Article

Cour d'appel Bruxelles, 01/02/2019, 2012/AR/1604, R.D.C.-T.B.H., 2019/9, p. 1103-1115

Cour d'appel de Bruxelles 1er février 2019

SOCIÉTÉS ET ASSOCIATIONS
Société anonyme - Assemblée générale des obligataires
Une assemblée générale des obligataires n'est pas un organe de la société au sens technique du terme, disposant d'un pouvoir d'engager ou de représenter la société. L'article 568 du Code des sociétés, ou les conditions d'un emprunt obligataire qui s'y réfèrent, ne confèrent aucun pouvoir à une assemblée générale des obligataires de modifier unilatéralement les conditions de l'emprunt, sans le consentement des sociétés émettrices. Cette assemblée a pour but de faciliter la prise de décision majoritaire au sein de la collectivité des obligataires. Les résolutions adoptées par celle-ci n'ont nullement pour effet de lier les émetteurs sans leur accord ou de permettre d'annuler unilatéralement des arrangements négociés avec ceux-ci.
OBLIGATIONS CONTRACTUELLES
Interprétation des conventions
Une clause ambiguë doit être interprétée conformément à la volonté réelle des parties, en prenant notamment en considération tous les éléments utiles dans l'ensemble de la convention ainsi que des éléments extrinsèques à la convention, telles que les circonstances qui ont précédé sa conclusion ou celles liées à son exécution.
VENNOOTSCHAPPEN EN VERENIGINGEN
Naamloze vennootschap - Algemene vergadering van obligatiehouders
Een algemene vergadering van obligatiehouders vormt geen orgaan van de vennootschap in de technische zin van het woord, die erin bestaat te beschikken over de bevoegdheid de vennootschap te verbinden of te vertegenwoordigen. Artikel 568 van het Wetboek van Vennootschappen, of de voorwaarden van een obligatielening die er betrekking op hebben, wijzen geen enkele bevoegdheid toe aan een algemene vergadering van obligatiehouders om de voorwaarden van de lening eenzijdig te wijzigen, zonder de instemming van de emitterende vennootschappen. Deze vergadering heeft tot doel de besluitvorming bij gewone meerderheid binnen de groep van obligatiehouders mogelijk te maken. Haar besluiten hebben geenszins tot gevolg de emittenten zonder hun instemming te verbinden en evenmin toe te laten om regelingen die in overleg met de emittenten getroffen werden eenzijdig teniet te doen.
VERBINTENISSEN UIT OVEREENKOMST
Uitlegging van overeenkomsten
Een onduidelijke clausule dient geïnterpreteerd te worden overeenkomstig de werkelijke wil van de partijen, in het bijzonder rekening houdend met alle nuttige elementen binnen het geheel van de overeenkomst alsook met elementen die er extrinsiek aan zijn, zoals de omstandigheden die aan haar totstandkoming zijn voorafgegaan of die verband houden met haar uitvoering.

QVT Fund L.P., Quintessence Fund L.P., MCS Holdings Limited / Ageas SA/NV, ABN Amro Bank NV, BNP Paribas Fortis SA et BNY Corporate Trustee Services Limited

Siég.: M.-Fr. Carlier (président de la chambre)
Pl.: Mes F. Mourlon Beernaert, P.S. Gennari Curlo, B. Lebrun, M. Caluwaerts et Fr. Lefevre, E. Pottier, X. Taton et J.-P. Fierens, M. Fyon et Ch. Sunt, O. Vanhulst et L. Mertens
Affaire: 2012/AR/1604
I. La décision entreprise

L'appel est dirigé contre le jugement prononcé le 23 mars 2012 par le tribunal de commerce de Bruxelles.

Aucun acte de signification de cette décision n'est produit par les parties.

(...)

III. Les faits et antécédents de la procédure

1. Au printemps 2007, un consortium de trois banques, dont le groupe Fortis, envisage l'acquisition de la société de droit néerlandais ABN Amro Bank NV; la participation du groupe Fortis dans cette opération représente approximativement 24 milliards EUR.

Afin de financer ce projet, quatre sociétés du groupe Fortis (les sociétés de droit belge Fortis SA/NV et Fortis Banque SA/NV et les sociétés de droit néerlandais Fortis NV et Fortis Bank Nederland Holding, ci-après les émetteurs) décident d'émettre un emprunt subordonné de 2 milliards EUR se réalisant en deux phases: l'émission de CCEN (Conditionnai Capital Exchangeable Notes) en août 2007, devant être automatiquement convertis en MCS (Mandatory Convertible Securities ou Obligations obligatoirement convertibles) en décembre 2007 sous la condition de la réalisation de l'augmentation de capital de Fortis SA/NV et Fortis NV (sociétés holding du groupe Fortis) de 13 milliards EUR devant être lancée en septembre 2007.

Le 11 juillet 2007, Merrill Lynch International, Fortis Banque SA/NV et Fox-Pitt, Kelton Ltd. s'engagent à souscrire les CCEN sur la base d'un Term Sheet établi le même jour. Les CCEN sont émis le 2 août 2007. A cette même date, un Fiscal Agency Agreement est également établi.

L'augmentation de capital étant réalisée, les CCEN sont automatiquement convertis le 7 décembre 2007 en MCS. Ceux-ci sont émis en vertu d'un acte constitutif de Trust, le Trust Deed. Les MCS sont productifs d'un coupon de 8,75% par an sur leur valeur nominale payable par moitié tous les 6 mois. Ils doivent être obligatoirement convertis en actions couplées Fortis SA/NV-Fortis NV 3 ans après leur émission, soit le 7 décembre 2010, selon un ratio de conversion prédéterminé (entre 18,74 EUR et 22,49 EUR, soit 11.116 actions au minimum et 13.340 actions au maximum par MCS).

La société de droit anglais BNY Corporate Trustee Services (ci-après BNY ou le Trustee) est désignée en qualité de Trustee, chargé de représenter les intérêts collectifs des détenteurs de MCS. BNP Paribas Securities Services est le principal agent de paiement et de conversion (Principal Paying and Conversion Agent, ci-après le PPCA).

Un contrat est conclu entre les quatre émetteurs (« accord quadripartite ») en vertu duquel il est convenu que le montant nominal du prêt (2 milliards EUR) est versé à la Fortis Bank Nederland Holding NV à charge pour celle-ci de payer les intérêts sur les MCS et de verser une indemnisation à Fortis SA/NV et Fortis NV lors de la conversion des MCS en actions. Les quatre émetteurs sont, à l'égard des détenteurs de MCS, solidairement tenus au paiement des coupons.

Le 27 décembre 2007, un prospectus est publié à l'occasion de l'admission des MCS à la bourse de Luxembourg.

A la suite de la détérioration de la situation financière mondiale en 2008, le groupe Fortis est démantelé en octobre 2008: les activités bancaires belges du groupe (Fortis Banque SA/NV) sont cédées à l'Etat belge et à la SA BNP Paribas, l'Etat néerlandais reprend les activités de banque et d'assurance aux Pays-Bas. Fortis SA/NV devient Ageas SA/NV, Fortis NV devient Ageas NV (et est absorbée en 2012 par la SA/NV Ageas), Fortis Banque est une filiale de BNP Paribas et Fortis Bank Nederland Holding est absorbée par la société anonyme de droit néerlandais ABN AMRO Bank NV (ci-après ABN Amro).

2. QVT Fund L.P., Quintessence Fund L.P., Third Point Partners Qualified L.P., Third Point Partners L.P., Third Point Offshore Master Fund L.P. et Third Point Ultra Master Fund L.P. sont des sociétés d'investissement ayant leur siège social aux Etats-Unis ou aux Iles Caïman. A partir du début de l'année 2009 et jusqu'en 2010, elles acquièrent des MCS en bourse et hors bourse. Il est constant qu'à cette époque, ces titres ont perdu une grande partie de leur valeur (selon les émetteurs, ils ne cotent plus qu'à 8 à 10% de leur valeur nominale alors que, selon les sociétés d'investissement, les acquisitions ont été faites à un cours moyen de 20%).

3. Le 1er octobre 2010, QVT Fund L.P., Quintessence Fund L.P., Third Point Partners Qualified L.P., Third Point Partners L.P., Third Point Offshore Master Fund L.P. et Third Point Ultra Master Fund L.P. adressent un courrier au Trustee requérant la convocation d'une assemblée générale des porteurs de MCS.

Par exploit du même jour, elles font citer les émetteurs devant le tribunal de commerce de Bruxelles aux fins d'entendre dire pour droit que les décisions qui seraient adoptées lors de cette assemblée générale seront valables et s'imposeront aux émetteurs.

Le 18 octobre 2010, le Trustee notifie à tous les porteurs de MCS et aux émetteurs la convocation à une assemblée générale des obligataires (ci-après également AGO) de MCS le 8 novembre 2010 avec, à l'ordre du jour, le vote de la résolution suivante:

« L'assemblée des détenteurs de MCS tenue le 8 novembre 2010 DECIDE PAR LA PRESENTE conformément à la Section 2.10 de l'Annexe 3 de l'Acte de Trust de modifier l'échéance des MCS de sorte que la date d'échéance ('Maturity Date') est désormais fixée au 7 décembre 2030 (au lieu du 7 décembre 2010) et que cette modification prend effet immédiatement après le vote de cette résolution » (selon la publication au Moniteur belge du 21 octobre 2010 - pièce 27 d'Ageas).

4. Les 26 et 27 octobre 2010, Ageas SA/NV et Ageas NV font citer QVT Fund L.P., Quintessence Fund L.P., Third Point Partners Qualified L.P., Third Point Partners L.P., Third Point Offshore Master Fund L.P. et Third Point Ultra Master Fund L.P. devant le président du tribunal de commerce de Bruxelles, siégeant en référé, aux fins de suspendre la convocation et la tenue de l'assemblée générale ou, à tout le moins, de suspendre les effets de toute décision qui serait prise par cette assemblée générale.

BNY, en sa qualité de Trustee, et le PPCA sont appelés en déclaration d'ordonnance commune. ABN Amro et BNP Paribas Fortis font intervention volontaire.

Par ordonnance du 8 novembre 2010, le président du tribunal de commerce de Bruxelles:

- dit non fondée la demande de suspension de la convocation de l'assemblée générale, celle-ci ne constituant pas prima facie une voie de fait;

- suspend les effets à l'égard d'Ageas SA/NV et Ageas NV de toute décision qui serait éventuellement prise par l'assemblée générale des obligataires de MCS avant le 7 décembre 2010, en vue de changer la date de maturité des MCS fixée au 7 décembre 2010 et/ou d'empêcher la réalisation de cette conversion le 7 décembre 2010 et ce, jusqu'à ce qu'il ait été tranché définitivement sur l'action introduite par les fonds d'investissement devant le tribunal de commerce de Bruxelles;

- dit l'ordonnance commune au Trustee, au PPCA, à BNP Paribas Fortis et à ABN Amro;

- ordonne à QVT Fund L.P., Quintessence Fund L.P., Third Point Partners Qualified L.P., Third Point Partners L.P., Third Point Offshore Master Fund L.P., Third Point Ultra Master Fund L.P. et au Trustee « de s'abstenir de toute action qui empêcherait ou risquerait d'empêcher ou de retarder la conversion des MCS le 7 décembre 2010, date de maturité contractuelle, et notamment d'annoncer clairement et dans l'immédiat, aux autres obligataires de MCS et au marché financier qu'elles ne s'opposeront pas à la conversion des MCS à la date de maturité, soit le 7 décembre 2010, sous peine d'une astreinte de 1.000.000 EUR par infraction et par jour de retard de la conversion ».

Le même jour, l'assemblée générale des détenteurs de MCS se réunit et adopte la résolution proposée.

Le 2 décembre 2010, MCS Holdings Ltd. est constituée par un groupe d'obligataires dont QVT Fund L.P., Quintessence Fund L.P. et des sociétés du groupe Third Point. Cette partie expose être actuellement titulaire de 70% des obligations MCS en circulation.

Le 7 décembre 2010, les émetteurs procèdent à la conversion des MCS donnant lieu à l'émission de 106.723.569 actions Ageas SA/NV et 106.723.569 actions Ageas NV attribuées aux détenteurs des MCS au prix de conversion minimum de 18,74 EUR.

5. Par un second exploit signifié le 22 décembre 2010, QVT Fund L.P., Quintessence Fund L.P et MCS Holdings Ltd. (ci-après les fonds d'investissement) font citer les émetteurs et le Trustee devant le tribunal de commerce de Bruxelles. Aux termes de leurs dernières conclusions, les fonds d'investissement demandent de:

- prononcer la nullité de la conversion des obligations MCS en actions couplées Ageas SA/NV-Ageas NV, intervenue le 7 décembre 2010, cette conversion ayant été réalisée au mépris de la résolution adoptée par l'assemblée des obligataires le 8 novembre 2010;

- condamner en conséquence les quatre émetteurs à leur restituer un nombre d'obligations MCS correspondant au montant global de 1.391.750.000 EUR, productives d'un intérêt de 8,75% l'an jusqu'à la date de conversion décidée par l'assemblée générale des obligataires, soit jusqu'au 7 décembre 2030, cette restitution s'effectuant contre remise d'un nombre d'actions couplées qui leur ont été attribuées lors de la conversion intervenue le 7 décembre 2010;

- subsidiairement, condamner les émetteurs à leur payer, à titre de dommages et intérêts, la somme provisionnelle de 1.750.000.000 EUR;

- condamner les émetteurs aux intérêts au taux légal sur ce montant à compter de sa débition;

- déclarer le jugement à intervenir commun au Trustee.

La demande introduite par la citation du 1er octobre 2010 est par ailleurs reformulée. Il est demandé au tribunal de dire pour droit que la résolution adoptée lors de l'assemblée générale des obligataires et portant la date de conversion des MCS au 7 décembre 2030 est valable et s'impose aux émetteurs.

A titre reconventionnel, Ageas, ABN Amro et BNP Paribas Fortis sollicitent la condamnation in solidum des fonds d'investissement à payer l'intégralité des frais relatifs à l'organisation de l'assemblée générale du 8 novembre 2010 et encourus par le Trustee et le PPCA ainsi que les frais des experts consultés par eux pour appuyer leur défense.

Le jugement entrepris joint les deux causes, déclare irrecevable l'action introduite par la citation du 1er octobre 2010 et celle intentée par la citation du 22 décembre 2010 recevable mais non fondée, dit les demandes reconventionnelles recevables mais non fondées et condamne les fonds d'investissement aux dépens.

6. QVT Fund L.P., Quintessence Fund L.P et MCS Holdings Ltd. interjettent appel de cette décision.

Dans leurs conclusions additionnelles et de synthèse déposées au greffe de la cour le 17 septembre 2013, elles demandent de:

« - dire les demandes originaires recevables et fondées;

- dire pour droit que la résolution adoptée par l'assemblée générale des obligataires 'MCS' du 8 novembre 2010 portant la date de conversion des 'MCS' au 7 décembre 2030 est valable et s'impose aux parties intimées;

- prononcer la nullité de la conversion des obligations 'MCS' en actions couplées Ageas SA/NV-Ageas NV intervenue le 7 décembre 2010, cette conversion ayant été réalisée au mépris de la résolution susvisée et;

en ordre principal,

- condamner en conséquence [Ageas SA/NV, ABN Amro Bank NV et BNP Paribas Fortis] à [leur] restituer un nombre d'obligations 'MCS' correspondant au montant global de 1.391.750.000 EUR productives d'un intérêt de 8,75% l'an jusqu'au 7 décembre 2030, cette restitution s'effectuant contre remise d'un nombre d'actions couplées Ageas SA/NV-Ageas NV, correspondant au nombre d'actions couplées attribuées (...) lors de la conversion intervenue le 7 décembre 2010, se répartissant comme suit:

- MCS Holdings Ltd.: 1.391.250.000 EUR;

- QVT Fund LP: 250.000 EUR ;

- Quintessence Fund L.P.: 250.000 EUR;

- condamner [Ageas SA/NV, ABN Amro Bank NV et BNP Paribas Fortis] à [leur] payer le montant des intérêts conventionnels non payés à partir de la date de conversion, et ceci à compter de chacune de leurs échéances sous déduction des dividendes perçus en raison des actions Ageas qui leur ont été attribuées;

en ordre subsidiaire,

- pour le cas où la cour viendrait à décider que les restitutions résultant de la nullité de la conversion des obligations 'MCS' seraient impossibles à exécuter en nature - quod non - condamner [Ageas SA/NV, ABN Amro Bank NV et BNP Paribas Fortis] à [leur] payer à titre de dommages et intérêts la somme provisionnelle de 350.000.000 EUR se répartissant comme suit:

- MCS Holdings Ltd.: 349.874.259 EUR;

- QVT Fund LP: 62.870,5 EUR;

- Quintessence Fund L.P.: 62.870,5 EUR;

- condamner [Ageas SA/NV, ABN Amro Bank NV et BNP Paribas Fortis] à [leur] payer des intérêts au taux légal sur ces montants à compter de leur débition ;

- ordonner pour le surplus la désignation à titre d'expert d'un banquier d'affaires d'une institution européenne de renom avec la mission suivante:

• convoquer les parties;

• prendre connaissance de leurs dossiers respectifs et s'entourer de manière générale de tous renseignements utiles;

• donner son avis sur le montant du préjudice subi par les appelantes en raison de la conversion des 'MCS' litigieux en tenant compte de la date de conversion fixée par l'assemblée du 8 novembre 2010 au 7 décembre 2030, du caractère discrétionnaire de l'intérêt conventionnel et des dividendes que les appelantes ont perçus, pourraient, ou auraient pu percevoir sur les actions Ageas qui leur ont été attribuées;

• répondre aux observations et aux questions des parties.

(...) »

IV. Discussion

(...)

3. Fondement des demandes contenues dans la citation du 22 décembre 2010
a) Synthèse des positions des parties

16. La demande des fonds d'investissement tend en substance à faire annuler la conversion en actions Ageas des MCS intervenue en décembre 2010 au mépris de la délibération de l'assemblée générale des obligataires du 8 novembre 2010 décidant du report de la date de maturité des MCS au 7 décembre 2030. Ils soutiennent que cette délibération s'impose aux émetteurs en vertu de l'article 568 du Code des sociétés et des dispositions du Schedule 3 du Trust Deed qui reconnaissent à l'assemblée générale des obligataires un droit unilatéral de modification des conditions de l'emprunt. Toujours selon les fonds d'investissement, ce droit unilatéral a été concédé aux obligataires en raison des caractéristiques spécifiques des MCS émis dans un contexte de nervosité des marchés financiers et le report de la date de maturité de 20 ans a été décidé par les obligataires afin de rééquilibrer « la situation désastreuse dans laquelle le démantèlement du groupe Fortis les a placés ».

17. Les émetteurs contestent l'interprétation donnée par les fonds d'investissement au Schedule 3 du Trust Deed qui est fondée sur une lecture strictement littérale des documents contractuels ainsi que les droits qu'ils prétendent tirer de l'article 568 du Code des sociétés. Ils rappellent que les fonds d'investissement ne sont pas les détenteurs initiaux des MCS qui ont prêté les 2 milliards EUR au groupe Fortis et qu'ils les ont acquis à partir de 2009 pour un prix entre 8 et 10% de leur valeur nominale et après le démantèlement du groupe Fortis, en sorte qu'il ne peut être question pour eux de bouleversement de l'économie contractuelle qui devrait être compensé. Les émetteurs soulignent que, contrairement à ce qu'ils prétendent, les fonds d'investissement n'ont subi aucune perte mais espèrent plutôt retirer des « bénéfices plantureux » du report de la date de maturité en percevant des intérêts pendant 20 ans, causant ainsi un préjudice manifeste aux émetteurs. Ils concluent que les fonds d'investissement sont donc de mauvaise foi et commettraient un abus de droit, si ce droit devait leur être reconnu. Subsidiairement, ils soutiennent que la preuve de la tenue d'une assemblée générale des obligataires valable n'est pas rapportée et que les fonds d'investissement ont confirmé la conversion des MCS en actions Ageas.

b) Sur les caractéristiques des MCS

18. Les MCS litigieux sont des instruments financiers hybrides (empruntant des caractéristiques de dette et de capital) bénéficiant du statut de Tier 1, c'est-à-dire de fonds propres sensu stricto. Le capital Tier 1 doit permettre à l'établissement financier d'absorber les pertes éventuelles et il doit être disponible de manière permanente. La qualité de Tier 1 des MCS a été approuvée par les autorités de contrôle financier compétentes (la CBFA en Belgique et la DNB aux Pays-Bas - cf. pièce 54 d'Ageas) et portée à la connaissance des marchés financiers dès le 12 juillet 2007 dans un communiqué de presse de Fortis Banque (cf. pièce 7.1 de ABN Amro).

19. Les MCS en cause présentent en outre les caractéristiques suivantes:

- ils sont obligatoirement et automatiquement convertis en actions Fortis à la date de maturité, soit 3 ans après la date d'émission; les MCS peuvent toutefois être convertis de manière anticipée par les émetteurs (art. 5(b) des termes et conditions des MCS - ci-après les conditions) jusqu'au 46e jour de cotation précédant la date de maturité des titres et par les détenteurs (art. 5, c), des conditions) jusqu'au 61e jour de cotation précédant la date de maturité; la conversion anticipée à l'initiative des émetteurs est subordonnée à l'obligation dans leur chef de payer anticipativement tous les coupons dus sur les MCS jusqu'à la date de maturité et au droit pour les détenteurs de recevoir le nombre maximum d'actions Fortis qu'ils auraient pu obtenir dans les limites de la fourchette de conversion; la conversion anticipée des MCS par les détenteurs se fait en actions Fortis au prix minimum de la fourchette;

- la conversion se fait sur la base d'une fourchette de prix prédéterminée (art. 6, (a), des conditions): des taux de conversion minimal de 18,74 EUR et maximal de 22,49 EUR par action Fortis; les détenteurs savent qu'ils obtiendront à la date de maturité et quoi qu'il arrive au minimum 11.116 actions et au maximum 13.340 actions par MCS: si le cours des actions Fortis à la date de maturité excède 22,49 EUR, les détenteurs de MCS obtiennent leurs actions sous le prix du marché et si le cours des actions Fortis à cette date se situe en-dessous de 18,74 EUR, ils supportent une perte puisqu'ils peuvent les acquérir sur le marché à un meilleur prix; les détenteurs subissent donc économiquement le même risque que les actionnaires Fortis;

- les MCS produisent un coupon de 8,75% sur leur valeur nominale (art. 4 des conditions); les émetteurs ont le droit de ne pas payer les coupons si i) au cours d'une période de 12 mois précédant la date de leur paiement, aucun dividende n'est versé aux actionnaires de Fortis et ii) Fortis ne procède pas au rachat de ses propres actions; les coupons non payés sont annulés;

- une faculté de rachat anticipé des MCS est prévue en faveur des émetteurs (art. 7, (a), des conditions).

20. Contrairement à ce que soutiennent les fonds d'investissement, ces caractéristiques ne sont pas originales. Tant le rapport spécial du conseil d'administration de Fortis SA/NV du 6 juillet 2007 que l'expert Duff & Phelps consulté par Ageas - dont il n'y a pas lieu de mettre en doute les compétences et l'expérience - confirment en effet que les MCS sont conformes aux standards des marchés (cf. pièce 2, p. 5 et pièce 59, p. 6, § 2.b, p. 13, § 4.2.1 et § 5.2.1 d'Ageas).

Certaines des caractéristiques s'expliquent d'ailleurs par la qualification d'instruments Tier 1 des MCS. Tel est ainsi le cas de la clause d'annulation du paiement des coupons (cf. à cet égard le courrier de la CBFA du 10 juillet 2007 - pièce 3 d'Ageas), de la faculté de conversion anticipée des émetteurs ou encore de la faculté de rachat anticipé des MCS (cf. le courrier précité de la CBFA) et de leur caractère subordonné.

Il est également inexact de prétendre que le taux de 8,75% des coupons « contrebalançait le risque pour les investisseurs résultant des nombreuses conditions » (cf. conclusions additionnelles et de synthèse des fonds d'investissement déposées au greffe de la cour le 17 septembre 2013, p. 14). Les MCS étant obligatoirement convertibles en actions et non remboursables en numéraire, l'intérêt payé par les émetteurs compense le risque pris par les détenteurs sur la valeur de l'action au moment de la conversion (cf. le rapport Duff & Phelps, p. 13, § 5.2.2: « L'objet des instruments financiers de type MCS est de faire supporter à l'investisseur un risque semblable à celui d'un actionnaire en échange d'un coupon important. Ceci implique que l'investisseur supporte le risque que le prix de l'action tombe sous le prix d'exercice inférieur, ce qui est compensé par une rémunération importante. » (selon la traduction libre faite par Ageas), pièce 59).

Quant au délai de maturité de 3 ans, il constitue la norme pour les instruments financiers de type MCS (cf. le rapport Duff & Phelps, p. 6, § 2.e et p. 12, § 4.1.1). Cela ressort du reste également des études comparatives d'instruments convertibles similaires faites tant par Ageas (pièce 75 de son dossier) que par les fonds d'investissement (pièce X.1 de leur dossier).

Enfin, la circonstance que les MCS ont été émis par quatre émetteurs est certes inhabituelle mais elle ne constitue « pas une caractéristique structurelle liée au fonctionnement ou aux flux financiers découlant des MCS de Fortis » (cf. le rapport Duff & Phelps, p. 13, § 4.1.3.b).

21. Contrairement à ce que prétendent les fonds d'investissement, les MCS n'étaient donc pas des instruments exceptionnels.

22. Par ailleurs, Fortis jouissait au moment de l'émission des MCS d'une position financière solide comme en témoignent son rating (cf. pièce 14 d'Ageas) et le Rapport Duff & Phelps (p. 18, § 6.1.4 « Tant les CDS que les ratings indiquent clairement que les marchés considéraient Fortis comme un emprunteur de haut calibre, solvable et de confiance en décembre 2007. » et § 6.1.6.6 « le fait qu'aux alentours de décembre 2007, le rating de Fortis et son coût de l'emprunt soit similaire à celui de ses pairs démontre que Fortis n'était pas considérée comme un emprunteur plus risqué que ses pairs à l'époque » pièce 59, selon la traduction libre qui en est faite par Ageas). Il est donc inexact de prétendre que le groupe Fortis aurait été, en 2007, prêt à émettre un instrument financier accordant à ses détenteurs des droits exorbitants. Cette preuve ne résulte pas davantage des condamnations prononcées ultérieurement à charge de Fortis et d'Ageas pour un défaut d'information du marché et qui ne concernent pas l'émission des MCS.

c) Sur l'aveu des fonds d'investissement

23. Les émetteurs soutiennent que les fonds d'investissement ont reconnu dans un courrier du 29 juillet 2010 le caractère automatique et obligatoire de la conversion des MCS au 7 décembre 2010, ce qui constitue un aveu extrajudiciaire implicite de la manière dont doivent être interprétés les documents contractuels.

L'aveu extrajudiciaire est un acte unilatéral devant être fait par la partie à laquelle il est opposé et qui ne doit pas être destiné à servir de preuve pour la partie adverse. L'application des articles 1354 et 1355 du Code civil et la prise en considération d'un aveu extrajudiciaire ne requièrent pas l'existence d'un litige né et actuel entre les parties intéressées (Cass., 20 décembre 2007, C.07.0161.N). S'il peut être implicite, il doit être certain, de sorte qu'il ne peut se déduire que de faits non susceptibles d'une autre interprétation (Cass., 7 septembre 2006, Pas., 2006, n° 395, p. 1666).

24. Le courrier du 29 juillet 2010 émane exclusivement de Third Point LLC. Il n'y est pas mentionné que celle-ci agirait en qualité de mandataire ou de représentant des autres fonds d'investissement. Ayant un caractère relatif et étant rigoureusement limité à son auteur, le prétendu aveu tiré de ce courrier ne pourrait lier que Third Point LLC, partie qui n'est plus à la cause en degré d'appel. Il ne peut être déduit du seul fait que ce courrier est toujours produit par les fonds d'investissement devant la cour que ces derniers seraient liés par l'aveu qui y serait contenu.

Au surplus, si dans ce courrier, Third Point LLC indique que les MCS seront automatiquement convertis le 7 décembre 2010, aucune reconnaissance n'est en revanche faite quant aux pouvoirs de l'assemblée générale des obligataires ni quant à l'interprétation à donner aux termes du Schedule litigieux.

Les émetteurs ne peuvent donc se prévaloir d'un aveu, fût-il implicite, des fonds d'investissement déduit du courrier du 29 juillet 2010.

25. Il en est de même du courrier du 1er septembre 2010 du conseil anglais des fonds d'investissement (à l'exception de MCS Holdings Ltd. qui n'était pas encore constituée) dont se prévaut ABN Amro, qui a été émis dans le cadre d'un hypothétique arrangement avec un des émetteurs, et dont il ne peut être déduit aucun aveu sur l'interprétation du Schedule 3.

d) Sur la portée de l'article 568 du Code des sociétés

26. L'application des dispositions du Code des sociétés belge relatives à l'assemblée générale des obligataires et en particulier son article 568 résulte d'une disposition particulière du Schedule 3, en l'occurrence l'article 31 ainsi que de l'article 18, (a), des conditions (cf. infra, pt. 35).

L'article 568 du Code des sociétés définit les pouvoirs de l'assemblée générale des obligataires; certains pouvoirs ne peuvent être exercés que pour autant que le capital social ait été entièrement appelé alors que d'autres ne requièrent pas cette condition.

Ainsi, dans la première de ces hypothèses (art. 568, al. 1er), l'assemblée des obligataires a le droit:

« 1° de proroger une ou plusieurs échéances d'intérêts, de consentir à la réduction du taux de l'intérêt ou d'en modifier les conditions de paiement;

2° de prolonger la durée du remboursement, de le suspendre et de consentir des modifications aux conditions dans lesquelles il doit avoir lieu;

3° d'accepter la substitution d'actions aux créances des obligataires. A moins que les actionnaires n'aient antérieurement donné leur consentement au sujet de la substitution d'actions aux obligations, les décisions de l'assemblée des obligataires n'auront d'effet à cet égard que si elles sont acceptées, dans le délai de trois mois, par les actionnaires délibérant dans les formes prescrites pour les modifications aux statuts ».

Dans tous les autres cas (art. 568, al. 2), l'assemblée des obligataires a le droit:

« 1° d'accepter des dispositions ayant pour objet, soit d'accorder des sûretés particulières au profit des porteurs d'obligations, soit de modifier ou de supprimer des sûretés déjà attribuées;

2° de décider des actes conservatoires à faire dans l'intérêt commun;

3° de désigner un ou plusieurs mandataires chargés d'exécuter les décisions prises (...) et de représenter la masse des obligataires dans toutes les procédures relatives à la réduction ou à la radiation des inscriptions hypothécaires ».

27. L'emprunt obligataire est un contrat de prêt soumis à l'article 1134 du Code civil. Sa modification requiert en principe l'accord unanime des parties.

La société, émettrice d'un emprunt obligataire, étant titulaire d'une dette fractionnée entre tous les détenteurs d'obligations, il faut en principe un accord unanime de tous pour modifier les conditions de l'emprunt. Pour résoudre cette difficulté, le législateur a institué, par la loi du 25 mai 1913, une assemblée générale des obligataires permettant ainsi à la société émettrice d'avoir un interlocuteur unique et conférant à cette assemblée, selon des conditions de quorum et de majorité particulières, le pouvoir de lier l'ensemble des obligataires.

En instituant l'assemblée générale des obligataires, l'article 568 du Code des sociétés apporte donc un tempérament à la règle de l'accord unanime.

Les pouvoirs reconnus à l'assemblée générale des obligataires par cette disposition ne peuvent cependant être exercés contre les intérêts de la société. L'assemblée générale des obligataires a, en effet, été créée « dans le but de venir en aide à la société mais non aux obligataires » et « si ceux-ci en retirent quelque avantage, c'est par voie de conséquence, parce que leur intérêt s'accorde précisément avec celui de la société » (Ch. Resteau, Traité des sociétés anonymes, Swinnen, 1985, p. 358, n° 1658 et 396, n° 1711; M. Monard, « De eenzijdige verlenging van de looptijd van obligaties: is artikel 568 W.Venn. wat het lijkt? », T.R.V., 2011, p. 119; Traité pratique de droit commercial, Ch. Jassogne (dir.), t. 4, La société anonyme, n° 683, p. 460).

Comme rappelé ci-dessus, l'alinéa 1er de l'article 568 du Code des sociétés prévoit que les mesures qu'il indique ne peuvent être prises que pour autant que le capital soit entièrement appelé. « Si des sacrifices sont demandés aux obligataires, il est en effet naturel que les actionnaires aient, au préalable, été sommés de libérer le capital. » (C. Verbruggen, « Art. 568 C. soc. », in Commentaire systématique du Code des sociétés, Kluwer, 2005, p. 5, n° 6; cf. égal. Ch. Resteau, o.c., p. 415, n° 1732: « Il est évident que l'on ne pourrait imposer aux obligataires un sacrifice aussi important (...) alors que les actionnaires n'auraient point rempli tous leurs engagements vis-à-vis de la société. »). Dès lors que « des sacrifices » sont demandés aux obligataires, l'intention du législateur n'a pu être de conférer à ces derniers un droit d'imposer des mesures contraires aux intérêts de la société. Du reste, même en son alinéa 2, 2°, l'article 568 du Code des sociétés prévoit que les actes conservatoires ne peuvent être posés que dans « l'intérêt commun ».

Même si l'article 568, alinéa 1er, du Code des sociétés ne le prévoit pas explicitement, les décisions de l'assemblée générale des obligataires, lorsqu'elles emportent une modification des conditions de l'emprunt obligataire, ne lient la société que si elles sont approuvées ou proposées par celle-ci (Ch. Resteau, o.c., pp. 416-417; J. Van Ryn, Principes de droit commercial, t. I, Bruylant, 1954, p. 453, n° 735; M. Monard, o.c., p. 119; C. Verbruggen, « Art. 568 C. soc. », in Commentaire systématique du Code des sociétés, Kluwer, 2005, p. 4, n° 5; P. Baert, « Art. 292 W.Venn. », in H. Braeckmans, K. Geens et E. Wymeersch, Artikelsgewijze commentaar met rechtspraak en rechtsleer. Vennootschapsrecht, Kluwer, 2000, p. 11, n° 16 et p. 14, n° 23). Rien n'indique qu'il s'agirait d'une « conception surannée du principe de la convention-loi » ou d'une « lecture orientée des travaux préparatoires de la loi du 25 mai 1913 ».

28. A tort, les fonds d'investissement pensent-ils à cet égard pouvoir déduire de l'évolution des textes au cours des travaux préparatoires et plus particulièrement du droit d'initiative conféré aux obligataires de convoquer l'assemblée générale avec pour corollaire une extension des pouvoirs de cette dernière (notamment en termes de désignation de mandataires et d'actes conservatoires), que seule une interprétation littérale de l'article 568 s'imposerait, ce texte ne prévoyant ni la nécessité d'un accord de la société ni qu'une résolution de l'assemblée générale devrait nécessairement être prise dans le seul intérêt de la société émettrice.

S'il est exact qu'un droit de convocation (initialement non prévu en 1904) a été envisagé en 1910 et reconnu dans la loi de 1913, il ne s'en déduit toutefois pas qu'un « changement radical de perspective » aurait ainsi été voulu par le législateur. Dans son discours du 5 décembre 1912, clôturant les discussions parlementaires, le ministre de la Justice Carton de Wiart confirmait en effet que: « Certes, dans le système du projet, l'assemblée des obligataires a des attributions limitées. Elle ne jouit d'aucune initiative; elle n'a qu'à se prononcer sur les propositions qui lui sont faites par la société.

On pourrait donc se demander à quoi bon réunir une assemblée à la demande d'obligataires? Que fera-t-elle? De quoi sera-t-elle saisie? Mais on peut parfaitement concevoir que, l'assemblée étant réunie à la demande des obligataires, la société, sous la pression morale des obligataires, consentira à faire des déclarations et éventuellement à soumettre des propositions donnant satisfaction à ces créanciers. Le texte présente à cet égard une utilité certaine. Il y a lieu de le conserver. » (discussions aux chambres législatives, séance de la Chambre du 5 décembre 1912, cité par Ch. Resteau, Commentaire législatif de la loi du 25 mai 1913 portant modification aux lois sur les sociétés commerciales, Larcier 1913, p. 569, n° 55). Quant à l'amendement de M. Brunet qui ne visait qu'à confier à des représentants permanents des obligataires notamment « le droit d'agir au nom de la masse des obligataires en vue de contraindre la société à exécuter ses obligations » (et non de conférer aux obligataires un droit de modification unilatérale des conditions de l'emprunt), il a été rejeté sans que l'on puisse donner à la déclaration de M. Woeste la portée que lui prêtent les fonds d'investissement. Répondant du reste à l'amendement de M. Brunet, le ministre de la Justice Carton de Wiart précisa encore: «  Nous avons estimé cependant que, dans l'intérêt de ces créanciers spéciaux et parfois dans l'intérêt de la société débitrice, il convenait de prévoir la tenue d'assemblées d'obligataires et d'attribuer à ces assemblées des droits nouveaux. Tantôt la société désirera réunir ses créanciers hypothécaires pour obtenir d'eux des renonciations partielles, des prorogations d'échéances, des modifications dans les conditions de paiement. Tantôt, les obligataires, avisés d'une situation de nature à les inquiéter, croiront devoir demander des explications ou des garanties. C'est pourquoi les assemblées pourront avoir lieu soit sur convocation spontanée de la société elle-même, soit à la demande des obligataires représentant 1/5 des titres. » (discussions aux chambres législatives, séance de la Chambre du 5 décembre 1912, cité par Ch. Resteau, Commentaire législatif de la loi du 25 mai 1913 portant modification aux lois sur les sociétés commerciales, o.c., p. 533, n° 20).

La lecture des travaux préparatoires de la loi du 30 octobre 1919 qui avait pour objectif d'assouplir les quorums de présence et de majorité requis pour la prise de décision au sein de l'assemblée des obligataires, confirme du reste si besoin en est, la nécessité d'un consentement de la société (cf. la déclaration du ministre de la Justice lors des discussions à la Chambre qui rappelle la « solution qui est prévue par la loi de 1913 sur les sociétés: les arrangements entre les sociétés et les assemblées obligataires », Ann. parl., Ch. repr., séance du 24 septembre 1919, p. 1704).

Le Code des sociétés n'a rien modifié aux pouvoirs de l'assemblée générale des obligataires. Il y est seulement indiqué que l'article 568 du Code des sociétés « est la combinaison des articles 93 et 94, alinéas 12 et 13, LCSC » (cf. Doc. parl., Chambre, 1998-1999, n° 1838/1, p. 134). Les modifications de fond « sont très limitées. Elles n'ont en effet pas pour objectif de modifier fondamentalement les droits ou les obligations des personnes impliquées dans la vie des sociétés (associés, obligataires, administrateurs, travailleurs, ...). Le présent projet n'opère que les modifications nécessaires pour aboutir à un code logique, bien structuré et cohérent » (Doc. parl., Chambre, 1998-1999, n° 1838/1, pp. 2 et 134).

Il s'en déduit que les enseignements doctrinaux antérieurs au Code des sociétés gardent toute leur pertinence, ce que confirme la doctrine qualifiée de « classique » à laquelle se réfèrent les intimées.

29. C'est tout aussi vainement que les fonds d'investissement soutiennent, à l'appui de leur thèse, que l'assemblée générale des obligataires serait un organe de la société, disposant ainsi du pouvoir d'engager cette dernière. Certes, l'article 568 du Code des sociétés figure sous le Titre IV consacré aux « Organes » de la société anonyme. Mais cette place, qui n'est qu'un choix structurel, ne fait pas de l'assemblée générale des obligataires un « organe » au sens technique du terme, soit celui qui prend une décision pour la société ou la représente, comme on l'entend de l'assemblée des actionnaires, du conseil d'administration ou de l'organe de gestion journalière. Il s'agit seulement d'un « organe » au sens général du terme, c'est-à-dire une « unité d'une structure organisationnelle » (M. Monard, « De eenzijdige verlenging van de looptijd van obligaties: is artikel 568 W.Venn. wat het lijkt? », T.R.V., 2011, p. 119), un « rouage d'une organisation » (V. Simonart, « La théorie de l'organe », in Liber Amicorum Michel Coipel, Kluwer, 2004, p. 713).

30. La cour observe enfin que le projet de loi introduisant le Code des sociétés et des associations et portant des dispositions diverses confirme non seulement que l'assemblée générale des obligataires n'est pas un organe et qu'elle ne peut ni engager ni représenter la société mais également qu'« aucune décision de l'assemblée générale des obligataires modifiant les conditions d'émission ne produit ses effets sans l'accord exprès de la société » (art. 7:163); l'exposé des motifs précise à cet égard que: « Le principe de base reste toutefois le même, à savoir qu'une décision d'une majorité d'obligataires (compte tenu des règles applicables telles que prescrites dans les conditions d'émission ou dans la loi) peut lier la minorité et que les conditions d'émission ne peuvent être modifiées qu'avec l'accord de l'émetteur. » (Doc. parl., Chambre, 2017-2018, n° 3119, pp. 251 et 252).

31. Contrairement à ce que prétendent les fonds d'investissement, l'article 568 du Code des sociétés ne confère donc aux obligataires aucun pouvoir unilatéral de modification des conditions de l'emprunt. L'assemblée générale des obligataires n'a que le pouvoir d'engager l'ensemble des obligataires et ne peut engager l'émetteur sans son accord.

e) Sur l'interprétation du Schedule 3 du Trust Deed

32. Deux des quatre émetteurs étant des sociétés belges et le Code des sociétés belge contenant des règles spécifiques sur les assemblées générales des obligataires, il a été convenu que le Schedule 3 du Trust Deed serait régi par le droit belge.

L'article 19.1 du Trust Deed dispose à cet égard que:

« 19.1. Droit applicable: ce Trust Deed sera régi par et interprété conformément au droit anglais, à l'exception de la clause 5 qui sera régie par les lois de l'Etat de constitution de l'émetteur concerné et du Schedule 3 qui sera régi par et interprété conformément au droit belge. » (traduction commune des parties).

L'article 23, (a), des conditions prévoit dans le même sens que:

« (a) Droit applicable

Le Trust Deed (à l'exception des dispositions relatives aux assemblées des détenteurs de MCS, qui seront régies par et interprétées conformément au droit belge et à l'exception, des clauses de la condition 1, (c) et la clause 5 du Trust Deed qui seront, en ce qui concerne chaque émetteur, régies par les lois de l'Etat constitutif de cet émetteur, l'Agency Agreement, le Calculation Agency Agreement, les MCS et les Coupons seront régis par et seront interprétés conformément au droit anglais. » (traduction commune des parties).

ABN Amro indique toutefois que le droit anglais serait d'application s'il devait être admis que l'article 2.10 du Schedule 3 autorise les obligataires à modifier unilatéralement la date de maturité des MCS puisque cela impliquerait une modification substantielle du Trust Deed et des conditions des MCS qui sont régies par le droit anglais. Une telle thèse ne peut être suivie. Les dispositions précitées prévoient en effet que le Schedule 3 sera régi et interprété conformément au droit belge. Le choix du droit belge ne se limite donc pas aux seules « questions d'organisation et de procédure en rapport avec l'assemblée générale des détenteurs de MCS » mais inclut toutes les dispositions du Schedule 3 en ce compris les droits et obligations qu'il engendre et l'interprétation qui doit en être faite. Or, la question qui est soumise à la cour est précisément celle de l'interprétation d'une des dispositions du Schedule 3.

En toute hypothèse, tant ABN Amro que les fonds d'investissement, admettent que la solution ne serait pas différente en droit anglais.

33. L'article 2 du Schedule 3 précise les pouvoirs de l'assemblée générale des obligataires en ces termes:

« Sans préjudice des conditions, et de tout pouvoir conféré à une autre personne par le présent acte de Trust, une assemblée aura le pouvoir par résolution:

2.1. d'approuver toute proposition des émetteurs ou du Trustee visant à modifier, abroger, changer, ou visant à obtenir un compromis ou un arrangement quant aux droits des détenteurs de MCS et/ou des détenteurs de coupons à l'encontre des émetteurs, que ces droits découlent ou non du présent acte de Trust;

2.2. d'approuver l'échange, la substitution ou la conversion des MCS en actions, obligations, ou autres titres des émetteurs ou de toute autre entité;

2.3. de consentir à toute proposition des émetteurs ou du Trustee visant à modifier le présent acte de Trust, les MCS, ou les coupons;

2.4. d'autoriser quiconque à participer à et à faire toute chose utile pour mettre en oeuvre une résolution;

2.5. de donner tout pouvoir, instruction ou autorisation devant être donnés par résolution;

2.6. de désigner toutes personnes (détenteurs de MCS ou non) comme mandataires ou mandataires destinés à représenter les intérêts des détenteurs de MCS et leur conférer tout pouvoir ou discrétion pouvant être exercé par les détenteurs de MCS par voie de résolution;

2.7. d'approuver la nomination d'un nouveau Trustee proposé et de révoquer un Trustee;

2.8. d'approuver la substitution de toute entité aux émetteurs (ou tout successeur précédent) comme débiteur principal en vertu du présent acte de Trust;

2.9. de décharger ou exonérer le Trustee de toute responsabilité pour tout acte ou omission dont il pourrait être tenu responsable conformément au présent acte de Trust, aux MCS ou aux coupons;

2.10. de modifier l'échéance des MCS ou les dotes auxquelles les intérêts sont dus;

2.11. de réduire ou annuler le montant en principal ou les intérêts dus en vertu des MCS, le montant d'intérêts fixes dus lors de chaque date de paiement des intérêts fixes, le montant du dividende excédentaire par MCS ou encore la valeur courante;

2.12. de modifier ou annuler la clause relative à la conversion des MCS, autrement que conformément aux présentes conditions et à l'acte de Trust ou à la suite de toute modification à ceux-ci faite conformément à ce qui est prévu à la condition 15, (g) ('modification nouvelle entité');

2.13. d'augmenter le prix de conversion minimal ou le prix de conversion maximal ou de réduire le rapport de conversion par MCS autrement qu'en accord avec ces conditions ou conformément à une modification nouvelle entité;

2.14. de modifier la devise de tout paiement relatif aux MCS;

2.15. de modifier la loi régissant les MCS, l'acte de Trust ou le contrat de service financier et de conversion; ou

2.16. de modifier les dispositions de la présente annexe concernant le quorum requis lors d'une assemblée ou concernant la majorité requise pour adopter une résolution; ou

2.17. de modifier le présent paragraphe 2 » (selon la traduction commune des parties).

Les fonds d'investissement soutiennent que l'article 2.10 du Schedule 3 est clair et dénué d'ambiguïté en ce qu'il confère à l'assemblée générale des obligataires le pouvoir de modifier unilatéralement la date de maturité des MCS. Ils soulignent le choix des verbes utilisés au début de chaque article: les pouvoirs « d'approuver », « d'accepter » ou « d'autoriser » figurant dans les articles 2.1 à 2.8 se distinguant de celui « de modifier », « de réduire », « d'annuler » ou « d'augmenter » qui se trouvent aux articles 2.10 à 2.17, et qui impliquent un pouvoir de décision.

34. Le Trust Deed n'a été conclu qu'entre le Trustee et les émetteurs. Les détenteurs de MCS et de coupons « ont droit au bénéfice des, et sont liés par, et sont considérés comme étant informés de, toutes les dispositions de l'acte constitutif de trust » (préambule des termes et conditions des MCS - Schedule 1 du Trust Deed).

Conformément à l'article 1156 du Code civil, le juge est tenu de rechercher quelle a été l'intention des parties plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes qu'elles ont utilisés. Il doit s'écarter du sens des mots, même apparemment clairs, pour rechercher la volonté réelle des parties. A cette fin, le juge peut s'aider de tous les éléments utiles qu'il trouve dans l'acte lui-même, en faisant notamment des rapprochements de la clause litigieuse avec d'autres clauses, en tenant compte de son intitulé, du préambule éventuel, mais également se fonder sur des éléments extrinsèques à la convention en ayant égard aux circonstances qui ont précédé sa conclusion, aux documents qui ont été échangés au stade des pourparlers ou encore à la manière dont les parties l'ont exécutée (P. Wéry, Droit des obligations, vol. 1, Larcier, 2010, p. 363, n° 415; P. Van Ommeslaghe, Droit des obligations, t. I, Bruylant, 2010, pp. 594 et s., nos 389 et 391).

A juste titre, le premier juge a considéré qu'il ressortait des éléments soumis à son appréciation et plus particulièrement de l'analyse de l'ensemble des dispositions du Trust Deed et du Schedule 3, des dispositions du prospectus et de l'économie générale du contrat que l'intention des parties n'avait pas été de donner à l'assemblée générale des obligataires le pouvoir de modifier unilatéralement la date de maturité des MCS.

35. Tant les termes mêmes de l'article 2.10 que le cadre dans lequel il s'inscrit excluent l'interprétation donnée par les fonds d'investissement.

L'article 2.10 ne prévoit pas qu'une résolution de l'assemblée générale des obligataires pourrait prolonger la date de maturité des MCS sans l'accord des émetteurs ou qu'elle serait contraignante pour ceux-ci.

Certes, il n'indique pas explicitement que l'approbation des émetteurs est nécessaire mais « il est fort possible que les parties n'aient pas estimé utile de stipuler expressément que l'approbation de l'émetteur était requise pour une telle prorogation de la date d'échéance. En effet, elles pouvaient partir de l'idée que cette exigence était évidente et découlait du droit belge rendu applicable à l'AGO par ce même Schedule 3 (disposition 31), de sorte qu'il n'était plus nécessaire de le prévoir expressément tout comme le législateur belge qui parle, à l'article 568 C. soc. de 'proroger une ou plusieurs échéances d'intérêts' sans stipuler explicitement que l'approbation de la société est également nécessaire, dès lors qu'il était évident pour le législateur belge que cette approbation était requise (...). L'énoncé du Schedule 3 se situe dans la prolongation de l'article 568 C. soc., dont les dispositions pourraient également, si elles sont prises dans un sens littéral et sorties de leur contexte, laisser croire à une personne sans expérience en matière de prêts obligataires que l'AGO dispose d'un pouvoir de décision unilatéral » (avis rédigé par le professeur De Wulf, pièce 85 d'Ageas, pp. 15 et 16).

Du reste, à suivre l'interprétation donnée par les fonds d'investissement, si l'on reconnaissait à l'assemblée générale des obligataires le pouvoir de reporter unilatéralement la date de maturité des MCS, il faudrait également admettre qu'elle puisse, toujours sans l'accord des émetteurs, modifier le taux des intérêts (art. 2.11), la fourchette de conversion (art. 2.13), les conditions de conversion (art. 2.12) et bouleverser ainsi totalement l'économie contractuelle. L'article 2.16 autoriserait même l'assemblée générale des obligataires à choisir elle-même les exigences de quorums ou de majorité en manière telle qu'il n'y aurait plus aucun garde-fou à l'exercice du pouvoir unilatéral de modification des détenteurs de MCS. Quant à l'article 2.17, il permettrait à l'assemblée générale de s'arroger tous les pouvoirs et donc celui de refaire totalement le contrat. Rien n'indique à cet égard comme le prétendent les fonds d'investissement que l'article 2.17 ne viserait que des adaptations mineures dans les limites de l'économie contractuelle ou qu'il serait le fruit d'une erreur résultant de l'usage du terme « or » (ou).

Cette interprétation qui conduirait ainsi les émetteurs à être totalement sous la coupe des obligataires, dont le pouvoir ne connaîtrait aucune limite, ne peut être admise.

36. L'alinéa 1er de l'article 2 du Schedule 3 précise en outre d'emblée que les pouvoirs conférés à l'assemblée générale des obligataires le sont « sans préjudice des conditions et de tout pouvoir conféré à une autre personne par le Trust Deed » (selon la traduction commune des parties); les conditions circonscrivent donc les droits décrits à l'article 2.

Or, les conditions qui figurent au Schedule 1 du Trust Deed (et qui sont également reproduites dans le prospectus, qui sera examiné infra au n° 36) n'évoquent pas l'existence d'un pouvoir de l'assemblée générale des détenteurs de MCS de modifier unilatéralement la date de maturité des MCS.

L'article 3 « Définitions » (reproduit en pp. 30 à 38 du prospectus) indique que la « date de maturité » signifie le 7 décembre 2010.

L'article 5 des conditions (repris également en pp. 40 à 44 du prospectus) qui traite de la conversion des MCS prévoit sous le titre « a) Conversion obligatoire à la date de maturité » que « à moins que préalablement convertis ou achetés et annulés en conformité avec ces conditions, chaque MCS sera obligatoirement converti à la date de maturité en un nombre d'actions Fortis égal au résultat de conversion à l'échéance par MCS » (selon la traduction commune des parties) et sous les titres b) et c) les modalités de conversion anticipée au gré des émetteurs et de conversion volontaire au gré des détenteurs pendant la période de conversion volontaire. Les seules exceptions à la conversion obligatoire à la date de maturité fixée au 7 décembre 2010 sont donc des possibilités d'une conversion anticipée. Jamais, il n'est fait mention d'un report de la date de maturité après le 7 décembre 2010 à la suite d'une décision unilatérale de l'assemblée générale des obligataires.

L'article 18, (a), des conditions (repris au prospectus, p. 61) qui est consacré aux assemblées générales des obligataires indique tout d'abord que « le Trust Deed contient des dispositions relatives à la convocation d'assemblées des obligataires MCS, aux fins de considérer des sujets affectant leurs intérêts, en ce compris l'approbation par résolution des obligataires MCS d'une modification de chacune des conditions d'émission des dispositions du Trust Deed » (selon la traduction commune des parties). L'assemblée générale des obligataires n'a donc que le pouvoir de « considérer des sujets », c'est-à-dire de « songer à, réfléchir à (quelque chose) » (cf. la traduction du verbe « to consider » dans le dictionnaire Harraps - pièce 54 d'Ageas). Les termes « en ce compris l'approbation » impliquent qu'elle peut tout au plus « approuver ». Elle n'a donc aucun pouvoir de modification unilatérale.

Il prévoit également que « toute résolution valablement adoptée sera obligatoire vis-à-vis de tous les détenteurs de MCS (qu'ils aient été présents ou non à l'assemblée lors de laquelle ladite résolution fut adoptée et qu'ils aient voté en faveur ou non) » (selon la traduction commune des parties). Il n'y est pas mentionné que les résolutions adoptées lient les émetteurs sans leur consentement.

Enfin, il précise qu'« aucune résolution des détenteurs de MCS, qui selon les émetteurs a trait à toute matière énumérée à l'article 568 du Code des sociétés belge, n'aura d'effet, à moins qu'elle soit adoptée lors d'une assemblée conforme à toutes les exigences du droit belge ou qu'elle soit ratifiée à une telle assemblée. Les matières énumérées à l'article 568 du Code des sociétés belge incluent entre autres, la modification ou la suspension de la date de maturité des MCS, le report à une date ultérieure du paiement des intérêts payables sur les MCS, la réduction du taux de tels intérêts ou la prise de mesures provisoires urgentes dans l'intérêt commun des détenteurs de MCS » (selon la traduction commune des parties). Cette disposition, qui est également reproduite à l'article 31 du Schedule 3, prévoit donc que les résolutions de l'assemblée des détenteurs de MCS doivent se conformer à l'article 568 du Code des sociétés. Or, il a été exposé ci-dessus que celui-ci n'accorde pas à l'assemblée générale des obligataires le pouvoir de prendre une décision unilatérale s'imposant à la société sans son accord. C'est également l'avis de l'expert consulté par Ageas selon lequel: «  Il a été admis que l'AGO ne pouvait prendre, sur base de l'article 568 C. soc., aucune décision unilatérale qui engagerait la société. Cette même approche interprétative doit être appliquée au chapitre 'powers of meeting' (pouvoirs de l'assemblée) du Schedule 3 » (avis du professeur De Wulf, pièce 85 d'Ageas, p. 16).

Par ailleurs, selon l'article 18, (b), des conditions (reproduit également à l'art. 14.1 du Trust Deed et dans le prospectus, p. 61) « le Trustee peut convenir sans le consentement des détenteurs de MCS ou des détenteurs de coupons, de toute modification à ce Trust Deed (...) qui est à son avis, de nature formelle, mineure ou technique ou pour corriger une erreur manifeste ou pour respecter des dispositions impératives de droit ou, si à tout moment les émetteurs et le Trustee conviennent qu'il soit approprié de tenir compte du fait que les actions SA/NV et les actions NV ne sont plus jumelées pour une former une action Fortis (...) » (selon la traduction commune des parties).

Si les rédacteurs du Trust Deed ont prévu que des modifications mineures requièrent le consentement des émetteurs, a fortiori ce consentement est-il également exigé pour des modifications substantielles aux conditions d'émission telles que celles visées aux articles 2.10 à 2.17 du Schedule 3. En outre, même si ce texte permet d'éviter la convocation d'une assemblée pour procéder à des adaptations mineures, il demeure que comme l'a relevé à juste titre le premier juge, l'on n'aperçoit pas l'intérêt de désigner un interlocuteur des détenteurs de MCS pour négocier avec les émetteurs si ces arrangements peuvent ensuite être annulés unilatéralement par l'assemblée générale des détenteurs sur la base de l'article 2.17.

37. Les autres documents précédant ou accompagnant l'émission des MCS sont muets quant au prétendu pouvoir unilatéral invoqué par les fonds d'investissement alors qu'il est évident que l'attention des investisseurs aurait dû être attirée sur une telle caractéristique des titres qualifiée de « rare » par les fonds d'investissement eux-mêmes.

Ainsi, le rapport spécial de gestion du conseil d'administration de Fortis SA/NV du 6 juillet 2007 qui contient les principales caractéristiques des MCS mentionne expressément qu'ils «  seront obligatoirement convertis en actions Fortis à la date d'échéance, soit 3 ans après la date d'émission (telle que définie dans les conditions) » (cf. pièce 2 d'Ageas). S'il énumère diverses hypothèses dans lesquelles les MCS pourront être convertis avant la date de maturité, en revanche, il n'est nulle part fait référence à une quelconque possibilité de conversion après la date de maturité. Il est clair que si les émetteurs avaient postérieurement à cette délibération reconsidéré leur position et décidé de conférer un pouvoir unilatéral de modification de la date de maturité aux détenteurs de MCS, cette modification essentielle aurait dû être soumise et approuvée par le conseil d'administration avant l'émission du Trust Deed. Or, il n'existe aucune trace d'une telle délibération et les rapports ultérieurs sur les comptes annuels établis par les conseils d'administration de Fortis, Ageas et ABN Amro rappellent tous que sauf possibilités d'une conversion anticipée au profit tant des obligataires que des émetteurs, les MCS seront obligatoirement convertis le 7 décembre 2010 (cf. pièce 79 d'Ageas).

L'existence d'un pouvoir unilatéral de modification ne figure pas davantage dans le Term Sheet du 11 juillet 2007 destiné aux acheteurs des CCEN dont l'engagement de souscription s'est fait à la même date sur la base de ce seul document. Les acquéreurs initiaux, qui sont devenus automatiquement détenteurs des MCS le 7 décembre 2007, n'ont donc pu prendre connaissance des versions définitives du Trust Deed et du Schedule 3 qui n'ont circulé en interne que le 2 août 2007. Au moment de leur souscription, les acquéreurs des CCEN ne pouvaient donc imaginer disposer du prétendu pouvoir exceptionnel revendiqué par les fonds d'investissement et il était inconcevable, qu'une fois ces instruments souscrits, les émetteurs puissent encore en modifier substantiellement les termes. Il en va de même du Fiscal Agency Agreement qui n'a également été finalisé que le 2 août 2007.

Comme l'a constaté à bon droit le premier juge, cette chronologie est révélatrice de l'absence d'intention des parties de conférer à l'assemblée générale des détenteurs de MCS un tel pouvoir.

Vainement, les fonds d'investissement pensent-ils encore pouvoir déduire du projet de Schedule 3 du 18 juillet 2007 la preuve que le texte définitif a été réfléchi et voulu par les émetteurs. La modification apportée à l'article 2.9 de la version initiale du Schedule 3, devenu dans le texte définitif les articles 2.10 à 2.17 peut s'expliquer, comme le soutiennent les émetteurs, par leur volonté d'adapter le projet standard rédigé en anglais et prévoyant différents quorums de majorité pour les résolutions de l'assemblée des obligataires aux exigences de quorum imposées par le Code des sociétés belge et de soumettre ainsi toutes les délibérations visées à l'article 2 aux mêmes quorums de présence et de majorité. Ceci est du reste corroboré de manière implicite mais certaine par la déclaration du Trustee selon laquelle l'article 2 du Schedule 3 n'avait pas fait l'objet de discussions spécifiques substantielles (cf. pièce 69 d'Ageas). Il ne peut donc en être déduit une quelconque volonté des rédacteurs du Schedule 3 d'octroyer de nouveaux pouvoirs de modification unilatéraux à l'assemblée des obligataires.

Enfin, si le prospectus n'a été établi que le 27 décembre 2007 en vue de l'admission des MCS à la cotation de la bourse luxembourgeoise, il demeure que ce document devait contenir, conformément à la législation luxembourgeoise, « toutes les informations nécessaires pour permettre aux investisseurs d'évaluer en connaissance de cause le patrimoine, la situation financière, les résultats et les perspectives de l'émetteur et des garants éventuels, ainsi que les droits attachés [aux] valeurs mobilières » (art. 8.1 de la loi luxembourgeoise du 10 juillet 2005), et donc toutes les caractéristiques pertinentes et a fortiori exceptionnelles, attachées aux MCS. Or, ce document (de plus de 300 p.), qui a été approuvé par les autorités de contrôle et qui n'a fait l'objet d'aucune critique, ne contient aucune mention d'un pouvoir unilatéral de l'assemblée générale des obligataires de reporter la date de maturité. S'il existait, ce pouvoir exceptionnel et exorbitant aurait dû à l'évidence figurer dans le prospectus qui était le seul document publié à l'intention des investisseurs (et notamment des fonds d'investissement qui n'ont acquis les MCS qu'à partir de 2009) - le Trust Deed et ses annexes n'étant pas joints et pouvant être consultés chez le Trustee à Londres ou chez le Paying and Conversion Agent (cf. p. 29 du prospectus). En revanche, le terme de la conversion obligatoire en 2010 figure dans le titre-même du prospectus: «  2.000.000.000 8.75 per cent. Mandatory Convertible Securities due 2010 » (« obligations obligatoirement convertibles en 2010,  2.000.000.000 8,75% » selon la traduction commune des parties), sa page de garde indique également que « les MCS seront obligatoirement convertis en actions Fortis le 7 décembre 2010 ('date de maturité') », la « date de maturité » est précisée comme étant le 7 décembre 2010 (p. 35 du prospectus). De plus, dans le chapitre consacré aux « Facteurs de risques », le prospectus indique que les risques de fluctuations du prix de l'action Fortis sont à charge des détenteurs des MCS. Si ceux-ci avaient été autorisés à postposer unilatéralement la date de maturité des MCS, il est clair que les risques liés à une chute du cours des actions seraient pratiquement réduits à zéro puisque les obligataires auraient ainsi pu attendre indéfiniment avant de convertir leurs MCS en actions Fortis.

38. L'économie du contrat contredit également l'interprétation donnée par les fonds d'investissement à l'article 2.10. En effet, il résulte des analyses financières auxquelles ont fait procéder les émetteurs que le prix d'émission des MCS de 2.000.000.000 EUR était en ligne avec une maturité de 3 ans, qu'il était « incompatible avec une maturité plus longue (p. ex. 20 ans) » et que s'il avait été dans l'intention des émetteurs, au moment de l'émission des MCS, d'accorder à l'assemblée générale des obligataires le pouvoir unilatéral de modification revendiqué « ils auraient réalisé que les détenteurs prolongeraient la maturité et le prix d'émission aurait été fixé à une valeur bien plus élevée que la valeur nominale. Le fait que les MCS de Fortis aient été émis à leur valeur nominale avec un coupon de 8,75% indique de façon convaincante qu'il n'a jamais été question de conférer aux détenteurs de MCS un droit unilatéral de prolongation de la maturité » (cf. le rapport Duff & Phelps précité, pp. 14 et 15, § 5.3.6 et 5.3.8 tel que traduit par Ageas). De plus, comme rappelé ci-dessus, les MCS ont été structurés en instruments de capital hybride Tier 1. Or, cette qualité a été attribuée aux MCS notamment en raison de leur conversion obligatoire. A juste titre est-il relevé qu'« il était également nécessaire que l'émission des MCS soit structurée comme une sorte d'achat d'actions à terme (pas seulement une option, mais une obligation 'd'achat' par conversion), afin que les MCS puissent être considérés comme des capitaux propres de classe Tier 1: les actions représentant du capital sont la forme la plus classique de capital Tier 1; un instrument de dette pur, non-hybride, ouvrant le droit à un intérêt fixe dans le chef de son détenteur, ne peut évidemment pas être considéré comme des capitaux propres et n'est donc pas intéressant dans le cadre de la protection contre l'insolvabilité de la banque émettrice, ce qui est pourtant tout l'objectif de la réglementation relative au capital Tier 1 » (avis du professeur De Wulf, p. 19, pièce 85 d'Ageas). La possibilité pour les détenteurs de MCS de prolonger unilatéralement la durée de l'émission (de manière indéfinie dans l'interprétation des fonds d'investissement) ou de modifier ou d'annuler unilatéralement la clause de conversion (art. 2.12 du Schedule 3) serait donc de nature à affecter la reconnaissance du caractère Tier 1 des MCS puisque les fonds versés à la souscription des MCS ne pourraient donc tenir le rôle de fonds propres destinés à l'absorption éventuelle des pertes. Il est certain que la qualité de Tier 1 n'aurait pas été reconnue par les régulateurs si l'assemblée générale des détenteurs de MCS avait eu la possibilité de modifier unilatéralement ces caractéristiques essentielles des MCS. C'est précisément parce que ces autorités ont interprété le Schedule 3 comme les émetteurs que la qualification de Tier 1 a été maintenue.

39. Quant aux conditions d'autres emprunts, qui, dans la thèse des fonds d'investissement, démontreraient que le texte de l'article 2 du Schedule 3 ne serait pas « standard » et ne serait pas une simple reproduction de l'article 568 du Code des sociétés, il y a lieu de retenir que les émissions Recticel et Delhaize contiennent un Schedule 3 rédigé dans des termes identiques au Schedule 3 des MCS et que les conseils de ces émetteurs, dont rien ne permet de mettre en doute la probité, ont confirmé dans des affidavits que ni les émetteurs ni les banques ni le Trustee n'avaient eu, dans ces émissions, l'intention d'accorder des droits aux obligataires de modifier unilatéralement les modalités de l'emprunt et que l'article 2.10 ne visait qu'à établir un mécanisme de prise de décision majoritaire au sein de la collectivité des obligataires (cf. pièces 60 d'Ageas pour Delhaize et 4.5 d'ABN Amro pour Recticel, le conseil de cette dernière précisant également que « l'interprétation proposée est d'ailleurs absurde: elle mettrait le financement de Recticel à la merci du bon vouloir de ses créanciers, qui auraient le droit d'en prolonger ou raccourcir à leur gré la durée. Ceci n'a commercialement aucun sens; aucune entreprise n'accepterait d'émettre un emprunt dans de telles conditions »). Par ailleurs, le prospectus Euroclear (pièce X.8. des fonds d'investissement) ne comprend pas un article similaire à l'article 2.10 mais une clause analogue à la version originale du projet de Schedule 3. En effet, l'émission d'Euroclear était soumise au droit luxembourgeois qui permet de déroger aux quorums de majorité prévus, à titre supplétif, par cette législation. Les modifications apportées dans la présente cause n'étaient donc pas nécessaires.

C'est tout aussi vainement que les fonds d'investissement pensent pouvoir trouver dans la rédaction des textes des nouveaux emprunts obligataires émis par des émetteurs belges (et plus particulièrement l'émission réalisée par AG Insurance en 2013), une reconnaissance du bien-fondé de leur interprétation. L'adjonction de la précision selon laquelle les modifications des conditions de l'emprunt requièrent le consentement de l'émetteur peut parfaitement s'analyser comme une conséquence de l'action actuelle entreprise par les fonds d'investissement et le souci des émetteurs d'éviter qu'une action similaire soit encore intentée dans l'avenir.

40. Il découle dès lors de l'ensemble de ces considérations que l'intention commune des parties n'était pas d'octroyer à l'assemblée générale des détenteurs de MCS un droit de modifier unilatéralement les conditions de l'emprunt obligataire.

f) Sur l'apparence trompeuse des émetteurs

41. Les fonds d'investissement soutiennent enfin qu'ils pouvaient en tout cas légitimement se fier à l'apparence résultant du texte du Schedule 3 rédigé par les émetteurs qui sont responsables de sa rédaction.

42. L'ensemble des documents contractuels renvoient au droit belge et à l'article 568 du Code des sociétés dont il a été rappelé ci-dessus qu'il ne confère aucun pouvoir unilatéral de modification des conditions de l'emprunt aux obligataires. Le prospectus (les fonds d'investissement ayant acquis les MCS en 2009) qui reproduit les conditions des MCS indique de manière non équivoque que les obligations seront obligatoirement converties en actions Fortis en décembre 2010. Dans son courrier du 29 juillet 2010, Third Point LP rappelait d'ailleurs qu'« aux termes de la transaction originale, les MCS seront obligatoirement convertis le 7 décembre 2010 » (selon la traduction des fonds d'investissement, pièce VIII.1).

Le moyen n'est dès lors pas fondé.

g) Conclusions

43. Il découle de l'ensemble des considérations qui précèdent que la résolution adoptée par l'assemblée générale des obligataires du 8 novembre 2010 de prolonger la date de maturité des MCS de 20 ans ne lie pas les émetteurs à défaut d'accord de ces derniers et partant que la conversion des MCS en actions Ageas à laquelle il a été procédé le 7 décembre 2010 est valable. Il n'est pas démontré qu'en procédant à cette conversion à la date contractuellement prévue, les émetteurs auraient commis un abus de droit.

Le jugement entrepris est dès lors confirmé en ce qu'il rejette l'ensemble des prétentions formulées tant à titre principal qu'à titre subsidiaire par les fonds d'investissement.

(...).

V. Dispositif [Conforme aux motifs.]

Note / Noot

Cette décision fait l'objet d'un pourvoi en cassation.