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Droit de la concurrence en temps de crise : quo vadis?, R.D.C.-T.B.H., 2020/10, p. 1346-1360

Droit de la concurrence en temps de crise: quo vadis?

Laurent De Muyter et Laurence Van Mullem [1]

TABLE DES MATIERES

I. Introduction

II. Droit des aides d'Etat et mesures d'aide d'urgence 1. Instruments existants

2. Cadre temporaire pour les aides d'Etat COVID-19

3. Commentaires et réflexions

III. Ententes entre entreprises et abus de position dominante 1. Cadre temporaire pour les ententes COVID-19

2. Vigilance accrue sur les prix des produits jugés essentiels

3. Commentaires et réflexions

IV. Concentrations 1. Aspects procéduraux

2. Argument de l'entreprise défaillante

3. Commentaires et réflexions

V. Revue de la pratique décisionnelle de l'Autorité belge de la concurrence (« ABC ») en temps de crise

VI. Conclusion

RESUME
Cette contribution examine l'impact de la crise sur l'application des différentes matières du droit de la concurrence, au niveau européen et belge.
L'incidence de la crise est d'abord tout particulièrement visible dans le domaine des aides d'Etat, où la Commission européenne a adopté en mars dernier un cadre réglementaire spécifique à vocation temporaire. Au 31 décembre 2020, la Commission avait avalisé plus de 370 régimes d'aides « COVID » pour un montant cumulé dépassant les trois trillions EUR.
En matière d'ententes entre entreprises également, la Commission a introduit certains ajustements dans la mise en oeuvre des règles du droit de la concurrence, en tolérant certaines pratiques typiquement condamnables en temps normal. De même, les autorités de concurrence ont averti qu'elles entendaient mener une politique de tolérance zéro contre les prix excessifs et les cartels de crise.
En ce qui concerne les concentrations, des mesures d'organisation interne ont été prises notamment pour s'adapter au télétravail. Si le nombre d'opérations de concentrations notifiées à la Commission européenne n'a pratiquement pas diminué par rapport aux autres années, on remarque que la Commission a eu souvent recours au mécanisme du « stop the clock » permettant de gagner du temps dans les affaires les plus complexes.
Enfin, au niveau belge, on note en définitive peu de changements dans la pratique décisionnelle et le fonctionnement de l'Autorité belge de la concurrence. La crise n'a, par exemple, pas été l'opportunité d'appliquer le nouveau régime de l'abus de dépendance économique ni celui du contrôle des prix. Au final, l'Autorité n'a eu à connaître que de quelques dossiers particuliers liés à l'arrêt anticipé des matchs de la Pro League.
SAMENVATTING
Deze bijdrage onderzoekt de impact van de crisis op de toepassing van verschillende domeinen van het mededingingsrecht, op Europees en Belgisch vlak.
De impact van de crisis is allereerst bijzonder zichtbaar op het gebied van staatssteun, waar de Europese Commissie afgelopen maart een tijdelijk en specifiek regelgevend kader heeft aangenomen. Op 31 december 2020 had de Commissie meer dan 370 “COVID”-steunregelingen goedgekeurd voor een cumulatief bedrag van meer dan drie biljoen EUR.
Ook op het gebied van overeenkomsten tussen ondernemingen heeft de Commissie bepaalde aanpassingen aangebracht in de uitvoering van de regels van het mededingingsrecht, waarbij zij bepaalde praktijken tolereert die in normale tijden doorgaans laakbaar zijn. Tegelijkertijd hebben de mededingingsautoriteiten gewaarschuwd dat ze voornemens zijn een nultolerantiebeleid te voeren tegen buitensporige prijzen en crisiskartels.
Wat de fusies betreft, werden er interne organisatorische maatregelen genomen, met name om zich aan te passen aan telewerken. Het aantal bij de Europese Commissie aangemelde fusietransacties is nauwelijks afgenomen in vergelijking met andere jaren, maar de Commissie heeft vaak een beroep heeft gedaan op het “stop the clock”-mechanisme, wat toelaat tijd te winnen in de meest complexe zaken.
Op Belgisch niveau ten slotte, verandert er uiteindelijk weinig in de besluitvormingspraktijk en de werking van de Belgische Mededingingsautoriteit. De crisis heeft dus niet de gelegenheid geboden om het nieuwe regime van misbruik van economische afhankelijkheid of de prijscontroleregime toe te passen. Uiteindelijk behandelde de Autoriteit slechts enkele specifieke gevallen, met betrekking tot de voortijdige beëindiging van Pro League-wedstrijden.
I. Introduction

A l'heure de la deuxième vague de la pandémie de COVID-19, l'Europe s'engouffre un peu plus dans la crise. Comme le montre ce numéro spécial, le COVID-19 et le marasme économique qui l'accompagne ont une incidence plus ou moins forte sur de nombreuses branches du droit. Le droit de la concurrence est en première ligne à cet égard puisqu'il vise à préserver le bon fonctionnement des marchés.

D'abord, du point de vue des pouvoirs publics, les conséquences économiques du COVID-19 nécessitent la prise de mesures fortes pour amortir le choc, maintenir et, le cas échéant, relancer l'économie. Si ces interventions étatiques sont sans doute nécessaires et légitimes, elles n'en restent pas moins encadrées par les règles européennes sur les aides d'Etat de manière à minimiser les distorsions de concurrence qu'elles pourraient engendrer.

De même, pour les entreprises, le COVID-19 n'est pas une carte blanche pour s'affranchir des règles de concurrence et se lancer par exemple dans des cartels sur les prix ou dans le partage de marchés. Comme l'a souligné la vice-présidente et commissaire à la concurrence Margrethe Vestager, « la crise n'est pas un bouclier contre l'application du droit de la concurrence ». [2] Sur ce point, Margrethe Vestager semble emboîter le pas de sa prédécesseur Neelie Kroes, qui avait déclaré au début de la crise des « subprimes » en octobre 2008 que l'application des règles de concurrence faisait partie non pas du problème, mais des solutions de sortie de crise.

La présente contribution a pour objet d'examiner l'impact de la crise actuelle sur l'application du droit de la concurrence. Elle abordera en premier lieu les aspects liés au droit européen des aides d'Etat. On verra que cette matière est, sans surprise, l'une des plus touchées par la crise, comme en témoigne les plus de 300 mesures d'aide d'urgence approuvées par la Commission européenne (la « Commission ») au 31 décembre 2020 sur base d'un encadrement temporaire spécifique. En second lieu, la présente contribution se penchera sur le contrôle des ententes entre entreprises qui fait également l'objet d'un cadre juridique temporaire. Le domaine des concentrations sera quant à lui examiné en troisième lieu, plus particulièrement sous l'angle des difficultés procédurales causées par les différentes mesures de confinement prises par les Etats membres. Enfin, la présente contribution reviendra sur la pratique de l'Autorité belge de la concurrence (l'« ABC ») pendant cette période de crise.

Si ce tour d'horizon se donne pour ambition d'orienter les entreprises et praticiens du droit dans les méandres - parfois complexes - de l'application des règles de la concurrence en temps de crise, il ne prétend aucunement à l'exhaustivité. Les références internet mentionnées dans cette contribution ont été consultées au 31 décembre 2020.

II. Droit des aides d'Etat et mesures d'aide d'urgence

En vertu de l'article 107, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (« TFUE »), les Etats membres ne peuvent pas accorder d'aides financières à des entreprises si celles-ci sont susceptibles d'entraîner une distorsion de concurrence et du commerce entre Etats membres. Ces mesures, qualifiées d'« aides d'Etat », peuvent toutefois être approuvées par la Commission à condition d'être réputées compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107, paragraphes 2 et 3 du TFUE. Elles doivent pour ce faire lui être notifiées préalablement à leur mise en oeuvre (art. 108, paragraphe 3 du TFUE). En d'autres termes, tout support financier étatique visant à remédier à la flambée de l'épidémie de COVID-19 doit en principe être avalisé par la Commission avant de pouvoir être octroyé.

Il existe deux principales causes de justification des aides d'Etat en lien avec le COVID-19. L'article 107, paragraphe 2, point b, du TFUE considère compatibles les aides permettant de remédier aux dommages directement causés par des événements extraordinaires, et permet donc aux Etats membres d'indemniser les secteurs particulièrement touchés par la flambée du COVID-19 (tourisme, horeca, transport, culture, événementiel, etc.). De même, l'article 107, paragraphe 3, point b, du TFUE autorise la Commission à approuver des mesures nationales plus générales destinées à remédier à une perturbation grave de l'économie d'un Etat membre. C'est sur cette base juridique qu'avait été adopté le cadre réglementaire spécifique applicable lors de la crise des subprimes. [3] Auparavant, cette disposition avait été utilisée lors de la récession des années 1970 ainsi que dans le cadre d'un plan de redressement de l'économie grecque au début des années 1990. [4] Elle est donc relativement bien connue des autorités.

Sans surprise et en sus des instruments existants (décrits infra, point 1), ces mesures par nature exceptionnelles ont été largement mobilisées depuis mars 2020 afin de soutenir les entreprises face à la crise (infra, point 2.). Pour reprendre les termes de la Commission, il fallait « permettre aux Etats membres d'agir de manière décisive et coordonnée, en utilisant toute la flexibilité de nos cadres instaurés par les aides d'Etat et le pacte de stabilité et de croissance » dès lors que « la principale réponse budgétaire au coronavirus proviendra des budgets nationaux des Etats membres ». [5]

1. Instruments existants

Dans une certaine mesure, le cadre réglementaire classique des aides d'Etat offrait déjà aux Etats la possibilité d'octroyer des mesures de soutien pour atténuer les effets socio-économiques du COVID-19.

D'abord, il existe une série de mesures de soutien financier qui échappent à l'application du droit des aides d'Etat et qui peuvent dès lors être mises en place immédiatement sans approbation de la Commission. Il en va ainsi des mesures applicables à toutes les entreprises sans distinction (c.-à-d. sans « sélectivité », qui est une condition nécessaire à la qualification d'aide d'Etat), tel que l'octroi de subventions salariales, le chômage temporaire, la suspension de paiement de l'impôt ou des cotisations sociales, etc. Il en va de même des fonds nationaux destinés aux services de santé ou à d'autres services publics afin de lutter contre le COVID-19. Les Etats peuvent en outre directement accorder un soutien financier aux consommateurs, et ainsi, par exemple, assurer le remboursement de vacances ou billets d'avion qui ne seraient pas pris en charge par les opérateurs concernés, sans que ce soutien ne relève de la qualification d'aide d'Etat.

Ensuite, pour les mesures constitutives d'une aide d'Etat, différents types d'instruments permettent de fournir des aides sans, en principe, devoir passer par la case de notification. Les conditions d'octroi et de compatibilité de ces différentes aides varient selon la base juridique utilisée. Ainsi, les Etats peuvent accorder des aides au titre du règlement de minimis [6] ou au titre du règlement général d'exemption par catégorie (« RGEC »). [7] Ces deux instruments juridiques se révèlent toutefois mal adaptés à l'ampleur de la crise actuelle. Le règlement de minimis plafonne le montant de subventions autorisées à 200.000 EUR seulement sur une période de 3 ans. [8] Quant au RGEC, il couvre des catégories d'aides limitativement énumérées et prévoit des seuils de notification qui ne correspondent pas aux besoins des entreprises touchées de plein fouet par la flambée du COVID-19.

Parallèlement à ces mesures, les lignes directrices de la Commission concernant les aides au sauvetage et à la restructuration d'entreprises en difficulté permettent d'octroyer une aide d'urgence et temporaire (sous la forme de prêts ou garanties) à des entreprises faisant face à une faillite imminente ou à des besoins importants de liquidités causés par l'épidémie de COVID-19. [9] Ces règles sont toutefois très contraignantes: l'aide au sauvetage prévue dans ces lignes directrices est en principe limitée à une période de 6 mois (18 mois pour les PME), tandis que l'aide à la restructuration également encadrée par les lignes directrices ne peut être accordée aux entreprises ayant déjà bénéficié d'une autre mesure d'aide selon le principe de non-récurrence (« one time, last time »). Ces mesures d'aides doivent en outre elles aussi être notifiées et approuvées par la Commission.

Pour toute autre type d'aide, un examen détaillé et au cas par cas de la Commission est en principe requis conformément aux dispositions de l'article 107, paragraphes 2 et 3., point b, précitées. La Commission avait toutefois d'ores et déjà annoncé à l'occasion de sa Communication du 13 mars 2020 sur la réponse économique à la crise qu'elle se tenait prête à collaborer avec les Etats membres pour trouver des solutions réalistes afin d'indemniser les entreprises pour les dommages subis en raison du COVID-19. [10]

Comme pour confirmer qu'elle se tenait prête à agir rapidement, la Commission a autorisé le premier régime d'aide COVID-19 le jour-même de la publication de sa communication sur la réaction à la crise. L'aide en cause concernait un mécanisme danois de 12 millions d'euros destiné à compenser les organisateurs d'événements. Ce mécanisme a été avalisé en seulement 24 heures sur le fondement de l'article 107, paragraphe 2, point b, du TFUE. [11] Par la suite, 36 mesures d'aides sectorielles de grande ampleur ont été approuvées sur la même base juridique endéans des délais raccourcis (souvent 48 heures, voire 24 heures). [12] 16 autres mesures ont par ailleurs été approuvées sur pied de l'article 107, paragraphe 3, point b, du TFUE, dont 2 concernant la Belgique. [13]

2. Cadre temporaire pour les aides d'Etat COVID-19

Le 19 mars 2020, la Commission a adopté un cadre réglementaire spécifique reprenant les mesures d'aides exceptionnelles que les Etats membres peuvent octroyer aux entreprises dans le contexte de crise actuel (le « cadre temporaire aides d'Etat »). [14] Cet encadrement est fondé sur l'article 107, paragraphe 3, point b, du TFUE précité.

A titre liminaire, il convient de souligner que le cadre temporaire aides d'Etat ne dispense pas les Etats membres de l'obligation de notification préalable. Il se borne à fournir une sorte de « boîte à outils » des types de mesures d'aide que les Etats peuvent mettre en place ainsi que les conditions qui les accompagnent. La Commission approuve ensuite la mesure d'aide proposée après un examen rapide et standardisé du respect des conditions prescrites dans le cadre temporaires aides d'Etat. S'il s'avère par la suite que ces conditions n'ont pas été respectées, l'aide pourrait devoir être remboursée par son ou ses bénéficiaires.

Le cadre temporaire aides d'Etat prévoit 11 mesures d'aides qui peuvent être regroupées en 3 catégories: (i) les aides visant à soutenir les entreprises financièrement fragilisées par la crise, (ii) les aides visant à favoriser la R&D et la fabrication de produits liés au COVID-19 et les investissements pour participer à la réponse sanitaire, ainsi que (iii) les aides visant à protéger l'emploi et l'activité économique. Ces aides peuvent être cumulées entre elles, sauf quelques exceptions. Elles peuvent également être cumulées avec les aides de minimis et les aides exemptées au titre du RGEC.

Le cadre temporaire aides d'Etat déroge au principe cardinal du « one time, last time » en ce qu'il permet à une entreprise qui a déjà bénéficié d'une aide à la restructuration de pouvoir à nouveau bénéficier des mesures d'aide COVID-19. [15] Toutefois, puisque l'objectif principal est de fournir un soutien ciblé à des entreprises qui connaissent des difficultés suite à la crise mais qui sont viables par ailleurs, le cadre temporaire aides d'Etat n'est pas applicable aux entreprises qui étaient déjà en difficulté avant la crise, soit avant le 31 décembre 2019. [16] Cette mesure vise à éviter les effets d'aubaine en ne protégeant pas inutilement les entreprises inefficientes de toute façon amenées à disparaître.

D'autres garde-fous sont également mis en place. En particulier, le cadre temporaire aides d'Etat rattache les prêts ou les garanties bonifiés en faveur des entreprises à l'échelle de leur activité économique, ainsi qu'à l'utilisation du soutien public pour couvrir des besoins en fonds de roulement ou des besoins d'investissement. Il prévoit aussi que l'octroi d'une aide ne peut en aucun cas être soumis à des conditions de délocalisation de la production ou d'une autre activité d'un pays à l'autre.

Prévu initialement pour une durée de 9 mois (jusqu'au 31 décembre 2020), le cadre temporaire aides d'Etat a déjà été modifié à 4 reprises. [17] Dans sa dernière modification en date au 13 octobre 2020, la Commission a prolongé l'ensemble des mesures jusqu'au 30 juin 2021 (jusqu'au 30 septembre 2021 en ce qui concerne les aides à la recapitalisation d'entreprises). Signe que la Commission n'est pas prête à refermer le robinet des aides d'Etat, elle a d'ores et déjà indiqué qu'elle réexaminera le cadre temporaire aides d'Etat et évaluera la nécessité de le prolonger ou de l'adapter à nouveau avant son expiration prévue au 30 juin 2021. [18] La Commission a cependant prévenu dans le même temps qu'elle dialoguera avec les Etats membres et adressera des orientations pour s'assurer que les projets d'investissement visant la reprise économique soient compatibles avec la réglementation aides d'Etat. On se souviendra que lors de la crise bancaire de 2008, le cadre temporaire est resté en place pendant 3 ans.

Enfin et en sus du cadre temporaire aides d'Etat, la Commission a mis en place des moyens exceptionnels de procédure. Il s'agit notamment d'une procédure de notification urgente, de l'adoption (très) rapide de décisions de compatibilité, de la mise en place d'un point de contact dédié pour répondre aux questions des Etats membres, de l'usage unique de l'anglais (sauf apparemment pour la France et pour la Wallonie). L'ensemble de ces mesures est repris dans un onglet spécifique sur le site Internet de la direction générale de la concurrence (« DG COMP »). [19]

3. Commentaires et réflexions

L'incidence de la crise sur l'application du droit de la concurrence est particulièrement visible dans le domaine des aides d'Etat, où, comme lors de la crise de 2008, la Commission européenne a su montrer une faculté d'adaptation et de flexibilité. Elle a ainsi établi, en quelques semaines seulement, un cadre juridique propre permettant d'encadrer les mesures de soutien visant à limiter l'impact économique du COVID-19. Il lui avait fallu plusieurs mois pour adopter un tel cadre en 2008. [20]

Entre le 19 mars 2020 et le 31 décembre 2020, la Commission a adopté 370 décisions d'autorisation, dont 323 sur base du cadre temporaire. Ces décisions avalisent des régimes d'aides pour un montant cumulé d'environ trois trillions d'euros. A titre de comparaison, la Commission avait approuvé 155 régimes d'aides à la même période en 2019. C'est dire l'ampleur des ressources allouées par les Etats membres aux aides d'urgence visant à atténuer les effets de la crise.

L'activité sans précédent de la Commission témoigne également de sa volonté politique de continuer à contrôler le soutien public aux entreprises [21], et ce afin de garantir la non-fragmentation du marché intérieur de l'Union et la préservation de conditions de concurrence équitables. A cet égard, le cadre temporaire aides d'Etat souligne que: « Si l'intégrité du marché intérieur est maintenue, la reprise en sera aussi plus rapide. Cela permet également de prévenir les courses aux subventions préjudiciables, au cours desquelles les Etats membres disposant de plus de moyens peuvent dépenser plus que leurs voisins, et ce au détriment de la cohésion au sein de l'Union. » [22]

Or, l'assouplissement des règles normalement applicables a rendu possible une utilisation massive des régimes d'aides, créant ainsi le risque d'aggraver la fragmentation du marché intérieur et d'accentuer le clivage économique entre Etats membres du nord et du sud à plus long terme. Dans les faits, il semble que l'Allemagne concentre à elle seule financièrement près de la moitié de la totalité des programmes d'aides approuvés par la Commission. [23]

Qui plus est, le nombre impressionnant de décisions d'approbation et la célérité avec laquelle elles ont été adoptées crée le sentiment d'une certaine automaticité dans l'approche de la Commission; que renforce encore la relative brièveté des décisions d'approbation de la Commission. Dès lors que l'approbation des régimes d'aides se fait avec (beaucoup) plus de souplesse, il n'est pas à exclure que davantage de concurrents s'estimant lésés introduisent des recours en justice. Ainsi, la compagnie aérienne Ryanair a entrepris d'attaquer systématiquement en justice les aides d'Etat octroyées aux compagnies aériennes nationales, estimant être indûment désavantagée par rapport à ses concurrents.

III. Ententes entre entreprises et abus de position dominante

L'article 101, paragraphe 1, du TFUE interdit « tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché intérieur ». En vertu de cette disposition, les entreprises ne peuvent par exemple pas s'accorder sur - ou échanger des informations concernant - les prix qu'elles vont pratiquer ou les quantités produites, de même que leurs capacités de production. [24] L'article 102 du TFUE interdit quant à lui les abus de position dominante, telles que les pratiques d'exclusion comme les rabais de fidélité ou les pratiques d'exploitation comme les prix excessifs.

En règle, le droit de la concurrence continue à s'appliquer même en temps de crise. Autrement dit, les entreprises ne peuvent tirer prétexte de la pandémie pour faire ce qu'elles ne pourraient pas faire en temps normal. Bien que cette interdiction de principe soit maintenue, les autorités de concurrence européennes ont pris des ajustements pour faire face aux enjeux de la crise. Cette réaction inclut une redéfinition des priorités de la politique de contrôle et une volonté d'accompagner les entreprises de manière individuelle (infra, 1.). Dans le même temps, les autorités de concurrence ont prévenu qu'elles appliqueraient une politique de tolérance zéro contre les pratiques de prix excessifs et autres cartels de crise (infra, 2.).

1. Cadre temporaire pour les ententes COVID-19

En matière d'ententes entre entreprises, les instruments classiques du droit de la concurrence ne sont pas nécessairement flexibles par rapport à la survenance d'une crise telle que celle que nous connaissons. Ainsi, un accord par lequel plusieurs laboratoires mettent leur savoir-faire en commun afin de développer le plus rapidement possible un vaccin contre le COVID-19 doit-il en principe respecter les conditions du règlement d'exemption par catégorie pour les accords de recherche et de développement. [25] De même, les accords d'achat en commun visant à assurer l'approvisionnement des biens et services de première nécessité peuvent être exemptés de l'application des règles de concurrence si la part de marché des entreprises en cause n'excède pas 15% sur les marchés de l'achat ou de la distribution. [26] Dans tous les autres cas et pour les autres types d'accord, une analyse concurrentielle plus fine et au cas par cas est normalement requise. A cet égard, ni la pratique administrative, ni les lignes directrices de la Commission sur les ententes horizontales (entre concurrents directs) et verticales (entre entreprises actives à différents niveaux de la chaîne de production) n'offrent de solution permettant de mettre en oeuvre tous les types d'accords qui apparaissent nécessaires pour faire face à l'inadéquation entre l'offre et la demande pour certains produits provoquée par le COVID-19.

Face à cette problématique, l'une des premières réponses des autorités de concurrence et de la Commission européenne fut une déclaration commune émise au sein du réseau européen de concurrence (« REC ») le 23 mars dernier. Dans cette déclaration, le REC indique que les autorités de concurrence n'interviendront pas activement contre les mesures nécessaires et temporaires mises en place pour éviter une pénurie d'approvisionnement des produits de première nécessité. [27] Cette déclaration précise également que la Commission et les autorités nationales concernées se tiennent à disposition des entreprises pour répondre aux demandes d'orientation informelles quant à la licéité de leurs accords de coopération.

Le 8 avril 2020, la Commission a publié une communication qui donne des éléments d'appréciation pour l'application des règles de concurrence à certains accords de coopération en temps de crise. [28] Ce cadre temporaire (le « cadre temporaire ententes ») s'applique aux accords de coopération destinés à « garantir la fourniture et la distribution en suffisance de produits et de services essentiels dont la disponibilité est limitée pendant la pandémie de COVID-19 et, de la sorte, remédier à la pénurie de ces produits et services essentiels résultant, d'abord et avant tout, de la croissance rapide et exponentielle de la demande ». Il est donc limité aux accords de coopération dans le secteur de la santé visant à réagir à la pénurie de l'offre de soins, en particulier en ce qui concerne l'approvisionnement en médicaments. [29]

Le cadre temporaire ententes commence par rappeler que certaines coopérations ne soulèvent en principe pas de difficulté au regard des règles existantes. Selon celui-ci, une coopération non problématique pourrait s'opérer via une association professionnelle ou un conseil indépendant qui se chargerait de la coordination des approvisionnements et recueillerait auprès des entreprises concurrentes des informations agrégées, sans que ces dernières soient in fine partagées entre concurrents. En sus de ces accords, la Commission reconnaît le besoin de coopérations plus étendues en situation de pénurie critique d'approvisionnement. Ces coopérations pourraient nécessiter des échanges d'informations sensibles et une répartition des capacités de production. En temps normal, ce type de mesures serait en principe illicite en droit de la concurrence. Les circonstances exceptionnelles actuelles conduisent toutefois à considérer que de telles mesures ne seraient pas problématiques - car elles produisent des bénéfices compensant la restriction de concurrence commise - ou ne feraient en tout état de cause pas l'objet d'un contrôle prioritaire de la part de la Commission.

Le cadre temporaire ententes précise dans quelles situations et selon quelles modalités les entreprises peuvent coopérer en temps de crise. En particulier, il prévoit que les mesures:

    • soient conçues de manière à accroître réellement les capacités de production et soient objectivement nécessaires pour faire face à la pénurie de biens et services essentiels;
    • soient temporaires par nature (ce qui signifie que la coopération doit cesser lorsqu'il n'y a plus de risque de pénurie et ne peut en tout état de cause se prolonger au-delà de la pandémie); et
    • n'excèdent pas ce qui est strictement nécessaire pour atteindre l'objectif d'approvisionnement.

    Le fait qu'une coopération soit encouragée et/ou coordonnée par un pouvoir public constitue également un facteur pertinent pris en compte. [30] Les entreprises doivent par ailleurs documenter et conserver leurs échanges afin de permettre à la Commission d'exercer son pouvoir de contrôle a posteriori.

    La véritable originalité du cadre temporaire ententes réside dans le retour des lettres administratives de compatibilité (plus connues sous la dénomination anglaise comfort letters). Bien que les entreprises doivent en principe toujours évaluer elles-mêmes la compatibilité de leurs projets de coopération avec les règles de concurrence, le mécanisme des lettres de confort permet d'obtenir un avis favorable ou un retour d'informations de la Commission de manière informelle. Ce mécanisme avait été formellement supprimé lors de la modernisation du droit de la concurrence de 2003. [31] Compte tenu des circonstances de crise et en vue d'accroître la sécurité juridique, la Commission a toutefois indiqué qu'elle était prête à réitérer la pratique des lettres de confort à titre exceptionnel et à sa seule discrétion. La DG COMP a ouvert un site web et créé une boîte e-mail spécifique où les entreprises peuvent poser leurs questions.

    Le jour-même de la publication du cadre temporaire ententes, le mécanisme était appliqué pour la première fois en près de 20 ans. La Commission a en effet délivré une lettre de confort à l'association Medecines for Europe concernant un projet de coopération destiné à éviter des situations de pénurie de médicaments critiques dans les hôpitaux. Un tel accord aurait probablement posé des problèmes de concurrence dans un contexte normal. Toutefois, dans les circonstances actuelles, la Commission a estimé que la coopération ne devrait en principe pas soulever de difficultés, sous réserve de certaines garanties visant notamment à s'assurer que l'échange d'informations commerciales se limite au strict nécessaire. Par la suite, Margrethe Vestager a publiquement indiqué avoir eu des contacts informels avec des représentants du secteur automobile. [32] Des initiatives similaires ont également été prises au niveau national. [33]

    2. Vigilance accrue sur les prix des produits jugés essentiels

    Alors que la première vague de COVID-19 s'annonçait et que s'installait un vent de panique générale, l'un des effets économiques immédiats de la pandémie fut l'augmentation massive des prix de certains produits, en particulier les gels hydroalcooliques et les masques faciaux. La question s'est alors posée de la possibilité de mobiliser le droit de la concurrence pour s'opposer, par exemple, à ce qu'un masque soit vendu au supermarché à 28 euros l'unité. [34]

    Aussi bien la Commission que les autorités nationales de concurrence ont souligné que les infractions aux règles de concurrence commises à la faveur de la crise ne seraient pas tolérées. Ainsi, Margrethe Vestager a-t-elle déclaré le 27 mars 2020 que le contexte actuel de pandémie n'était nullement une carte blanche pour ne pas respecter les règles de concurrence, soulignant que ses services « seront encore plus vigilants qu'en temps normal si les entreprises tentent de profiter du virus ». [35] Les autorités de concurrence nationales ont fait de même dans le contexte du REC. [36]

    Toutefois, si le droit de la concurrence dispose d'outils pour prévenir les situations de hausse de prix, il s'agit d'un domaine où les droits nationaux et en particulier le domaine du droit à la consommation sont traditionnellement mieux équipés.

    Le droit européen de la concurrence est en effet mal adapté tant d'un point de vue substantiel que procédural pour répondre au price gouging - ces pratiques de prix anormalement élevés survenant suite à une demande excessive ou à une situation de pénurie. [37] Au sein de l'Union européenne, les pratiques de prix inéquitables peuvent être qualifiées d'abus de position dominante au sens de l'article 102 du TFUE. La mise en oeuvre de l'interdiction de telles pratiques se heurte cependant à plusieurs limites, tenant à la fois à l'établissement préalable d'une position dominante et à la difficulté de faire application du test de « prix excessif » consacré par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne [38], ce qui explique le faible nombre de décisions d'infraction en la matière. [39] Il semble également difficile d'appréhender les situations de price gouging sur la base de l'article 101 du TFUE interdisant les ententes anticoncurrentielles entre entreprises, puisque celles-ci ne résultent typiquement pas d'un accord entre entreprises.

    Au niveau national, plusieurs enquêtes ont été ouvertes et permettront peut-être d'apporter des réponses. Par exemple, le 12 mars 2020, l'Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato (« AGCM ») a ouvert deux enquêtes à l'encontre des plates-formes eBay et Amazon pour des augmentations substantielles de prix de produits désinfectants pour les mains, de masques de protection et autres produits hygiénico-sanitaires. [40] L'AGCM a également envoyé des demandes d'informations aux acteurs de la grande distribution en ce qui concerne des augmentations de prix pour les denrées alimentaires de base, les désinfectants et les gants. En Espagne, la Comisión Nacional de los Mercados y la Competencia (« CNMC ») a indiqué avoir reçu plus de 500 plaintes et demandes de renseignements en lien avec l'application des règles de concurrence en période de crise COVID-19 entre avril et juin 2020. Ces plaintes ont conduit la CNMC à ouvrir une enquête dans le secteur des assurances décès et maladies. [41] En septembre dernier, la CNMC a effectué des perquisitions en lien avec ces pratiques. [42] A l'heure d'écrire ces lignes, ces autorités n'avaient toujours pas communiqué sur l'état d'avancement de leurs enquêtes. [43]

    Même à considérer que le droit de la concurrence offre des solutions pour lutter contre le price gouging, ses contraintes procédurales empêchent en pratique toute solution satisfaisante dans un contexte de crise. [44] Une enquête de la Commission en bonne et due forme suivie d'une décision d'infraction n'est pas une option, puisqu'une procédure standard prend plusieurs années. La possibilité de prononcer des mesures provisoires [45], qui permet en théorie de limiter les dégâts sans devoir attendre l'issue de la prise de décision au fond, n'est pas non plus satisfaisante. En effet, les conditions d'octroi de mesures provisoires au niveau européen sont elles aussi particulièrement difficiles à remplir. La procédure pour l'octroi de mesures provisoires est par nature une procédure contradictoire comprenant une communication des griefs, la réponse à celle-ci ainsi qu'une audition préalable. Autrement dit, même les mesures provisoires sont d'une lourdeur telle qu'en pratique, le droit de la concurrence ne dispose pas des outils nécessaires pour s'attaquer efficacement et rapidement aux pratiques de price gouging.

    C'est ici que d'autres réglementations économiques peuvent s'avérer nécessaires.

    D'abord, le droit de la consommation et des pratiques du commerce constitue un complément utile au droit de la concurrence. En effet, en fonction des spécificités propres à chaque législation nationale, certaines dispositions peuvent permettre de juguler les hausses de prix. Par exemple, en Belgique, la nouvelle réglementation des pratiques déloyales entre professionnels empêche une révision des prix en l'absence de clause spécifique et déterminée (telle une clause de révision des prix ou une clause de hardship). [46]

    En outre, les pouvoirs publics peuvent intervenir directement par la voie législative contre les hausses de prix pour certains produits essentiels en ces temps de crise. Ce fut par exemple le cas en France pour le gel et les solutions hydroalcooliques. [47] Qui plus est, certains Etats membres ont adopté des règles de concurrence plus strictes que les règles européennes, en érigeant de nouvelles catégories d'infractions anticoncurrentielles. C'est le cas en Belgique, où la nouvelle interdiction d'abus de dépendance économique récemment entrée en vigueur [48] vient s'ajouter à l'interdiction existante des abus de position dominante. Il faut comprendre la notion de dépendance économique comme la position de sujétion d'une entreprise à l'égard d'un partenaire commercial incontournable, qui est en mesure d'imposer des prestations ou des conditions qui ne pourraient pas être obtenues dans une situation de concurrence normale. [49] Ces nouvelles dispositions, à mi-chemin entre le droit de la concurrence et le droit des pratiques commerciales déloyales, pourraient permettre d'appréhender avec plus de facilité les pratiques de price gouging entre professionnels. Toutefois, à notre connaissance, ni la Belgique, ni aucun Etat membre incriminant l'abus de dépendance économique (telle que la France, l'Allemagne, ou l'Italie) n'a encore condamné un price gouging sur cette base, même si une enquête a été menée en France. [50]

    Enfin, d'autres autorités disposent de la possibilité de contrôler les prix. C'est notamment le cas de l'Autorité de la concurrence belge qui a la possibilité, sur pied de l'article V.4 du Code de droit économique (« CDE »), de prendre des mesures provisoires valables 6 mois suite à la constatation par l'observatoire des prix d'une évolution anormale de prix et « s'il s'avère urgent d'éviter une situation susceptible de provoquer un dommage grave, immédiat et difficilement réparable pour les entreprises concernées ou pour les consommateurs dont les intérêts sont affectés, ou de léser l'intérêt économique général ». A notre connaissance, cette disposition n'a encore jamais été utilisée depuis son entrée en vigueur, et la pandémie n'a pas davantage justifié sa mise en oeuvre.

    3. Commentaires et réflexions

    Contrairement au domaine des aides d'Etat [51], les traités européens ne prévoient pas de dérogation au principe d'interdiction des ententes anticoncurrentielles en situation de crise. Dès lors, les autorités de concurrence ne pouvaient que se borner à indiquer qu'elles ne s'intéresseront pas en priorité à certains accords de coopération jugés particulièrement nécessaires dans le cadre de leur politique de contrôle. C'est bien là tout l'enjeu du cadre temporaire ententes qui, à défaut de pouvoir véritablement assouplir les règles de concurrence existantes, s'engage à ne pas les appliquer si certaines conditions sont respectées.

    Le cadre temporaire ententes témoigne donc, à l'instar de la réponse apportée en matière d'aides d'Etat, de la volonté de la Commission de faire preuve de flexibilité même en ce qui concerne le rapprochement d'entreprises concurrentes. Force est toutefois de constater que la mise en place de cet encadrement ne confère qu'une sécurité juridique somme toute relative pour les entreprises, et ce pour deux raisons.

    D'une part, parce que le cadre temporaire ententes a un champ d'application limité. Il ne vise en principe que les coopérations permettant de remédier à la pénurie de produits médicaux. [52] Or, la pandémie de coronavirus peut rendre nécessaires d'autres types de coopération en dehors du secteur de la santé. [53] On pense par exemple aux difficultés rencontrées dans le secteur de la grande distribution, où les chaînes de supermarché et autres acteurs de la chaîne d'approvisionnement peuvent être amenés à se coordonner pour faire face au stockage massif de denrées alimentaires, produits nettoyants et autres produits stockés à titre de précaution. Ceci a d'ailleurs poussé Eurocommerce, l'association européenne du secteur, à publier un communiqué attirant notamment l'attention sur le fait que les entreprises s'étaient vues obligées d'échanger certaines informations en matière d'approvisionnement et d'organisation de livraisons à domicile. [54] Suite à ce communiqué, la Commission a demandé à Eurocommerce de lui fournir des informations complémentaires quant à la nature des informations échangées et sur l'identité des autorités de concurrence qui, comme le prétendait Eurocommerce, avaient indiqué envisager de ne pas appliquer pleinement les règles de concurrence. [55] La réaction de la Commission ne fut probablement pas celle qu'Eurocommerce attendait …

    Cet exemple montre bien que la Commission n'a pas l'intention d'assouplir sa politique en matière de cartels de crise et d'accords répartissant les capacités de production, même dans le contexte économique que nous connaissons. Sa position est, à cet égard, la même que celle qui avait prévalu lors de la crise bancaire de 2008. [56]

    Les autorités nationales de concurrence semblent quant à elles vouloir se montrer plus flexibles que la Commission. Certaines autorités ont en effet indiqué qu'elles autoriseraient les producteurs et les distributeurs de denrées alimentaires à se coordonner pour éviter des situations de pénurie, même si cela est normalement interdit. Par exemple, l'Autorité de concurrence néerlandaise autorise les chaînes de supermarché à s'échanger des informations en ce qui concerne la gestion des stocks et quantités de produits vendus, à condition que ces échanges soient strictement nécessaires. [57] L'Autorité de concurrence allemande ainsi que le Gouvernement allemand ont quant à eux indiqués qu'ils « trouveraient une solution », le ministre de l'Economie allemand allant jusqu'à préciser qu'il ne s'agit pas de modifier les règles existantes mais bien de tenir compte de l'application de circonstances particulières lors de leur mise en oeuvre. [58] Le Bundeskartellamt, l'Autorité de concurrence allemande, a également adressé une lettre de confort à destination du secteur automobile en juin dernier. [59] En Italie, l'AGCM a publié un communiqué indiquant que l'Autorité n'entendait pas poursuivre les mesures nécessaires, proportionnées et temporaires visant à remédier à une pénurie d'approvisionnement et a confirmé qu'elle se tenait prête à fournir des orientations aux entreprises à cet effet. [60] En France, l'Autorité de la concurrence a rendu une consultation informelle confirmant que des mesures de soutien consistant à aménager les loyers commerciaux des membres d'une association professionnelle d'opticiens ne semblent pas contraires au droit de la concurrence. [61] On relèvera aussi la décision du Gouvernement norvégien d'accorder une dérogation temporaire à l'interdiction des accords et pratiques anticoncurrentielles dans le secteur du transport, qui a notamment permis aux compagnies SAS et Norwegian Air de coordonner leurs lignes aériennes. [62]

    Il faut toutefois rappeler à cet égard qu'en vertu de la jurisprudence de la Cour de justice [63], les autorités nationales de concurrence ne sont pas habilitées à constater l'absence de violation des articles 101 et 102 du TFUE. Dès lors qu'il existe un effet sur le commerce entre Etats membres et que ces dispositions trouvent à s'appliquer (éventuellement en sus du droit national de la concurrence), la validité d'une dérogation fournie par une autorité nationale est sujette à caution à tout le moins par rapport à l'application des articles 101 et 102 du TFUE.

    D'autre part, l'utilité du cadre temporaire ententes est également relative parce que celui-ci n'a aucune valeur contraignante. Contrairement aux règlements d'exemption par catégorie, le cadre temporaire ententes n'est que de la « soft law ». Par conséquent, il n'offre aucune protection contre des actions intentées par les opérateurs privés pour violation du droit de la concurrence devant les juridictions nationales. C'est d'ailleurs peut-être une des explications possibles pour l'apparent manque d'intérêt des entreprises pour le mécanisme de lettres de confort proposé par la Commission. Un haut fonctionnaire de la DG COMP a ainsi relevé que cette procédure exceptionnelle n'avait que très peu été utilisée. [64] Au 31 décembre 2020, la Commission n'avait publié qu'une seule lettre de confort, celle de Medicines for Europe précitée.

    IV. Concentrations

    En matière de contrôle des concentrations, et contrairement au droit des aides d'Etat et au droit des ententes abordés plus haut, la Commission n'a pris aucune initiative formelle visant à adapter l'application des règles aux circonstances particulières produites par le COVID-19. Autrement dit, la situation de crise n'a en principe rien changé à la façon dont la Commission et les autorités nationales de concurrence examinent, en substance, les projets de rachat, fusions ou autres rapprochements entre entreprises.

    Par contre, les perturbations causées par la pandémie en termes de fonctionnement interne des autorités de concurrence les ont obligées à adapter leurs procédures de traitement des dossiers.

    1. Aspects procéduraux

    Les autorités de concurrence n'ont pas fait exception à la règle du confinement généralisé (y compris le travail à domicile) pour contrer la première et la deuxième vague de la pandémie. Confrontées à ce phénomène inédit, elles ont dû adapter leur modus operandi tout en s'efforçant d'assurer la continuité de leurs missions.

    A titre liminaire, il convient de relever que les difficultés logistiques ne sont pas exactement les mêmes dans le cadre du contrôle des concentrations et dans les autres domaines étudiés ci-dessus. En effet, contrairement à l'examen des aides d'Etat ou d'une pratique anticoncurrentielle, l'examen d'une concentration est soumis à des délais stricts à l'issue desquels une décision d'approbation ou de rejet de l'opération doit intervenir. [65] La situation de confinement emporte donc nécessairement des conséquences pratiques quant à la capacité pour les autorités de concurrence à traiter des dossiers avec la diligence usuelle.

    Avant même la généralisation des mesures de confinement, plusieurs autorités de concurrence ont annoncé qu'elles ne seraient plus en mesure de traiter les dossiers de concentration dans les délais prescrits. Le 13 mars 2020, la Commission encourageait les entreprises à repousser leurs notifications de projets de concentration à une date ultérieure dans la mesure du possible. Sur son site Internet [66], la DG COMP indique toujours rencontrer des difficultés à recueillir des informations auprès de tiers dans le cadre des tests de marché et encourage par conséquent les parties notifiantes à discuter du calendrier avant la notification de leur concentration. La Commission y souligne également qu'elle est prête à traiter les cas pour lesquels les parties peuvent présenter des « raisons très impérieuses de procéder sans délai à une notification de leur concentration ». Plusieurs autorités nationales de concurrence, en ce compris la Belgique, ont également appelé à différer tout projet de concentration ne présentant pas un caractère urgent [67], voire ont temporairement suspendu ou prolongé, parfois par voie législative, les délais de décision des concentrations. [68]

    Une autre mesure d'organisation prise pendant la crise est l'acceptation temporaire des soumissions électroniques. Toujours sur son site Internet [69], la DG COMP invite les parties notifiantes à privilégier la voie électronique pour leurs notifications. En soi, l'usage de la procédure électronique n'est pas neuf, puisque la Commission avait déjà mis en place un greffe électronique et une plate-forme spécifique, dénommée eTrustEx. Le COVID-19 a toutefois généralisé la procédure de digitalisation des contacts avec la Commission.

    De même, les auditions et réunions physiques avec les services de la Commission ont été soit annulées, soit remplacées par des visioconférences. On a aussi pu voir des mécanismes hybrides dans le cadre de procédures contentieuses où la question des droits de la défense et en particulier le droit pour les parties sous le coup d'une enquête de la Commission d'être entendues oralement au cours d'une audience avant la prise d'une décision les affectant se pose avec encore plus d'acuité. [70] Par contre, confinement oblige, les mesures d'enquête ont dû être limitées à l'envoi de demandes d'informations sans possibilité d'effectuer des perquisitions.

    2. Argument de l'entreprise défaillante

    La question des relations entre entreprises en difficulté et droit de la concurrence a naturellement été remise sur le métier à l'occasion de la crise que nous traversons. L'argument de l'entreprise défaillante permet d'autoriser une opération de concentration qui aurait normalement donné lieu à une décision d'incompatibilité. Il s'agit d'une simple analyse contrefactuelle: sans l'opération de concentration en cause, l'entreprise défaillante aurait de toute façon quitté le marché, de sorte que la détérioration de la situation concurrentielle ne peut être causée par l'opération de concentration. [71]

    La partie notifiante doit prouver trois conditions cumulatives pour que l'argument de l'entreprise défaillante puisse prévaloir:

      • premièrement, l'entreprise à acquérir doit être « défaillante »: elle aurait de toute façon disparu du marché en l'absence de l'opération de concentration;
      • deuxièmement, il ne peut y avoir d'acquisition alternative moins dommageable pour la concurrence que l'opération envisagée; et
      • troisièmement, il doit être prouvé que la part de marché de l'entreprise défaillante serait de toute manière reprise par l'entreprise acquéreuse, ou que ses actifs disparaîtraient inévitablement du marché en cas de reprise.

      Ces conditions sont drastiques et la Commission adopte une approche restrictive lorsqu'elle est confrontée à l'argument, avec pour conséquence que la théorie de l'entreprise défaillante n'a été que très peu appliquée par la Commission dans sa jurisprudence administrative. [72]

      De nombreuses voix ont dès lors appelé à assouplir ces conditions afin d'adapter également les règles de contrôle des concentrations à la crise que nous traversons. La Commission ne semble pas du même avis. A l'occasion de plusieurs conférences, Margrethe Vestager (mais également des directeurs de la DG COMP) ont affirmé leur attachement au strict respect des conditions de l'entreprise défaillante, estimant que ces conditions étaient « plus importantes que jamais » en ces temps de crise. [73] La Commission avait déjà réaffirmé sa position dans le cadre de son examen de la concentration Connect Airways / Flybe, où elle avait notamment estimé que la détérioration des conditions de concurrence provoquée par la concentration était plus importante que la détérioration qui pourrait survenir en l'absence de concentration. [74] On relèvera que le COVID-19 a finalement eu raison de Flybe quelques mois plus tard.

      Autrement dit, alors qu'il peut paraître tentant pour les entreprises d'invoquer l'argument de l'entreprise défaillante en plein contexte de crise économique, la Commission demeurera difficile à convaincre. Plus généralement, l'examen des concentrations actuellement en « Phase II » (à savoir les concentrations soulevant des doutes sérieux de concurrence) suggère que la Commission considère le contexte actuel comme passager et non pas structurel, de sorte qu'il ne devrait pas fondamentalement changer son examen de la concentration. [75]

      3. Commentaires et réflexions

      L'appel à retarder les notifications n'a pas d'impact sur les notifications effectuées avant la pandémie (pour certaines toujours en cours d'examen à l'heure d'écrire ces lignes). Faute d'autres solutions, la Commission a eu recours au mécanisme de la suspension des délais ou stop the clock, permettant de mettre entre parenthèses l'examen d'une concentration et ainsi gagner du temps. [76]

      En principe, la suspension des délais d'examen n'a lieu que lorsque les parties demeurent véritablement en défaut de fournir, dans un délai raisonnable, les informations demandées par la Commission. Toutefois, on observe un recours systématique à ce mécanisme à tout le moins pour les concentrations dites problématiques dont l'examen était déjà en cours lorsque la pandémie a frappé notre continent. De fait, l'ensemble des procédures d'enquêtes approfondies dites de « Phase II » ont été suspendues et certaines sont toujours actuellement sous le coup d'un stop the clock.

      Un exemple marquant est celui du projet d'acquisition des Chantiers de l'Atlantique par Fincantieri, deux constructeurs de navires de croisière. L'opération, notifiée le 25 septembre 2019, a fait l'objet d'un stop the clock le 13 mars 2020. Au 31 décembre 2020, les délais étaient toujours suspendus. L'acquisition de GrandVision par EssilorLuxottica, notifiée à la Commission le 23 décembre 2019, constitue un autre exemple. Dans ce dossier, la Commission a suspendu déjà trois fois les délais (en mars, avril et juillet 2020), qui n'avaient pas non plus recommencés à courir au 31 décembre 2020. Il en va de même pour l'acquisition de Daewoo par Hyundai, dont l'examen a lui aussi été mis sur pause à trois reprises: en janvier, mars et juillet 2020. Au 31 décembre 2020, la procédure était toujours suspendue. [77]

      On peut s'inquiéter du recours croissant au mécanisme, qui crée une situation d'imprévisibilité quant au calendrier de l'opération. Dans le même temps, les suspensions peuvent être un mal nécessaire. Dans les cas où elles sont intervenues à un stade avancé de la Phase II (comme pour EssilorLuxottica / GrandVision et Fincantieri / Chantiers de l'Atlantique), elles coïncident avec un bouleversement du marché causé par le COVID-19 (fermeture des commerces de détail pour GrandVision, arrêt de l'activité du tourisme de croisière pour Fincantieri et Chantiers de l'Atlantique). Dans ce contexte, la suspension des délais est probablement la meilleure solution pour les parties, puisqu'elle leur accorde une bouffée d'oxygène afin de préparer des remèdes (ou potentiellement de les éviter) qui tiennent compte de la nouvelle réalité COVID-19.

      Surtout, le recours au stop-the-clock permet en pratique de (tenter) d'intégrer l'impact du COVID dans l'examen prospectif du marché. [78] Le directeur général de Fincantieri a d'ailleurs appelé à reprendre l'examen de la fusion à zéro au vu du changement drastique de circonstances. Pour lui, « il ne s'agit pas simplement de la question de savoir jusqu'à quand la suspension sera maintenue. Le point est que le marché va être transformé par cette pandémie ». [79] La portée de cette solution demeure toutefois limitée, puisqu'elle ne peut être utilisée que pour les opérations de fusion appelant une Phase II. Elle requiert également que les parties prévoient dans leur accord une très longue période pour l'approbation de la transaction (« long stop date »). D'un autre côté, le retard dans la procédure fournit aussi aux parties une porte de sortie dans un contexte de vache maigre. Par exemple, la presse a fait état du fait que EssilorLuxotica pourrait mettre un terme à son rachat de GrandVision, dont la valeur aurait diminué suite à la crise. [80] Quant à la vente de Chantiers de l'Atlantique à Fincantieri, elle pourrait ne pas être reconduite après l'expiration du délai supplémentaire octroyé par l'Etat français jusque fin janvier 2021.

      Le retard pris dans le traitement des dossiers peut toutefois être très problématique dès lors que le droit européen interdit de mettre en oeuvre l'opération de concentration avant que celle-ci ne soit approuvée par la Commission. Cette obligation de standstill demeure entièrement valable dans le contexte de crise actuel. Ceci pourrait être particulièrement dommageable dans les cas où la survie d'une des parties dépend précisément de la réalisation de la concentration. Qui plus est, rien n'indique que la Commission serait prête à se montrer plus généreuse en temps de crise dans l'octroi de dérogations à l'obligation de standstill [81] ou à assouplir les sanctions pour « gun jumping », c'est-à-dire la mise en oeuvre prématurée d'une concentration avant son approbation formelle. [82]

      V. Revue de la pratique décisionnelle de l'Autorité belge de la concurrence (« ABC ») en temps de crise

      Au niveau belge, l'ABC a réussi à maintenir son régime de contrôle des concentrations, même si elle a initialement invité les entreprises à postposer les notifications non urgentes. [83] Elle n'a également pas eu à appliquer le nouveau régime des abus de dépendance économique ni celui du contrôle des prix repris au Livre V du CDE.

      Au niveau du droit des ententes, elle n'a finalement eu à connaître que de quelques dossiers supplémentaires du fait de la crise. Ceux-ci concernent le monde du football et plus précisément les recours intentés par divers clubs de football contre l'arrêt anticipé des matchs de la Pro League et son impact sur l'organisation de la compétition et de la saison 2020-2021.

      La première affaire fait suite à une demande de mesures provisoires introduite en mai 2020 par le principal actionnaire du club de Waasland-Beveren contre la décision de la Pro League de mettre fin de manière anticipée à la saison 2019-2020 en reléguant le club de Waasland-Beveren en D1B, plutôt que de prévoir d'autres mesures comme l'élargissement de la compétition à 18 équipes (au lieu de 16). Waasland-Beveren a également épinglé le fait que la Pro League et la Fédération avaient lié le paiement de certaines sommes à l'absence de recours juridictionnel contre sa décision. Le Collège de la concurrence a considéré que, bien que potentiellement discriminatoire par rapport aux équipes de D1B pouvant terminer le championnat en juillet/août 2020, la décision de la Pro League ne constituait a priori pas une infraction au droit de la concurrence et que changer le format de la compétition afin de permettre à Waasland-Beveren de se maintenir en Pro League serait disproportionné. Il a par contre ordonné la suspension avec effet immédiat des sanctions appliquées à l'encontre de Waasland-Beveren au motif que celle-ci a entamé une procédure judiciaire. [84] On relèvera que, nonobstant la décision de l'ABC, Waasland-Beveren a finalement eu gain de cause devant la Cour belge d'arbitrage pour le sport (« CBAS ») qui a annulé la décision de la Pro League pour discrimination avec le traitement des équipes de D1B; avec pour effet que le championnat de Pro League a finalement été étendu à 18 équipes pour la saison 2020-2021. [85]

      La seconde affaire concerne également une demande de mesures provisoires de mai 2020 du Royal Excelsior Virton. La Fédération avait refusé de lui octroyer sa licence car le club n'avait pas pu fournir les garanties financières requises par le règlement des licences. Cette décision avait été confirmée par la CBAS. Virton demandait à l'ABC d'ordonner sa réintégration au sein de la D1B pour la saison 2020-2021. Dans une première décision datant du 29 juin 2020 [86], le Collège de la concurrence a rejeté la demande de mesures provisoires en soulignant que s'il ne pouvait être exclu que certains critères appliqués par la Fédération soient disproportionnés, Virton n'avait pas suffisamment démontré qu'il aurait obtenu la licence en l'absence de ces critères. Dans un arrêt du 23 septembre 2020 [87], la Cour des marchés a annulé cette première décision de l'ABC pour défaut de motivation. La Cour reprochait en particulier à la première décision de ne pas avoir examiné si les critères requis par la Fédération étaient disproportionnés et/ou appliqués de manière trop rigide, et d'avoir ignoré le fait que Virton avait démontré qu'il respectait les conditions requises. Il était également contradictoire de reconnaître qu'exiger l'existence d'un contrat de sponsoring était disproportionné tout en soulignant qu'il n'existait pas d'infraction prima facie. Dans une deuxième décision du 19 novembre 2020 [88], le Collège de la concurrence (autrement composé) a finalement fait droit à la demande de Virton, en considérant comme prima facie incompatible avec le droit de la concurrence, le fait que l'offre d'une garantie sous forme de caution d'une personne physique ou l'existence d'un contrat de sponsoring par une entité liée au club ne soit pas prise en compte pour l'appréciation de la continuité en vertu de règles de la Fédération. In fine, Virton se voit accorder la possibilité d'accéder à nouveau à la division 1B pour la saison 2021-2022, mais pas pour la saison 2020-2021 car cela aurait été disproportionné au vu de l'état d'avancement du championnat.

      Ces affaires reflètent l'impact substantiel que la crise peut avoir sur l'organisation de certains secteurs de l'économie, et le rôle que le droit de la concurrence peut être amené à y jouer. Elles constituent de nouveaux [89] exemples de l'étendue des pouvoirs de l'ABC en matière d'organisation de compétitions sportives, ainsi que de l'interaction entre ses compétences et celles d'organismes d'arbitrage spécialisés.

      VI. Conclusion

      Au-delà du contrôle des aides d'Etat qui est naturellement en première ligne en cas de crise économique, la crise du COVID-19 a également des effets sur les autres domaines du droit de la concurrence. La Commission européenne ainsi que les autorités nationales de concurrence ont dû faire preuve de pragmatisme en adaptant dans l'urgence leurs procédures.

      En substance, il serait exagéré de parler d'assouplissement général des règles de la concurrence en temps de crise et l'avenir nous dira si, après la crise, la Commission poursuivra les entreprises qui auraient profité des événements de manière opportuniste. [90] On peut clairement constater une certaine flexibilité dans le chef de la Commission qui s'est montrée prête à aménager le droit de la concurrence pour permettre aux Etats membres et aux entreprises de prendre les mesures d'urgence qui s'imposaient. Ceci témoigne de manière plus large de la volonté de la Commission de s'adapter aux conséquences économiques et sociales de la pandémie en utilisant toute la panoplie des instruments à sa disposition (en ce compris ceux qui n'étaient plus utilisés depuis la modernisation du droit de la concurrence de 2003 et au besoin en forçant l'interprétation de certains concepts).

      La question qui se pose aujourd'hui est celle de savoir quels seront les effets de cette crise à plus long terme. Doit-on s'attendre à un changement des structures de marché et du régime de concurrence dans l'Europe d'après crise? Il n'est pas utopiste de croire que la crise pourrait avoir un effet significatif sur les politiques de concurrence à venir, si ce n'est qu'en ravivant les oppositions entre les partisans d'un ordolibéralisme strict, attachés aux règles de concurrence, et les défenseurs des politiques industrielles plus volontaristes. Selon nous, la crise ne fait que remettre de l'huile sur le débat politique plus général amorcé suite à la fusion recalée Siemens / Alstom sur l'opportunité d'une stratégie industrielle paneuropéenne forte, non dépendante d'autres grandes puissances.

      On remarquera que dans ses orientations du 25 mars 2020, soit au début de la crise, la Commission a appelé les Etats membres à se montrer particulièrement vigilants à l'égard des acquisitions étrangères liées aux soins de santé dans le contexte de crise et de vulnérabilité économique que celle-ci entraîne. [91] L'objectif est d'éviter que la crise ne conduise à une perte de technologies et d'actifs européens critiques. La prise de position de la Commission s'agissant des investissements directs étrangers est peut-être une première étape vers une politique européenne plus protectionniste.

      [1] Respectivement avocat associé et avocate collaboratrice au sein du cabinet Jones Day et tous deux membres du barreau de Bruxelles. Laurent de Muyter est par ailleurs assesseur auprès du Collège de la concurrence de l'Autorité belge de concurrence et collaborateur scientifique du Liege Competition and Innovation Institute. Les auteurs remercient mademoiselle Helena Placentino et monsieur Antoine Mésot pour leurs recherches. Les opinions exprimées sont les opinions personnelles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement les opinions de Jones Day.
      [2] L. Crofts, « COVID-19 crisis 'not a shield against competition enforcement' Vestager warns », MLex, 27 mars 2020.
      [3] Communication de la Commission - Cadre communautaire temporaire pour les aides d'Etat destinées à favoriser l'accès au financement dans le contexte de la crise économique et financière actuelle (J.O., C. 83, 7 avril 2009, pp. 1-15).
      [4] G. Damien et G. Schaeken Willemaers, « L'Union européenne au chevet de la crise financière: un état des lieux », Reflets et perspectives de la vie économique, 2010/2, tome XLIX, pp. 57-72.
      [5] Communiqué de presse accompagnant la communication de la Commission sur la réaction économique coordonnée à la flambée de COVID-19 du 13 mars 2020, COM(2020) 112 final.
      [6] Règlement (UE) n° 1407/2013 du 18 décembre 2013 relatif à l'application des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne aux aides de minimis (J.O., L. 352, 24 décembre 2013, pp. 1-8).
      [7] Règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d'aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité (J.O., L. 187, 26 juin 2014, pp. 1-78).
      [8] Dans le secteur du transport routier de marchandises, le plafond est fixé à 100.000 EUR sur une période de 3 ans. Pour l'agriculture et la pêche, il s'élève à 25.000 EUR et 30.000 EUR respectivement.
      [9] Lignes directrices concernant les aides d'Etat au sauvetage et à la restructuration d'entreprises en difficulté autres que les établissements financiers (J.O., C. 249, 31 juillet 2014, p. 1).
      [10] Annexe 3 de la communication de la Commission du 13 mars 2020 sur la réaction économique coordonnée à la flambée de COVID-19, COM(2020) 112 final. Afin d'aider les Etats à mettre rapidement en place ce soutien, la Commission a dans un premier temps publié sur son site internet un modèle reprenant les informations obligatoires à lui notifier en vertu de l'art. 107, 2., b), TFUE.
      [11] SA.56685 State aid notification on compensation scheme cancellation of events related to COVID-19, 12 mars 2020.
      [12] Voir le document publié sur le site de la Direction générale concurrence intitulé « Coronavirus Outbreak - List of Member State Measures approved under Art. 107(2)b TFEU, under Art. 107(3)b TFEU, under Art. 107(3)c TFEU and under the Temporary State Aid Framework » (à jour au 21 décembre 2020).
      [13] La première aide, autorisée le 11 avril 2020 environ deux semaines après sa notification, consiste en un régime de garanties d'Etat de prêts bancaires à court terme accessibles à toutes les entreprises, y compris les PME et les indépendants (aide d'Etat SA.56819 COVID-19 - Loan guarantee scheme in response to the COVID-19 crisis). L'enveloppe consentie par l'Etat belge atteint un montant de 50 milliards d'euros. La seconde aide, approuvée le 18 mai 2020, concerne un régime de réassurance visant à soutenir le marché de l'assurance-crédit commerciale (qui vise à protéger les fournisseurs de biens et services contre le risque de non-paiement de leurs débiteurs) en temps de crise à hauteur de 903 millions d'euros (aide d'Etat SA.57188 COVID 19: Reinsurance of short-term credit and surety risks).
      [14] Communication de la Commission du 20 mars 2020, Encadrement temporaire des mesures d'aide d'Etat visant à soutenir l'économie dans le contexte actuel de la flambée de COVID-19 (J.O., C. 911, 20 mars 2020, pp. 1-9).
      [15] Communication de la Commission du 20 mars 2020, Encadrement temporaire des mesures d'aide d'Etat visant à soutenir l'économie dans le contexte actuel de la flambée de COVID-19 (J.O., C. 911, 20 mars 2020, pp. 1-9, pt. 15).
      [16] Une exception est prévue pour les micro- et petites entreprises (c.-à-d. les entreprises qui emploient moins de 50 personnes et dont le chiffre d'affaires annuel et/ou le bilan annuel total n'excède pas 10 millions d'euros), à moins que celles-ci ne se trouvent déjà dans une procédure de faillite, aient bénéficié d'une aide au sauvetage qui n'a pas été remboursée ou fassent l'objet d'un plan de restructuration. De même, le RGEC a été modifié en juillet 2020 pour permettre aux entreprises qui sont devenues des entreprises en difficulté du fait de la pandémie de COVID-19 de rester éligibles pour une exemption au titre de ce règlement.
      [17] Le cadre temporaire a été modifié une première fois le 3 avril 2020 pour accroître les possibilités de soutien public à la recherche, aux tests et à la fabrication de produits permettant de lutter contre la flambée du COVID-19, protéger les emplois et soutenir l'économie. Il a été modifié à nouveau le 8 mai 2020 pour permettre les mesures de récapitalisation et de dette subordonnée et le 29 juin 2020 pour fournir un soutien supplémentaire aux micro- et petites entreprises et aux jeunes pousses et encourager les investissements privés.
      [18] Voir le communiqué de presse IP/20/1872 de la Commission du 13 octobre 2020, « Aides d'Etat: la Commission prolonge et étend l'encadrement temporaire pour continuer à soutenir les entreprises confrontées à des pertes de chiffre d'affaires importantes ».
      [19] www.ec.europa.eu/competition/state_aid/what_is_new/covid_19.html.
      [20] Cadre communautaire temporaire pour les aides d'Etat destinées à favoriser l'accès au financement dans le contexte de la crise économique et financière actuelle (J.O., C. 16, 22 janvier 2009, p. 1).
      [21] La Commission a p. ex. rejeté une demande émanant de l'Autriche visant à suspendre l'application des règles en matière d'aides d'Etat durant la pandémie; voir N. Hirst, « Suspend EU state aid rules for Covid-19 or relax them more, Austria tells Vestager », MLex, 22 avril 2020 et N. Hirst et L. Crofts, « Vestager rejects Austria's call for COVID-19 suspension of EU state aid rules », MLex, 30 avril 2020.
      [22] Cadre temporaire aides d'Etat, pt. 10.
      [23] Euractiv, 18 May 2020, « Vestager: Discrepancy in state aid distorts single market, hampers recovery », www.euractiv.com/section/competition/news/vestager-discrepancy-in-state-aid-distorts-single-market-hampers-recovery/.
      [24] Communication de la Commission - Lignes directrices sur l'applicabilité de l'art. 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne aux accords de coopération horizontale (J.O., C. 11, 14 janvier 2011, pp. 1-2, par. 86).
      [25] Lorsque la part de marché combinée des entreprises concernées ne dépasse pas 25%, les activités de recherche et développement réalisées conjointement sont exemptées de l'application des règles de concurrence. Voir le règlement (UE) n° 1217/2010 de la Commission du 14 décembre 2010 relatif à l'application de l'article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne à certaines catégories d'accords de recherche et de développement (J.O., L. 335, 18 décembre 2010, pp. 36-42).
      [26] Règlement (UE) n° 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l'application de l'article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne à des catégories deaccords verticaux et de pratiques concertées (J.O., L. 102, 23 avrol 2010, pp. 1-7).
      [27] REC, 23 mars 2020, « Antitrust: Joint Statement by the European Competition Network (ECN) on application of competition law during the Corona crisis ».
      [28] Communication de la Commission cadre temporaire pour l'appréciation des pratiques anticoncurrentielles dans les coopérations mises en place entre des entreprises pour réagir aux situations d'urgence découlant de la pandémie actuelle de COVID-19 (J.O., C. 1161, 8 avril 2020, pp. 7-10).
      [29] Il s'agit par exemple de la coordination du transport, de l'élaboration d'un modèle permettant de prévoir la demande au niveau d'un Etat membre et de recenser les déficits d'approvisionnement, de coordonner la réorganisation de la production, la gestion de stocks et éventuellement la distribution, etc.
      [30] A cet égard, la Commission a également publié à l'attention des Etats membres des orientations pour assurer un approvisionnement optimal et rationnel en médicaments afin d'éviter une situation de pénurie. Ces orientations suggèrent que les Etats membres pourraient devoir coordonner les besoins en médicaments et les initiatives industrielles de manière à juguler les effets de la pandémie. Voir communication de la Commission - Orientations pour un approvisionnement optimal et rationnel en médicaments afin d'éviter toute pénurie au cours de la pandémie de COVID-19 (J.O., C. 116 I, 8 avril 2020, pp. 1-6).

      La Commission a aussi adopté un train de mesures visant le secteur agroalimentaire, notamment des dérogations spécifiques et temporaires aux règles de concurrence dans le secteur des pommes de terre (règlement d'exécution (UE) n° 2020/593 de la Commission du 30 avril 2020 autorisant les accords et décisions portant sur des mesures de stabilisation du marché dans le secteur de la pomme de terre (J.O., L. 140, 4 mai 2020, pp. 13-16)), de l'horticulture (règlement d'exécution (UE) n° 2020/594 de la Commission du 30 avril 2020 autorisant les accords et décisions portant sur des mesures de stabilisation du marché dans le secteur des plantes vivantes et produits de la floriculture, des bulbes, racines et produits similaires et des fleurs coupées et feuillages pour ornement), du lait et des produits laitiers (règlement d'exécution (UE) n° 2020/599 de la Commission du 30 avril 2020 autorisant les accords et décisions sur la planification de la production dans le secteur du lait et des produits laitiers) et du secteur vitivinicole (règlement d'exécution (UE) n° 2020/975 de la Commission du 6 juillet 2020 autorisant les accords et décisions portant sur des mesures de stabilisation du marché dans le secteur vitivinicole (J.O., L. 215, 7 juillet 2020, pp. 13-16).
      [31] Voir C. Gauer, L. Kjolbye, D. Dalheimer, E. De Smijter et M. Laurila, « Regulation 1/2003 and the Modernisation Package fully applicable since 1 May 2004 », Competition Policy Newsletter, n° 2-2014. La Commission n'a en outre jamais utilisé la possibilité d'adopter des décisions d'inapplicabilité des règles antitrust prévue à l'art. 10 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 (devenus les articles 101 et 102 du traité (J.O., L. 1, 4 janvier 2003, pp. 1-25).
      [32] Discours prononcé par Margrethe Vestager le 8 octobre 2020 à l'occasion de la Fordham Competition Conference, www.ec.europa.eu/commission/commissioners/2019-2024/vestager/announcements/speech-fordham-competition-conference_en.
      [33] Ainsi, l'Autorité de la concurrence française s'est dite prête à apporter son soutien à des initiatives de coopérations temporaires, tout en indiquant que ses services d'instruction étaient mobilisés dans la surveillance active des marchés. De même, l'Autorité de concurrence espagnole a mis en place une adresse électronique spécifique pour les plaintes et demandes de conseils informels qui s'inscrivent dans le contexte de l'épidémie de COVID-19 (voir le communiqué de presse de la CNMC du 12 mars 2020, www.cnmc.es/prensa/cnmc-medidas-covid-19-20200312; et www.cnmc.es/novedad/medidas-covid).
      [34] Pour un exemple, www.sudinfo.be/id171539/article/2020-03-06/la-promotion-qui-etonne-dans-un-carrefour-market-en-flandre-des-masques-ven dus.
      [35] L. Crofts, « COVID-19 crisis 'not a shield against competition enforcement' Vestager warns », MLex, 27 mars 2020. Dans le cadre temporaire ententes, la Commission signale qu'elle « ne tolérera pas les pratiques des entreprises qui cherchent de manière opportuniste à exploiter la crise comme un paravent dissimulant une entente anticoncurrentielle ou un abus de position dominante » (pt. 20).
      [36] REC, 23 mars 2020, « Antitrust: Joint Statement by the European Competition Network (ECN) on application of competition law during the Corona crisis ».
      [37] En comparaison, aux Etats-Unis, 34 états disposent de législations spécifiques interdisant les pratiques de price gouging; voy. J. Day White paper, « Avoiding Price-Gouging Pitfalls While Navigating Price Increases in the Era of COVID-19 », www.jonesday.com/en/insights/2020/08/avoiding-price-gouging-pitfalls-while-navigating-price-increases-in-the-era-of- covid19.
      [38] Voir l'arrêt de la Cour du 14 février 1978, C-27/76, United Brands. Cet arrêt de principe définit comme « excessif » le prix « sans rapport raisonnable avec la valeur économique de la prestation fournie » (pt. 250) et établit un test en deux étapes. En pratique, la jurisprudence a recours à plusieurs méthodes d'analyse prix-coûts et suit une méthode d'analyse fondée sur plusieurs critères de comparaison, au cas par cas.
      [39] En Europe, sur la période 2000-2017, seulement 7% des décisions d'abus de position dominante portaient sur des prix excessifs (voir la synthèse du séminaire organisé par la Revue Concurrences le 25 mars 2019 sur les actualités des prix excessifs). La plupart des affaires traitées par les autorités nationales de concurrence et par la Commission concernent essentiellement les prix pratiqués par des pharmacies et les tarifs pratiqués par les organismes de gestion collective des droits d'auteur.
      [40] Voir le communiqué de presse de l'AGCM du 12 mars 2020, www.en.agcm.it/en/media/press-releases/2020/3/PS11716-PS11717.
      [41] Voir le communiqué de presse de la CNMC du 2 juin 2020, www.cnmc.es/sites/default/files/editor_contenidos/Notas%20de%20prensa/2020/20200602_NP_BALANCE_COVID-19%20ENG.pdf.
      [42] Communiqué de presse de la CNMC du 14 septembre 2020, www.cnmc.es/sites/default/files/editor_contenidos/Notas%20de%20prensa/2020/20200914_NP_Inspecciones_Seguros_Funer arias_ENG.pdf.
      [43] Au Luxembourg, l'analyse des marchés des masques de protection et des gels hydroalcooliques n'a pas abouti quant à elle à identifier des comportements anti-concurentiels (avis 2020-AV-02 du Conseil de la concurrence, « Marchés des masques de protection et des gels hydroalcooliques »). Par contre, l'analyse menée par l'Autorité de la concurrence norvégienne à l'encontre des hausses de prix des masques au sein des pharmacies a également conclu que ces hausses de prix étaient dues à l'augmentation des prix d'achats lors des importations (communiqué de presse du 29 octobre 2020, www.konkurransetilsynet.no/ny-episode-av-konkurransepodden-prisene-pa-munnbind-mangedoblet-utnyttet-apotekene-krisen/) .
      [44] A tout le moins au niveau européen. Au niveau national, l'AGCM a pris des mesures provisoires dès mars 2020 pour lutter contre diverses pratiques anticoncurrentielles ou déloyales, en ordonnant p. ex. la fermeture de plusieurs sites commercialisant des médicaments annoncés comme combattant le COVID-19, des tests de dépistage, ou des masques non conformes.
      [45] Art. 8 règlement n° 1/2003.
      [46] Loi du 4 avril 2019 modifiant le Code de droit économique (« CDE ») en ce qui concerne les abus de dépendance économique, les clauses abusives et les pratiques du marché déloyales entre entreprises.
      [47] En droit français, l'al. 3 de l'art. L-410-2 du Code de commerce français permet au gouvernement d'arrêter des mesures temporaires motivées par des situations de crise ou des circonstances exceptionnelles. Le Gouvernement français a fait usage de cette faculté pour combattre la forte augmentation des prix de vente de solutions hydroalcooliques. Il a ainsi publié plusieurs décrets qui réglementent les tarifs de ces produits et élargissent les autorisations de fabrication afin de lutter contre la pénurie.
      [48] Suite à la publication (retardée) de l'arrêté royal modifiant les Livres Ier et IV du CDE le 12 août 2020, l'interdiction des abus de dépendance économique est entrée en vigueur le 22 août 2020.
      [49] Art. I.6, 12°bis, CDE.
      [50] Le 8 décembre 2020, l'Autorité de la concurrence française a rejeté, faute de preuves, une saisine des agences de voyages qui reprochaient à 90 compagnies aériennes de s'être entendues pour ne plus rembourser les vols annulés, à la fois sur la base du droit des ententes, de l'abus de position dominante et de l'abus de dépendance économique (Déc. n° 20-D-21 de l'Autorité française de la concurrence du 8 décembre 2020 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur du voyage de tourisme).
      [51] Qui prévoit expressément la compatibilité des aides destinées à remédier à des événements extraordinaires (art. 107, 2., b), TFUE) et des aides destinées à remédier à une perturbation grave de l'économie d'un Etat membre (art. 107, 3., b), TFUE).
      [52] La Commission précise aussi qu'une coopération pourrait être mise en place également entre entreprises « de secteurs différents » et indique qu'« en fonction de l'évolution de la crise, la Commission pourrait modifier ou compléter la présente communication afin de couvrir d'autres formes de coopération » (pt. 4).
      [53] Sous réserve des mesures prises dans le domaine agroalimentaire (voir supra, note 28), qui relèvent toutefois de règles particulières liées à la politique agricole commune.
      [54] Voir le communiqué de presse d'Eurocommerce du 16 mars 2020 intitulé Coronavirus - Statement, www.eurocommerce.eu/media/174759/Cornavirus%20statement%202020%2003%2016.pdf.
      [55] L. Croft, « Retail-sector antitrust exemptions in Covid-19 crisis draw eye of EU enforcers », MLex, 19 mars 2020. La Commission aurait également demandé à Eurocommerce le type d'orientations qui s'avèreraient nécessaires pour le secteur.
      [56] La Commissaire à la concurrence de l'époque, Neelie Kroes, avait notamment déclaré à propos des cartels de crise qu'« il peut y avoir de nombreuses tentations en 2009 de couper les coins ronds mais encourager les cartellistes et autres serait un gage de désastre. Cela ralentirait la reprise, augmenterait le préjudice causé au consommateur, et engendrerait plus de cartels et de procédures de cartel à l'avenir. Personne n'y gagne - un laisser-aller aujourd'hui est le cauchemar de demain. » Traduction libre de: « If I may quickly mention the issue of so-called 'crisis cartels'… There may be many temptations in 2009 to cut corners, but encouraging cartelists and others would be guaranteeing disaster. It would drag down recovery, increase consumer harm and create more cartel and cartel cases into the future. No-one wins - today's softness is tomorrow's nightmare. »; discours 08/454 prononcé par Neelie Kroes le 8 octobre 2009 à Brasilia.
      [57] A.P. Candil, « Cooperation deals among Netherlands competitors must be 'strictly' necessary, Snoep says », MLex, 18 mai 2020.
      [58] A. Yaiche,« German retailers to be allowed to coordinate supply to avoid Covid-19 shortages », MLex, 20 mars 2020.
      [59] Voir le communiqué de la Verband der Automobilindustrie, « Corona crisis: Federal Cartel Office sets important framework conditions for cooperation in the supply chain », www.vda.de/de/themen/automobilindustrie-und-maerkte/Coronavirus-Update/ueberwindung-krise-bundeskartellamt-koopera tionen.html.
      [60] Voir le communiqué de l'AGCM, www.agcm.it/dotcmsdoc/allegati-news/Testo%20Comunicazione%20cooperazione%20e%20COVID-19.pdf. L'AGCM a par la suite approuvé un accord d'achat et de distribution en commun entre les deux principales associations de distributeurs pharmaceutiques italiens en ce qui concerne les masques chirurgicaux, ainsi qu'un accord de l'association des banques italiennes instaurant un moratoire sur le remboursement des crédits à la consommation (voir le communiqué du 1er juin 2020, www.en.agcm.it/en/media/press-releases/2020/6/DC9901-COV1).
      [61] Voir le communiqué de presse de l'Autorité de la concurrence française du 22 avril 2020. La démarche de cette association professionnelle n'entrait pas dans le champ d'application du cadre temporaire mis en place par la Commission, puisqu'il ne s'agissait pas d'une coopération destinée à garantir la fourniture et la distribution de produits essentiels dont la disponibilité est limitée pendant la pandémie de COVID-19.
      [62] Voir le communiqué de presse de l'Autorité de concurrence norvégienne, Transportation sector is granted temporary exemption from the Competition Act, 19 mars 2020, www.konkurransetilsynet.no/transportation-sector-is-granted-temporary-exception-from-the-competition-act/?lang=en. A notre connaissance, aucun Etat membre n'a fait de même, préférant renflouer leurs compagnies aériennes au moyen d'aides d'Etat.
      [63] C.J.U.E., 3 mai 2011, C375/09, Tele2 Polska.
      [64] M. Acton, « Companies seek little formal EU engagement on COVID-19 cooperation, official says », MLex, 2 juin 2020.
      [65] Pour la Commission, ces délais sont fixés à l'art. 10 du règlement (CE) n° 139/2004 du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (J.O., L. 24, 29 janvier 2004, pp. 1-22).
      [66] Voir www.ec.europa.eu/competition/mergers/covid_19.html.
      [67] Voir le communiqué de presse n° 13/2020 du 19 mars 2020 dans lequel l'ABC invite les entreprises à différer tout projet de concentration qui ne serait pas urgent, www.abc-bma.be/sites/default/files/content/download/files/20200319_compres_13_abc.pdf.
      [68] Certains Etats membres ont pu reporter les délais d'examen des demandes d'autorisation, comme la France qui a suspendu les délais réglementaires des opérations de concentration jusqu'à l'expiration d'un délai de un mois à compter de la fin de l'état d'urgence sanitaire. Des mesures similaires ont été prises notamment en Espagne, en Allemagne, en Italie et en Pologne.
      [69] Voir www.ec.europa.eu/competition/mergers/information_en.html.
      [70] Il en est de même pour les audiences de plaidoiries à la Cour de justice de l'Union européenne, qui ont d'abord été suspendues et ont ensuite repris progressivement (voir www.curia.europa.eu/jcms/jcms/p1_3015537/fr/et www.curia.europa.eu/jcms/jcms/p1_3012064/fr/).
      [71] Voir les lignes directrices sur l'appréciation des concentrations horizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (J.O., C. 31, 5 février 2004, pp. 5-18, par. 89-91).
      [72] La dernière décision en date appliquant l'argument de l'entreprise défaillante est la décision Aegean / Olympic II du 9 octobre 2013 (affaire M.6976) prise dans le contexte de la crise de la dette souveraine grecque qui a fait suite à la crise bancaire de 2008.
      [73] Discours prononcé par Margrethe Vestager le 8 octobre 2020 à l'occasion de la Fordham Competition Conference, www.ec.europa.eu/commission/commissioners/2019-2024/vestager/announcements/speech-fordham-competition-conference_en. Voir également L. Crofts, « Failing firms won't get more EU leeway to plead for mergers, Vestager says », MLex, 24 avril 2020.
      [74] Décision de la Commission du 5 juillet 2019, affaire M.9287 - Connect Airways / Flybe.
      [75] P. ex., il semblerait que la Commission ait demandé aux participants à l'enquête de marché dans son examen de la concentration Air Canada / Transat (M.9489) de répondre comme si les parties à la concentration avaient repris leurs activités normalement; voy. N. Hirst, « Covid-19 not shifting EU's merger approach, Air Canada questions suggest », MLex, 4 décembre 2020.
      [76] Art. 11, 3., al. 2, règlement (CE) n° 139/2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (J.O., L. 24, 29 janvier 2004, pp. 1-22).
      [77] Les délais d'examen de la fusion entre PSA et Fiat Chrysler (M. 9730), suspendus le 20 juillet 2020, ont recommencé à courir le 28 septembre 2020. La Commission a finalement approuvé l'opération le 21 décembre 2020. L'examen de l'acquisition de Refinitiv par la London Stock Exchange (M.9564) a également été suspendu du 13 juillet 2020 au 31 août 2020. Il en va de même pour l'acquisition de Transat par Air Canada (M.9489), dont les délais ont été suspendus du 9 juin 2020 au 19 août 2020.
      [78] En principe, la Commission doit mener une évaluation prospective des effets concurrentiels de la transaction sur les 3 prochaines années. Comme indiqué supra, le cas AirCanada / Transat suggère cependant que la Commission n'est pas prête à fondamentalement modifier son analyse en raison des probables changements structurels causés par la crise.
      [79] N. McNelis, « Fincantieri - Chantiers merger review must be « re-thought » after Covid-19 crisis, says Maestrini », MLex, 2 avril 2020.
      [80] Voir Bloomberg, www.bnnbloomberg.ca/essilorluxottica-is-said-to-be-reconsidering-grandvision-deal-1.1534135.
      [81] En vertu du droit européen, celle-ci sera accordée à charge pour les parties de prouver (i) qu'il n'y a pas d'effets négatifs pour la concurrence et (ii) qu'à défaut de dérogation, une menace sérieuse pèse sur les parties ou sur des tiers.
      [82] Les infractions pour gun jumping sont passibles d'amendes jusqu'à 10% du chiffre d'affaires mondial des entreprises concernées. On notera que l'Autorité de la concurrence portugaise a décidé d'alléger les sanctions dans le secteur de la santé pour ne pas mettre en difficulté le fonctionnement d'un hôpital en période de pandémie. Aut. portugaise, cp, 19 mars 2020, e-Competitions, n° 93831.
      [83] Voir le communiqué de presse n° 13/2020 de l'ABC du 19 mars 2020, www.abc-bma.be/sites/default/files/content/download/files/20200319_compres_13_abc.pdf.
      [84] ABC, Déc. 2 juillet 2020 dans l'affaire CONC-V/M-20/00017, Foodinvest / Pro League / U.R.B.S.F.A. / Wavolo.
      [85] CBAS, zaken 202/20, 203/20 en 204/20, www.bas-cbas.be/cms/resources/gedeeltelijke-arbitrale-uitspraak-08.07.2020-web-1.pdf.
      [86] ABC, Déc. n° ABC-2020-V/M-24 du 29 juin 2020 dans l'affaire CONC-V/M-20/0012, demande de mesures provisoires de RE Virton.
      [87] Bruxelles, 23 septembre 2020, 2020/MR/1.
      [88] ABC, Déc. n° ABC-2020-V/M-36 du 19 novembre 2020 dans l'affaire CONC-V/M-20/0012, demande de mesures provisoires de RE Virton.
      [89] Par le passé, l'ABC a déjà traité plusieurs dossiers relatifs à des fédérations sportives (voir p. ex., ABC, Déc. n° ABC-2015-V/M-23, 27 juillet 2015 dans l'affaire CONC-V/M-15/0016, demande de mesures provisoires de Global Champions League SPRL et Tops Trading Belgium SPRL contre la Fédération Equestre Internationale et ABC, Besl. BMA-2020-V/M-04, 23 januari 2020, dans l'affaire MEDE-V/M-19/0041, verzoek om voorlopige maatregelen van BVBA Hector Cue Sports Belgium jegens VZW Belgische Golfbiljart Bond).
      [90] Dans sa communication précitée mettant en place un cadre temporaire pour l'appréciation des pratiques anticoncurrentielles dans les coopérations mises en place entre entreprises, la Commission signale qu'elle « ne tolérera pas les pratiques des entreprises qui cherchent de manière opportuniste à exploiter la crise comme un paravent dissimulant une entente anticoncurrentielle ou un abus de position dominante » (pt. 20).
      [91] Communication de la Commission du 25 mars 2020 - Orientations à l'intention des Etats membres concernant les investissements directs étrangers et la libre circulation des capitaux provenant de pays tiers ainsi que la protection des actifs stratégiques européens, dans la perspective de l'application du règlement (UE) n° 2019/452 (règlement sur le filtrage des IDE) (J.O., C. 99, 26 mars 2020, pp. 1-5).