Article

Conseil d'Etat, 16/11/2018, n° 242.960, R.D.C.-T.B.H., 2019/9, p. 1079-1085

Conseil d'Etat 16 novembre 2018

ASSURANCES
Contrat d'assurance terrestre - Assurances de personnes - Assurance hospitalisation - Autorité de contrôle - Secret professionnel - Article 35 loi du 22 février 1998 fixant le statut organique de la Banque Nationale de Belgique - Article 64 directive européenne n° 2009/138/CE (Solvabilité II)
La décision de la Banque nationale de Belgique refusant de donner accès à la décision et aux données chiffrées y relatives par laquelle la Banque nationale a autorisé deux compagnies d'assurance à augmenter les primes de leurs assurances en matière d'hospitalisation est annulée.
Au regard de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et du droit belge, le secret professionnel dont se prévaut la Banque nationale pour refuser cet accès ne peut être invoqué de manière automatique et il lui appartient de motiver concrètement les raisons pour lesquelles les documents concernés sont effectivement couverts par ledit secret.
VERZEKERINGEN
Landverzekeringsovereenkomst - Persoonsverzekering - Hospitalisatieverzekering - Toezichthouder - Beroepsgeheim - Artikel 35 wet 22 februari 1998 tot vaststelling van het organiek statuut van de Nationale Bank van België - Artikel 64 richtlijn nr. 2009/138/EG (Solvabiliteit II)
De beslissing van de Nationale Bank van België houdende de weigering om toegang te verlenen tot de beslissing en de daarmee verband houdende cijfergegevens waarbij de Nationale Bank twee verzekeringsondernemingen de toestemming heeft gegeven om de premies van hun hospitalisatieverzekeringen te verhogen is vernietigd.
In het licht van de rechtspraak van het Hof van Justitie van de Europese Unie en van het Belgisch recht kan het beroepsgeheim waarop de Nationale Bank steunt om die toegang te weigeren niet automatisch worden aangevoerd en dient de Bank in concreto te motiveren om welke redenen de documenten in kwestie onder dat beroepsgeheim vallen.

ASBL Association belge des consommateurs Test-Achats / Gouverneur de la Banque nationale de Belgique et SA Banque Nationale de Belgique; Partie intervenante: SA DKV Belgium

Siég.: P. Vandernacht (président), D. Déom, M. Joassart (conseillers)
Auditeur: L. Donnay
Pl.: Mes F. Krenc et A. Wirthen, M. Ruys, D. Vuletic et J. Debièvre, M. Abbas Khayli
Affaire: N° 242.960
I. Objet de la requête

Par une requête introduite le 14 novembre 2015, l'ASBL Association belge des consommateurs Test-Achats demande l'annulation de « la décision du gouverneur de la Banque nationale de Belgique du 15 septembre 2015 refusant à la partie requérante l'accès à la décision motivée et au détail des données chiffrées ayant présidé aux décisions de la Banque d'autoriser la SA DKV et la SA AXA à augmenter leurs primes ».

II. Procédure

Par une requête introduite le 1er juin 2017, la SA DKV Belgium demande à être reçue en qualité de partie intervenante.

Cette intervention a été accueillie provisoirement par une ordonnance du 11 juillet 2017.

Les mémoires en réponse, en réplique et en intervention ont été régulièrement échangés.

M. Luc Donnay, auditeur au Conseil d'Etat, a rédigé un rapport sur la base de l'article 12 du règlement général de procédure.

Le rapport a été notifié aux parties.

Les parties ont déposé un dernier mémoire.

Par une ordonnance du 3 octobre 2018, l'affaire a été fixée à l'audience du 13 novembre 2018.

Mme Pascale Vandernacht, président de chambre, a exposé son rapport.

Me Frédéric Krenc, avocat, comparaissant pour la partie requérante, Mes Aube Wirtgen et Marie Ruys, avocats, comparaissant pour la partie adverse et Me Mehdy Abbas Khayli, avocat, comparaissant pour la partie intervenante, ont été entendus en leurs observations.

M. Luc Donnay, auditeur, a été entendu en son avis conforme.

Il est fait application des dispositions relatives à l'emploi des langues, inscrites au Titre VI, Chapitre II, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973.

III. Faits

1. Par un courrier du 12 février 2015, la partie requérante sollicite de la Banque nationale de Belgique la communication de la décision par laquelle celle-ci aurait autorisé la SA DKV et la SA AXA à augmenter les primes de leurs assurances hospitalisation. Elle souhaite ainsi obtenir une copie de « la décision motivée et le détail des données chiffrées ayant présidé à cette décision ».

2. Par un courrier du 3 mars 2015, la partie requérante réitère sa demande.

3. Par un courrier du 10 mars 2015, le gouverneur de la Banque nationale « confirme que la Banque a autorisé, conformément à l'article 21octies, § 2, de la loi du 9 juillet 1975 relative au contrôle des entreprises d'assurances, une augmentation tarifaire de DKV Belgium SA et AXA Belgium SA respectivement de 0% à 5,73% pour DKV et de 20% limitée à 400 EUR par an pour AXA ».

Il n'accède toutefois pas à la demande de communication au motif que la loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l'administration prévoit, en son article 6, § 2, 2°, une exception à la publicité lorsque la publication du document administratif porte atteinte à une obligation de secret instaurée par la loi. A son estime, constitue une telle norme l'article 35, alinéa 1er, de la loi du 22 février 1998 fixant le statut organique de la Banque nationale de Belgique en ce qu'il dispose que « la Banque et les membres et anciens membres de ses organes et de son personnel sont tenus au secret professionnel et ne peuvent divulguer à quelque personne ou autorité que ce soit les informations confidentielles dont ils ont eu connaissance en raison de leurs fonctions ».

4. Par un courrier du 6 août 2015, la partie requérante introduit auprès de la Banque nationale une demande de reconsidération au sens de l'article 8, § 2, de la loi du 11 avril 1994, précitée, et saisit simultanément d'une demande d'avis la commission (fédérale) d'accès aux documents administratif.

5. Par son avis n° 2015-64, donné le 7 septembre 2015 mais communiqué le 22 septembre suivant, la section « Publicité de l'administration » de la Commission d'accès aux et de réutilisation des documents administratifs conclut, en ces termes, au bien-fondé de la demande:

« L'article 32 de la Constitution et la loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l'administration adhèrent au principe du droit d'accès à tous les documents administratifs. L'accès aux documents administratifs ne peut être refusé que si l'intérêt requis pour l'accès à un document à caractère personnel fait défaut et si un ou plusieurs motifs d'exception figurant à l'article 6 de la loi du 11 avril 1994 peuvent ou doivent être invoqués et qu'ils peuvent être motivés de manière concrète et pertinente. Seuls les motifs d'exception imposés par la loi peuvent être invoqués et s'applique en outre la règle qu'ils doivent être interprétés de manière restrictive (C.A., 25 mars 1997, n° 17/97, considérants B.2.1. et B.2.2. et C.A., 15 septembre 2004, n° 150/2004, considérant B.3.2.).

La Commission constate que le gouverneur de la Banque nationale de Belgique invoque l'article 6, § 2, 2°, de la loi du 11 avril 1994 conjointement avec l'article 35, alinéa 1er, de la loi du 22 février 1998 fixant le statut organique de la Banque nationale de Belgique. L'article 6, § 2, 2°, de la loi du 11 avril 1994 dispose qu'une autorité administrative rejette la demande d'accès à un document administratif si la publication du document administratif porte atteinte à une obligation de secret instaurée par la loi. Il ressort de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle et de la pratique d'avis de la Commission que ce motif d'exception ne peut pas être invoqué comme ça. Il s'agit en effet d'une exception à un droit fondamental qui doit être interprétée de manière restrictive. En tout cas, il y a lieu de motiver la raison pour laquelle les informations concernées tombent sous l'obligation de secret. Il faut en outre tenir compte de l'objectif que visait le législateur en instaurant une disposition relative à l'obligation de secret. Contrairement à ce que le demandeur semble affirmer, des dispositions relatives à l'obligation de secret ne peuvent pas toutes être interprétées de la même manière mais il y a lieu de tenir compte de la spécificité de leur formulation et objectif. La Commission a également attiré l'attention sur le fait qu'une disposition relative à l'obligation de secret applicable dans le chef de personnes individuelles ne signifie pas nécessairement que celle-ci peut également être invoquée par une institution.

L'article 35 de la loi du 22 février 1998 fixant le statut organique de la Banque nationale de Belgique s'énonce comme suit:

« Hors le cas où ils sont appelés à rendre témoignage en justice en matière pénale, la Banque et les membres et anciens membres de ses organes et de son personnel sont tenus au secret professionnel et ne peuvent divulguer à quelque personne ou autorité que ce soit les informations confidentielles dont ils ont eu connaissance en raison de leurs fonctions.

L'alinéa 1er ne porte pas préjudice à la communication d'informations confidentielles à des tiers dans les cas prévus par et en vertu de la loi.

(...)

Les infractions au présent article sont punies des peines prévues par l'article 458 du Code pénal. Les dispositions du Livre 1er du Code pénal, sans exception du Chapitre VII et de l'article 85, sont applicables aux infractions au présent article.

Le présent article ne fait pas obstacle au respect par la Banque, les membres de ses organes et de son personnel de dispositions légales spécifiques en matière de secret professionnel, plus restrictives ou non, notamment lorsque la Banque est chargée de la collecte d'informations statistiques ou du contrôle prudentiel. »

La disposition actuelle a modifié la disposition initiale par l'article 194 de l'arrêté royal du 3 mars 2011 mettant en oeuvre l'évolution des structures de contrôle du secteur financier, (M.B., 9 mars 2011), tel que confirmé par l'article 298 de la loi du 3 août 2012 relative aux organismes de placement collectif qui répondent aux conditions de la directive n° 2009/65/CE et aux organismes de placement en créances (M.B., 9 octobre 2012). Dans le rapport au Roi de l'arrêté royal du 3 mars 2011, il est indiqué, en ce qui concerne l'article 194, qu'il adapte les dispositions relatives au secret professionnel, applicables à la Banque, à la nouvelle situation créée par le transfert des compétences de tutelle. Aucune autre explication n'est par conséquent donnée quant à l'ampleur et à la portée du secret professionnel introduit. Ce n'était pas non plus le cas de l'article dans sa formulation initiale.

La Commission constate que le secret professionnel introduit porte tant sur les personnes mentionnées à l'article 35 que sur l'institution en tant que telle. Le secret professionnel ne s'applique toutefois pas à toutes les informations. Il se limite aux « informations confidentielles dont ils ont eu connaissance en raison de leurs fonctions ». La décision du gouverneur de la Banque nationale n'est dès lors pas suffisamment motivée parce qu'il n'est pas concrètement indiqué que les informations figurant dans les documents administratifs demandés satisfont à cette condition. Par ailleurs, le législateur a prévu des exceptions obligeant de communiquer, par ou en vertu de la loi, des informations confidentielles à des tiers. Le gouverneur de la Banque nationale doit dès lors vérifier si la demande peut éventuellement tomber sous l'une de ces exceptions et cela doit ressortir de la motivation.

Le fait que le motif d'exception figure à l'article 6, § 2, 2°, de la loi du 11 avril 1994 a pour conséquence qu'aucune justification d'intérêt n'est requise et qu'il suffit qu'il soit concrètement démontré pourquoi il est porté préjudice au secret professionnel.

En tout cas, cette obligation de secret vise à protéger les acteurs économiques et non, comme l'affirme le demandeur, les clients de ces acteurs économiques de sorte que la disposition relative à l'obligation de secret peut être invoquée à l'égard des clients de ces acteurs économiques.

6. Par une décision du 15 septembre 2015, le comité de direction de la Banque nationale de Belgique refuse d'accéder à la demande de reconsidération formée par la partie requérante. Il s'agit de l'acte attaqué dont les motifs sont les suivants:

« (...)

Prenant en considération le caractère confidentiel des informations contenues dans les documents sollicités et l'article 6, § 2, 2°, de la loi précitée du 11 avril 1994 qui prévoit une exception absolue à l'obligation de publicité, disposition aux termes de laquelle une autorité administrative doit rejeter une demande d'accès lorsque cette demande porte atteinte à une obligation de secret instaurée par la loi, la Banque a décidé de refuser de faire suite à votre demande.

Qu'en effet, comme indiqué dans notre courrier du 10 mars 2015, la Banque est assujettie à une obligation de secret professionnel en vertu de l'article 35 de sa loi organique du 22 février 1998. Que s'agissant de la compétence légale concernée par les informations confidentielles, le fondement de ce régime de secret réside, en outre, dans une directive européenne (directive n° 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 sur l'accès aux activités de l'assurance et de la réassurance et leur exercice (Solvabilité II)) dont on souligne qu'elle ne permet pas d'exception pour le cas sollicité.

Que s'agissant de l'exception au régime de la publicité prévue par l'article 6, § 2, 2°, de la loi précitée du 11 avril 1994, cette restriction a une portée absolue, la Banque ne pouvant légalement procéder à une mise en balance des intérêts en présence.

Que la Banque a également eu égard à la jurisprudence du Conseil d'Etat relative à la loi du 11 avril 1994. Qu'à cet égard, le comité de direction n'a pas aperçu la pertinence de l'arrêt cité par votre client dès lors que cet arrêt concernait une autre disposition de ladite loi. Qu'il a, par contre, été pris en compte le fait que les informations discutées concernent bien des tiers à la Banque (en l'occurrence des entreprises d'assurance) - informations auxquelles elle a un accès en raison de ses prérogatives légales de contrôle - et non des documents personnels à celle-ci.

La présente décision constitue un acte administratif susceptible, conformément à l'article 8, § 2, alinéa 4, de la loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l'administration, de recours devant le Conseil d'Etat.

(...) ».

IV. Intervention

La requête en intervention introduite par la SA DKV Belgium ayant été accueillie provisoirement par l'ordonnance du 3 octobre 2018, il y a lieu de l'accueillir.

V. Parties à la cause

Dans son mémoire en réponse, le gouverneur de la Banque nationale sollicite sa mise hors cause au motif qu'il n'est pas l'auteur de l'acte entrepris.

Cette demande doit être accueillie étant donné qu'il ressort sans ambiguïté du courrier du 15 septembre 2015, signé par le gouverneur, que c'est bien le comité de direction de la Banque nationale de Belgique qui, au cours de sa réunion du 15 septembre 2015, a statué sur la demande de reconsidération introduite par la partie requérante et non le gouverneur agissant seul. Seule la Banque nationale de Belgique est partie adverse dans ce litige.

VI. Premier moyen
VI.1. Thèses des parties

Le premier moyen est pris de la violation des articles 2 et 3 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, de l'article 32 de la Constitution et des articles 4, 6 et 8 de la loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l'administration.

La partie requérante reproche à l'auteur de l'acte attaqué d'avoir motivé son refus de manière abstraite, en faisant simplement état d'un secret professionnel. A son estime, une référence à l'article 35 de la loi du 22 février 1998, précitée, ne permet pas de justifier de manière précise et circonstanciée en quoi le document dont la communication est sollicitée présente un lien avec cette obligation de secret.

Par ailleurs, à l'instar de l'avis de la Commission d'accès aux documents administratifs, elle considère que la partie adverse ne s'est pas assurée de ce que la demande d'accès relevait effectivement d'une des exceptions prévues par la loi du 11 avril 1994, précitée.

Dans son mémoire en réponse, la partie adverse relève que le motif d'exception à la publicité tenant à une obligation de secret instaurée par la loi est obligatoire et absolu, aucune mise en balance entre les intérêts de la publicité et les intérêts protégés ne devant être effectuée. Elle retrace l'historique de l'article 35 de la loi du 22 février 1998, précitée, et considère que la demande d'accès ne rencontre aucune des exceptions à ce secret professionnel, lesquelles sont établies limitativement aux articles 36/13 et s. de cette loi.

Elle se réfère également aux articles 64 à 70 de la directive n° 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 sur l'accès aux activités de l'assurance et de la réassurance et leur exercice, laquelle ne prévoit aucune exception au bénéfice d'associations de défense des consommateurs.

Selon elle, « il ressort du passage cité [de l'acte attaqué] que la BNB a bien précisé que les informations demandées constituaient des informations confidentielles auxquelles elle a eu accès en raison de ses prérogatives légales. Les informations dont question sont des informations financières confidentielles transmises par des tiers, à savoir les administrés que sont la SA DKV et la SA AXA Belgium, à la BNB dans le cadre de l'exercice de sa mission de contrôle ».

La partie intervenante soutient que le moyen est irrecevable en ce qu'il n'indique pas en quoi la loi relative à la motivation formelle des actes administratifs et la loi relative à la publicité de l'administration auraient été violées.

Elle estime aussi que la motivation de l'acte attaqué est adéquate dès lors qu'y sont clairement mentionnées sa base légale et les raisons ayant conduit au refus. A l'instar de la partie adverse, elle expose les contours de l'obligation de secret imposée par l'article 35 de la loi du 22 février 1998, précitée.

Dans son dernier mémoire, la partie adverse revient sur la portée de l'obligation de secret qui s'impose à elle en vertu de l'article 35 de la loi du 22 février 1998, précitée. A la lumière des travaux préparatoires de cette loi, elle indique qu'elle ne peut être déliée de ce secret professionnel que vis-à-vis d'autres autorités publiques soumises à un secret professionnel analogue. Par ailleurs, conformément aux articles 36/13 et s. de la loi du 22 février 1998, précitée, elle expose qu'elle ne peut communiquer les informations confidentielles dont elle a eu connaissance dans le cadre de l'exercice de ses fonctions que dans des cas particuliers prévus par la même loi, comme par exemple, la dénonciation d'infractions pénales ou à des administrations ou organismes compétents dans le domaine financier et qui sont assujettis au même secret professionnel qu'elle, se référant en cela au rapport au Roi précédent l'arrêté royal du 3 mars 2011 mettant en oeuvre l'évolution des structures de contrôle du secteur financier. Elle répète que le régime de secret professionnel auquel elle est soumise découle des articles 64 à 70 de la directive n° 2009/138/CE, précitée. A son estime, l'article 64 de cette directive doit être interprété de telle manière qu'il impose un régime général de confidentialité en ce qui concerne les informations détenues par l'autorité de contrôle dans le cadre de l'exercice de son contrôle prudentiel, les exceptions à ce régime de confidentialité étant de stricte interprétation. Elle soutient que cette interprétation a été retenue par un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 19 juin 2018 (C-15/16) relatif à la portée de l'article 54 de la directive n°_ 2004/39/CE concernant les marchés d'instruments financiers qui a une formulation analogue à celle de l'article 64 de la directive n° 2009/138/CE, précitée. Ainsi, au regard de cet arrêt, lorsque des informations n'ont pas un caractère public et que leur divulgation risquerait de porter atteinte « aux intérêts de la personne physique ou morale qui les a fournies ou de tiers, ou encore au bon fonctionnement du système de contrôle de l'activité des entreprises d'investissement », elle fait valoir que ces informations ne peuvent être divulguées que dans des cas limitativement énumérés et que ces exceptions à la confidentialité doivent être interprétées strictement. Selon elle, cette confidentialité est indispensable si l'on veut que le contrôle des autorités soit effectif sur les marchés financiers et qu'il en va de même du contrôle des entreprises d'assurance. De son point de vue, l'interdiction de divulgation constitue, tout comme en matière de marchés financiers, la contrepartie des prérogatives légales de contrôle dont elle dispose de sorte que le principe est la confidentialité et la publicité l'exception. Elle en déduit que le secret professionnel couvre ipso facto et de manière générale toutes les décisions adoptées sur la base de l'article 21octies, § 2, de la loi du 9 juillet 1975, précitée, lorsqu'elles n'ont pas un caractère public et lorsque la divulgation risquerait de porter atteinte aux intérêts de la personne physique ou morale qui les a fournies ou de tiers ou au bon fonctionnement du système de contrôle de l'activité des entreprises d'assurance. Elle rappelle encore que l'Etat belge est lié par ses engagements au niveau européen et doit, en conséquence, interpréter son droit interne à la lumière du droit européen de sorte que lorsque son autorité de contrôle reçoit une demande d'accès à des informations relatives à une entreprise placée sous son contrôle, elle ne peut y réserver une suite que dans les cas spécifiques pour lesquels le droit de l'Union prévoit des exceptions à l'interdiction générale de divulgation des informations confidentielles. Ainsi, elle considère que les informations réclamées par la partie requérante ressortent du régime de confidentialité institué par l'article 64 de la directive n° 2009/138/CE, précitée, dès lors qu'il s'agit d'informations financières non connues du public, obtenues dans le cadre de sa mission de contrôle et dont la divulgation porterait atteinte aux intérêts spécifiques des deux entreprises d'assurance concernées mais également à l'intérêt général lié au bon fonctionnement du système de contrôle de l'activité des entreprises d'assurance. Elle fait encore valoir que ce principe de confidentialité s'applique tant à la décision qu'elle a prise d'autoriser les sociétés DKV et AXA à procéder à une augmentation tarifaire de leurs primes d'assurance hospitalisation qu'aux données chiffrées qui l'ont conduite à prendre cette décision. Elle souligne ainsi que sa décision d'augmenter les tarifs applicables est nécessairement fondée sur des informations confidentielles communiquées par les compagnies d'assurance et qu'il lui est dès lors impossible de divulguer la manière dont elle a exercé son pouvoir d'appréciation discrétionnaire sans mettre en lumière lesdites informations confidentielles. Enfin, elle ajoute que la motivation de l'acte attaqué est adéquate dès lors qu'elle a bien précisé que les informations sollicitées étaient confidentielles, transmises par des tiers, dans le cadre de sa mission de surveillance. Lui demander d'expliquer en quoi ces informations doivent être qualifiées de confidentielles, reviendrait, selon elle, à méconnaître son obligation de secret professionnel, consacrée à l'article 35 de la loi du 22 février 1998, précitée et la contraindrait à expliquer les motifs de ses motifs. En outre, elle indique que la demande de la partie requérante ne s'inscrit pas dans le contexte de l'une des exceptions visées par la loi du 22 février 1998, précitée, de même qu'elle n'est pas une autorité ou un organisme compétent dans le domaine financier et tenu à une obligation de secret professionnel analogue à son secret professionnel. Elle en conclut que l'acte attaqué est bien adéquatement motivé.

Dans son dernier mémoire, la partie intervenante réitère le point de vue qu'elle a développé dans son mémoire en intervention et reprend, pour l'essentiel les mêmes arguments que ceux avancés par la partie adverse. Elle en conclut que le premier moyen est partiellement irrecevable et, en toute hypothèse, non fondé.

VI.2. Appréciation

L'article 32 de la Constitution dispose comme suit:

« Chacun a le droit de consulter chaque document administratif et de s'en faire remettre copie, sauf dans les cas et conditions fixés par la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134. »

Dans son arrêt n° 169/2013 du 19 décembre 2013, la Cour constitutionnelle interprète cette disposition comme suit:

« B.16.2. En déclarant, à l'article 32 de la Constitution, que chaque document administratif - notion qui, selon le constituant, doit être interprétée très largement - est en principe public, le constituant a érigé le droit à la publicité des documents administratifs en un droit fondamental. »

Elle en déduit dès lors que les exceptions à ce principe fondamental doivent être justifiées et sont de stricte interprétation.

L'article 6, § 2, de la loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l'administration dispose notamment comme suit:

« L'autorité administrative fédérale ou non fédérale rejette la demande de consultation, d'explication ou de communication sous forme de copie d'un document administratif qui lui est adressée en application de la présente loi si la publication du document administratif porte atteinte: (...)

2° à une obligation de secret instaurée par la loi (...) »

Si la notion de secret professionnel en tant qu'exception à l'obligation de transparence ne peut être vidée de son contenu, elle ne peut pas non plus être interprétée de manière extensive. Cette exception à l'obligation de transparence, fût-elle obligatoire et absolue, doit être limitée à ce qui est nécessaire comme l'indique le § 4 de l'article 6 précité en ce qu'il prévoit que: « lorsque, en application des § 1er à 3, un document administratif ne doit ou ne peut être soustrait que partiellement à la publicité, la consultation, l'explication ou la communication sous forme de copie est limitée à la partie restante ». Ce n'est donc qu'en dernier recours, soit lorsque la publicité partielle n'est pas envisageable, qu'un document doit être entièrement soustrait à la publicité.

En l'espèce, l'autorité justifie, en ces termes, sa décision de refus par une obligation de secret instaurée par la loi:

« (...) la Banque est assujettie à une obligation de secret professionnel en vertu de l'article 35 de sa loi organique du 22 février 1998; s'agissant de la compétence légale concernée par les informations confidentielles, le fondement de ce régime de secret réside, en outre, dans une directive européenne (directive n° 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 sur l'accès aux activités de l'assurance et de la réassurance et leur exercice (Solvabilité II)) dont on souligne qu'elle ne permet pas d'exception pour le cas sollicité. »

Tel qu'il était en vigueur au jour de l'adoption de l'acte attaqué, l'article 35 de la loi du 22 février 1998 fixant le statut organique de la Banque nationale de Belgique disposait comme suit:

« Hors le cas où ils sont appelés à rendre témoignage en justice en matière pénale, la Banque et les membres et anciens membres de ses organes et de son personnel sont tenus au secret professionnel et ne peuvent divulguer à quelque personne ou autorité que ce soit les informations confidentielles dont ils ont eu connaissance en raison de leurs fonctions.

L'alinéa 1er ne porte pas préjudice à la communication d'informations confidentielles à des tiers dans les cas prévus par et en vertu de la loi.

La Banque, les membres de ses organes et de son personnel sont exonérés de l'obligation prévue à l'article 29 du Code d'instruction criminelle.

Les infractions au présent article sont punies des peines prévues par l'article 458 du Code pénal. Les dispositions du Livre 1er du Code pénal, sans exception du Chapitre VII et de l'article 85, sont applicables aux infractions au présent article. Le présent article ne fait pas obstacle au respect par la Banque, les membres de ses organes et de son personnel de dispositions légales spécifiques en matière de secret professionnel, plus restrictives ou non, notamment lorsque la Banque est chargée de la collecte d'informations statistiques ou du contrôle prudentiel. »

La directive n° 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 sur l'accès aux activités de l'assurance et de la réassurance et leur exercice à laquelle fait référence la partie adverse, contient un article 64, intitulé « secret professionnel », rédigé de la manière suivante:

« Les Etats membres prévoient que toutes les personnes exerçant ou ayant exercé une activité pour le compte des autorités de contrôle ainsi que les personnes chargées du contrôle légal des comptes ou les experts mandatés par ces autorités sont liés par l'obligation de secret professionnel.

Sans préjudice des cas relevant du droit pénal, aucune information confidentielle reçue par ces personnes à titre professionnel n'est divulguée à quelque personne ou autorité que ce soit, excepté sous une forme résumée ou agrégée, de telle sorte que les entreprises d'assurance ou de réassurance ne puissent être identifiées.

Toutefois, lorsqu'une entreprise d'assurance ou de réassurance a été déclarée en faillite ou que sa liquidation forcée a été ordonnée par un tribunal, les informations confidentielles qui ne concernent pas les tiers impliqués dans des tentatives de sauvetage de cette entreprise peuvent être divulguées dans le cadre de procédures civiles ou commerciales. »

Les articles 65 et s. de cette directive établissent une série de cas dans lesquels le secret professionnel reçoit certains tempéraments.

La demande de communication rédigée par la partie requérante dans son courrier du 12 février 2015 contenait, en réalité, deux objets distincts:

- d'une part, la décision par laquelle la Banque nationale a autorisé les sociétés DKV Belgium et AXA Belgium à procéder à une augmentation tarifaire;

- d'autre part, « le détail des données chiffrées ayant présidé à cette décision ».

La décision dont la communication est sollicitée a été prise sur le fondement de l'article 21octies de la loi du 9 juillet 1975 relative au contrôle des entreprises d'assurances, aujourd'hui abrogée. Le § 2 de cette disposition était libellé comme suit:

« La Banque peut exiger qu'une entreprise mette un tarif en équilibre si elle constate que l'application de ce tarif donne lieu à des pertes. Elle en informe la FSMA.

Sans préjudice de l'alinéa 1er, la Banque, à la demande d'une entreprise et si elle constate que l'application de ce tarif, nonobstant l'application de l'article 204, § 2 et 3, de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances, donne lieu ou risque de donner lieu à des pertes, dans le cas d'un contrat d'assurance maladie autre que professionnel au sens de l'article 202 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances, peut, sur avis de la FSMA, autoriser l'entreprise à prendre des mesures afin de mettre ses tarifs en équilibre. Ces mesures peuvent comporter une adaptation des conditions de couverture. »

Il ressort des termes de cette disposition que l'intervention de la Banque nationale peut avoir lieu dans différentes hypothèses et prendre diverses formes, qu'elle jouit, dans le cadre de l'exercice de ses compétences, d'une certaine marge d'appréciation.

Le secret professionnel édicté à l'article 35 de la loi du 22 février 1998 - pas plus que celui instauré à l'article 64 de la directive n° 2009/138/CE - ne couvre pas ipso facto et de manière générale toutes les décisions adoptées sur la base de l'article 21octies, § 2, de la loi du 9 juillet 1975. Raisonner autrement conduirait à instaurer un régime général de décisions administratives non publiques, ce qui est incompatible avec le droit fondamental garanti par l'article 32 de la Constitution.

Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et notamment son arrêt C-15/16 du 19 juin 2018 à propos du secret professionnel institué par l'article 54 de la directive n° 2004/39/CE relative aux marchés d'instruments financiers qui est assez similaire au secret professionnel visé à l'article 64 de la directive n° 2009/138/CE, précitée, ce secret ne concerne que les informations confidentielles c'est-à-dire celles détenues par les autorités de contrôle qui, premièrement, n'ont pas un caractère public et dont, deuxièmement, la divulgation risquerait de porter atteinte aux intérêts de la personne morale qui les a fournies ou de tiers, ou encore au bon fonctionnement du système de contrôle de l'activité des entreprises d'assurance que le législateur de l'Union a institué en adoptant la directive précitée. Dans ce même arrêt, la Cour a aussi indiqué ce qui suit:

« Il importe enfin de souligner que, l'article 54, 1., de la directive n° 2004/39/CE ayant pour seul objet d'obliger les autorités compétentes à refuser, en principe, la divulgation d'informations confidentielles, au sens de cette disposition, les Etats membres demeurent libres de décider d'étendre la protection contre la divulgation à l'ensemble du contenu des dossiers de surveillance des autorités compétentes ou, à l'inverse, de permettre l'accès aux informations en possession des autorités compétentes qui ne sont pas des informations confidentielles au sens de ladite disposition.

En l'occurrence, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, à la lumière de l'ensemble des considérations qui précèdent, si les informations détenues par l'Office fédéral de contrôle des services financiers dont la divulgation a été sollicitée relèvent de l'obligation de secret professionnel que cet office est tenu d'observer en vertu de l'article 54, 1., de la directive n° 2004/39/CE.

Eu égard à tout ce qui précède, il convient de répondre à la première question que l'article 54, 1., de la directive 2004/39/CE doit être interprété en ce sens que toutes les informations relatives à l'entreprise surveillée et communiquées par celle-ci à l'autorité compétente, ainsi que toutes les déclarations de cette autorité figurant dans son dossier de surveillance, y compris sa correspondance avec d'autres services, ne constituent pas, de manière inconditionnelle, des informations confidentielles, couvertes, dès lors, par l'obligation de garder le secret professionnel prévue à cette disposition. »

Il ressort de cet enseignement que le secret professionnel visé par l'article 64 de la directive n° 2009/138/CE, précitée, ne protège pas automatiquement toutes les informations communiquées par les compagnies d'assurance à la Banque nationale de Belgique et qu'il appartient à cette dernière d'identifier celles qui relèvent de cette protection à savoir les informations qui n'ont pas un caractère public et dont la divulgation risquerait de porter atteinte aux intérêts de la compagnie d'assurance qui les a fournies ou de tiers ou encore au bon fonctionnement du système de contrôle de l'activité des entreprises d'assurance. Or, tel n'a pas été l'approche de la partie adverse qui a d'emblée considéré que toutes les informations qui lui étaient transmises par les compagnies d'assurance étaient des informations confidentielles protégées par son obligation de secret professionnel.

Il s'ensuit que le premier moyen est fondé en ce que la lecture de la décision attaquée ne permet pas d'établir que l'ensemble des documents et informations dont la communication était sollicitée constituent des informations confidentielles couvertes par le secret professionnel établi par l'article 35 de la loi du 22 février 1998, précitée.

VII. Autres moyens

Les autres moyens, s'ils étaient fondés, ne pourraient mener à une annulation plus étendue. Il n'y a dès lors pas lieu de les examiner.

VIII. Indemnité de procédure

La partie requérante sollicite une indemnité de procédure de 700 EUR. Il y a lieu de faire droit à sa demande.

Par ces motifs,

Le Conseil d'Etat décide:

Article 1er.

Le gouverneur de la Banque nationale de Belgique est mis hors cause.

Article 2.

La requête en intervention introduite par la SA DKV Belgium est accueillie.

Article 3.

La décision de la Banque nationale de Belgique du 15 septembre 2015 refusant à l'ASBL Association belge des consommateurs Test-Achats l'accès à la décision motivée et au détail des données chiffrées ayant présidé aux décisions de la Banque d'autoriser la SA DKV et la SA AXA à augmenter leurs primes est annulée.

Article 4.

Une indemnité de procédure de 700 EUR est accordée à la partie requérante, à charge de la partie adverse.

Les autres dépens, liquidés à la somme de 350 EUR, sont mis à charge de la partie adverse, à concurrence de 200 EUR, et à charge de la partie intervenante, à concurrence de 150 EUR.

(...)