n° 19). L'idée est que la faculté de soumettre un rapport de droit dans son intégralité à un droit étranger serait ingérable pour l'Etat à propos de situations purement internes, étant entendu que le seul choix d'un droit étranger ne saurait suffire à configurer l'internationalité d'un rapport juridique. En raison de la difficulté à définir une situation internationale [93], le Règlement Rome I neutralise pratiquement le choix de loi lorsque, outre l'Etat dont le droit est désigné, « tous les autres éléments de la situation sont localisés, au moment de ce choix, dans un pays »: ce choix ne peut pas affecter l'application de dispositions de ce pays auxquelles, selon le droit de celui-ci, un accord ne peut déroger (art. 3, 3.). Ceci revient à préserver le jeu de toute disposition autre que supplétive suivant le modèle de la Convention de Rome de 1980. Et le règlement reproduit une contrainte similaire au bénéfice de dispositions européennes, à propos d'un rapport juridique dont tous les éléments sont localisés « dans un ou plusieurs Etats membres » (art. 3, 4.).

Transposé au droit des sociétés, ce modèle d'un libre choix du droit applicable par les parties signifierait que les parties souhaitant créer une société dont, au moment de sa constitution, tous les éléments seraient localisés en Belgique (résidence et nationalité des fondateurs et/ou actionnaires, centre de direction, activités de l'entreprise) ne sauraient, par le choix d'un siège statutaire - ou par une incorporation - à l'étranger se soustraire de ce seul fait à l'ensemble des dispositions du Code des sociétés qui ne soient pas supplétives.

Ainsi, le critère du siège statutaire, non assorti d'une condition d'effectivité, rompt résolument avec le modèle dominant en droit général des conflits de lois, dont le champ d'intervention est celui des situations internationales. Si, en matière contractuelle, le Règlement Rome I vise par là, largement, une « situation comportant un conflit de lois » (art. 1, 1.), il réduit au domaine des dispositions supplétives la faculté de choix, par les parties, d'un droit étranger à une situation purement interne.

45.La prise en compte de l'intérêt général. Le modèle du Règlement Rome I présente un second verrou, qui procède encore d'une notion générale du droit des conflits de lois, celle de l'application potentielle de « lois de police », soit du for, soit, dans une mesure plus limitée, d'un Etat étranger (art. 9). Au sens de ce règlement, il s'agit de dispositions impératives - ou a fortiori d'ordre public - « dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique » (art. 9, 1.).

Quoique la catégorie des lois de police soit plus restreinte que celle de toute règle impérative opposable à un contrat interne (art. 3, 3. et art. 3, 4.), il est probable que le droit belge de l'entreprise en contienne qui relèvent de cette qualification [94], en particulier eu égard à l'importance que l'exposé des motifs attribue, dans la présentation des objectifs, au nouveau droit des sociétés pour l'économie nationale dans un contexte de compétition régulatoire, en termes d'attraction d'investissements. Dans le Code même des sociétés et des associations, l'article 2:149 par exemple revêt assurément ce caractère en soumettant la responsabilité envers les tiers du gérant d'une succursale belge - dont la lex societatis est par hypothèse étrangère - au même régime que celle du gérant d'une « personne morale belge » [95].

Il est donc étonnant que l'exposé des motifs, tout en prenant soin de modifier la règle de rattachement de l'article 110 CODIP, ne relate pas l'incidence possible de l'article 20 CODIP, qui vise à assurer plus généralement la primauté de lois de police, en des termes plus souples que l'article 9 du Règlement Rome I. Or, applicable à l'ensemble des matières couvertes par le Code de droit international privé, l'article 20 pourrait conduire à neutraliser un choix de siège statutaire soumettant la personne morale au droit d'un Etat ne tenant nul compte de dispositions dont l'applicabilité pourrait se révéler impérieuse pour la préservation de l'intérêt général (infra, D., 1., c)).

Au vrai, le nouveau CSA comporte un nombre sensible de règles impératives aux côtés de nombreuses dispositions supplétives, malgré son objectif de flexibilisation. L'exposé des motifs en donne implicitement une liste dans le commentaire des règles de conflit transitoire, en raison du principe de l'application immédiate de règles impératives aux contrats antérieurs (pp. 349-351), concernant la dénomination, la distribution de bénéfices des SPRL, l'interdiction pour les administrateurs et dirigeants d'être liés par un contrat de travail, la notion de gestion journalière, les conflits d'intérêts au sein de l'organe d'administration ou avec une personne liée, l'acquisition de titres dans la SA, la responsabilité des administrateurs, la nullité des décisions des organes, la liquidation, le scrutin dans les assemblées, l'émission de nouvelles actions, les limitations à la cessibilité de titres, les conventions portant sur l'exercice du droit de vote, les emprunts obligataires.

Une telle liste appellera une analyse d'experts du droit des sociétés afin, d'abord de compléter éventuellement cette liste [96], ensuite de ventiler, parmi les règles impératives, celles qui relèvent de lois de police, en sachant qu'une règle simplement impérative ne sera applicable que comme élément de la lex societatis et non en vertu d'une règle spéciale d'applicabilité comme c'est le cas d'une loi de police. Il est entendu que ces règles, qui appartiennent au droit des sociétés, doivent encore être distinguées d'autres, qui peuvent affecter les activités d'une entreprise, telles les législations sur le contrat de travail, la protection de l'environnement ou plus généralement, la responsabilité sociétale de l'entreprise (RSE). Ces règles-ci peuvent relever de règles d'applicabilité propres, tout en pouvant affecter l'organisation de la personne morale, comme la création d'un organe participatif, d'un organe de vigilance, ou la diffusion de rapports de suivi [97]. En ce sens, il n'est pas faux d'affirmer que l'impérativité de la lex societatis n'affecte que des aspects organisationnels de la personne morale; mais ceci ne suffit ni à sauvegarder un libre choix du droit applicable ni à amenuiser un intérêt politique à assurer l'applicabilité nécessaire de lois de police relevant du droit des sociétés, associations et fondations [98]. Or, une applicabilité spéciale de lois de police relevant du droit des sociétés obéirait à un critère de nature territoriale, prenant en compte un principe de réalité, où la localisation du centre des décisions, voire d'un siège d'exploitation en fonction des intérêts en cause, pourrait remplir un rôle privilégié [99].

Au cours des discussions parlementaires précisément, la problématique de l'applicabilité de lois de police autres que celles de la lex societatis désignée en vertu du critère du siège statutaire a été relevée à maintes reprises comme une objection à la consécration de ce critère en faveur du maintien du siège réel, du moins dans une règle de rattachement de portée universelle de nature à pouvoir désigner le droit de tout Etat, même au climat exotique [100]. Les réponses du ministre évoquent l'adoption, « dans une phase ultérieure de mesures anti-abus spécifiques » pour les sociétés dont le siège statutaire est établi dans un pays tiers [101]. Sans doute est-ce dans cette perspective qu'a été adopté un amendement cherchant à assurer l'application des règles sur la responsabilité des administrateurs à l'égard de tiers, au travers d'une règle de compétence internationale probablement insuffisante à réaliser cet objectif (voy. infra, E.).

Ainsi, l'interrogation portant sur la prise en compte de lois de police en soulève une autre, relative au risque de délocalisations abusives. Face à la théorie du siège statutaire vue par d'aucuns comme « le nouveau cheval de Troie de la dérégulation économique » [102], le droit international privé général offre des correctifs à la localisation artificielle d'un rapport de droit déterminé.

46.La gestion du risque de délocalisation. Un choix de siège statutaire qui se révélerait artificiel au regard d'une situation sociétaire purement interne pourrait encore rencontrer deux contraintes générales du droit des conflits de lois, relatives à l'argument de fraude à la loi (art. 18 CODIP) et au jeu de la clause d'exception (art. 19). Celles-ci ont en commun de constituer des mécanismes d'exception qui, loin de pouvoir configurer une règle ex ante, conduisent à corriger la mise en oeuvre d'une règle de rattachement eu égard aux éléments de localisation objective du rapport de droit.

La clause d'exception vise le cas où le droit désigné par la règle de rattachement propre à une matière identifie un Etat avec lequel la situation en cause n'a pas de lien significatif alors qu'elle en a de « très étroits » avec un autre Etat, tout en préservant un objectif de prévisibilité. Cependant, elle exclut de son domaine le cas où les parties ont fait un « choix » du droit applicable conformément à la règle de rattachement concernée: cette exclusion pourrait jouer si le choix d'un siège statutaire devait être assimilé à un libre choix du droit applicable en vertu du principe d'autonomie de la volonté. A défaut d'une telle assimilation, la clause générale d'exception pourrait constituer un frein sensible au libre choix du lieu du siège statutaire.

L'argument de fraude à la loi reflète le souci du législateur de droit international privé de contrer des montages artificiels. Ce concept du droit fiscal, tendant à préserver les intérêts de l'Etat à propos d'opérations internationales face au risque d'un déséquilibre des finances publiques, n'est donc pas étranger au droit civil ou commercial international. Là où, dans les matières fiscale ou d'insolvabilité internationales, il entend neutraliser une « société boîte aux lettres » [103], il devrait être à même de le faire à propos d'une société qui, inscrite de manière purement formelle dans un registre national, ne serait en somme qu'une société alias - faite d'une adresse électronique renvoyant en réalité à une entité dont l'effectivité se localiserait à l'étranger par les éléments constitutifs de sa gouvernance et de ses activités - configurée dans le but d'éluder une disposition impérative ou d'ordre public cruciale pour la sauvegarde des intérêts publics. Une telle hypothèse serait similaire à celle qui a fondé la théorie de la fraude à la loi en droit international privé, lorsqu'une personne n'avait pu obtenir le divorce qu'après avoir pu acquérir la nationalité d'un Etat étranger avec lequel sa situation ne présentait aucun lien [104].

A tout le moins, un critère de rattachement qui, dans une matière déterminée, tel le droit des sociétés, offre aux parties la faculté d'un choix du droit national le plus favorable, ne peut qu'engendrer, par un effet de vases communicants, l'emprise accrue de lois de police relevant, tantôt du droit même des sociétés, tantôt de matières satellites dont l'entreprise ne peut pas ne pas tenir compte, opérant ainsi une forme de contraction du domaine de la lex societatis  [105]. L'adoption d'un facteur de rattachement par le législateur ne peut donc pas négliger un tel effet boomerang. Elle ne saurait non plus encourager un mouvement de délocalisation d'entreprises cherchant à échapper à l'emprise de lois de protection d'intérêts connexes, telles les règles impératives de protection des travailleurs. Le secteur des transports routiers en témoigne. Certes, le critère du siège réel n'a pas suffi à prévenir de telles délocalisations mais du moins permet-il de neutraliser la création d'une société boîte aux lettres délocalisée à l'étranger [106], alors que le critère du siège statutaire apparaîtrait comme un incitant à de telles délocalisations que ne pourraient corriger que l'argument de fraude ou la clause d'exception [107].

D. Incidence du droit de l'Union européenne

47.Un argumentaire de l'exposé des motifs à charge du siège réel. La prise en compte des « évolutions européennes » constitue l'un des objectifs affichés par le législateur pour une adaptation du droit des sociétés - notamment au vu du rapprochement des droits des sociétés réalisé par voie de plusieurs directives [108] -, sinon la raison déterminante [109] du remplacement du siège réel par le siège statutaire aux fins de détermination du droit national applicable - et ce, de manière universelle - et, corrélativement, de la compétence judiciaire internationale.

De fait, l'exposé des motifs s'appuie sur la jurisprudence européenne relative à la liberté d'établissement, dont il présente l'incidence sur une mobilité croissante des entreprises et sur la résolution des conflits de lois. Ainsi, cette liberté de circulation permet à une société constituée à l'étranger dans un pays de siège statutaire de « poursuivre librement ses activités en Belgique », tout en « conservant sa nationalité d'origine » (pp. 6 et 7), allusion implicite aux arrêts Centros et Inspire Art (infra, n° 50) relatifs à deux sociétés incorporées en Angleterre et exerçant l'ensemble de leurs activités, respectivement, au Danemark et aux Pays-Bas, sans se conformer à certaines dispositions impératives du droit des sociétés de ces pays d'accueil.

48.L'argument de situations asymétriques défavorables aux nationaux. Essentiellement, l'exposé des motifs voit dans l'évolution européenne, facteur d'accroissement de la compétition régulatoire, une « limitation considérable [de] la doctrine du siège réel » (p. 15), voire une restriction « radicale » de cette doctrine notamment « en raison de l'insécurité et de l'entrave à la liberté de choix du droit applicable qu'elle cause » (p. 340). Tout en reconnaissant que, au départ de l'article 54 TFUE qui lierait le rattachement à la nationalité, les critères du siège statutaire et du siège réel sont laissés « au libre choix » des Etats membres, comme l'admet la Cour de justice, ce choix serait pratiquement limité dans la mesure où, selon la Cour, une société constituée dans un Etat membre peut, notamment, établir son « centre de décision principal » - élément du siège réel - dans un autre Etat membre, permettant ainsi le choix de la loi la plus appropriée par les opérateurs économiques indépendamment du centre des activités dans l'Union.

Selon l'exposé des motifs, les pays de siège réel en sortent particulièrement affectés, face à une « situation asymétrique » (p. 16): au cas où une société a son siège réel en Belgique, elle ne pourrait « émigrer » - à savoir changer de loi applicable (se « transformer ») - que par un transfert de ce siège dans un autre Etat - allusion probable à l'arrêt Cartesio (infra, n° 53) -; en revanche, une société constituée aux Pays-Bas, pays de siège statutaire, ou dans un pays d'incorporation, pourrait émigrer - sans doute par transfert de siège réel au sens du texte - « en conservant sa nationalité » - sans doute en restant soumise au droit néerlandais au sens du texte. De même, en cas d'« immigration » vers la Belgique d'une société par transfert d'investissements et de siège réel, l'application du droit belge serait « généralement incompatible » avec la liberté d'établissement - allusion probable à l'arrêt Überseering (infra, n° 51).

Finalement, la doctrine du siège réel ne serait plus applicable que pour déterminer la compétence internationale des juridictions belges aux fins de constater qu'une « société constituée en Belgique [ - forcément par son siège réel situé dans ce pays comme le prévoit l'article 109 CODIP avant modification - ] est soumise au droit étranger en raison du fait que son siège réel se trouverait à l'étranger ». Cette déduction se base probablement sur l'arrêt Cartesio permettant aux autorités de l'Etat de siège réel d'émigration de refuser une demande d'application de la lex societatis du for après transfert du siège réel à l'étranger (infra, n° 53). Le constat d'une « application asymétrique » du principe du siège réel est alors rappelé: celui-ci, inapplicable en vertu du droit de l'Union à une société « étrangère active en Belgique », peut encore l'être à une société « belge active à l'étranger » pour lui refuser la qualité de « Belge ». En résulterait « un handicap pour des sociétés constituées en vertu du droit belge [ - sans doute par leur siège réel - ], en particulier lorsqu'elles sont actives au niveau international » (p. 341) [110].

49.Une jurisprudence européenne complexe. Ces considérations font écho à une jurisprudence consistante et connue. Elles ne comportent pourtant qu'une part de vérité en ciblant spécifiquement, mais très logiquement dans la perspective de cette réforme, le critère du siège réel [111]. Or, la jurisprudence européenne est résolument complexe et appelle à une analyse multivariée [112]. Ceci s'explique du fait que la Cour de justice ne connaît d'une matière que de façon parcellaire, au gré des questions qui lui sont soumises à propos de certains types de règles nationales appliquées à certains types de situations, et qu'elle ne peut se substituer au législateur de l'Union qui seul peut établir, par voie de directives ou de règlements, une forme d'intégration normative positive. De ce fait, elle ne peut s'adresser aux législateurs nationaux qu'en termes d'interdiction, via une interprétation prétorienne du traité qui, il est vrai, peut ouvrir la voie à certaines orientations législatives.

Par ailleurs, cette jurisprudence n'impacte formellement que des situations qui entrent dans le domaine d'application dans l'espace du régime du droit d'établissement, où prévaut un principe de reconnaissance mutuelle propre à l'espace européen et inapplicable comme tel à des entreprises qui, au sens de l'article 54 TFUE, n'ont pas la qualité de ressortissantes d'Etats membres de l'Union. Ceci n'empêche certes pas le législateur européen d'établir des règles de rattachement uniformes d'application universelle, comme le montre l'orientation du droit dérivé en matière civile et commerciale, hormis précisément pour le droit des sociétés [113].

Pour l'essentiel, on peut se risquer à déduire de la jurisprudence de la Cour de justice certaines constantes dont le résultat est d'amenuiser le contraste entre les doctrines en termes d'entraves à la mobilité transfrontière: l'interprétation du traité affiche une neutralité formelle des doctrines tout en exerçant un impact réel sur la constitution d'une pseudo-succursale [114]. D'autres constantes apparaissent dans le droit dérivé, qui convergent vers une préférence pour le centre de direction comme outil de gouvernance économique, à l'exemple du principe de gouvernance fiscale.

1. Le droit primaire, sur une ligne de partage des eaux

50.Des entraves à la constitution, entre Etats d'incorporation ou de siège statutaire. Si on fait abstraction de l'arrêt Daily Mail (infra, n° 54), les premiers arrêts décisifs intéressent le moment de constitution d'une personne morale [115], à propos de sociétés constituées dans un Etat membre d'« incorporation » sans y exercer d'activité. Celles-ci peuvent avoir leur siège réel et/ou créer un établissement secondaire ou exercer leurs activités dans un autre Etat membre tout en étant régies par le droit de l'Etat d'origine, même s'il peut en résulter un choix de facto par les fondateurs de la lex societatis qu'ils jugent la plus favorable. Tel est l'enseignement de principe tiré des arrêts Centros de 1999 [116] et Inspire Art de 2003 [117].

Cet enseignement de principe induisant une faculté de soumission à une lex societatis détachée de toute localisation d'activités concernait des affaires confrontant les droits d'Etats membres partageant un concept d'incorporation et de siège statutaire (Royaume-Uni d'une part, Danemark et Pays-Bas d'autre part). Ces affaires montrent que la doctrine du siège statutaire est, comme celle du siège réel [118], à même de créer des entraves et ne suffit pas à éviter le risque d'une volonté d'application de règles impératives d'un Etat d'accueil de siège statutaire liée à la localisation des activités. En interdisant, au nom du droit d'établissement, l'Etat d'accueil d'imposer de telles règles à une société constituée dans un autre Etat membre sans y exercer aucune activité, à moins d'en prouver la nécessité au regard de l'objectif d'intérêt général poursuivi, ces arrêts de première génération offrent assurément une faculté de principe de choisir la lex societatis la plus favorable.

Dans l'ensemble, les autres affaires [119] ont trait à une hypothèse de mobilité après constitution, par un transfert, le plus souvent, du siège réel, exceptionnellement du seul siège statutaire, avec ou sans « transformation » par soumission à la loi nouvellement applicable comme effet de la mobilité. Les hypothèses peuvent concerner un transfert dans un sens d'immigration ou, plus souvent, d'émigration, selon que l'entrave émane de l'Etat d'accueil ou de l'Etat d'origine. Et ces entraves sont dues, indifféremment, à des Etats de siège réel ou de siège statutaire.

Un inventaire de ces cas de mobilité conduit à constater une certaine équivalence des doctrines en termes de sources d'entraves comme d'appréciation de leur compatibilité avec le droit d'établissement, non sans susciter l'hypothèse d'une atténuation par ricochet de la jurisprudence de première génération relative aux cas de constitution.

a) Entrave à l'entrée

51.Des entraves à la transformation dues à des Etats de siège réel. A la manière d'une entrave à l'importation de marchandises, l'entrave à l'immigration est imputable au droit de l'Etat d'accueil. La jurisprudence européenne en présente trois cas, relatifs à des mesures contrastées d'Etats de siège réel.

L'affaire Überseering [120] comportait la double particularité de concerner un prétendu transfert intervenu de facto du fait d'un changement d'actionnariat, et de porter sur le droit d'ester en justice: les titres d'une société constituée aux Pays-Bas avaient ensuite été acquis par des personnes résidant en Allemagne, et une action en justice introduite par la société en Allemagne s'était heurtée à une incapacité d'ester pour ne pas s'être reconstituée en vertu du droit allemand des sociétés alors qu'elle conservait sa personnalité selon le droit d'origine. La Cour y voit une négation de la liberté d'établissement. Sous l'angle du droit des conflits de lois, la solution pourrait trouver à s'expliquer comme affectant la question de la reconnaissance de la personnalité étrangère et détachable de la détermination de la lex societatis (supra, n° 40). Elle pourrait aussi être confrontée, mais avec un résultat éventuellement différent, à la méthode des rattachements successifs en cas de transformation énoncée par l'arrêt VALE Epitési ci-dessous.

L'affaire SEVIC Systems [121] mettait en cause l'inscription dans le registre allemand de la fusion par absorption sans dissolution d'une filiale étrangère par la société mère allemande, alors que le droit allemand ne permettait l'inscription que d'une société dont le siège est en Allemagne. La Cour y voit une distinction disproportionnée entre fusions interne et transfrontalière. Le raisonnement ne cible pas la règle de conflit de lois mais plutôt une forme de discrimination due au droit matériel allemand des sociétés qui différenciait situations internes et internationales au détriment de ces dernières.

L'affaire VALE Epitési [122] est l'illustration la plus typique d'une entrave au transfert de siège réel. Une société italienne avait été dissoute préalablement à un transfert vers la Hongrie aux fins de reconstitution mais la société hongroise demandait à être considérée en droit hongrois comme successeur juridique de la société italienne, alors que le droit hongrois ne le permet que lorsque la société « prédécesseur en droit » n'est pas étrangère. L'arrêt constate que la mesure nationale opère une distinction entre opérations interne et transfrontalière et, à ce titre, n'est ni justifiée au regard du régime du droit d'établissement ni conforme au principe d'équivalence exigeant qu'une opération transfrontalière soit traitée de manière non moins favorable qu'une situation interne similaire: l'approche est donc analogue à celle de l'arrêt précédent. Pour le reste, il confirme que l'opération de transformation transfrontalière obéit aux rattachements successifs de la loi d'origine pour déterminer les conditions de sortie et de la loi d'accueil pour les conditions d'entrée.

b) Entrave à la sortie

52.Les cas les plus fréquents. Les entraves à l'émigration ont fait l'objet d'arrêts plus nombreux. Dans une première affaire concernant une mesure d'un Etat d'incorporation, et non de siège réel, une société constituée en Angleterre voulait transférer sa « résidence » (le centre de direction) vers les Pays-Bas (pays de siège statutaire), ce qui présupposait selon le droit anglais une autorisation de l'administration fiscale. Dans cette affaire Daily Mail [123], la Cour a estimé qu'en l'état du droit européen, une personne morale ne tirait pas du traité un droit au transfert du siège de direction.

Plusieurs arrêts ultérieurs confirment l'applicabilité du droit d'établissement à une entrave à la sortie. Deux affaires portent sur le droit d'un Etat d'origine connaissant le critère du siège réel et trois affaires, sur le droit d'un Etat d'incorporation.

53.Entrave à la transformation émanant d'un Etat de siège réel. Les deux affaires soumises à la Cour à propos de la réglementation d'un Etat de siège réel mettaient en présence des Etats de siège réel. Elles se singularisaient du fait que l'intention des auteurs de l'opération était de découpler transfert de siège réel et transformation. La Cour leur a donné raison dans un cas mais non dans l'autre.

Dans l'affaire Cartesio [124], une société constituée et ayant son siège réel en Hongrie (pays de siège réel) voulait transférer ce siège vers l'Italie (pays pratiquant le critère du lieu de constitution, sauf si la société a son siège réel en Italie [125]): la société voulait rester soumise au droit de son Etat d'origine malgré le transfert, ce que lui refusait l'autorité hongroise. La Cour de justice a validé un tel refus en l'espèce, seulement pour le cas d'un transfert voulu sans transformation (sans changement de loi applicable). Inversement, un refus de transfert avec transformation, et fondé sur l'exigence d'une liquidation préalable à la transformation, eût été incompatible avec le droit de s'établir dans un autre Etat membre: autrement dit, une société a le droit de transférer son siège réel avec changement de loi applicable sans perte de personnalité - mais sous condition, précisée ultérieurement par l'arrêt VALE Epitési précité, du respect cumulé des lois de sortie et d'entrée.

Dans l'affaire Polbud [126], une société ayant son siège réel en Pologne (pays de siège réel) voulait se transformer par le transfert du seul siège statutaire au Luxembourg (pays de siège réel), en se contentant d'une inscription dans le registre luxembourgeois des entreprises, apparemment sans transférer pour autant son siège réel ni ses activités. L'autorité polonaise exigeait une liquidation préalable. Selon la Cour de justice, une telle société peut se transformer dans l'Etat d'accueil par transfert du seul siège statutaire, même en l'absence de toute activité dans cet Etat. Cependant, c'est sous la condition de respecter le droit de cet Etat. Et ce renvoi à ce droit inclut « le critère retenu par ce dernier aux fins du rattachement de cette société à son droit national » (pt. 33). Elle n'en dit pas plus sur ce point mais, sachant que le Luxembourg est un Etat de siège réel, il s'avère que le droit luxembourgeois ainsi désigné par ce que l'on peut qualifier une règle de conflit de systèmes [127], soumet la réincorporation à la localisation du siège réel au Luxembourg - ce que les organes compétents de la société auront probablement veillé entretemps à assurer [128].

Ainsi, ces deux affaires relatives à une entrave à l'émigration due à un Etat de siège réel confrontaient celui-ci à un Etat d'accueil connaissant le même critère. Les arrêts soumettent la faculté de transfert, le premier aux exigences de l'Etat d'émigration si la société ne veut pas changer de lex societatis et le second, à une exigence de transfert de siège réel par l'Etat d'accueil dans un cas de projet de transformation.

Par ailleurs, l'arrêt Polbud induit, à ce stade de sa lecture, que si une société constituée dans un pays de siège réel veut changer de loi applicable par un libre choix d'un pays d'incorporation ou de siège statutaire sans transfert d'aucune activité, l'Etat d'origine ne peut pas exiger de liquidation préalable, hormis la vérification du respect des conditions de la loi d'accueil. On trouve ici un miroir inversé du dispositif des arrêts Centros et Inspire Art à propos de la phase de constitution de la société, selon lesquels l'Etat d'accueil cette fois ne peut imposer l'application de son droit des sociétés basée sur la localisation du siège réel et/ou des activités alors que la société ne présente aucune effectivité dans le pays d'incorporation.

54.Entrave à la transformation émanant d'un Etat d'incorporation ou de siège statutaire. Trois affaires visent le droit d'un l'Etat d'origine utilisant le critère d'incorporation. Elles illustrent une forme de rigidité de cette théorie à l'encontre d'une opération de transfert [129]. Au vrai, l'affaire Daily Mail (supra, n° 52) relevait de cette catégorie mais la Cour a estimé ne pas pouvoir appliquer le droit des entraves dans l'état actuel du droit de l'Union [130].

L'arrêt National Grid Indus [131] concerne un transfert du centre de direction d'une société néerlandaise vers le Royaume-Uni se heurtant au régime fiscal néerlandais de perception immédiate de plus-values latentes: selon la Cour, le droit national opère une distinction injustifiée entre transfert interne et transfrontalier dans le domaine fiscal. Comme dans les arrêt SEVIC Systems et VALE Epitési, on constate une forme de discrimination indirecte entre opérations interne et internationale, ici opérée par le droit fiscal d'un Etat membre.

Il en va de même dans l'espèce analogue de l'affaire Trustees Panayi [132], relative au transfert de la résidence des trustees du Royaume-Uni vers Chypre: selon le droit fiscal britannique, le transfert du siège d'administration ou de gestion n'affecte pas la subsistance de l'entité indivisible mais donne lieu à la perception immédiate d'une plus-value latente. L'arrêt confirme l'applicabilité de la liberté d'établissement en cas de transfert du siège de direction effective et estime la mesure fiscale disproportionnée.

Ces affaires montrent ainsi des entraves de pays d'incorporation au déplacement du siège réel par application de règles fiscales qui, en distinguant situations interne et internationale, créent une discrimination indirecte prohibée par le droit primaire. Une telle qualification discriminatoire, faut-il le préciser, est générale en droit de l'Union et ne vise pas exclusivement des cas de transfert transfrontalier.

c) Une équivalence des mérites des sièges statutaire et réel?

55.Un match à score égal. Ainsi aperçoit-on, quant à la nature des entraves observées, qu'elles peuvent relever de disciplines autres que le droit des sociétés et que, lorsqu'elles en relèvent, la Cour de justice cible moins une règle de conflit de lois qu'une règle matérielle de droit des sociétés [133] qui, tantôt exige une liquidation préalable à un transfert de siège réel allant au-delà de ce qui est nécessaire pour réaliser l'objectif poursuivi, tantôt crée une discrimination injustifiée en différenciant situations interne et internationale. Par ailleurs, quant à l'imputation de l'entrave, elle est due au droit d'un Etat d'incorporation autant que d'un Etat de siège réel: l'appartenance du droit national des conflits de lois à l'une ou à l'autre doctrine ne semble donc pas pertinente en termes d'évaluation de l'incompatibilité avec le droit du marché intérieur [134].

Il semble, d'après les cas observés dans cette catégorie du moins, que les projets de transfert du siège réel reposent essentiellement sur une motivation d'ordre fiscal, afin de bénéficier de la loi la plus favorable sous cet angle plutôt que sous celui du droit des sociétés - constat de nature à marginaliser l'impact stratégique d'un choix de lex societatis sur la mobilité d'une entreprise. Ce phénomène de mobilité fiscale risque de s'accentuer dans un paysage normatif où autant l'Etat d'origine que l'Etat d'accueil retiennent un concept d'incorporation ou de siège statutaire puisque l'opération de transfert ne s'accompagne alors pas d'une transformation - au vrai peu conciliable avec la notion d'incorporation de pays de common law. Ainsi, l'attractivité du droit des sociétés combinée avec l'attractivité du droit fiscal pourrait offrir un effet de levier de nature à faciliter une optimisation fiscale.

Un autre incitant à éviter toute dichotomie simpliste entre « doctrines » du siège statutaire et du siège réel en termes de compatibilité avec le droit du marché intérieur résulte de certains tempéraments généraux à une forme d'autonomie de la volonté des fondateurs (supra, nos 45-46), décelable dans les arrêts concernant la faculté pour une société constituée dans un Etat membre d'exercer d'emblée ses activités dans un autre Etat membre sans avoir à être régie pour autant par le droit des sociétés de cet Etat.

Le premier tempérament est celui de l'abus de droit européen ou, selon la terminologie du droit des conflits de lois, de la fraude à la loi normalement applicable (supra, n° 46). Néanmoins, ce moyen joue un rôle marginal. En effet, en droit de l'Union comme en droit des conflits de lois, il ne sert pas à fonder une règle abstraite dans une matière particulière en vue de prévenir les cas de fraude, en agissant ex ante: il agit comme une exception, exigeant une appréciation concrète ex post, au cas par cas, au vu des éléments de fait créés par les parties [135]. D'une manière ou d'une autre, tout en évoquant la disponibilité de cet outil de contrôle, les arrêts Centros et Inspire Art, comme à leur suite l'arrêt Polbud, en verrouillent logiquement l'accès dans un domaine où ils affirment simultanément une faculté de choix de la loi la plus favorable. Au vrai, tout argument anti-évitement ne se conçoit qu'en présence de dispositions ne souffrant nulle dérogation par la seule volonté individuelle. Ceci n'a pas empêché que la perspective de dispositifs anti-abus soit évoquée largement lors des travaux parlementaires face au risque de délocalisations fictives, comme correctif à la doctrine du siège statutaire au cours des travaux parlementaires [136] (supra, nos 45-46).

56.Un arbitrage par les lois de police? L'autonomie de la volonté connaît un second tempérament plus incisif, dans l'applicabilité de lois de police. Comme en témoignent les travaux parlementaires relatifs au projet de CSA (supra, n° 45), ce tempérament pourrait mettre à armes égales les doctrines des sièges statutaire et réel, en ajoutant comme correctif à la première un élément inhérent à la seconde.

De fait, la doctrine même du siège statutaire ne se passe pas de toute référence à la primauté de certaines règles impératives d'application territoriale quelle que soit la loi régissant le rapport de droit en vertu de la règle de rattachement, approche typique de la méthode des lois de police [137]. Ses partisans l'admettent d'autant plus volontiers que le domaine de la lex societatis est nettement restreint à l'organisation de la personne morale, que les mesures de protection sont à trouver principalement hors du droit même des sociétés, et que ce droit assume aussi, outre un rôle de facilitateur, une fonction « paternaliste » visant à protéger malgré eux les parties prenantes de l'entreprise [138].

Précisément, l'arrêt Polbud - pourtant réputé décisif pour un abandon du siège réel [139] - contient à cet égard certains ferments qui, s'ils devaient prospérer, pourraient atténuer l'enseignement de l'arrêt Centros. Au départ, l'une et l'autre affaires avaient en commun des situations qui n'étaient que semi-transfrontalières - ou pseudo-transfrontalières ou quasi internes -, en ce sens qu'elles présentaient des éléments de rattachement significatifs avec un seul Etat membre, l'unique élément d'extranéité étant celui qui permettrait de déclencher la mise en oeuvre du facteur de rattachement pertinent, à savoir le facteur du siège statutaire, alors que les activités de la société ainsi que son centre de direction étaient localisés dans un seul Etat. Pour le reste, elles différaient sur plusieurs points: cas de transformation dans l'affaire Polbud et de constitution dans l'affaire Centros [140]; imputation de l'entrave à l'Etat d'accueil dans l'affaire Centros et à l'Etat d'origine dans l'affaire Polbud. Quant aux facteurs de rattachement en présence dans chaque affaire, il s'agit du concept unique d'incorporation et de siège statutaire dans l'affaire Centros et, dans l'affaire Polbud, du critère du siège réel de la loi d'origine confronté à une loi d'accueil présentée comme loi de siège statutaire mais s'avérant être une loi de siège réel [141]. Enfin, les affaires avaient en commun de porter sur l'emprise possible de lois de police impératives du lieu des activités de l'entreprise exigeant leur application quelle que soit la lex societatis.

57.Une neutralisation des lois de police dès l'arrêt Centros? L'applicabilité des lois de police était bien au coeur de l'affaire Centros, comme dans l'affaire Inspire Art. En effet, c'est au titre de cette notion générale du droit des conflits de lois que pouvait s'expliquer la prévalence de règles impératives en fonction de la localisation d'activités sur le territoire, dans un système retenant la théorie de l'incorporation ou du siège statutaire pour désigner la lex societatis.

L'arrêt rejette la pertinence de l'argument en la matière. Ce peut être pour un motif de principe, mais aussi en raison d'une mise en équivalence des droits des sociétés des Etats membres établie par voie de directives, élément évoqué par la Cour (pt. 36). Or, un tel degré d'équivalence des contenus des lois d'origine et d'accueil constitue un élément d'appréciation du contrôle de proportionnalité de la réglementation de l'Etat d'accueil selon le droit général des entraves aux libertés de circulation et il induit une obligation de reconnaissance de la réglementation de l'Etat d'origine lorsque cette équivalence est établie [142].

58.Un retour des lois de police avec l'arrêt Polbud? La question des lois de police n'apparaissait pas d'emblée des termes du renvoi préjudiciel dans l'affaire Polbud. La Cour soulève pourtant cet élément pour apprécier la justification de l'entrave constatée au droit d'établissement, en examinant la faculté pour l'Etat d'émigration, auteur de l'entrave, de justifier celle-ci par un objectif d'intérêt général. Elle consacre ainsi, d'une part, la notion de protection des intérêts des parties prenantes - créanciers, travailleurs et actionnaires - conformément à la jurisprudence antérieure [143], et, d'autre part, désormais la possibilité pour l'Etat d'origine de veiller à ce que ces intérêts ne soient pas affectés par une transformation déduite du transfert du seul siège statutaire, lorsque la société « continue à exercer ses activités » sur son territoire (pt. 55).

Une telle affirmation paraît nouvelle et sa portée n'est pas à négliger, même si une analyse d'impact reste à faire [144]. Certes, l'arrêt poursuit en estimant qu'en l'espèce, le contenu du droit matériel polonais des sociétés est disproportionné par rapport à l'objectif poursuivi mais ce faisant, il stigmatise une exigence de liquidation préalable à la sortie, en y substituant précisément pour alternative moins restrictive une référence à d'autres lois impératives de l'Etat de sortie. C'est à ce titre qu'est reconnue la possibilité d'application de règles impératives de la loi d'origine en fonction de la localisation des activités de l'entreprise après transformation. Or, à ce moment-ci, la société transformée est régie par la lex societatis de l'Etat membre d'accueil, en vertu de la règle de rattachements successifs posée par l'arrêt VALE Epitési (supra, n° 51). Ainsi, le raisonnement utilise implicitement la notion de règle spéciale d'applicabilité propre aux lois de police, recourant à un critère de localisation territorial.

En ce sens, la jurisprudence Polbud pourrait traduire un correctif partiel à la jurisprudence Centros, en posant un garde-fou à une liberté absolue de choix de la loi la plus favorable qui ne serait assorti d'aucune forme d'effectivité.

Ce correctif pourrait aussi atténuer un atout majeur que l'arrêt Polbud offre aux entreprises en termes de stratégie de délocalisation. En effet, avant d'examiner la justification de l'entrave à la mobilité de la société, la Cour prend soin d'assouplir les conditions d'invocabilité du droit d'établissement en n'exigeant plus aucune activité durable et effective dans l'Etat d'accueil, contrairement à sa jurisprudence constante mais, au vrai, en conformité avec la jurisprudence Centros et Inspire Art [145]. En effet, celle-ci ouvrait déjà la voie à une hypothèse de délocalisation par le seul siège statuaire. Néanmoins, cette ouverture de l'arrêt Polbud affecte le seul domaine d'application de la liberté d'établissement, non le régime même de l'entrave. Or, c'est comme un élément de ce régime que l'arrêt présente la possibilité de l'application de règles impératives de protection des parties prenantes.

d) Analyse de bilan

59.Des balises pour le conflit de lois et le droit matériel des sociétés. En résumé, les balises posées par la jurisprudence pour conformer le droit des sociétés à la mobilité des sociétés dans l'Union comportent les éléments suivants:

    • la faculté de principe de constituer une société dans tout Etat membre en conformité avec le droit des sociétés de cet Etat, sans exclure toute vérification ex post d'un abus de droit européen en cas de fraude à la loi dans un cas particulier;
    • la soumission d'une opération de transformation par changement de loi applicable au rattachement successif des droits des sociétés de la loi d'origine et de la loi d'accueil, que ces lois retiennent le critère d'incorporation ou le critère du siège réel;
    • l'applicabilité éventuelle de lois de police de l'Etat membre d'exercice des activités après transformation par transfert du siège statutaire, voire alors aussi logiquement dès constitution d'une société dans un Etat membre du seul fait d'une incorporation ou localisation du siège statutaire;
    • la reconnaissance de principe de la personnalité morale d'une société constituée dans un Etat membre conformément au droit de cet Etat - et possédant de ce fait la nationalité de cet Etat - aux fins de déterminer la capacité d'ester, sans exclure par ailleurs toute possibilité de découplage avec la désignation de la lex societatis en cas, par exemple, de transfert opérant transformation de la société;
    • l'inopposabilité à l'opération de transformation de toute règle matérielle du droit des sociétés de l'Etat d'origine exigeant une liquidation préalable de la société, ce qui revient à assurer la continuité de la personnalité morale tout en découplant les questions de continuité et de rattachement de la société après transformation;
    • l'inopposabilité d'une règle matérielle du droit des sociétés d'un Etat membre soumettant les opérations internationales à des conditions moins favorables que les opérations internes similaires.

    60.Mérites équivalents des doctrines du siège en termes de conformité au droit de l'Union. Sous l'angle des mérites respectifs des « doctrines » du siège statutaire et du siège réel, on observe un gommage des contrastes [146] du fait que:

      • les entraves observées à la constitution ou au transfert de siège peuvent émaner autant d'un critère d'incorporation ou de siège statutaire que de celui du siège réel;
      • le facteur de rattachement est moins ciblé que toute règle matérielle du droit national exigeant une liquidation préalable à la mobilité ou distinguant opérations interne et internationale au détriment de celle-ci;
      • les entraves à la mobilité procèdent souvent de normes impératives ou d'ordre public hors du droit des sociétés, en particulier en matière fiscale;
      • l'admission de principe du choix de la loi la plus favorable ne semble plus exclure toute possibilité pour l'Etat, de siège réel ou statutaire, d'assurer l'application de règles impératives ou d'ordre public en fonction d'un critère d'effectivité, telle la localisation des activités entrepreneuriales sur le territoire, dans la mesure nécessaire à la préservation de l'intérêt général, en particulier la protection des intérêts des parties prenantes.

      61.La facilitation comme argument décisif. Aussi, les mérites respectifs des critères de rattachement des sociétés dans un contexte de fluidité de la mobilité des sociétés paraissent-ils relever de la commodité plutôt que de la nécessité. Il reste vrai que si une opération de transformation par changement de loi applicable est envisagée, le critère du siège statutaire ne suppose apparemment comme tel - c'est-à-dire indépendamment de toute autre contrainte normative indépendante du droit des sociétés - d'autres coûts transactionnels que ceux liés aux formalités d'enregistrement; encore qu'il faille tenir compte du respect des conditions statutaires, et de toute formalité déduite du processus de transformation, à savoir le respect de la procédure de sortie selon la loi d'origine et l'adaptation des statuts à la loi de l'Etat d'accueil. De son côté, le critère du siège réel comporte en soi la contrainte supplémentaire d'un transfert du centre de direction pour pouvoir opérer transformation.

      On comprend donc l'objection au critère du siège réel que l'exposé des motifs tire du diagnostic d'une « situation asymétrique » plus favorable à la mobilité des sociétés de pays d'incorporation qu'à celle de sociétés de pays de siège réel (supra, n° 48).

      Cette objection appelle pourtant une double atténuation. D'abord, cette facilité accrue tirée du critère du siège statutaire est relative tant que l'Etat d'origine reste autorisé à un contrôle de sortie. Ensuite et surtout, l'asymétrie relevée est inhérente à la disparité de règles nationales de conflit de lois, due à la nature nationale des règles de droit international privé en l'absence d'un processus d'unification. Par exemple, l'adoption du critère du siège statutaire en droit belge ne suffira pas à éviter que l'entreprise établie en Belgique et voulant se transformer se heurte à une obligation de transfert de siège réel déduite d'un Etat d'accueil connaissant le critère du siège réel, tel le Luxembourg [147].

      Quant à l'opportunité de l'adoption du critère du siège statutaire dépourvu de tout élément d'effectivité, les gains que peut en attendre l'Etat d'immigration - telle désormais la Belgique - restent à établir. A elle seule, l'incorporation par voie d'enregistrement n'emporte aucune obligation d'investissement sur le territoire, ne participe pas à l'augmentation de l'emploi local et ne génère aucune ressource fiscale. Si des gains transactionnels peuvent être attendus au bénéfice, en particulier, d'acteurs juridiques locaux, tels les avocats, conseillers ou notaires, avec un gain fiscal consécutif, ils sont également compensés par d'autres coûts d'ordre institutionnel, notamment une concentration potentielle de litiges devant les juridictions nationales, en particulier par l'effet conjugué du nouvel article 109 CODIP (infra, E.).

      En contrepoint, ce même Etat peut connaître aussi un phénomène de fuite incontrôlée, tantôt par la sortie d'investissements pour une société ne conservant que l'attache du siège statutaire, tantôt par un changement facilité de lex societatis pour un champion national continuant d'exercer ses activités sur le territoire. Et l'opération de sortie du siège réel motivée par une stratégie fiscale sera d'autant plus facilitée par le critère du siège statutaire que ce transfert pourra se faire sans modification de la lex societatis.

      De plus, il reste incertain que le critère du siège statutaire facilite le quotidien des autorités de l'Etat d'émigration ou de ses résidents parties prenantes d'une société étrangère continuant d'exercer ses activités dans cet Etat, en termes de contrôle de gouvernance ou encore d'accès à la justice limité par la contraction de la compétence judiciaire internationale liée au critère du siège statutaire (infra, E.). Une facilité augmentée pour les fondateurs et associés, et leurs conseillers, aurait pour pendant une facilité diminuée pour les autorités de l'Etat de siège réel. Par exemple, la conduite d'une opération de liquidation liée à une dissolution volontaire devrait se faire à distance, tant pour le juge belge compétent à l'égard d'une personne morale belge active à l'étranger, que pour le liquidateur belge éventuellement nommé dans le cadre d'une liquidation ouverte à l'étranger dans l'Etat de siège statutaire de la société.

      62.Le droit européen comme prétexte à une règle universelle. Le droit de l'Union ne saurait être mobilisé pour justifier une règle de rattachement soumettant une personne morale au droit d'un pays tiers, chaque fois que celle-ci n'est pas titulaire du droit d'établissement. De fait, l'ensemble de la jurisprudence européenne observée, autant que le domaine d'application du droit d'établissement fixé par l'article 49 TFUE, ne vise que des ressortissants d'Etats membres au sens de l'article 54 TFUE [148]. Or, l'enjeu de la reconnaissance des personnes morales étrangères et de leur mobilité dans l'espace de l'Union se distingue nettement de celui d'une mobilité proprement internationale. Une chose est de permettre la soumission d'un projet de société au libre choix du droit de tout Etat membre dans un contexte politique de mise en équivalence progressive des droits matériels des sociétés par voie de directives. Autre chose est d'encourager, d'une part l'entrée libre dans l'Union de sociétés se délocalisant par voie d'incorporation dépourvue de toute effectivité, comme, d'autre part, la libre sortie de l'Union d'une entreprise active sur le territoire d'un Etat membre par voie d'incorporation dans tout pays tiers. Or, l'hypothèse de sortie peut affecter la capacité de gouvernance de l'Etat, voire le respect de règles impératives du droit dérivé européen; et l'hypothèse même d'entrée peut préoccuper l'Union à propos de personnes morales entendant tirer bénéfice du droit de l'Union sans participer à son économie [149].

      De fait, les travaux parlementaires font état de demandes visant à maintenir le critère du siège réel pour les sociétés dont le siège statutaire serait dans un pays tiers, en raison de l'inapplicabilité de la jurisprudence européenne, comme correctif au risque de délocalisations artificielles ou pour assurer l'effectivité d'une protection impérative des parties prenantes logée dans la lex societatis  [150]. Toutefois, le ministre s'est gardé d'y répondre directement, renvoyant plutôt, tantôt à la préservation du siège réel en matière fiscale, sociale ou d'insolvabilité, tantôt à la protection de parties prenantes déjà assurée par le futur CSA, tantôt par l'adoption de correctifs anti-abus spécifiques lors d'une phase ultérieure, outre l'ajout apporté à l'article 109 CODIP par voie d'amendement [151]. L'exclusivité de la doctrine du siège statutaire a donc été préservée pour l'essentiel.

      Ceci tend à confirmer l'hypothèse selon laquelle le motif premier d'une préférence du législateur pour le critère du siège statutaire comme composante d'une règle de rattachement d'application universelle - c'est-à-dire applicable également pour désigner le droit d'un Etat non membre de l'Union - ne réside pas essentiellement dans les contraintes invoquées du droit du marché intérieur. En témoigne encore l'extension du domaine matériel du CSA à toute association ou fondation, et leur soumission corrélative en tant que personnes morales au nouveau critère du siège statutaire en vertu de l'article 110 CODIP nouveau: or, les associations ne sont couvertes par l'article 54 TFUE que dans la mesure où elles poursuivent un but lucratif [152]. Le motif premier de l'introduction du critère du siège statutaire procéderait donc bien des orientations du nouveau droit matériel des sociétés, que refléterait le nouveau droit international privé (national) des sociétés par une transposition implicite de l'autonomie de la volonté en droit des conflit de lois (voy. supra, n° 42).

      Or, il n'est pas certain que le droit de l'Union soit tout à fait indifférent au contenu de règles nationales de rattachement flexibilisant les mouvements d'entrée/sortie de l'espace de l'Union, dans la mesure où une telle politique serait de nature à affecter la résilience de la gouvernance économique, non seulement du marché national, mais encore du marché intérieur.

      Précisément, le droit dérivé, de son côté, exprime bien les orientations d'une politique attachée à préserver l'effectivité de réglementations nécessaires au bon fonctionnement du marché intérieur en balisant les conditions d'accès au marché par une exigence stricte de localisation effective de l'entreprise.

      2. Le droit dérivé, sous l'emprise d'un principe de réalité dans les secteurs réglementés

      63.Contre l'argument d'impraticabilité du siège réel. L'exposé des motifs pose l'argument d'impraticabilité du critère du siège réel en termes de sécurité juridique face à la clarté d'une formalité administrative d'enregistrement (supra, n° 39). Certes, tout facteur de localisation s'écartant d'une formalité - par ailleurs problématique lorsque le droit étranger ciblé par la règle de rattachement n'en prévoit aucune - s'en remet à une marge d'appréciation en fonction de la situation, comme en atteste, en matière familiale, le critère de la résidence habituelle devenu dominant. Il reste que la localisation du siège réel s'est affinée au fil du temps, pour focaliser sur le centre de direction, selon la jurisprudence et le législateur [153]. De plus, ce critère est, en toute hypothèse, utilisé par un nombre croissant de réglementations trouvant leur origine dans le droit dérivé européen, outre son émergence dans le droit fiscal international. En d'autres termes, le recours à ce critère par deux disciplines exigeant une grande sécurité juridique est de nature à conforter sa praticabilité en droit des sociétés.

      Les actes législatifs de l'Union pouvant affecter le statut des sociétés sont nombreux à témoigner d'un souci d'équilibre entre une forme d'autonomie de la volonté pour les entreprises européennes déduite de la liberté de circulation, et la nécessaire prise en compte d'un principe d'effectivité ou de réalité assurant une participation de l'entreprise à l'économie d'un Etat membre. On pourrait y voir un objectif d'amélioration de « la résilience du marché intérieur » [154].

      A vrai dire, tous ces actes ne concernent pas directement le droit des sociétés et, lorsqu'ils le font, ils se prononcent rarement sur le facteur de rattachement pertinent. En revanche, un nombre croissant d'actes affectent l'accès de l'entreprise à un marché réglementé et conditionnent cet accès par un critère de localisation focalisant sur le centre de direction de la personne morale.

      64.Le précédent de la Convention européenne de 1968 sur la reconnaissance des sociétés. S'agissant du droit des sociétés, la Convention européenne du 29 février 1968 sur la reconnaissance des sociétés et personnes morales, non en vigueur [155], basée sur l'ancien article 220 du traité CEE, reflète l'orientation de travaux au niveau mondial, notamment la résolution de l'Institut de droit international adoptée à Varsovie en 1965, précédée de la Convention de La Haye de 1956.

      Le critère d'incorporation, avec libre choix du pays de constitution, est consacré comme principe mais il est tempéré par un critère de réalité.

      Par exemple, la convention européenne - dépourvue d'applicabilité universelle - admet la pertinence du critère de l'administration centrale pour justifier une réserve d'un Etat visant à exclure l'application de la convention en l'absence de lien sérieux avec l'économie d'un Etat membre pour une société ayant son siège réel dans un pays tiers (art. 3), ou à assurer l'application de ses lois de police (« règles impératives »), voire à imposer l'application de sa lex societatis en l'absence d'exercice effectif de l'activité dans le pays de constitution (art. 4).

      65.Droit dérivé sur le rapprochement des sociétés. Les directives de rapprochement du droit des sociétés des Etats membres visent les règles matérielles sans établir de règle de rattachement, sauf pour les fusions et, bientôt, pour les transformations [156]. La question du droit applicable est souvent évoquée pour viser des sociétés qui « relèvent » du droit d'un Etat membre, simple règle de signalisation renvoyant au contenu de la règle de conflit de lois de l'autorité saisie.

      Cependant, lorsqu'un critère de rattachement est défini, la tendance est en faveur du « siège statutaire » ou du siège « social » entendu comme « registered office » [157]. C'est aussi dans ce sens que va la proposition de directive de 2014 sur la société unipersonnelle à responsabilité limitée, qui a suscité de vives réactions politiques [158]. D'autres directives renvoient aux sociétés couvertes par l'article 54 TFUE [159].

      En revanche, le critère du siège statutaire peut être retenu en lien avec le siège réel, soit pour imposer une coïncidence avec « l'administration centrale » dans les diverses formes européennes de société, soit à titre de présomption du « centre des intérêts principaux » - ou lieu de « gestion habituelle » des intérêts - en matière d'insolvabilité [160].

      66.Prévalence du centre de direction pour les marchés réglementés. C'est dans la réglementation sectorielle qui commande l'accès au marché et l'exercice de l'activité que l'on trouve une orientation nette en faveur du critère de l'administration centrale [161], souvent précisée comme étant le centre de décisions de la direction [162]. Le critère y sert d'identificateur de « l'Etat membre d'origine » de l'entreprise.

      En exigeant cette condition de territorialité effective des sociétés concernées, l'acte européen ne laisse pas un libre choix du pays de constitution: ainsi, l'entreprise bancaire ne peut que faire en sorte de se configurer en une personne morale d'un Etat membre où elle a son siège statutaire et son administration centrale, où elle opère de manière effective en y localisant la majeure partie de ses activités; et l'Etat d'origine doit refuser l'accès au marché si l'entreprise a « opté pour le système juridique d'un Etat membre pour se soustraire aux règles plus strictes d'un autre Etat membre » [163].

      De même, est une compagnie aérienne « européenne » au sens de la réglementation de l'exploitation de services aériens dans l'Union, celle qui obtient sa licence d'exploitation auprès de l'Etat membre dans lequel se situe son « établissement principal » [164].

      Dans le marché audiovisuel [165], prévaut le critère du lieu où le prestataire est « établi ». Ce lieu se définit selon une échelle décroissante - analogue à celle de l'article 4 CODIP , retenant successivement, l'un à défaut de l'autre, le lieu de la « décision éditoriale », le lieu des « principaux actifs » et le lieu exprimant un « lien économique stable et réel ». Consciemment, le législateur retient la notion d'établissement telle qu'entendue au sens de l'article 49 TFUE comme l'exercice effectif d'une activité, tout en stigmatisant, par une clause anti-abus, l'entreprise qui entend « se soustraire » aux règles de l'Etat vers le territoire duquel « l'activité est entièrement ou principalement tournée » [166].

      Une orientation analogue s'observe dans le secteur sensible des services électroniques [167], que ce soit le commerce électronique ou la protection des données personnelles, par le critère de « l'établissement » de l'opérateur, supposant « l'exercice effectif et réel d'une activité au moyen d'une installation stable », notion qui, selon la Cour, « écarte toute approche formaliste selon laquelle une entreprise ne serait établie que dans le lieu où elle est enregistrée », dans un contexte attentif à « éviter tout contournement » [168].

      Plus généralement encore, dans le secteur des services et du droit d'établissement, la directive générale n° 2006/123 cible les sociétés « ressortissantes » d'un Etat membre au sens de l'article 56 TFUE - qui renvoie indirectement à l'article 54 TFUE - et « établies » dans l'Union, ce qui vise « l'exercice effectif d'une activité économique […] au moyen d'une infrastructure stable à partir de laquelle la fourniture de services est réellement assurée » (art. 4, 5.).

      67.Un facteur de résilience du marché intérieur contre l'abus de droit. On constate ainsi en droit dérivé une référence générale, qui traverse diverses matières, au critère de l'administration centrale. Celui-ci domine en particulier le statut de sociétés européennes et les conditions d'accès et d'exercice des activités économiques, le cas échéant en exigeant une convergence des sièges statutaire et réel. Le législateur européen exprime alors le besoin d'un lien réel entre la société et un marché déterminé.

      Il est significatif que l'exigence de convergence des sièges statutaire et réel, ou la référence à l'administration centrale, au centre de décisions ou à une activité effective, s'explique notamment, selon plusieurs préambules, par une volonté de lutter contre le contournement de la loi nationale la plus stricte [169]. Le Company Law Package de 2018 entend transformer cet objectif en norme dans les opérations de transformation transfrontière: l'autorité de sortie sera tenue de refuser le transfert si elle établit, après examen circonstancié, que l'opération constitue un « arrangement artificiel visant, notamment, à affecter les droits de parties prenantes » (art. 86c.3); et l'appréciation suppose de vérifier, en particulier, les caractéristiques de l'établissement envisagé dans l'Etat de destination en termes, notamment, d'investissement, de chiffre d'affaires, de masse salariale. Ce faisant, le législateur européen pose un obstacle certain sur la voie à la recherche de la loi la plus favorable. Il atténue par le fait même l'extension donnée par l'arrêt Polbud au domaine de la liberté d'établissement tout en mobilisant la référence de cet arrêt à la localisation des activités de l'entreprise en marge d'un transfert en prônant un retour à l'orthodoxie d'une participation effective et durable à l'activité économique de l'Etat d'accueil [170].

      Par ailleurs, même si le législateur européen n'entend viser que des sociétés couvertes par l'article 54 TFUE, il cherche à s'assurer de la localisation d'une activité effective dans l'Union à propos de sociétés « pseudo-européennes », constituées en conformité du droit d'un Etat membre où elles ont leur siège statutaire sans avoir leur administration centrale ni leur établissement principal dans un Etat membre.

      Inversement, on verrait mal l'Union européenne tolérer qu'une société constituée dans un pays tiers par voie d'incorporation mais dont le siège de direction et les activités sont localisés dans l'Union, puisse échapper au dispositif de certaines directives de rapprochement des législations des Etats membres, telles les dispositions sur la constitution des sociétés anonymes de la directive n° 2017/1132 codifiant la directive n° 2012/30, dont le « but principal » est, selon la Cour de justice, de protéger « dans l'ensemble du marché intérieur », les associés (des actionnaires européens ayant investi par hypothèse au nom de la libre circulation des capitaux) et les tiers (des créanciers européens ayant contracté suite à l'offre de marchandises ou de services sur le territoire de l'Union) [171]. En termes de conflit de lois, cette applicabilité pourrait être préservée au nom de lois de police européennes, à l'instar de l'enseignement de l'arrêt Ingmar relatif à la protection de l'agent commercial [172].

      E. Aspects de compétence judiciaire internationale

      68.Une restriction du pouvoir de juridiction. La référence au siège statutaire conduit, selon l'exposé des motifs, à retenir ce critère exclusif de tout autre, non seulement pour la désignation de la loi nationale applicable, mais aussi pour la détermination de la compétence internationale des juridictions belges (art. 13 modifiant l'art. 109 CODIP). De son côté, le législateur de 2004 fondait la compétence internationale sur deux critères alternativement, l'établissement principal ou le siège statutaire. Le domaine de cette compétence correspond à celui de la lex societatis, puisqu'il couvre « la validité, le fonctionnement, la dissolution ou la liquidation » de la personne morale - excepté la matière de l'insolvabilité [173].

      La nouvelle disposition vise ainsi à restreindre le pouvoir de juridiction, en l'excluant désormais à propos de personnes morales établies principalement en Belgique mais constituées à l'étranger. Le motif exprimé laconiquement tient à une « nécessité à la lumière de l'introduction […] de la doctrine du siège statutaire », en même temps qu'au souci « d'éviter que des juges belges doivent appliquer un droit des personnes morales étranger » [174]. La formulation est sèche, tantôt dogmatique, tantôt hostile au processus du conflit de lois.

      Pourtant, toute action en Belgique n'est pas à exclure à propos d'une personne morale « étrangère » - par référence à un siège statutaire localisé à l'étranger.

      D'abord, selon l'article 5, § 2, CODIP que l'exposé des motifs n'évoque pas, « Les juridictions belges sont également compétentes pour connaître de toute demande concernant l'exploitation de l'établissement secondaire d'une personne morale n'ayant ni domicile ni résidence habituelle en Belgique, lorsque cet établissement est situé en Belgique lors de l'introduction de la demande. » Ce chef de compétence fait écho à la responsabilité du gérant d'une telle succursale envers les tiers, dont les conditions sont alignées sur celle d'une personne morale « belge » [175]. Autre encore serait l'hypothèse d'une demande basée sur l'invocation d'une éventuelle loi de police qui entendrait s'appliquer du fait d'une localisation effective sur le territoire, mais dont l'application ne pourrait être assurée que si une juridiction belge était compétente pour en connaître.

      Ensuite, une question incidente affectant le droit des sociétés peut être soulevée à l'occasion d'une action principale relevant d'une autre matière pour laquelle les juridictions belges sont compétentes. Par analogie avec l'interprétation stricte du domaine de la compétence exclusive du for sociétaire retenu par l'article 24 du Règlement Bruxelles Ibis [176], une juridiction belge compétente pour connaître de la demande principale pourrait avoir à prendre connaissance du droit étranger applicable à une société dont le siège statutaire est à l'étranger pour statuer sur la question incidente.

      Enfin, un correctif a été introduit au projet de loi, par voie d'un amendement de la majorité [177] suite aux critiques de certains membres de la commission de droit commercial et économique face au risque de contournement de dispositions impératives qu'encouragerait le critère du siège statutaire (supra, nos 45-46). Il permet de saisir une juridiction belge d'une demande relative à la responsabilité « externe » d'un administrateur d'une personne morale dont le siège statutaire est établi hors de l'Union européenne. L'objectif est de contrer « un usage abusif de la doctrine du siège statutaire ».

      Une telle disposition ne suffit cependant pas à assurer l'applicabilité ni de toute loi de police en matière de droit des sociétés, des associations et des fondations, ni même du régime de la responsabilité « extracontractuelle à l'égard des tiers » établi par le CSA (art. 2:56 à 2:58) [178]. A côté de la responsabilité « interne » et de la responsabilité « pour violation du droit des personnes morales ou des statuts » qui appartiennent au domaine de la lex societatis (art. 111 CODIP), une qualification des divers cas d'implication d'un organe au regard du droit des sociétés ou d'une autre catégorie de rattachement, en particulier celle des obligations non contractuelles visées par le Règlement Rome II, appelle une ventilation délicate qui mérite un examen spécifique, tout en tenant compte désormais du domaine de ce règlement et de celui de l'article 24 précité [179]. Quant à la loi applicable en matière quasi délictuelle, ce sera normalement celle du lieu de survenance du dommage direct causé au tiers, sauf si les parties au litige résident dans le même pays ou si le fait dommageable présente « un lien manifestement plus étroit » avec un autre pays (art. 4) à moins que les parties en conviennent autrement (art. 14). Cependant, des « dispositions impératives obligatoires » du droit du for peuvent prévaloir si elles entendent régir la situation quelle que soit la loi désignée par la règle de rattachement (art. 16).

      Autre chose est de se demander si une impérativité particulière des règles matérielles du CSA sur la responsabilité [180] n'induirait pas un raisonnement en termes de lois de police, à moins que le législateur, en les intégrant dans le CSA, ait entendu lier leur applicabilité aux mêmes critères que l'ensemble des règles du CSA, avec un risque de contournement lié au choix du siège statutaire. Une qualification de lois de police permettrait de retenir un critère d'application territorial plus pertinent, comme le lieu du centre de décisions (supra, nos 45-46).

      Encore faudrait-il que le chef de compétence introduit par voie d'amendement puisse trouver à s'appliquer. Or, il faut tenir compte de la primauté des dispositions correspondantes du règlement n° 1215/2012 « Bruxelles Ibis ».

      69.Incidence du Règlement Bruxelles Ibis. La règle de compétence internationale de l'article 109 CODIP ne peut jouer qu'à défaut d'application du règlement Bruxelles Ibis. Ainsi, le for du siège statutaire retenu par le législateur ne vaut qu'à propos de sociétés dont ce siège se trouve dans un Etat non membre de l'Union.

      Selon l'article 24, 3. du règlement, les juridictions belges bénéficient d'une compétence exclusive si la personne morale a son « siège » en Belgique au sens du « droit international privé [belge] ». Il en va de même pour les juridictions de tout Etat membre de l'Union en fonction de la localisation du siège selon leur propre droit international privé. Dès 2004, pour assurer un effet utile aux chefs de compétence qui, dans l'article 24 du règlement, cherchent à permettre un alignement des compétences juridictionnelle et législative, le terme « siège » s'entend logiquement comme « l'établissement principal » qu'utilisent les articles 109 et 110 CODIP [181]. Désormais, il s'entend comme visant uniquement le siège statutaire.

      Ce renvoi au droit national pour définir le siège risque d'induire des procédures concurrentes: si désormais les juridictions belges seront compétentes pour statuer à propos d'une société dont le siège statutaire est en Belgique, une juridiction d'un autre Etat membre le pourra aussi si son droit retient le critère du siège réel. Le cas inverse comporte le risque, pour une société établie en Belgique, de ne trouver aucune juridiction compétente …

      Le domaine matériel de l'article 24 du règlement vise la validité, la nullité ou la dissolution de la personne morale, ainsi que la validité des décisions de ses organes. Il recouvre ainsi pratiquement celui de la lex societatis. Toutefois, il est d'interprétation stricte car il déroge au for du domicile du défendeur [182]. Il ne couvre que les questions de validité - y compris des décisions des organes [183] - et de dissolution - hormis l'insolvabilité. D'autres litiges intéressant la personne morale relèveront alors de l'article 4 (critère du domicile du défendeur) ou de l'article 7 si le défendeur est domicilié dans l'Union et, en particulier, le critère du lieu d'un établissement du défendeur pour un litige concernant l'exploitation de cet établissement (art. 7, 7)).

      Le domaine spatial du chef de compétence européen couvrira pratiquement, à l'égard d'une juridiction belge qui serait saisie, toute société ayant son siège statutaire en Belgique [184]. Dans un tel cas, le juge aura à appliquer l'article 24, et non l'article 109 CODIP. En cas de siège statutaire localisé dans un Etat non membre, les juridictions belges ne seront pas davantage compétentes si le siège réel est en Belgique. Par conséquent, la portée utile de l'article 109 CODIP dans sa version déposée à la Chambre n'apparaît pas. Il aurait été plus judicieux de retenir une formulation analogue à celle utilisée pour l'insolvabilité (art. 118 CODIP), qui renvoie d'une manière ou d'une autre au règlement européen pertinent. Par comparaison, la rédaction primitive de l'article 109, qui retient alternativement le for de l'établissement principal, revêtait une portée subsidiaire, pour le cas où la société n'a pas son siège statutaire dans un Etat membre.

      Si le nouvel article 109 CODIP avait pour résultat d'exclure la compétence d'une juridiction belge, mais aussi d'une juridiction d'un autre Etat membre, à l'égard d'une personne morale dont le centre de décision est en Belgique mais le siège statutaire dans un Etat non membre, un risque de déni de justice pourrait affecter un demandeur qui aurait à saisir une juridiction lointaine ou si le droit étranger du lieu du siège statutaire ne prévoyait, de son côté, de compétence de ses juridictions que pour une société dont le siège réel se trouve sur son territoire. En dehors du domaine du règlement, un tel risque pourrait être contré grâce au for de nécessité de l'article 11 CODIP, selon lequel une action est possible en Belgique, exceptionnellement, si une action à l'étranger se révélait « impossible » ou « déraisonnable », pourvu que « la cause présente des liens étroits avec la Belgique ».

      Quant à la compétence pour connaître d'une demande d'un tiers en responsabilité extracontractuelle d'un administrateur au sens du nouvel article 109, 2° CODIP (supra, n° 68), elle ne relève pas de l'article 24 mais bien des règles générales de compétence du règlement lorsque le défendeur à l'action, à savoir l'administrateur concerné, est domicilié dans un Etat membre de l'Union lié par le règlement. Ce sera souvent le cas pour une société dont le siège réel est en Belgique, ou dans l'Union. Le chef de compétence pertinent est alors le critère du fait dommageable, qui peut se concrétiser soit au lieu de l'événement causal, soit au lieu de survenance du dommage direct, au choix du demandeur selon la jurisprudence de principe de la Cour de justice [185]. Autrement dit, le critère spécial de l'établissement principal ne sera pas nécessairement pertinent à propos d'une personne morale dont le siège statutaire est dans un pays tiers: cela dépendra plutôt, à la fois, de la localisation du domicile du défendeur et de la localisation, soit de l'événement causal, soit de la survenance du dommage.

      70.Inopposabilité d'un refus de reconnaissance d'un jugement étranger portant sur une société établie en Belgique. Sous l'angle de la reconnaissance des décisions judiciaires étrangères, la substitution du critère du siège statutaire au critère du siège réel est à première vue sans incidence. Mais il peut en aller autrement.

      En matière de droit des sociétés, la reconnaissance peut être refusée pour un motif relatif à l'exercice de la compétence internationale par le juge étranger qui a rendu le jugement, chaque fois que celui-ci a basé sa compétence sur un chef de compétence exclusive selon le droit du juge requis.

      Or, un tel motif de refus de reconnaissance est bien opposable devant une juridiction belge appelée à reconnaître une décision judiciaire étrangère en matière de droit des sociétés. Ce motif figure dans l'article 115 CODIP pour les sociétés dont le siège est dans un Etat non membre de l'Union, et dans l'article 45, 1., ii), du Règlement Bruxelles Ibis pour les sociétés dont le siège est dans l'Union. Ainsi, l'article 115 CODIP permettait de s'opposer à la reconnaissance d'une décision étrangère lorsque l'établissement principal de la société est en Belgique. Le libellé nouveau de cet article, où le « siège statutaire » est substitué à « l'établissement principal » (art. 18 du projet de loi), ne permettra plus d'opposer un tel refus de reconnaissance envers une décision rendue dans un Etat non membre de l'Union que si le siège statutaire est en Belgique.

      Conclusion

      71.L'autonomie de la volonté comme arme de compétition régulatoire. Les projets de loi concernant la BIBC et le nouveau Code des sociétés et des associations affichent le contexte commun d'une compétition régulatoire à laquelle le droit national se devrait de réagir afin d'accroître son attractivité pour les opérateurs internationaux. Ils entendent présenter une offre efficace et de qualité de manière à satisfaire une demande sur le marché des produits juridiques. Poursuivant des objectifs communs de flexibilisation des normes et de mobilité internationale accrue des acteurs économiques, l'un et l'autre projets sont à évaluer, essentiellement, au regard du principe d'autonomie de la volonté et de ses limites selon le droit des conflits de lois et des conflits de juridictions.

      Les projets de loi sur la BIBC et sur le CSA permettent aux parties de faire des choix déterminants pour la substance des rapports juridiques en cause, mais selon des approches sensiblement distinctes. Quant aux situations visées, le premier peine à cibler le commerce réellement international là où le second permet de viser des situations purement internes. Quant à la détermination de la compétence internationale, le premier favorise la saisine d'une juridiction nationale alors que le second la restreint, l'un et l'autre sous réserve du jeu prioritaire de règles européennes sur la compétence judiciaire internationale. Quant à la détermination du droit applicable, le premier entendait initialement permettre l'éviction explicite de tout droit étatique alors que le second permet le choix implicite d'un droit étatique sans lien avec le rapport juridique concerné; mais l'objectif commun affiché est de permettre à la juridiction saisie de n'avoir pas à appliquer un droit étranger: le droit des conflits de lois se trouve ainsi désarmé par ses propres armes.

      72.D'une juridiction hybride à une juridiction normale? L'analyse du régime de la BIBC appelle une comparaison du projet de loi avec l'avant-projet. En effet, celui-ci entendait instituer une juridiction étatique fonctionnant comme une instance arbitrale, et il reprenait la substance de la loi type de la CNUDCI. Pour les besoins du droit international privé, il en résultait que les parties pouvaient faire choix de toute règle de droit, même non étatique, ou permettre de statuer en équité, et ce, pour tout litige entrant dans les attributions de la BIBC, celles-ci dépassant la seule matière contractuelle. Sous la pression du Conseil d'Etat, le projet en revient à l'application, par la BIBC, des solutions ordinaires de conflit de lois, telles notamment qu'imposées par les règlements européens, en particulier le Règlement Rome I concernant la matière contractuelle, selon lequel un choix des parties ne peut viser qu'un droit étatique.

      L'empreinte des règlements européens s'exerce encore sur la détermination de la compétence judiciaire internationale. A cet égard, l'articulation des dispositions du projet de loi déterminant l'attribution de la BIBC pourrait s'avérer délicate avec le dispositif de l'article 25 du Règlement Bruxelles Ibis, comme aussi avec la Convention de La Haye de 2005 sur les accords d'élection de for, qui offrent plus de souplesse aux conditions de forme de l'accord que le projet de loi.

      Enfin, l'application par la BIBC des règles de droit international privé du fait de leur force obligatoire pour une juridiction étatique conduit à l'application par celle-ci d'un droit étatique et à douter, corrélativement, de la nécessité de composer la juridiction de membres choisis hors des juges de profession parmi des experts mondialement reconnus du droit du commerce international. Pour le reste, la création d'une chambre anglophone peut se révéler appropriée, à l'exemple des projets menés dans des pays voisins.

      73.De la guerre des sièges à un marché de dupes? La consécration de la doctrine du siège statutaire par la loi du 23 mars 2019 introduisant le Code des sociétés et des associations surfe assurément sur une vague portée par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne en matière de mobilité des sociétés dans l'espace du marché intérieur. De fait, l'arrêt Polbud de 2017 donne à entendre une liberté de transformation transfrontalière par le simple transfert du siège statutaire sans déplacement ni des activités ni du siège réel de la société. Pourtant, cette liberté étendue n'est pas aussi inconditionnelle que le donnait à entendre l'arrêt Centros en 1998.

      L'argument de droit européen a certes sa place dans toute analyse du rattachement des sociétés. L'appréciation de sa portée exacte reste cependant complexe. Pour la Cour de justice, le droit d'établissement n'induit aucune préférence pour un critère de rattachement sur l'autre, et l'arrêt Polbud n'exclut pas qu'une opération de transformation transfrontalière ait à se soumettre, successivement, aux droits de l'Etat d'origine et de l'Etat d'accueil, y compris à une condition de localisation du siège réel exigée par celui-ci. De plus, les entraves observées sont autant imputables au droit des pays d'incorporation que de siège réel, et elles trouvent leur cause dans le droit matériel plutôt que dans le droit des conflits de lois. On ne peut nier pour autant toute incidence du principe de reconnaissance mutuelle du droit de l'Union pour le rattachement des sociétés, dont les modalités restent à affiner. Parmi celles-ci figure le degré de mise en équivalence des droits matériels des sociétés des Etats membres réalisée par voie de directives, facteur de nature à neutraliser les freins à la mobilité spatiale des personnes morales concernées.

      Cet argument de droit européen ne tient assurément pas à propos de situations externes à l'espace européen, à la fois parce qu'elles échappent au domaine de la liberté d'établissement - lorsque la personne morale n'est pas « ressortissante » d'un Etat membre au sens de l'article 54 TFUE -, et en raison de l'absence d'uniformisation du droit matériel des sociétés au niveau mondial. Par conséquent, le droit de l'Union ne saurait tenir lieu de prétexte à un critère de siège statutaire dans une règle de rattachement d'application universelle, c'est-à-dire apte à désigner le droit d'un Etat non membre de l'Union. Si le législateur avait agi dans le but déterminant de respecter la jurisprudence européenne, il eût pu maintenir le critère du siège réel assorti d'une exception de reconnaissance mutuelle dans le cas où la loi désignée contreviendrait au régime du droit d'établissement [186].

      On comprend donc que, pour fonder une règle d'application universelle, l'exposé des motifs du projet de loi présente d'abord un argumentaire général à charge du critère du siège réel, déclaré obsolète et non souhaitable tactiquement dans le contexte de la mondialisation. Mais le plaidoyer peine à convaincre. En revanche, sous l'angle de la praticabilité comme de la gouvernance économique, le critère du siège réel présente aussi des atouts, dont atteste son utilisation par le droit fiscal et par le droit dérivé européen relatif à l'accès à des marchés réglementés. Quant au critère du siège statutaire, sa définition n'est pas exempte d'ambiguïté, et le mérite que lui impute l'exposé des motifs en termes d'attraction d'investissements locaux laisse perplexe, sauf si le critère devait impliquer la localisation d'actifs.

      La théorie du siège statutaire semble alors reposer sur d'autres présupposés. La loi introduisant le Code des sociétés et des associations confirme l'hypothèse générale selon laquelle, lorsqu'un législateur complète une réforme du droit matériel par celle du droit des conflits de lois, la seconde reflète directement les valeurs portées par la première et ce, au risque d'une approche unilatéraliste autocentrée sur l'applicabilité du droit du for. Or, l'accroissement d'une liberté de choix comme facteur de facilitation et de simplification constitue un objectif essentiel du législateur. Aussi, en termes de droit international privé, le critère retenu est en lien avec le principe d'autonomie de la volonté, avec lequel il appelle alors la confrontation. A cet égard, un critère du siège statutaire sans aucune condition d'effectivité autre que le minimum d'une boîte aux lettres dépasse les limites de l'autonomie reconnue dans la matière contractuelle et risque d'inciter à l'enregistrement de sociétés alias, dans des situations purement internes, dépourvues de tout lien avec l'économie du pays dont la lex societatis aura été choisie. Par ailleurs, il est prévisible que, comme ce fut le cas en matière contractuelle, l'émergence d'un libre choix de loi par les parties engendre, par un effet de vases communicants, une emprise accrue de lois de police, dont l'arrêt Polbud rend d'ailleurs compte au bénéfice des règles impératives de protection des parties prenantes édictées par l'Etat sur le territoire duquel la personne morale exerce ses activités. Paradoxalement, ce phénomène de correction peut encourager les partisans du siège statutaire à minimiser l'enjeu du choix de sa localisation par un effet de contraction du domaine de la lex societatis. C'est au risque d'occulter la prévalence d'un principe de réalité. A cet égard, les doctrines du siège ne requièrent pas nécessairement du législateur d'être mises dos à dos par une préférence exclusive mais ouvrent le champ d'une zone grise de conciliation insuffisamment explorée.

      Les entreprises avisées ne seront pas dupes.

      Celles qui auront recours à la BIBC verront un accès à une juridiction au fonctionnement procédural probablement efficace mais ne statuant pas autrement sur le litige au fond que toute juridiction belge.

      En matière de sociétés, elles sauront que toute dissociation transfrontière des sièges réel et statutaire est au risque de s'exposer ultérieurement, tantôt à la survivance inévitable d'une disparité des règles de rattachement applicables devant les autorités d'Etats différents, tantôt à une intervention accrue de lois de police territoriales sur une lex societatis choisie sur le forum des produits normatifs. Plutôt que de céder au chant des sirènes de l'attractivité normative, les entreprises responsables se doteront d'une nouvelle éthique à laquelle incite, quoique encore timidement, un amendement adopté à l'article 1:1 du nouveau CSA [187]: désormais, la recherche d'un « avantage patrimonial direct ou indirect » aux associés ne constitue plus que « l'un des buts » d'une société et non son but exclusif. Cette évolution du texte initial pourrait encourager une ouverture de l'entreprise à ses responsabilités sociétales, dont ne rend guère compte un rattachement exclusif de la personne morale en fonction de son siège statutaire.

      [1] Professeur émérite de l'UCL.
      [2] Doc. parl., Chambre, n° 54-3072/001, incluant l'exposé des motifs et l'avis du Conseil d'Etat. Le projet a été adopté en première lecture le 23 novembre 2018 (Doc. parl., Chambre, n° 54-3072/008) sur rapport de MMme. Van Vaerenbergh et Brotcorne (Doc. parl., Chambre, n° 54-3072/007). Il l'a été en deuxième lecture le 10 décembre 2018 (Doc. parl., Chambre, n° 54-3072/011) sur rapport de MMme. Van Vaerenbergh et Brotcorne (Doc. parl., Chambre, n° 54-3072/010) et a été porté en discussion en séance plénière le 18 décembre 2018. Les textes adoptés en première et deuxième lectures ne modifient pas en substance les dispositions intéressant le droit international privé, hormis la suppression de la condition de non-usage d'une langue nationale dans les relations entre parties (amendement n° 8 à l'art. 18 du projet initial). La numérotation des art. 20 et 45 du texte final correspond aux art. 18 et 43 du projet déposé par le gouvernement devant la commission de la justice.
      [3] Doc. parl., Chambre, n° 54-3119/002. Pour l'exposé des motifs, voy.: Doc. parl., Chambre, n° 54-3119/001. Le projet a été adopté en première lecture le 14 novembre 2018 (Doc. parl., Chambre, n° 54-3119/012) sur rapport de MM. Henry et Dierick (Doc. parl., Chambre, n° 54-3119/011, 14 novembre 201). Il l'a été en deuxième lecture le 12 décembre 2018 (Doc. parl., Chambre, n° 54-3119/015) sur rapport de Mmes. Almaci et Ceysens (Doc. parl., Chambre, n° 54-3119/014), et porté à la discussion en séance plénière le 18 décembre 2018. Le texte adopté en deuxième lecture ne comporte pas d'autre modification concernant le droit international privé que la suppression de la première phrase de l'article 2:4 (infra, n° 32) et l'ajout d'un § 2 à l'art. 109 CODIP (infra, n° 68). Le rapport de MM. Henry et Dierick fait état de nombreuses observations relatives à la substitution du siège statutaire au siège réel, notamment le dépôt d'amendements visant à maintenir en l'état les art. 109 et 110 CODIP (amendements nos 85 et 86 de O. Henry et consorts, Doc. parl., Chambre, n° 54-3119/005, pp. 107 et s.). Ces amendements n'ont cependant pas été adoptés. Le projet a été adopté en séance plénière le 28 février 2019 (Doc. parl., Chambre, n° 54-3119/022 et n° 54-3119/024). La loi de promulgation du 23 mars 2019 a été publiée au Moniteur le 4 avril 2019.
      [4] Doc. parl., Chambre, n° 54-1500/001.
      [5] L'argument est repris par le ministre devant la commission de la justice de la Chambre (rapport de la première lecture, p. 3). Significativement, cette attractivité requiert non seulement « un tribunal étatique compétent » mais aussi « un droit des sociétés solides » (p. 16).
      [6] Doc. parl., Chambre, n° 54-1500/001, p. 25. Voy. aussi l'exposé des motifs, p. 6, et le rapport de la deuxième lecture, p. 5.
      [7] Un droit moderne des sociétés ne se contente pas d'une simplification et d'une flexibilisation accrues mais il complète le droit supplétif d'un droit impératif de protection, essentiellement, des parties prenantes (exposé des motifs, pp. 7 et 12). Encore faut-il assurer l'effectivité de ce dernier alors que l'application de la lex societatis reposerait sur un libre choix des parties (infra, nos 45 et 46).
      [8] La doctrine contemporaine des conflits de lois est riche de développements sur le concept de compétition régulatoire liée à la diversité normative. Voy. not.: M. Audit, H. Muir Watt et E. Pataut, Conflit de lois et régulation économique, Paris, L.G.D.J., 2008; S. Deakin, « Legal diversity and regulatory competition: Which model for Europe? », Eur. L.J., 2006, pp. 440-454; J. Guillaumé, L'affaiblissement de l'Etat-Nation et le droit international privé, Paris, L.G.D.J., 2011; H. Muir Watt, « Aspects économiques du droit international privé », Rec. cours Ac. dr. int., 2004, vol. 307, pp. 25-384; Idem, « Globalisation des marchés et économie politique du droit international privé », Arch. Phil. Dr., 2003, pp. 243-262; S. Vogenauer, « Regulatory competition through choice of contract law and choice of forum in Europe: Theory and evidence », Rev. eur. dr. pr., 2012, pp. 13-78, concluant à l'absence d'effet compétitif des choix de lois. Comp. exposant les avantages compétitifs de la disparité des droits nationaux des sociétés, notamment: S. Lombardo, Regulatory competition in company law in the European Community. Prerequisites and limits, Frankfurt, Lang, 2002.
      [9] Sur l'émergence d'une théorie de la maîtrise de situations hors contrôle en circulation internationale, voy. les recherches de J.-S. Bergé sur le thème Full Movement beyond Control and the Law (programme IFITIS, www.universitates.eu/jsberge/?p=21027), notamment: L'application du droit national, international et européen. Approche contextualisée des cas de pluralisme juridique mondial, Paris, Dalloz, 2013; avec G. Helleringer, Operating law in a global context, Cheltenham, Elgar Pub., 2017.
      [10] Pour le contrat de concession de vente, voy. l'art. X.39 du Code de droit économique, reprenant l'art. 4 de la loi du 27 juillet 1961. Pour l'agence commerciale, voy. l'art. X.25 du même code, reprenant l'art. 27 de la loi du 13 avril 1995, cette loi effectuant en réalité la transposition de la directive 86/653. Ces dispositions retiennent pour critère d'applicabilité des règles impératives, respectivement, la localisation en Belgique des prestations du concessionnaire et l'établissement principal de l'agent. Sur le choix d'une loi étatique, voy. les auteurs cités infra, note 19.
      [11] Jurisprudence Ingmar, arrêt de la Cour de justice du 9 novembre 2000, C-381/98, EU:C:2000:605.
      [12] L'Union européenne non plus n'exclut pas toute adoption de règles uniformes en matière de contrats internationaux. L'hypothèse est évoquée dans le considérant 14 du Règlement Rome I. Une telle tentative a été faite à propos de contrats de vente (projet DECV-CESL, proposition de règlement relatif à un droit européen commun de la vente, du 11 octobre 20011, Doc. COM 2011, 635; Doc. COD 2011, 0284).
      [13] Le modèle d'une règle analogue visant la dérogation volontaire à la compétence des juridictions des Etats membres a été préparé en 2010 par le Groupe européen de droit international privé (GEDIP) à propos de la révision du Règlement Bruxelles I (site www.gedip-egpil.eu/gedip_documents.html).
      [14] Voy. les dispositions précitées, note 10.
      [15] Voy. infra, notes 43 et 44.
      [16] Supra, note 11.
      [17] France, Pays-Bas, Allemagne. Voy. la présentation détaillée dans l'avis du Conseil d'Etat, p. 95.
      [18] Voy. déjà en ce sens, l'avis d'office du Conseil supérieur de la Justice du 14 mars 2018, point 5.1, note 22.
      [19] Règlement Rome I, art. 3, 3. (implicite), reprenant la formulation de la Convention de 1980; Règlement Rome II, art. 14, 2. (implicite). La proposition initiale de la Commission (Doc. COM 2005, 650) prévoyait expressément la faculté de choix de règles non étatiques. Le considérant 13 du règlement « n'interdit pas aux parties d'intégrer par référence dans leur contrat un droit non étatique ou une convention internationale ». Cette formulation ne vise pas la détermination de la lex contractus mais un procédé d'intégration de dispositions parmi les conditions contractuelles, dont la portée est soumise au droit (étatique) qui régit le contrat en vertu de la règle de conflit de lois. Voy. nettement, not.: M.-E. Ancel, P. Deumier et M. Laazouzi, Droit des contrats internationaux, Paris, Sirey, 2017, n° 227; M.-L. Niboyet et G. de La Pradelle, Droit international privé, Paris, L.G.D.J., 2011, n° 103.
      [20] Sur cette notion, voy. F. Rigaux et M. Fallon, Droit international privé, Bruxelles, Larcier, 2005, nos 4.4 et s. Sur l'applicabilité spatiale de la CVIM, voy. not. M. Fallon et D. Philippe, « La Convention de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandises », J.T., 1998, pp. 17-37; N. Watté et A. Nuyts, « Le champ d'application de la Convention de Vienne sur la vente internationale. La théorie à l'épreuve de la pratique », J.D.I., 2003, pp. 365-424.
      [21] Voy. p. ex.: Bruxelles, 18 février 1999, Rev. prat. soc., 2000, 243; Gand, 18 juin 2012, R.A.B.G., 2013, 1121; Comm. Ypres, 29 janvier 2001, R.W., 2001-2002, 1396, note K. Roox; Comm. Tongres, 25 janvier 2005, Limb. Rechtsl., 2006, 60, note N. Segers; Comm. Dendermonde, 26 mai 2011, R.G.D.C., 2013, 159, note S. Marysse. En France voy.: Cass. civ., 2 octobre 2001, Lombard, Gaz. Pal., 2003, n° 50, note A. Sinay-Citermann.
      [22] Contra l'avis du CSJ, précité, qui y voit une raison d'exclure le recours en cassation. De même, l'amendement n° 37 déposé en séance plénière, Doc. parl. n° 54-3072/012. Une telle exclusion aurait été pernicieuse pour la sauvegarde de l'Etat de droit. En comparaison, une sentence arbitrale s'expose non seulement à la nécessité d'un exequatur juridictionnel pour en assurer la force exécutoire dans un système étatique, mais aussi au risque d'un recours en annulation devant les juridictions de l'Etat du siège.
      [23] L'institution d'un « Judge in the court » par le projet qui ne soit pas un juge de profession ne serait pas un précédent puisque le Code judiciaire connaît - outre le juge suppléant au rôle toutefois exceptionnel normalement - le juge consulaire (art. 85, art. 203 et s.). Le ministre présente ces Judges comme des « juges consulaires » (rapport de la première lecture, p. 4), alors même que dans le Code judiciaire ils apparaissent sous une appellation distincte de celle de juge consulaire. De fait, celui-ci est au siège en raison de sa connaissance pratique de l'entreprise, étant requis que, juriste ou non, il ait participé à la direction d'une entreprise, à la gestion d'une fédération professionnelle représentative du secteur ou qu'il ait l'expérience de la gestion d'entreprise. En revanche, le « Judge » doit être « spécialiste en droit commercial international » (art. 7, 2.), ce qui suppose normalement qu'il soit juriste, et qu'il « connaisse » le droit susceptible d'être appliqué. Or, ce droit sera, par hypothèse, un droit national.
      [24] La création de juridictions analogues dans les pays voisins n'envisage pas de composition analogue, le siège comprenant des juges de profession. En ce sens aussi, « At any rate, only professional judges - and as the case may be lawyers - should be allowed on the bench » (G. Rühl, Building Competence in Commercial Law in the Member States, étude réalisée à la demande de la commission des affaires juridiques du Parlement européen, PE 604.980 - septembre 2018, n° 4.3.2.2). Un facteur d'attractivité plus déterminant est la réputation générale des juridictions nationales, notamment leur spécialisation, aux côtés d'une procédure rapide et efficace (idem, n° 4.3.1).
      [25] Sur la question de la langue, voy. infra, n° 19. Le Conseil d'Etat y consacre de longs développements en termes de constitutionnalité quant aux règles sur l'emploi des langues en matière judiciaire, concluant à leur respect dans la mesure où la BIBC ne traiterait que de litiges commerciaux réellement internationaux (Doc. parl., n° 54-3072/001, pp. 104 et s.).
      [26] L'avis cite: Cass., 19 février 2003, J.T., 2003, 464; 3 juin 2004, Pas., 2004, I, p. 966.
      [27] Sur la notion d'interprétation « reçue », voy.: Cass., 14 février 2005, Gecamines, Pas., 2005, I, p. 359; N.J.W., 2005, 1167, note H. Storme. Sur la faculté pour le juge du fond d'utiliser une expertise portant sur le droit anglais, voy.: Cass., 7 décembre 2012, Partners Metal, R.A.B.G., 2013, 1267, ne voyant pas de délégation du pouvoir de juridiction en fait, le juge ayant apprécié la portée de l'expertise, au terme d'un débat contradictoire.
      [28] Une telle faculté est admise à l'étranger (F. Rigaux et M. Fallon, o.c., n° 6.55).
      [29] Pour plus de détails, voy. la présentation de F. Rigaux et M. Fallon, o.c., nos 6.52 et s. L'art. 15 CODIP ne contient pas de précision expresse sur ce point, contrairement à ce que préconisait le Conseil d'Etat. L'exposé des motifs du Code s'en explique, en indiquant que, en tant que règle nationale, la règle de conflit de lois connaît un statut procédural reflétant celui de la règle de droit matériel correspondante du droit du for, en fonction de l'objet de la demande.
      [30] La Cour s'est prononcée sur la possibilité d'un tel accord dans sa jurisprudence relative à l'obligation du juge de rechercher le fondement juridique applicable en fonction des faits invoqués par les parties, sans pouvoir modifier l'objet de la demande et en respectant les droits de la défense. Cette jurisprudence concerne cependant des litiges purement internes. Par un accord explicite, les parties peuvent lier le juge « sur un point de droit […] auquel elles entendent circonscrire le débat », par exemple invoquer une responsabilité contractuelle à l'exclusion d'une responsabilité extracontractuelle (Cass., 23 janvier 2014, Pas., 2014, I, p. 211), quoique le juge ait à soulever d'office un moyen d'ordre public sans modifier pour autant l'objet du litige, par exemple la nullité du contrat alors que la demande porte sur l'exécution de l'obligation de délivrance (Cass., 28 septembre 2012, Pas., 2012, I, p. 1784).
      [31] Voy. not.: M.-L. Niboyet et G. de La Pradelle, Droit international privé, Paris, L.G.D.J., 2013, n° 677. Selon ces auteurs, un tel accord pourrait jouer également à l'encontre du Règlement Rome I, dans la mesure où le droit de l'Union préserve l'autonomie procédurale des Etats membres. La question fait cependant débat. Notamment, cette autonomie ne peut porter atteinte au principe d'effectivité du droit de l'Union.
      [32] Dans la doctrine, voy. not.: M. Blessing, « Mandatory rules of law versus party autonomy in international arbitration », J. Int. Arb., 1997, 23-40; CEPANI, L'arbitrage et le droit européen, Bruxelles, Bruylant, 1997; D. Hochstrasser, « Choice of law and 'foreign' mandatory rules in international arbitration », J. Int. Arb., 1994, 57-86; J.-H. Moitry, « L'arbitre international et l'obligation de boycottage imposée par un Etat », J.D.I., 1991, 349-370; A. Nuyts, La concession de vente exclusive, l'agence commerciale et l'arbitrage, Bruxelles, Bruylant, 1996; J.-C. Pommier, « La résolution du conflit de lois en matière contractuelle en présence d'une élection de droit: le rôle de l'arbitre », J.D.I., 1992, 5-44; J.-B. Racine, « La contribution de l'ordre public européen à l'élaboration d'un ordre public transnational en droit de l'arbitrage », Rev. Aff. Eur., 2005, 227-240; L. Radicati di Brozolo, « Mondialisation, juridiction, arbitrage: vers des règles d'application semi-nécessaires? », Rev. crit. dr. intern. privé, 2003, 1-36; Idem, « Arbitrage commercial international et lois de police », R.C.A.D.I., 2005, vol. 315, 265-505; Ch. Seraglini, Lois de police et justice arbitrale internationale, Paris, Dalloz, 2001.
      [33] Voy. supra, n° 5. Selon la définition de l'art. 9, 1. du règlement Rome I. En matière quasi délictuelle, voy. les art. 16 et 17 du Règlement Rome II. Pour les autres matières, voy. l'art. 20 CODIP.
      [34] Doc. COM 2011, 635 et 636, et la résolution consécutive du Parlement européen du 26 février 2017, Doc. COD, 2011/284.
      [35] Sous réserve du respect de « la compétence exclusive d'autres juridictions (art. 20 du projet, nouvel art. 576/1 C. jud.).
      [36] Exposé des motifs, p. 24. L'expression viserait à éviter « un forum shopping de droit interne », ce qui donne à penser une intention d'écarter les litiges purement internes et, partant, de définir strictement l'internationalité.
      [37] Présentation générale du projet devant la commission de la justice de la Chambre par le ministre, rapport de la première lecture, p. 3.
      [38] Par adoption de l'amendement n° 8 (Doc. parl., n° 54-3072-002, p. 13). Alors que la question de la langue de procédure de la Court appelait des analyses en termes de respect des règles constitutionnelles sur l'exercice du pouvoir judiciaire et le droit d'accès au juge (notamment pour d'autres parties intervenantes que celles à l'accord désignant la BIBC), l'exigence d'un usage de l'anglais dans les relations entre parties était vue comme discriminatoire par les auteurs de l'amendement; cette objection fut rejetée par le Conseil d'Etat (deuxième avis, Doc. parl., n° 54-3072/003, p. 4, au motif que l'usage de cette langue caractérise le commerce international; intervention du professeur P. Van Orshoven, rapport de la première lecture, p. 19).
      [39] Reproduits en annexe de l'exposé des motifs, p. 45.
      [40] Exposé des motifs, p. 24.
      [41] La Cour de cassation semble ne pas l'avoir exclu dans un arrêt du 4 septembre 1975, Nelissen, Pas., 1976, I, p. 16; R.W., 1975-1976, 1561, note critique H. Van Houtte, à propos d'un contrat interne ayant fait choix d'une monnaie de compte étrangère. Pour le Conseil d'Etat, le rapport juridique doit avoir des liens « véritables » avec plus d'un pays et « pas seulement parce que les parties en conviennent ainsi » (Doc. parl., Chambre, p. 109, pt. 25). Quant au Règlement Rome I, il évite la difficulté en neutralisant le contournement de toute disposition impérative du droit de l'Etat dans lequel se localise l'ensemble des éléments de localisation de la situation (infra, nos 20 et 44).
      [42] Exposé des motifs, p. 24.
      [43] Cass., 12 septembre 2014, Unamar II, Pas., 2014, I, p. 1845; R.A.B.G., 2015, 661, note S. Cnudde; R.W., 2014-2015, 1475, note F. Van Overbeeke, arrêt rendu suite à l'arrêt Unamar de la Cour de justice du 17 octobre 2013, C-184/12, EU:C:2013:663, J.T., 2014, 302, note P. Hollander; Rev. arb., 2014, 183, note E. Mehmeti et J. Verhellen; R.D.C., 2015, 67, note J. Mary; J.L.M.B., 2015, 392, note C. Staudt et P. Kileste; R.A.B.G., 2014, 818, note K. Swerts, rendu sur question préjudicielle de Cass., 5 avril 2012, Pas., 2012, I, p. 760.
      [44] La plupart des décisions récentes concernent l'inopposabilité d'une clause d'arbitrage: voy. p. ex. Cass., 14 janvier 2010, Sebastian International, Pas., 2010, I, p. 113; R.A.B.G., 2011, 303, note A. Hansebout; R.W., 2010-2011, 1087, D. Mertens; R.C.J.B., 2013, 249, note M. Traest. Pour le cas d'une sentence, voy. Cass., 28 juin 1979, Audi-NSU, Pas., 1979, I, p. 1260; R.C.J.B., 1981, 332, note R. Vander Elst, exigeant le respect du droit belge si le contrat porte sur une concession exclusive de vente pour le territoire belge.
      [45] Comp., dans le rapport de la première lecture, la qualification de « monstre juridique » (H. Boularbah, ULB, p. 9, y préférant la figure traditionnelle de l'arbitrage) ou de juridiction hybride (C. Brotcorne, p. 12) donnée à la BIBC. L'économie d'un exequatur est vantée par le professeur P. Van Orshoven (KULeuven, p. 17) en comparaison avec l'arbitrage: cette affirmation ne tient pas compte du fait que, par hypothèse, la décision aura le plus souvent à faire l'objet d'une telle procédure en cas d'exécution à l'étranger - certes facilitée dans l'Union - en raison de la configuration internationale du litige.
      [46] En droit belge de l'arbitrage, voy. en ce sens l'art. 1710 C. jud.
      [47] Commentaire de l'exposé des motifs sous l'art. 3 du projet de loi, qui a pour objet de créer le tribunal de l'entreprise anglophone (art. 73 C. jud.). La convention de 2005 affecte la reconnaissance des décisions rendues dans les Etats liés par la convention, à savoir actuellement - outre l'Union - le Mexique, le Monténégro et Singapour.
      [48] Voy. à cet égard l'affaire Avotins / Lettonie, à propos de la reconnaissance en Lettonie d'un jugement rendu à Chypre, devant la Cour eur. D.H., n° 17502/07, arrêts du 25 février 2014 et du 23 mai 2016 (C.D.E., 2016, 957, note F. Ait-Ouyahia; Rev. trim. dr. h., 2017, 391, note F. Benoît-Rohmer), où tout en limitant le risque d'un contrôle dans l'Etat requis en raison de la présomption Bosphorus dont bénéficient les décisions rendues dans l'Union européenne, la Cour n'exclut pas que le régime de « reconnaissance automatique » puisse s'exposer à tout moyen fondé sur une « insuffisance manifeste de protection ».
      [49] Demain peut-être la Chine et les Etats-Unis, signataires de la convention, voire le Royaume-Uni après le Brexit. Sur la convention et son interaction avec le règlement, voy.: M. Fallon et S. Francq, « L'incidence de l'entrée en vigueur de la Convention de La Haye de 2005 sur les accords d'élection de for sur l'article 25 du Règlement Bruxelles Ibis », J.T., 2016, pp. 169-177, nos 11-14 et 25.
      [50] Sur ces conditions, voy. H. Gaudemet-Tallon, Compétence et exécution des jugements en Europe, Paris, L.G.D.J., 2018, nos 144 et s.
      [51] Le renvoi au droit national pour la validité au fond porte plus précisément sur les questions communes à tout contrat (incapacité, fraude, erreur, …) et non sur l'effet juridictionnel de l'accord, à savoir l'admissibilité de la clause en relation, par exemple, avec une loi de police (M. Fallon et S. Francq, o.c., n° 22).
      [52] Une règle de rattachement est dite d'application universelle lorsqu'elle permet de désigner le droit de tout Etat dans le monde, et pas seulement le droit d'Etats figurant dans une liste prédéterminée, tels les Etats liés par un instrument international, ou les Etats membres de l'Union européenne.
      [53] Du moins dans la version déposée à la Chambre (art. 12). Il a été réintroduit partiellement dans le texte adopté en première lecture (infra, n° 68).
      [54] La technique de la règle d'applicabilité est utilisée en droit général des conflits de lois pour déroger à une règle de rattachement, lorsqu'il y a lieu (F. Rigaux et M. Fallon, o.c., n° 4.5). Par nature donc, le critère d'applicabilité ne peut être le même que le facteur de rattachement retenu dans la même matière.
      [55] D. Bruloot, H. de Wulf et K. Maresceau, « Hervorming vennootschapsrecht », N.J.W., 2018, pp. 414-429, n° 10: tout autre facteur de localisation, que ce soit l'établissement principal, le centre de direction, le lieu d'exploitation principal, la nationalité, devient « geheel irrelevant - althans voor het vennootschapsrecht ». Comp. pourtant infra, nos 44 et s.
      [56] Hormis le remplacement judicieux des termes « droit des sociétés » par « droit des personnes morales » (art. 18 modifiant l'art. 111.1.9°), à propos de la question de la responsabilité.
      [57] Aucune disposition ne prévoit l'obligation d'un siège, mais celui-ci est supposé par l'art. 4:17.2 relatif à une demande de dissolution d'une société à durée déterminée auprès du « président du tribunal de l'entreprise du siège de la société ».
      [58] M. McParland, The Rome I Regulation on the law applicable to contractual obligations, Oxford University Press, 2018, n° 7.140. Dans le même sens à propos de l'art. 24 du règlement n° 1215/2012 (Bruxelles Ibis): H. Gaudemet-Tallon, Compétence et exécution des jugements en Europe, Paris, L.G.D.J., 2018, n° 116; U. Magnus et P. Mankowski, Brussels Ibis Regulation, Köln, Otto Schmidt Verlag, 2016, p. 573, n° 46. Comp. l'acception large de la notion de « personne morale » au sens de l'art. 54 TFUE par la Cour de justice pour les besoins de l'application de l'art. 49 TFUE: arrêt Trustees Panayi du 14 septembre 2017, C-646/15, EU:C:2017:682.
      [59] Autre est la question du raisonnement à suivre pour déterminer si, dans une espèce déterminée, une société est pourvue ou non de personnalité juridique au sens de l'art. 1:5 dans une situation internationale. Apparemment, elle revêt une portée circulaire lorsque, dépourvue de personnalité selon le CSA, la société en recevrait selon la lex contractus … Dans l'attente d'un examen approfondi de cette problématique, les fondateurs auront à coeur de prévenir un risque d'incertitude en se gardant de choisir un droit étranger pouvant doter la société d'une personnalité.
      [60] Cas envisagé par l'exposé des motifs, p. 108. En revanche, pour un Etat d'origine de siège réel, il n'y aurait pas de changement de lex societatis si ce siège est resté dans cet Etat.
      [61] Pour plus de détails, voy. récemment: M. Fallon et E.-J. Navez, « La transformation transfrontalière d'une société par transfert du siège statutaire après l'arrêt Polbud », Rev. prat. soc., 2018, 349-385.
      [62] Cette règle de rattachement n'a pas d'incidence sur le contenu de la règle matérielle de droit des sociétés de chacun de ces Etats. Autre chose est, pour cette règle matérielle, de respecter une exigence du droit de l'Union, selon laquelle le seul fait du transfert ne peut pas entraîner de plein droit une perte de la personnalité, ainsi qu'une liquidation avant de pouvoir opérer le transfert. Sur cette exigence essentielle selon la jurisprudence européenne, voy. infra, D.
      [63] Doc. COM 2018.241, Doc. COD 2018.114.
      [64] Le projet de loi n'abroge pas cette disposition. De fait, elle conserve pour portée de définir l'établissement principal retenu accessoirement comme critère de compétence judiciaire dans la version adoptée en première lecture (infra, n° 68). La version déposée à la Chambre, qui ôtait tout rôle au critère sans retirer la disposition, contenait donc une anomalie.
      [65] Voy. infra, n° 40, le lien entre ce concept et celui de « domicile of origin », par définition immuable. Voy. aussi, sur ce que le « siège statutaire » peut être ignoré d'un pays d'incorporation, infra, note 84.
      [66] Selon l'exposé des motifs, cette exigence vise à doter la personne morale d'un régime linguistique.
      [67] Une telle condition matérielle irait à l'encontre de la volonté explicite des auteurs du projet. Elle est observable, p. ex., dans plusieurs actes européens (voy. infra, nos 65 et 66). Elle serait pratiquement exigée en droit français (P. Mayer et V. Heuzé, Droit international privé, Paris, L.G.D.J., 2014, n° 1090, présentant la France comme pays de siège statutaire, toutefois dans les limites de ce que permet la théorie de la fraude à la loi, laquelle expliquerait cette référence au siège réel).
      [68] Selon l'exposé des motifs, une adresse devrait toujours être mentionnée dans l'acte constitutif et dans la Banque-Carrefour des Entreprises.
      [69] Arrêt Gebhard du 30 novembre 1995, C-55/94, EU:C:1995:411.
      [70] Loi suisse du 18 décembre 1987 sur le droit international privé, art. 154.2 (Rev. crit. dr. intern. privé, 1988, 438); Wet conflictenrecht corporaties 1997 (infra, note 130).
      [71] Réunion de Milan, 2016, www.gedip-egpil.eu/gedip_documents.html. En complément d'une règle principale désignant « the law of the country under which it has been incorporated or, if it is an unincorporated entity, under which it has been formed » (art. 3), une règle subsidiaire se réfère à « the law of the country within the territory of which its central administration is located at the moment of formation of the company. However, if the company is manifestly more closely connected with the law of another country, that law will apply » (art. 4). Voy. aussi dans un sens analogue, la règle « résiduelle » préconisée au terme d'un examen de droit comparé par C. Gerner-Beuerte, F. Mucciarelli, E. Schuster et M. Siems (dirs.), Study on the Law Applicable to Companies pour le compte de la Commission européenne, 2016, p. 24, en faveur de « la loi du rattachement le plus étroit ».
      [72] Significativement, certains auteurs appuient la réforme au motif, notamment, qu'elle aurait pour objectif la sécurité juridique, de manière à ce qu'une société dont le siège statutaire est « ici » verrait son statut devant une autorité belge soumis au droit belge des sociétés: D. Bruloot, H. de Wulf et K. Maresceau, o.c., n° 12, prenant appui sur une société dont le siège est établi en Belgique.
      [73] Le facteur d'attractivité est évoqué largement dans le rapport de première lecture, où sont évoquées les interventions du ministre (p. 5), ainsi que de P. Callens (p. 315), M. de Lamotte (p. 19), M. Gerkens (p. 82 craignant une attractivité similaire étrangère, 246), O. Henry (pp. 33, 59, 292), K. Jadin (p. 38), Ph. Lambrechts (FEB, pp. 280, 282, 296, voyant un « élément de marketing »), W. Van der Donckt (p. 341).
      [74] Sur un risque d'exportation ou de délocalisation d'activités avec maintien de la nationalité belge, voy. dans le rapport de la première lecture: O. Henry (p. 34), M. Koocheki (FGTB, p. 240), évoquant le risque de délocalisation « exotique » pour bénéficier d'un choix illimité de formes étrangères de société afin de contrer la réduction du nombre de formes imposée par le nouveau CSA.
      [75] La version néerlandaise de la phrase est plus claire au regard de l'argument: elle évoque un droit belge des sociétés attractif « die […] een rol kan spelen om buitenlandse investeringen aan te trekken, door bij te dragen aan het behoud van de band tussen onze laatste belangrijke vennootshcappen en ons land » (c'est nous qui soulignons).
      [76] En retenant le critère du siège statutaire également lorsque celui-ci est à l'étranger, le CSA établirait la lex societatis au risque qu'une autorité de l'Etat de ce siège retienne, en vertu de son propre droit des conflits de lois, une autre lex societatis, via, par exemple, le critère du siège réel. Dans sa version actuelle, le Code de droit international privé cherche à éviter un tel résultat en utilisant la technique du renvoi, qui a égard à la règle de rattachement du pays dont le droit est désigné par le code (art. 110, al. 2).
      [77] Allusion probable à l'affaire Überseering (infra, n° 51).
      [78] L'argument est repris non sans approximation par le ministre dans la discussion devant la commission parlementaire (rapport de la première lecture, p. 50), en ce sens que « grâce à la doctrine du siège statutaire, il deviendra plus facile, pour les sociétés qui le souhaitent, d'établir leur siège en Belgique. [Et] bon nombre de grandes sociétés belges établissent leur production à l'étranger mais conservent leur quartier général en Belgique. Dans la doctrine du siège réel, ces sociétés ont beaucoup de mal à prouver qu'elles sont 'belges'. Ce sera dorénavant plus facile ». Pourtant, le cas évoqué illustre plutôt une société dont le siège réel est et reste en Belgique, et qui devrait n'avoir aucun mal à prouver sa « nationalité » puisque ce siège privilégie le « centre de direction » (art. 4 CODIP) …
      [79] Un cas type souvent présenté au détriment du critère du siège réel en termes de sécurité juridique et d'attentes légitimes des parties concernées est celui d'une entreprise que le développement progressif a conduite à produire un chiffre d'affaires principalement localisé dans divers pays étrangers (D. Bruloot, H. de Wulf et K. Maresceau, o.c., n° 67). Si l'argument vise l'absence de lien significatif entre ce siège et la lex societatis, il vaut également pour un siège statutaire localisé artificiellement à l'étranger (tel l'enregistrement électronique d'une « e-résidence » en conformité avec le droit étranger) lorsque la lex societatis ne prévoit aucune obligation de publicité - à moins que, en cas par exemple de création d'une succursale, le droit local exige, comme le fait le droit belge, le dépôt de l'acte constitutif (art. 2:23). A tout le moins, l'identification d'un centre de décisions ne devrait pas être moins commode pour les parties intéressées; et un tel centre comme concrétisation du siège réel permet précisément de cristalliser une localisation éclatée des activités.
      [80] Le critère du siège statutaire non plus n'échappe pas à un tel risque, lorsque le droit du for étranger connaît le critère du siège réel, voire un critère du siège statutaire autrement défini ou un critère d'incorporation indifférent au siège statutaire.
      [81] Cass., 8 février 1849, Assurances générales de Paris, Pas., 1849, I, p. 239; F. Rigaux et G. Zorbas, Les grands arrêts de la jurisprudence belge. Droit international privé, Larcier, 1981, p. 97.
      [82] En Belgique: loi du 14 mars 1855, sous une condition de réciprocité, supprimée par la loi du 18 mai 1873 (auteurs précités, p. 102).
      [83] Voy. le premier arrêt du 8 février 1849, précité, à propos de la faillite (alors qualifiée de question d'état) d'une société domiciliée (et constituée) en France. L'arrêt de Terwangne du 6 août 1852 (Pas., 1853, I, p. 155; F. Rigaux et G. Zorbas, o.c., p. 110) raisonne en termes de droit des gens, avant l'arrêt Tant du 12 avril 1888 (Pas., 1888, I, p. 186; F. Rigaux et G. Zorbas, o.c., p. 135) qui fonde un rattachement multilatéral sur l'art. 3 C. civ., après que l'arrêt Bigwood du 9 mars 1882 (Pas., 1882, I, p. 62; F. Rigaux et G. Zorbas, o.c., p. 129) avait inauguré cette méthode d'interprétation de l'art. 3 en matière de divorce, en retenant alors le critère de nationalité alors que l'arrêt Tant s'en tenait au critère du siège … Le même critère du siège réel apparaissait déjà dans les travaux préparatoires de la loi du 18 mai 1873 (F. Rigaux et M. Fallon, o.c., n° 16.11).
      [84] Voy. p. ex. dans la doctrine: Dicey, Morris et Collins, The conflict of laws, Londres, Sweet & Maxwell, 2011, p. 1336. Le facteur pertinent actuel est « the incorporation », lequel induit un « domicile » au Royaume-Uni. La fixité de l'incorporation implique l'impossibilité d'une re-incorporation à l'étranger (p. 1337). Le critère d'incorporation s'explique autant par une analogie avec le statut personnel d'une personne physique acquis à sa naissance (A. Anton, P. Beaumont et P. McEleavy, Private international law, Edimbourg, Green, 2011, n° 25.07) - approche que S. Rammeloo (Corporations in private international law, Oxford, OUP, 2001, p. 131) qualifie de « anthropomorphique » -, que par le concept d'une « création artificielle » par le fait de la loi (A. Briggs, Private international law in the English Courts, Oxford, OUP, 2014, n° 10.15). Le droit anglais ne semble pas connaître la notion de « siège statutaire » (« registered office »), sauf pour les besoins du droit de l'Union (Cheshire, North et Fawcett, Private international law, Londres, Butterworths, 2008, p. 211; voy. p. ex. art. 63, 2. du Règlement Bruxelles Ibis), mais bien celle de « residence », entendue comme lieu de « central management and control » (Dicey, Morris et Collins, o.c., p. 1335), p. ex. en matière fiscale.
      [85] Affirmation constante de la Cour de justice de l'Union depuis l'arrêt Daily Mail du 27 septembre 1988, 81/87, EU:C:1988:456.
      [86] En effet, alors même qu'une société serait régie par le droit national désigné en fonction d'un facteur de rattachement quelconque, encore un juge belge devrait-il tenir compte d'une convention internationale bénéficiant à « tout ressortissant » d'un Etat contractant dans le domaine matériel de cette convention, telle une convention de protection des investissements. Voy. p. ex., à propos d'une dispense de cautio judicatum solvi: Cass., 15 décembre 1994, Indra Cy., T.V.R., 1995, 411, note F. Petillion; R.C.J.B., 1997, 5, note J. Verhoeven. De même, si une société régie par le droit belge est « étrangère » en fonction de ce que prévoit le droit d'un Etat qualifié d'« ennemi » par une loi du for sur le séquestre de biens ennemis, cette nationalité étrangère pourra être retenue par un juge belge aux (seules) fins d'application de cette loi spéciale (F. Rigaux et M. Fallon, o.c., n° 5.59).
      [87] Voy. aussi, montrant cette distinction: P. Mayer et V. Heuzé, Droit international privé, Paris, L.G.D.J., 2014, nos 1106 et s.; V. Simonart, « L'application du droit belge aux sociétés constituées dans un autre Etat de la Communauté et, en particulier, aux Limited », Rev. prat. soc., 2008, pp. 111-206, nos 23-27, et n° 69, exposant la distinction opérée en Allemagne par le BGH en 2002 avant d'y renoncer pour les sociétés constituées en conformité avec le droit d'un Etat membre suite à l'arrêt Überseering de la Cour de justice. Dans la jurisprudence belge, voy.: Cass., 12 novembre 1935, Dewit, Pas., 1936, I, p. 48, renvoyant à la loi du « pays d'origine » comme celle qui « a présidé à la naissance et fixé l'étendue [des] droits » de l'association étrangère en cause. A propos d'une action introduite au nom d'un trust: Bruxelles, 9 septembre 2009, F.J.F., 2010, 346.
      [88] Les termes (« Les personnes morales qui ont leur siège statutaire à l'étranger peuvent exercer leurs activités, ester en justice en Belgique, et y établir une succursale ») consolident la disposition correspondante antérieure. Une telle disposition distingue bien reconnaissance et rattachement de la société.
      [89] Sur ce que l'art. 54 TFUE ne contient pas une règle de rattachement, voy. V. Simonart, o.c., n° 30. Voy., comme condition de déclenchement de la protection diplomatique en droit international, l'arrêt Nottebohm de la Cour internationale de justice (cité par F. Rigaux et M. Fallon, o.c., n° 5.58).
      [90] Voy. l'exposé des motifs, p. ex. pp. 13, 339 (supra, n° 37). Dans le rapport de la deuxième lecture, voy. p. ex. l'intervention critique de Y. Casier (p. 6): la « totale liberté de choix [donnera] désormais la liberté de choisir de ne plus se conformer aux dispositions impératives du droit belge des sociétés ». Voy. aussi, not., P. Mayer et V. Heuzé, n° 1089, y voyant « un système très libéral ».
      [91] Voy. not., en rapport avec le critère d'incorporation, S. Rammeloo, o.c. (note 85), p. 131.
      [92] Pour une synthèse récente, voy.: C. Kohler, « L'autonomie de la volonté en droit international privé: un principe universel entre libéralisme et étatisme », R.C.A.D.I., 2012, vol. 359, pp. 285-478. En matière familiale, le choix est laissé pratiquement entre les lois de nationalité et de résidence (divorce, aliments, régimes matrimoniaux, successions).
      [93] Voy. supra, n° 19, à propos de la BIBC. Aux yeux de la Cour de justice, le Règlement Rome I limite bien de facto la liberté de choix aux opérations du « commerce international » - mais non dans le contexte d'une procédure d'insolvabilité (arrêt Vinyls Italia du 8 juin 2017, C-54/16, EU:C:2017:433, § 45).
      [94] Voy. la typologie présentée par: R. Jafferali, « L'application du droit belge aux sociétés de droit étranger. Une esquisse des contours de la lex societatis », R.D.C., 2004, pp. 764-790; V. Simonart, o.c., nos 77 et s., n° 96.
      [95] Ces termes consolident l'ancienne disposition correspondante. Sur la qualification probable comme loi de police, voy. F. Rigaux et M. Fallon, o.c., n° 16.15.
      [96] Outre la responsabilité du gérant d'une succursale et celle des administrateurs (voy. infra, n° 68), il faut inclure probablement les dispositions relatives à la protection des parties prenantes, notamment en cas de transformation (voy. infra, n° 58), à la représentation des travailleurs (C.U.J.E., 18 juillet 2017, C-566/15, Erzberger / TUI, EU:C:2015:562). Quant aux règles sur les comptes annuels, elles semblent relever implicitement de la lex societatis selon le CSA (art. 3:1 implicite; art. 3:22 sur les comptes consolidés), sans négliger l'incidence possible de réglementations de nature fiscale (voy. les interrogations relatives à l'applicabilité des dispositions anti-fraude issues de la directive ATAD 2016/1164, N. Delvigne, M. Possoz et L. Vandenameele, « Immigration de sociétés en Belgique: avis de la CNC et nouvelles dispositions fiscales », Rev. prat. soc., 2018, pp. 679 et s.). De son côté, la loi du 18 septembre 2017 relative au blanchiment des capitaux et à la lutte contre le terrorisme limite l'obligation de notification de participation dans le capital de sociétés à celles « constituées en Belgique » (art. 74), ce qui vise traditionnellement celles dont le siège réel est en Belgique mais, selon le CSA, celles seulement y ayant leur siège statutaire!
      [97] Voy. en France, à propos de la RSE, la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordres, Rev. crit. dr. intern. privé, 2017, 299.
      [98] Pour une telle relativisation, au bénéfice du critère du siège statutaire, voy. récemment D. Bruloot, H. de Wulf et K. Maresceau, o.c., nos 59 et s. Comme le relèvent cependant ces auteurs, le degré de nécessité de l'application de lois de police est corrélé au degré d'efficacité relative de la mesure de protection au regard de l'objectif poursuivi.
      [99] Voy., en correctif d'une règle de rattachement consacrant le critère d'incorporation, les travaux du GEDIP, art. 10, et le rapport rédigé pour le compte de la Commission européenne en 2016, p. 25 (supra, note 71).
      [100] Dans le rapport de la première lecture, voy. p. ex. les interventions de: P. Callens (avocat, p. 315), O. Henry (pp. 33, 58, plus généralement à propos des garanties exigées en remplacement de la suppression du capital minimal, p. ex. l'établissement d'un plan financier).
      [101] Rapport de la première lecture, p. 67. Le ministre objecte également (p. 49) la présence suffisante de règles impératives de protection dans le CSA, mais sans préciser que celles-ci ne seront applicables qu'en fonction de la localisation du siège statutaire en tant qu'éléments de la lex societatis!
      [102] Rapport de la première lecture, intervention de O. Henry (p. 292).
      [103] En matière de fiscalité des sociétés: arrêt du 12 septembre 2006, C-196/04, Cadbury Schweppes, EU:C:2006:544; en matière de TVA: arrêt du 28 juin 2007, C-73/06, Planzer Luxembourg, EU:C:2007:397, avec une concrétisation affinée du critère du « siège de l'activité économique » renvoyant au centre de direction et au lieu d'exercice de l'administration centrale et distinguant facteurs de premier et de second rangs; en matière d'insolvabilité: arrêt du 2 mai 2006, C-341/04, Eurofood, EU:C:2006:281; en matière de détachement des travailleurs: arrêt du 10 février 2000, C-202/97, FTS, EU:C:2000:75. Comp. K. Lenaerts, « Le concept d'abus de droit dans la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne en matière de fiscalité directe », Mélanges Wathelet, Bruxelles, 2018, 825-851, p. 850: au départ de l'arrêt Cadbury Schweppes, constitue bien une pratique abusive, non certes toute optimisation fiscale par le choix du traitement fiscal le plus favorable au moyen de la localisation de l'établissement de l'entreprise, mais un montage purement artificiel « qui n'implique pas l'exercice d'une activité économique effective » dans l'Etat en cause.
      [104] Affaire de Bauffremont, Cass. civ. fr., 18 mars 1878, S., 1878, 1, 193.
      [105] M. Fallon et E.-J. Navez, o.c., pp. 363, 373 et 385. Dans le CODIP, voy. p. ex. le rattachement spécial à la loi de conclusion d'un acte, de l'incapacité fondée sur une restriction des pouvoirs de représentation (art. 111, § 2). Comp. dans un sens analogue, un rattachement à la loi de l'insolvabilité, de l'action du curateur contre le dirigeant de la société insolvable, à propos d'une société incorporée au Royaume-Uni alors que les activités étaient localisées en Allemagne, pays d'ouverture de la procédure: arrêt Kornhaas du 10 décembre 2015, C-594/14, R.D.C., 2016, 463, note H. De Wulf; Rev. prat. soc., 2016, 589, note A. Van Hoe. Le législateur belge en a pris acte en intégrant dans le Code de droit économique (art. XX.225 et s.) les règles matérielles correspondantes de responsabilité, pour que l'action soit portée devant le tribunal de l'insolvabilité.
      [106] Le critère du siège réel ne semble pas non plus préserver l'Etat de sociétés « dormantes » ayant négligé l'obligation de dépôt annuel des comptes. Le parquet général y verrait un « cauchemar » affectant un tiers des sociétés ayant leur siège à Bruxelles et générateur de coûts importants pour les services de la justice (L'écho, 12 septembre 2018, p. 6). L'introduction du critère du siège statutaire risque d'amplifier le phénomène en le légitimant tout en maintenant l'obligation de dépôt dès lors que la société serait régie par le droit belge. La même obligation affecterait la société incorporée à l'étranger mais disposant d'une succursale en Belgique.
      [107] Appelant à un correctif, voy. l'intervention du professeur Ph. Ernst (UAntwerpen), relatée dans le rapport de la première lecture, p. 336. Voy. encore le cas de « pseudo-succursale » relevé par V. Simonart, o.c., nos 31 et 48, où une société dont le siège statutaire est à l'étranger prétend ne créer en Belgique qu'une succursale, soumise aux seules obligations y afférentes, alors que cette implantation constituerait en réalité son établissement principal. Ce risque n'est pas absent avec le critère du siège réel car il reste à déceler cette pratique frauduleuse mais le voile une fois levé, l'application de la lex societatis basée sur le siège réel est assurée.
      [108] Pour une consolidation de plusieurs directives, voy. la directive (UE) n° 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 relative à certains aspects du droit des sociétés [version codifiée], J.O., 2017, L. 169.
      [109] Voy., au terme d'objections parlementaires à la théorie du siège statutaire, la réponse du ministre dans le rapport de la deuxième lecture (p. 6): l'introduction de cette théorie « est devenue inévitable en raison de la jurisprudence récente de la Cour européenne de justice, notamment dans l'affaire Polbud » (sur cet arrêt, voy. infra, nos 53 et 56).
      [110] L'imprécision de la terminologie évoquant une société « belge » et une société « active » rend difficile une appréciation de l'argument. Tout au plus, si une société ayant son siège réel en Belgique est envisagée qui investirait à l'étranger, le droit belge des sociétés lui resterait applicable sans lui refuser la qualité de belge.
      [111] Voy. infra, n° 61.
      [112] Pour un essai de classification de variables au regard des arrêts de première génération (jusqu'en 2008), voy. V. Simonart, o.c., nos 31-32, et son analyse, nos 57 et s., n'apercevant « rien […] qui interdirait […] d'appliquer la loi déterminée en fonction du siège réel aux sociétés visées par [l'article 54 TFUE] dans la mesure où elle n'implique aucune entrave [au droit d'établissement] » (n° 70), tout en concluant à « une théorie du siège réel amputée » car les conditions de constitution seraient ôtées du domaine de la lex societatis, résultat jugé « peu élégant » alors que le système de l'incorporation serait « plus simple » (n° 71).
      [113] En règle, les dispositions des règlements sur la détermination du droit national applicable sont d'application universelle, en matière de contrats, de quasi-délits, de divorce, d'aliments, de successions, de régimes matrimoniaux. Il en va cependant autrement des règles de conflit de lois sur les fusions (art. 118 et s. directive n° 2017/1132) et sur les transformations (art. 86c.4 proposition directive 2018, Doc. COM 2018, 241, Doc. COD 2018, 114), qui consolident d'ailleurs la jurisprudence de la Cour.
      [114] Au sens d'une pseudo-succursale entendu par V. Simonart, o.c. (supra, n° 46), à savoir l'établissement aux Pays-Bas/au Danemark du siège réel d'une personne morale incorporée au Royaume-Uni (arrêts Centros et Inspire Art, infra, n° 50) - à moins d'analyser l'opération comme une stratégie de mobilité sans transformation par transfert instantané, dès constitution, du siège réel (infra, n° 56).
      [115] Voy. les nuances infra, note 130.
      [116] Arrêt du 9 mars 1999, C-212/97, EU:C:1999:126, Rev. prat. soc., 2000, 42, note J.-P. Deguée.
      [117] Arrêt du 30 septembre 2003, C-167/01, EU:C:2003:512, R.D.C., 2004, 91, note H. de Wulf; T.R.V., 2006, 673, note C. Clottens.
      [118] Pour une appréciation bien pesée du siège réel sous cet angle, voy. D. Bruloot, H. de Wulf et K. Maresceau, o.c., n° 11.
      [119] A l'exception de l'affaire Kornhaas, concernant l'action du curateur allemand en remboursement de paiements effectués par le gérant qui avait omis de demander l'ouverture d'une procédure d'insolvabilité en cas d'insuffisance d'actifs, à propos d'une société incorporée au Royaume-Uni dont le siège réel était en Allemagne: après avoir rattaché la question au règlement sur l'insolvabilité, l'arrêt ajoute qu'une telle question relative à « l'activité de la société après sa constitution », précisément au comportement du gérant après constitution et non une responsabilité personnelle pour violation des règles sur le capital minimal, n'appartient pas au domaine de l'article 49 TFUE (arrêt du 10 décembre 2015, C-594/14, EU:C:2015:806, R.D.C., 2016, 463, note H. de Wulf; Rev. prat. soc., 2016, 589, note A. Van Hoe).
      [120] Arrêt du 5 novembre 2002, C-208/00, EU:C:2002:632, T.R.V., 2003, 521, note J. Meeusen.
      [121] Arrêt du 13 décembre 2005, C-411/03, EU:C:2005:762, J.T., 2006, 145, note T. Delvaux; R.D.C., 2006, 404, note J. Wouters.
      [122] Arrêt du 12 juillet 2012, C-378/10, EU:C:2012:440, Rev. prat. soc., 2013, 225, note E.-J. Navez.
      [123] Arrêt du 27 septembre 1988, n° 81/87, EU:C:1988:456.
      [124] Arrêt du 16 décembre 2008, C-210/06, EU:C:2008:723, R.D.C., 2009, 569, note K. Maresceau.
      [125] Loi du 31 mai 1995 sur le droit international privé, art. 25: application de la loi italienne sur base de la localisation du centre de décisions ou des activités principales.
      [126] Arrêt du 25 octobre 2017, C-106/16, EU:C:2017:804.
      [127] Techniquement, on peut hésiter sur l'utilisation ici du mécanisme du renvoi ou, plutôt, de celui de la règle de conflit de systèmes. Sur cette notion voy.: M. Fallon et E.-J. Navez, o.c. (note 61), p. 361. Pour une analyse en finesse de l'arrêt, voy. J. Meeusen, « Freedom of establishment, conflict of laws and the transfer of a company's registered office: towards full cross-border corporate mobility in the internal market? », J. Pr. Int. L., 2017, pp. 294-323.
      [128] En l'espèce, ils avaient prétendu devant la Cour l'avoir fait mais celle-ci a expressément indiqué s'en tenir à la formulation de la question préjudicielle, qui ne faisait état d'aucun transfert envisagé initialement.
      [129] Voy. supra, n° 31. Selon V. Simonart, o.c., n° 38, cette rigidité s'observe au vrai dans « la plupart des Etats membres ».
      [130] Il est à noter que l'affaire pouvait intéresser un cas de transformation (par changement de loi applicable) si les Pays-Bas, pays traditionnel de siège réel, ne connaissaient pas encore la doctrine du siège statutaire. Sur cette évolution « ambiguë », voy. S. Rammeloo, o.c. (note 85), pp. 96 et s. Le critère du siège statutaire paraît bien y être utilisé désormais par la jurisprudence, comme par la wet conflictenrecht corporaties du 17 décembre 1997, dont l'art. 2 désigne le droit de l'Etat en vertu duquel la société a été constituée et sur le territoire duquel elle a son « siège » ou à défaut, « haar centrum van optreden naar buiten » au moment de sa constitution.
      [131] Arrêt du 29 novembre 2011, C-371/10, EU:C:2011:785.
      [132] Arrêt du 14 septembre 2017, C-646/15, EU:C:2017:682.
      [133] L'arrêt Überseering (supra, n° 51) relatif à une règle allemande sur la reconnaissance (capacité d'ester) de la personnalité étrangère, vise plutôt une règle de procédure internationale et induit un principe de reconnaissance mutuelle de l'existence d'une personnalité juridique.
      [134] Parmi les auteurs constatant une forme de neutralité du droit primaire sans nier toute incidence sur les questions d'existence ou de capacité, voy. not. les références citées in M. Fallon, « Du COMI à l'incorporation: libres propos sur le rattachement des sociétés », Rev. prat. soc., 2017, p. 166, note 35.
      [135] V. Simonart (o.c., n° 60) réfute que, pour autant, « l'existence d'un abus [soit] devenue théorique », notamment parce que la Cour a admis des mesures « pour prévenir des montages purement artificiels », renvoyant à l'arrêt Cadbury Schweppes du 12 septembre 2006, C-196/04, EU:C:2006:544 (n° 60). Voy. aussi son intervention relatée dans le rapport de la deuxième lecture, p. 20, renvoyant aux récentes propositions de la Commission dans le Company Law Package (infra, n° 67).
      [136] Le rapport de la première lecture relate, notamment, les interventions de M. Almaci (p. 35, doutant que la jurisprudence européenne impose un « changement de cap aussi radical » que le critère du siège statutaire, au vu des abus auxquels son utilisation peut donner lieu), F. Cosaert (syndicat, p. 240, relatant l'affaire d'optimisation fiscale Fortum en Belgique et le nombre important de sociétés boîtes aux lettres aux Pays-Bas - aussi relayé par d'autres, pp. 34, 100 -, notamment par la localisation d'hommes de paille, ainsi que les correctifs envisagés dans ce pays, telle l'obligation de localiser une masse salariale minimale et un établissement durable), Ph. Ernst (UAntwerpen, p. 336); et la réponse du ministre, évoquant « la possibilité de prévoir, pour les sociétés de pays tiers - dont un certain nombre de « pays suspects » - des clauses anti-abus plus strictes » (p. 49).
      [137] J. Borg-Barthet, « A new approach to the governing law of companies in the EU: A legislative proposal », Journ. Pr. Int. L., 2010, pp. 589-622; A. Fink et K. Maresceau, « Mobilité transfrontalière des sociétés et concurrence réglementaire au niveau du droit des sociétés », Rev. prat. soc., 2014, pp. 204-205, évoquant en particulier le cas des Etats-Unis où la compétence législative des Etats fédérés se limite aux relations internes, les relations externes restant exposées aux dispositions impératives du niveau fédéral (de même, S. Symeonides, Choice of law, Oxford University Press, 2016, p. 87: « the principal place of business » régit ce qui excède les relations internes, et constitue un chef de compétence alternatif aux côtés du critère d'incorporation); GEDIP, o.c. (notes 71 et 99), retenant l'applicabilité de lois de police de l'Etat du lieu de l'administration centrale; C. Gerner-Beuerle et al., o.c. (notes 71 et 101); R. Jafferali, o.c.; P. Kindler, « L'amministrazione centrale come criterio di collegamento del diritto internazionale privato delle società », Rev. dir. int. priv. proc., 2015, pp. 897-920. Voy. de même dans les pays d'incorporation, confrontés à un accroissement d'entrées/sorties de sociétés « pro-forma »: aux Pays-Bas, le Pro-Forma Foreign Companies Act 1998, au centre de l'affaire Inspire Art portée devant la Cour de justice. Ces pays connaissent des outils pour faire face à des situations artificielles (S. Rammeloo, o.c., p. 139): au Royaume-Uni, le Companies Act 1985 exige d'une société étrangère ayant une « place of business » locale de procéder à un enregistrement, avec une adresse locale (équivalent de l'art. 2:23 du projet CSA); et les juridictions britanniques peuvent connaître de la dissolution d'une société solvable du fait de la localisation d'activités au Royaume-Uni (ibid., 140-141). Inversement, elles peuvent exercer l'exception de forum non conveniens à propos d'une société enregistrée au Royaume-Uni mais exerçant ses activités dans un Etat non membre de l'Union (Cheshire, North et Fawcett, o.c., p. 211).
      [138] D. Bruloot, H. de Wulf et K. Maresceau, o.c., nos 58-59. De même, la réponse du ministre dans le rapport de la première lecture, p. 49, estimant que « des garanties ont été inscrites dans la législation en vue de neutraliser les éventuels effets indésirables de l'application de la doctrine du siège statutaire vis-à-vis des créanciers de la société ». Cet argument semble porter à faux s'il signifie que le contenu du CSA suffit à assurer la protection des créanciers car, dans le contexte de la doctrine du siège statutaire, le CSA en tant que lex societatis ne serait applicable qu'en vertu d'un choix de facto du droit belge, à moins d'ériger précisément ces règles impératives en lois de police, un exercice inutile dans le contexte de la doctrine du siège réel.
      [139] Rapport de la deuxième lecture, réponse du ministre, p. 6.
      [140] Voy. supra, n° 50. L'affaire Centros est vue généralement sous l'angle d'une entrave à la constitution, effectivement invoquée en l'espèce, du fait que la localisation du siège réel aux Pays-Bas était concomitante à la constitution de la société. Pourtant, malgré l'absence d'un écoulement du temps entre le moment de la constitution dans un Etat d'incorporation et celui de la localisation du siège réel dans un autre Etat supposé de siège statutaire, le processus pourrait aussi être vu comme affectant une forme de transfert de siège (ici sans transformation): en effet, à supposer que, au moment de l'attribution de la personnalité morale lors de la constitution du siège statutaire, un siège soit indiqué dans l'acte constitutif, la présence d'un autre siège dans l'Etat d'accueil dès le premier instant qui suit la constitution par enregistrement pourrait constituer une forme de transfert.
      [141] En fait, un conflit entre deux pays de siège réel. Dans sa formulation neutre, la Cour évoque l'exigence de conformité de l'opération de transformation à la législation de l'Etat membre d'accueil « en particulier au critère retenu par ce dernier aux fins du rattachement d'une société à son ordre juridique national » (pt. 33), du fait que « la définition du lien de rattachement déterminant le droit national applicable à une société relève […] de la compétence de chaque Etat membre » (pt. 35).
      [142] Voy. p. ex.: O. De Schutter et S. Francq, « La proposition de directive relative aux services dans le marché intérieur: reconnaissance mutuelle, harmonisation et conflits de lois dans l'Europe élargie », C.D.E., 2005, pp. 603-660; V. Hatzopoulos, Le principe communautaire d'équivalence et de reconnaissance mutuelle dans la libre prestation de services, Bruxelles, Bruylant, 1999. Pour une présentation générale, voy. M. Fallon, Droit matériel général de l'Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2005, p. 150.
      [143] P. ex., l'arrêt Überseering en 2002. Le concept est encore présent dans l'arrêt AGET Iraklis du 21 décembre 2016, C-201/15, EU:C:2016:972, à l'occasion d'une procédure nationale de licenciement collectif.
      [144] Pour une analyse nuancée voyant la Cour privilégier des activités économiques transfrontières réelles plutôt qu'un choix absolu de la loi applicable, voy. J. Meeusen, « Freedom of establishment, conflict of laws and the transfer of company's registered office: towards full cross-border corporate mobility in the internal market? », J. Priv. Int. L., 2018, pp. 294-323, spéc. p. 317.
      [145] En effet, les fondateurs avaient exercé le droit d'établissement par constitution de personnes morales dans un Etat membre d'incorporation (Royaume-Uni) sans la condition d'une infrastructure stable et durable traduisant une participation effective aux activités économiques locales, élément de définition de l'établissement au sens de l'art. 49 TFUE, encore rappelé par l'avocat général Kokott dans l'affaire Polbud. Au vrai, la question portait formellement sur le droit pour la société ainsi constituée de créer un établissement au Danemark/aux Pays-Bas, lequel remplissait par hypothèse la condition d'un établissement effectif. Mais en validant la faculté pour les fondateurs de constituer leur société par un libre choix de la loi la plus favorable, la Cour consacrait aussi implicitement la possibilité d'éluder cette condition d'effectivité. Il est resté incertain si l'arrêt Centros a consacré une notion de droit d'établissement primaire par la localisation au Danemark, dès constitution, du seul établissement de la société en cause, ou s'il s'agissait d'un établissement secondaire au sens de l'art. 49 en créant en somme une pseudo-succursale. Sur cette anomalie, voy. M. Fallon et E.-J. Navez, o.c. (note 61), pp. 354 et s., y distinguant encore une notion d'établissement « originaire » sous l'angle de la faculté de constituer la société au Royaume-Uni.
      [146] Pour un constat de neutralité du droit des entraves lors des travaux parlementaires, voy. le rapport de la première lecture relatant les interventions de O. Henry (p. 33), du ministre (p. 49), de M. Koocheki (syndicat, p. 241), et, en deuxième lecture, de Y. Casier (p. 6). Dans la doctrine, voy. not. V. Simonart, o.c., n° 65.
      [147] L'argument d'asymétrie est résumé par le ministre selon le rapport de la première lecture (pp. 12 et 49), par une comparaison entre une société constituée dans un Etat membre de siège statutaire pouvant transférer son siège réel en Belgique « sans changer de nationalité », et une société constituée en Belgique pays de siège réel mais ne pouvant transférer ce siège qu'en devant « changer de nationalité ». Au vrai, le premier transfert devrait encore respecter les conditions du droit de l'Etat d'accueil (arrêt Polbud), et, si celui-ci est un Etat de siège réel, il changerait de nationalité, si c'est un Etat de siège statutaire. Il reste à vérifier si un Etat d'incorporation facilite réellement une « reincorporation » (supra, note 84).
      [148] De même en Allemagne, pays de siège réel, la jurisprudence a tiré de l'enseignement de l'arrêt Überseering un critère d'incorporation, mais pour les seules situations entrant dans le domaine du droit d'établissement, à savoir les sociétés visées par l'art. 54 TFUE (BGH, 27 octobre 2008, N.J.W., 2009, 289, rapporté par P. Kindler, o.c. (note 137), p. 912; D. Bruloot, H. de Wulf et K. Maresceau, o.c., n° 12).
      [149] Conclusions de l'avocat général La Pergola précédant l'arrêt Centros, pt. 12; décision du Conseil du 18 décembre 1961, J.O., 1962, 2, p. 36. La directive générale sur les services (directive n° 2006/123 du 12 décembre 2006, J.O., 2006, L. 376) ne couvre, au titre de la liberté d'établissement, qu'une personne morale visée à l'art. 54 TFUE « et établie » dans un Etat membre (art. 4, 2.). Dans la jurisprudence, voy. not. les arrêts Scheunemann du 19 juillet 2012, C-31/11, EU:C:2012:481 et SECIL du 24 novembre 2016, C-464/14, EU:C:2016:896. Un tel concept est repris parmi les conditions posées par la règle de compétence judiciaire introduite par l'amendement 286 (infra, n° 68). Un Brexit dur pourrait exacerber une telle inquiétude.
      [150] Rapport de la première lecture, pp. 21 (Ph. Ernst,UAntwerpen), 34 (O. Henry), 35 (M. Almacy), 63 (V. Simonart (ULB), 241 (syndicat); en deuxième lecture, Y. Casier (p. 6).
      [151] Rapport de la première lecture, pp. 49, 67, 70; rapport de la deuxième lecture, p. 109. Sur cet amendement, voy. infra, n° 68.
      [152] Sur l'(in)applicabilité de l'art. 54 TFUE aux associations, voy. V. Simonart, o.c., n° 68, ainsi que les précisions de l'arrêt Trustees Panayi du 14 septembre 2017, C-646/15, EU:C:2017:682. Sur la relation entre le critère du siège statutaire et la « flexibilisation et libéralisation du droit belge des sociétés », voy. l'intervention de Y. Casier (rapport de la deuxième lecture, p. 6).
      [153] Voy. l'art. 4, § 3, CODIP. Non sans paradoxe, le projet maintient ce critère dans l'art. 109 CODIP suite à l'adoption de l'amendement 286 (infra, n° 68). Dans la jurisprudence, voy.: Cass., 16 novembre 2015, Agency Global Management to the Environment, Pas., 2015, I, p. 2600, justifiant le juge d'appel d'avoir motivé à suffisance l'application de la loi belge à une société constituée au Delaware dont la direction et les affaires se localisaient en Belgique; Comm. Hasselt, 10 novembre 2004, T.R.V., 2005, 172, note S. Callens et H. Matthysen, soumettant la liquidation judiciaire à la loi de localisation de la direction effective au moment de l'action; Anvers, 17 juin 2003, J.P.A., 2003, 123, retenant le lieu de direction ou de réunion du conseil d'administration de préférence au centre des activités, avec une présomption en faveur du siège statutaire, pour une société constituée au Panama mais dirigée en Suisse (la Cour faisant ensuite application de la méthode du renvoi du droit suisse vers le droit panaméen); Liège, 27 mars 2001, R.D.C., 2003, 144, note N. Watté et V. Marquette, retenant le lieu de l'établissement principal. Pour le cas d'une société constituée au Liberia et qualifiée de fictive, voy.: Anvers, 1er février 1994, T.R.V., 1996, 64; contra, pour une société constituée à Gibraltar, Bruxelles, 9 avril 1998, Rev. not. belge, 1999, 241.
      [154] Ce terme apparaît, en matière d'imposition des sociétés, au considérant 27 de la directive (UE) n° 2017/952 du Conseil du 29 mai 2017 modifiant la directive (UE) n° 2016/1164 en ce qui concerne les dispositifs hybrides faisant intervenir des pays tiers, J.O., 2017, L. 144.
      [155] Texte accessible à l'adresse www.aei.pitt.edu/35337/1/A145.pdf. La Belgique avait approuvé la convention (loi du 17 juillet 1970, M.B., 18 juin 1971).
      [156] Les fusions sont soumises à l'application cumulative des lois régissant les sociétés en cause (directive n° 2017/1132, art. 121). Pour la transformation transfrontalière, voy. le Company Law Package (Doc. COM 2018, 241, Doc. COD 2018, 114, art. 86c.4 proposition directive), prévoyant l'application successive de la loi de l'Etat de sortie et de la loi de l'Etat d'entrée. De telles dispositions prennent soin de ne pas identifier de facteur de rattachement mais se contentent d'établir une structure de rattachement, exigeant le respect des lois des Etats concernés par l'opération.
      [157] Voy. p. ex. la directive n° 2007/36 (modifiée par n° 2017/828) relative aux droits des actionnaires des sociétés cotées.
      [158] Proposition de directive relative aux sociétés unipersonnelles à responsabilité limitée du 9 avril 2014, Doc. COM 2014, 212, Doc. COD 2014/0120, et l'avis critique du CES, J.O., 2014, C. 458/19.
      [159] Directive de refonte n° 2017/1132 relative à certains aspects du droit des sociétés, intéressant notamment la constitution des sociétés anonymes et la protection des associés et des tiers.
      [160] Pour les formes européennes de sociétés, voy. p. ex.: le règlement n° 2157/2001 sur la SE, art. 3 et 7. En matière d'insolvabilité, voy. le règlement n° 2015/848, art. 3, 1. et 7, et la jurisprudence de la Cour in M. Fallon, « Du COMI à l'incorporation: libres propos sur le rattachement des sociétés », Rev. prat. soc., 2017, pp. 159-173, depuis l'arrêt Eurofood du 2 mai 2006, C-341/04, EU:C:2006:281 permettant de neutraliser un siège statutaire non lié à une activité économique locale.
      [161] Comp. aussi en ce sens la définition de l'établissement principal comme facteur de rattachement contractuel et non contractuel par les Règlements Rome I (art. 19) et Rome II (art. 23). La présence de ce critère dans le droit dérivé affectant le droit des sociétés est également exploitée en faveur de ce critère pour la détermination de la lex societatis par P. Kindler, o.c. (note 141).
      [162] Le critère coïncide ainsi avec celui qui domine en matière fiscale, notamment dans la directive 2016/1164 sur les pratiques d'évasion fiscale (ATAD). La politique suivie en la matière est vue comme un « facteur de résilience du marché intérieur » (§ 27 préambule directive modificatrice n° 2017/952).
      [163] Directive n° 2013/36, art. 13, 2., et § 16 du préambule. Une telle entrave à la liberté d'établissement fondée sur des exigences de contrôle prudentiel peut trouver à se justifier par une raison impérieuse d'intérêt général (V. Simonart, o.c., note 162 avec références).
      [164] Règlement n° 1008/2008 du 24 septembre 2008 établissant des règles communes pour l'exploitation de services aériens dans la Communauté (refonte), J.O., 2008, L. 293, art. 4, a. A ce critère s'ajoute cumulativement celui de la détention à plus de 50% et de contrôle effectif par des ressortissants d'Etats membres (point f).
      [165] Directive n° 2010/113 du 10 mars 2010 sur les services de médias audiovisuels (refonte), J.O., 2010, L. 95, art. 2, 3.
      [166] Un renvoi vers l'art. 49 TFUE est fait si l'établissement au sens de la directive ne peut être localisé. Pour la clause anti-abus, voy. art. 4, 3., b).
      [167] Directive n° 2000/31 du 8 juin 2000 sur le commerce électronique, J.O., 2000, L. 178, § 19 du préambule; règlement général n° 2016/679 du 27 avril 2016 sur la protection des données, J.O., 2016, L. 119, § 22 du préambule.
      [168] Arrêt Weltimmo du 1er octobre 2015, C-230/14, EU:C:2015:639, pts. 29 et 31 (relatif à la directive n° 95/46 avant refonte par le règlement n° 2016/679).
      [169] Voy. p. ex. outre les directives n° 2010/113 et n° 2013/36, les directives n° 2014/65, § 23, n° 2015/848, § 29. Voy. aussi le Company Law Package 2018 (Doc. COM 2018.241; COD 2018/114) sur la mobilité des sociétés: après un rappel de l'arrêt Polbud, l'exposé des motifs relate la position de « plusieurs autorités nationales » se disant affectées par la problématique du siège et disposées à n'admettre une transformation que si les sociétés « move their real seat for genuine purposes » au lieu de « conclude transfers of letterbox companies for fraudulent purposes » (exposé des motifs de la proposition directive, p. 18).
      [170] Par ailleurs, le préambule de la proposition de directive confirme l'obligation pour l'entreprise de respecter l'exigence éventuelle de l'Etat de destination d'y localiser son siège réel (§ 8). Il précise également l'importance d'un contrôle ex ante, y compris pour la vérification de l'absence d'abus de droit (§ 9), malgré une jurisprudence favorable à un contrôle ex post.
      [171] Arrêt Kotnik du 19 juillet 2016, C-526/14, EU:C:2016:767.
      [172] Arrêt précité, note 11.
      [173] Art. 116 et s. CODIP et règlement n° 1346/2000 remplacé par le règlement n° 2015/848, art. 3.
      [174] Exposé des motifs, p. 342.
      [175] Art. 2:149 projet CSA, supra, n° 45. Comp. en droit suisse, comme chef complémentaire de compétence, le lieu du domicile ou à défaut, de la résidence habituelle du défendeur, pour une action « contre un sociétaire ou une autre personne responsable en vertu du droit des sociétés » (art. 151.2 de la loi du 18 décembre 1987, Rev. crit. dr. intern. privé, 1988, 437).
      [176] Le for exclusif en matière de droit des sociétés concerne seulement une question principale portant sur cette matière, non une question incidente: celle-ci relève alors du chef de compétence prévalant pour l'action principale, tel le for contractuel (infra, note 183; arrêt Berliner Verkehrsbetriebe du 12 mai 2011, C-144/10, EU:C:2011:300, à propos d'un litige concernant l'exécution d'un contrat portant sur des produits dérivés conclu entre une banque et un investisseur, celui-ci prétendant que l'organe ayant conclu le contrat avait agi ultra vires). Il peut en aller de même pour le juge des mesures provisoires, compétent si celui-ci est appelé à statuer comme le fera le juge compétent au fond (arrêt Solvay du 12 juillet 2012, C-616/10, R.D.C., 2013, 425, note P. Torremans).
      [177] Amendement n° 286 de M. Verherstraeten et consorts, Doc. parl., Chambre, n° 54-3119/008, p. 144. Selon le ministre, la disposition répond bien aux objections émises et permettrait de « prévenir tout recours abusif à des structures de société établies en dehors de l'UE » (rapport de la deuxième lecture, p. 15).
      [178] Sur la présentation de ce régime, voy. l'exposé des motifs, pp. 59 et s.
      [179] Pour un inventaire des cas de responsabilité d'un administrateur avec propositions de qualification, voy. en particulier R. Jafferali, o.c., nos 48 et s., et un exposé de la question par V. Simonart, o.c., n° 97. Quant au Règlement Rome II, il n'exclut, en matière de responsabilité en lien avec le droit des sociétés, que « la responsabilité personnelle des associés ou des organes pour les dettes de la société » (art. 1, 2., d)).
      [180] Voy. l'expression d'un souci de protection des parties prenantes dans l'art. 2:23.1, al. 2, CSA, sur la diffusion d'informations par une société étrangère disposant d'une succursale: le dossier doit permettre au tiers de savoir si « les associés ou actionnaires ont une responsabilité illimitée ou non. Il doit aussi permettre à tout intéressé de mettre en cause la responsabilité des personnes qui ont le pouvoir de représenter la personne morale ». Ceci donne à penser que le tiers, une fois informé, doit s'attendre à ce que le régime de responsabilité soit régi par la lex societatis de la société étrangère.
      [181] F. Rigaux et M. Fallon, o.c., n° 16.24. Pour V. Simonart, o.c., n° 75, les critères de l'art. 109 joueraient plutôt de manière alternative. S'agissant du « domicile » d'une personne morale, qui intervient comme critère général de compétence (art. 4 ou dans l'art. 7), le règlement ne renvoie pas au droit national mais reproduit les trois critères attributifs de nationalité de l'article 54 TFUE, à savoir le siège statutaire (« registered office » au Royaume-Uni, en Irlande et à Chypre), l'administration centrale ou le principal établissement: par conséquent, une action contractuelle par exemple pourrait encore être portée en Belgique contre une société dont le siège statutaire est à l'étranger, sur base de la localisation de l'administration centrale.
      [182] Voy. p. ex.: C.J.U.E., 7 mars 2018, C-560/16, E.ON Czech Holding, EU:C:2018:167.
      [183] S'agissant de la décision d'un organe, la compétence exclusive porte uniquement sur une contestation de sa validité, non toute contestation issue de la décision, telle une action contractuelle ou quasi délictuelle (arrêt Hassett du 2 octobre 2008, C-372/07, EU:C:2008:534; arrêt flyLAL du 23 octobre 2014, C-302/13, EU:C:2014:2319). Néanmoins, selon l'arrêt E.ON Czech Holding précité, il en va autrement d'un litige portant sur la compensation due à un actionnaire minoritaire suite au rachat d'actions par un actionnaire majoritaire: le juge le mieux placé en termes de « proximité matérielle et juridique » est celui de l'art. 24 en tant que « juge du territoire sur lequel la société est établie » (sic § 43), dès lors que les « formalités de publicité de la société » sont localisées dans cet Etat, que les actes et formalités ont été accomplis conformément à la lex societatis et que le juge compétent selon l'art. 24 « devra appliquer le droit matériel » de cet Etat. Sur le cas d'une question incidente, voy. l'arrêt Berliner Verkehrsbetriebe, précité, note 176).
      [184] Pour d'autres chefs de compétence en d'autres matières où une société serait assignée, tel le for général du domicile du défendeur (art. 4) ou les fors spéciaux de l'art. 7 (matières contractuelle, quasi délictuelle, activité d'une succursale) qui ne jouent qu'à l'égard d'un défendeur domicilié dans l'Union, le domicile d'une personne morale se définit de manière autonome et alternative, comme visant le lieu, soit du siège statutaire, soit de l'administration centrale, soit de l'établissement principal (art. 63, 1.).
      [185] Jurisprudence initiée par l'arrêt Mines de Potasse d'Alsace du 30 novembre 1976, n° 21/76, EU:C:1976:166.
      [186] Une telle éventualité avait été envisagée aux cours des travaux parlementaires relatifs au Codip mais semble avoir été abandonnée en raison du degré d'incertitude entourant alors la jurisprudence européenne, outre la clause de priorité de l'art. 2 CODIP (Doc. parl., Sénat, 2003-2004, n° 327/7, rapport de MMe. Nyssens et Willems, pp. 195 et s.).
      [187] Amendement n° 331 (M. de Lamotte), Doc. parl., Chambre, n° 54-3119/008, p. 190.