Article

Tribunal de commerce Bruxelles, 23/03/2012, R.D.C.-T.B.H., 2012/7, p. 714-724

Tribunal de commerce de Bruxelles 23 mars 2012

SOCIETES
Société anonyme - Assemblée générale des obligataires - Pouvoirs
L'article 568 du Code des sociétés ou les conditions d'un emprunt obligataire qui y réfèrent n'octroient pas à une assemblée générale d'obligataires la compétence de modifier unilatéralement (sans l'accord des sociétés émettrices) les conditions de cet emprunt obligataire. Une décision d'une assemblée générale des obligataires relative à la prolongation de la maturité des obligations ne peut lier la société émettrice contre son gré.
L'interprétation d'une clause ambiguë doit se faire en recherchant l'intention commune des parties, les clauses des conventions devant s'interpréter les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l'acte entier.
VENNOOTSCHAPPEN
Naamloze vennootschap - Algemene vergadering van obligatiehouders - Bevoegdheden
Artikel 568 van het Wetboek van Vennootschappen of de voorwaarden van een obligatielening die ernaar verwijzen, kennen een algemene vergadering van obligatiehouders niet de bevoegdheid toe eenzijdig (zonder het akkoord van de uitgiftevennootschappen) de voorwaarden van deze obligatielening te wijzigen. Een beslissing van een algemene vergadering van obligatiehouders die betrekking heeft op de verlenging van de looptijd van de obligaties kan de emittent niet binden zonder diens goedkeuring.
Voor de interpretatie van een dubbelzinnig beding moet men de gemeenschappelijke bedoeling van de partijen nagaan. Alle bedingen van de overeenkomsten worden uitgelegd het ene door het andere, zodat elk beding wordt opgevat in de zin die uit de gehele akte voortvloeit.

Third Point Partners Qualified L.P., Third Point Partners L.P., Third Point Offshore Master Fund L.P., Third Point Ultra Master Fund L.P., QVT Fund L.P., Quintessence Fund L.P. / Ageas SA/NV, Ageas NV, anciennement Fortis NV, ABN Amro Bank, SA Fortis, BNY Corporate Trustee Services Limited

QVT Fund L.P., Quintessence Fund L.P., MCS Holdings LTD / Ageas SA/NV, Ageas NV, SA Fortis Banque, ABN Amro Bank, BNY Corporate Trustee Services Limited

Siég.: Hody (juge), Motyl (juge consulaire) et Brykman (juge consulaire suppléant)
Pl.: Mes P.-A. Foriers, S. Hirsch, S. Delwaide et Fr. Lefevre, E. Pottier, X. Taton, J.-P. Fierens, M. Fyon, Ch. Sunt, O. Vanhulst, B. De Boeck, L. Culot, B. Volders, A. Chef

Vu la loi du 15 juin 1935 relative à l'emploi des langues en matière judiciaire;

Vu le dossier de la procédure, régulièrement constitué, et notamment:

Pour la cause reprise sous le n° de RG A/11/00522

- la citation introductive d'instance du 1er octobre 2010;

- les conclusions de synthèse régulièrement déposées pour chacune des parties.

Pour la cause reprise sous le n° de RG A/10/8158

- la citation introductive d'instance du 22 décembre 2010;

- les conclusions de synthèse régulièrement déposées pour chacune des parties.

Entendu les parties comparaissant comme dit ci-dessus en leurs explications données en langue française aux audiences des 16, 23, 27 janvier et 15 février 2012.

I. Objet des demandes principales

L'action des parties demanderesses tend à entendre:

Ordonner la jonction des causes portant les numéros de rôle A/10/8158 et A/11/00522 pour cause de connexité;

Et,

a) Dans la cause A/10/8158

- dire pour droit que la résolution adoptée par l'assemblée générale des obligataires MCS du 8 novembre 2010 portant la date de conversion des MCS au 7 décembre 2030 est valable et s'impose aux parties défenderesses.

b) Dans la cause A/11/00522

A titre principal

- prononcer la nullité de la conversion des obligations MCS en actions couplées Ageas SA/NV - Ageas NV intervenue le 7 décembre 2010, cette conversion ayant été réalisée au mépris de la résolution susvisée;

- condamner en conséquence la SA Ageas, la société de droit néerlandais Ageas NV, la SA Fortis Banque et la SA de droit néerlandais ABN Amro Bank NV à restituer à MCS Holdings Limited, QVT Fund LP et Quintessence Fund LP un nombre d'obligations MCS correspondant au montant global de 1.391.750.000 EUR productif d'un intérêt de 8,75% l'an jusqu'au 7 décembre 2030 ou à tout le moins jusqu'au 7 décembre 2013, cette restitution s'effectuant contre remise d'un nombre d'actions couplées Ageas SA/NV - Ageas NV, correspondant au nombre d'actions couplées attribuées auxdites concluantes lors de la conversion intervenue le 7 décembre 2010, se répartissant comme suit:

° MCS Holdings Ltd: 1.391.250.000 EUR;

° QVT Fund LP: 250.000 EUR;

° Quintessence Fund L.P.: 250.000 EUR;

- condamner la SA Ageas, la société de droit néerlandais Ageas NV, la SA Fortis Banque et la SA de droit néerlandais ABN Amro Bank NV à payer à MCS Holdings Limited, QVT Fund LP et Quintessence Fund LP les intérêts dus au taux légal sur le montant des intérêts conventionnels non payés à partir de la date de conversion, et ceci à compter de chacune de leurs échéances;

- concernant la société de droit anglais BNY Corporate Trustee Services Limited, entendre déclarer la décision commune à son égard.

Subsidiairement:

- condamner la SA Ageas, la société de droit néerlandais Ageas NV, la SA Fortis Banque et la SA de droit néerlandais ABN Amro Bank NV à payer à MCS Holdings Limited, QVT Fund LP et Quintessence Fund LP à titre de dommages et intérêts la somme de 1.751.072.885 EUR se répartissant comme suit;

° MCS Holdings Ltd: 1.750.443.795 EUR

° QVT Fund LP: 314.545 EUR

° Quintessence Fund L.P.: 314.545 EUR

ou très subsidiairement à tout le moins la somme de 354.458.124 EUR représentant trois années d'intérêts actualisés (à répartir comme suit: MCS Holdings Ltd.: 354.330.781 EUR, QVT Fund LP: 63.671 EUR et Quintessence Fund L.P.: 63.671 EUR);

- condamner la SA Ageas, la société de droit néerlandais Ageas NV, la SA Fortis Banque et la SA de droit néerlandais ABN Amro Bank NV aux intérêts au taux légal sur ces montants à compter de leur débition;

- concernant la société de droit anglais BNY Corporate Trustee Services Limited, entendre déclarer la décision commune à son égard.

Plus subsidiairement encore, avant-dire droit:

- condamner la SA Ageas, la société de droit néerlandais Ageas NV, la SA Fortis Banque et la SA de droit néerlandais ABN Amro Bank NV à produire l'accord quadripartite conclu entre elles en juillet 2007;

- ordonner à la société de droit anglais BNY Corporate Trustee Services Limited et à BNP Paribas Securities Services, succursale de Luxembourg de BNP Paribas Securities Services, société de droit français (le PPCA, soit le Principal Paying & Conversion Agent, représentant des émetteurs chargé d'effectuer les paiements relatifs aux MCS en leur nom, de la publication de communiqués aux détenteurs de MCS et de certaines responsabilités dans le cadre des assemblées générales des détenteurs de MCS, dont la gestion du processus de vote de résolution), de produire une copie complète des documents permettant d'attester de la régularité de l'assemblée générale des obligataires MCS tenue le 8 novembre 2010 à Bruxelles, et plus particulièrement une version complète des documents reçus par le PPCA et notamment ceux sur la base desquels il a certifié l'instruction de vote en bloc, ainsi que les listes de présence, les certificats de vote et les registres de vote en possession du PPCA ou du Trustee.

II. L'objet des demandes reconventionnelles

La SA Fortis Banque, les sociétés Ageas SA/NV et Ageas NV, et la société anonyme de droit néerlandais ABN Amro Bank NV ont toutes introduit une demande reconventionnelle tendant à obtenir la condamnation des demanderesses au principal in solidum, à payer l'intégralité des frais relatifs à l'organisation de l'assemblée générale des obligataires MCS tenue le 8 novembre 2010 et encouru par Trustee et BNP Paribas Securities Services;

La SA Fortis Banque estime ces frais à un montant provisionnel de 23.592,92 EUR, ainsi que l'équivalent au coût le plus haut du jour du paiement de la somme provisionnelle de 3.517,41 £, à augmenter des intérêts judiciaires au taux légal;

Les sociétés Ageas et la société anonyme de droit néerlandais ABN Amro Bank NV fixent quant à elles ces frais à un montant de 135.217 EUR, ainsi que l'équivalent au coût le plus haut du jour du paiement de la somme de 234.696 £, à augmenter des intérêts judiciaires au taux légal.

III. Les faits
1. Le contexte
1.1. Le projet de rachat d'ABN Amro

En 2007, ce qui est alors le groupe Fortis envisage l'acquisition d'ABN Amro Bank; il est prévu que sa participation dans la reprise s'élève à approximativement 24 milliards d'euros;

Afin de financer en partie ce projet d'acquisition, les sociétés Fortis SA/NV, Fortis NV, Fortis Banque et Fortis Bank Nederland (Holding) NV ont émis le 7 décembre 2007 des obligations convertibles subordonnées appelées MCS (Mandatory Convertible Securities) à concurrence de 2 milliards d'euros;

Ces MCS remplacent un lot d'instruments financiers antérieurs, dénommés CCEN (Conditional Capital Exchangeable Notes), qui avaient été émis à l'été 2007 par le groupe Fortis, et qui se convertissaient automatiquement en MCS à la condition de l'émission par le groupe Fortis, dans l'année, de nouvelles actions pour l'acquisition d'ABN Amro Bank, ce qui fut fait suite à une augmentation de capital de 13 milliards d'euros;

Les MCS obtenus en échange des CCEN étaient productifs d'un coupon de 8,75% l'an, payable par moitié tous les six mois, pendant une durée de trois ans sur leur valeur nominale;

Leur date de maturité était le 7 décembre 2010;

Si les quatre sociétés précitées du groupe Fortis étaient solidairement tenues au paiement de celui-ci, seule la Fortis Bank Nederland (Holding) NV avait qualité d'émetteur principal (Primary Obligator); à ce titre, elle devait notamment recevoir les fonds récoltés et payer effectivement ces coupons;

Le groupe Fortis avait en effet prévu que ce serait Fortis Bank Nederland (Holding) NV qui détiendrait la participation dans RFS Holding, la société constituée par les trois banques (RBS, Santander et Fortis) désireuses d'acquérir ABN Amro;

Il était prévu qu'à la date précitée du 7 décembre 2010, les MCS devaient être converties en actions couplées Fortis SA/NV et Fortis NV (actuellement Ageas SA/NV et Ageas NV), cette conversion devant permettre aux porteurs de participer à la croissance espérée du groupe Fortis suite à l'intégration d'ABN Amro;

Le mécanisme de conversion est précisé dans le prospectus d'émission et prévoit qu'à la date de maturité, la conversion des MCS en actions Fortis s'effectuera sur base d'une valorisation de l'action Fortis limitée par une fourchette comprise entre 18,97 EUR et 22,49 EUR;

Il est à noter que la conversion des MCS pouvait également intervenir de façon anticipée à l'initiative des sociétés émettrices, jusqu'au 46ème jour de cotation précédant la date de maturité;

Suite à la crise ayant mené au démantèlement du groupe Fortis en 2008, il n'existe plus de liens structurels entre les différents émetteurs;

Les activités bancaires belges du groupe ont été cédées à l'Etat belge et à BNP Paribas, l'Etat néerlandais a repris les activités bancaires et d'assurances aux Pays-Bas et l'Etat luxembourgeois a repris les activités bancaires à Luxembourg;

La société Fortis SA/NV est à présent Ageas SA/NV, Fortis NV est à présent Ageas NV; Fortis Banque est actuellement filiale de BNP Paribas, et Fortis Bank Nederland (Holding) NV a été absorbée par ABN Amro;

Le groupe Fortis, aujourd'hui Ageas, détient encore 75% des activités d'assurances belges et des participations dans des activités d'assurances internationales;

Les sociétés MCS Holdings Ltd, QVT Fund L.P., Quintessence Fund L.P. Third Point Partners Qualified L.P., Third Point Partners L.P., Third Point Offshore Master Fund L.P., et Third Point Ultra Master Fund L.P., actuelles parties demanderesses, sont des sociétés d'investissements dont le siège est situé aux Etats-Unis ou aux Iles Cayman; elles disent avoir acquis sur le marché des obligations MCS dès le début 2009, et avoir poursuivi ces acquisitions en 2010 au fil des opportunités;

Les demanderesses, à l'exception de MCS Holdings Ltd., ont sollicité du Trustee le 1er octobre 2010 qu'il convoque une assemblée générale des porteurs de MCS, et lancé citation, le même jour, afin que le tribunal de céans dise pour droit que les résolutions prises par l'assemblée générale ainsi convoquée seront valables et s'imposeront aux émetteurs;

Le 18 octobre 2010, la convocation a été notifiée à l'ensemble des porteurs de MCS pour l'assemblée générale fixée au 8 novembre 2010; le report de la date de conversion des obligations MCS au 7 décembre 2030 était à l'ordre du jour de cette assemblée générale;

Le 25 octobre 2010, les sociétés Ageas ont cité les actuelles défenderesses en référé (hormis MCS Holdings Ltd.) pour empêcher la tenue de l'assemblée générale, ou à tout le moins en suspendre les effets à leur égard;

Par ordonnance du 8 novembre 2010, Mme la présidente du tribunal de commerce de Bruxelles a autorisé la tenue de l'assemblée générale, dont elle a toutefois suspendu par avance les effets à l'égard des sociétés Ageas, jusqu'au prononcé d'un jugement définitif au fond, pour toute décision qui serait éventuellement prise par l'assemblée générale des obligataires MCS, avant le 7 décembre 2010, en vue de changer la date de maturité des MCS fixée au 7 décembre 2010 et/ou en vue d'empêcher la réalisation de cette conversion le 7 décembre 2010;

Aux termes de cette ordonnance, les défenderesses, le Trustee (BNY Corporate Trustee Services Limited) et le PPCA (BNP Paribas Securities Services) se sont également vus ordonner sous astreinte de s'abstenir de toute action qui empêcherait ou risquerait d'empêcher ou de retarder la conversion des MCS le 7 décembre 2010;

Le même 8 novembre 2010, l'assemblée générale des obligataires MCS a décidé de reporter au 7 décembre 2030 la conversion des MCS en actions Ageas;

Le 7 décembre 2010, 106.723.569 nouvelles actions Ageas SA/NV ont été émises, ainsi que 106.723.569 nouvelles actions Ageas NV; ces actions ont été attribuées aux porteurs de MCS en conversion de celles-ci;

Le 22 décembre 2010, MCS Holdings Ltd., QVT Fund L.P. et Quintessence Fund, qui ont acquis des MCS converties en actions Ageas, ont à leur tour lancé citation devant le tribunal de céans en vue de voir annuler cette conversion, de se voir restituer les MCS dont elles disposaient, et d'obtenir subsidiairement des dommages et intérêts;

Le 24 janvier 2011, MCS Holdings Ltd. a procédé à une saisie conservatoire sur une créance d'Ageas SA/NV et Ageas NV contre ABN Amro, en garantie du paiement éventuel des dommages et intérêts sollicités subsidiairement; suite à une demande en référés de Ageas, le tribunal d'Utrecht a ordonné la mainlevée de cette saisie.

IV. Discussion
A. La jonction des causes

L'ensemble des parties s'accordent à demander la jonction des causes reprises sous les nos de RG A/10/8158 et A/11/00522, en raison des liens étroits de connexité existant entre elles;

Il apparaît que cette connexité est certaine, de sorte que rien ne s'oppose à la jonction sollicitée.

B. Le droit applicable

- L'emprunt faisant l'objet du présent litige était en principe soumis au droit anglais; conformément à ce dernier, les parties étaient liées par les termes d'un Trust Deed, conclu entre les émetteurs et le Trustee, qui représentait les intérêts collectifs des obligataires;

L'annexe 3 (Schedule 3) de ce Trust Deed contient les dispositions relatives à l'organisation des assemblées générales des obligataires;

- L'article 19.1 du Trust Deed confirme qu'il est régi par et interprété conformément au droit anglais, à l'exception de la clause 5 qui sera régie par les lois de l'Etat de constitution de l'émetteur concerné et du Schedule 3 qui sera régi par et interprété conformément au droit belge;

Le fait que deux des quatre émetteurs sont des sociétés belges est à l'origine de cette dernière clause;

- Il est à noter que selon ABN Amro, nonobstant la disposition précitée, le droit anglais serait applicable; ABN Amro ne conteste pas que les parties puissent désigner la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement de leur contrat; il est toutefois soutenu que pareil dépeçage du contrat ne pourrait ni porter atteinte à la cohérence du contrat, ni donner lieu à des choix de droit applicable dont résulteraient des conséquences contradictoires;

Ainsi, il y aurait incohérence et contradiction si l'on considérait qu'en vertu du droit belge, l'article 2 du Schedule 3 du Trust Deed accordait aux détenteurs de MCS le pouvoir de modifier unilatéralement les conditions contractuelles alors que ces conditions sont régies par le droit anglais selon lequel, précisément, lesdites conditions ne peuvent être modifiées unilatéralement par les détenteurs de MCS;

- Ainsi, même à suivre ABN Amro, il n'y aurait lieu de rejeter l'application du droit belge que s'il était interprété comme conférant aux porteurs de MCS un droit de modification unilatérale des conditions contractuelles, et particulièrement le droit de modifier la date de maturité des MCS;

Dans la mesure où, comme il sera dit ci-dessous, aucune contradiction ou incohérence ne peut être relevée dans la solution à donner au litige que ce soit en vertu du droit anglais ou du droit belge, la soumission du Schedule 3 du Trust Deed au droit belge n'est pas critiquable.

C. La recevabilité des demandes principales
C.1. La qualité pour agir
Synthèse de la position des parties

- Selon Ageas, qui se fonde à cet égard sur l'article 19 du Trust Deed, les parties demanderesses ne démontreraient pas qu'elles auraient qualité pour agir en lieu et place du Trustee, à défaut pour elles d'établir que ce dernier était dans l'obligation d'agir, qu'il aurait négligé de le faire et qu'il avait été indemnisé ou garanti pour les frais de cette action;

- Suivant la traduction libre qu'en font tant les demanderesses qu'Ageas, l'article 19 du Schedule 1 du Trust Deed dispose ce qui suit:

“Le Trustee peut à tout moment, à sa discrétion et sans préavis, introduire telles procédures contre un quelconque émetteur qu'il estime appropriées pour obtenir l'exécution des dispositions de l'acte de trust, des MCS et des coupons, mais il n'est pas tenu d'introduire de telles procédures ou toute autre action relative à l'acte de trust, aux MCS et aux coupons sauf si (i) il y a été requis par une résolution des détenteurs de MCS ou par une demande écrite de détenteurs d'au moins un quart du montant principal des MCS en circulation à ce moment, et si (ii) il a été indemnisé et/ou garanti à sa satisfaction. Aucun détenteur de MCS ou détenteur de coupons n'a le droit d'introduire une action directe contre l'émetteur concerné sauf si le Trustee, étant ainsi devenu obligé d'agir, néglige de le faire pendant une période raisonnable et que sa négligence persiste.”

- Selon les demanderesses, cette disposition ne ferait obstacle ni à la demande introduite par citation du 1er octobre 2010, ni à celle introduite par citation du 22 décembre 2010;

Aucune des deux ne tendrait à mettre en oeuvre le Trust Deed et les conditions des obligations;

La première demande présentait selon les demanderesses un caractère purement déclaratoire de droit concernant une décision qui pouvait être adoptée par l'assemblée générale des obligataires;

La seconde procédure n'aurait pu quant à elle être introduite par le Trustee, dès lorsqu'au moment où elle l'a été, toutes les obligations MCS avaient été converties, de sorte qu'il n'y avait plus de détenteurs de MCS, et que la mission du Trustee avait pris fin.

Quant à la première demande

C'est à juste titre qu'Ageas fait observer que dans la première citation, signifiée le 1er octobre 2010, les demanderesses fondent expressément leur demande sur les dispositions du Trust Deed, et particulièrement les points 2.10 et 2.12 du Schedule 3 dont elles sollicitent application, et non sur de prétendus droits directs qui découleraient d'une décision de l'assemblée générale;

Le tribunal constate que les demanderesses minimisent la portée de la demande qu'elles avaient introduite par leur première citation; la question posée n'était pas strictement théorique, sauf à considérer l'action irrecevable sur pied de l'article article 18, 2ème alinéa du Code judiciaire, selon lequel l'action purement déclaratoire n'est admise que s'il s'agit de prévenir la violation d'un droit gravement menacé (v. Bruxelles 6 février 1997, Pas. 1996, II, p. 18);

Or, le tribunal est d'avis que l'action tendant à prévenir la violation d'un droit qui serait gravement menacé, et celle tendant à mettre fin à une atteinte à un droit ou à solliciter la réparation du préjudice résultant de l'atteinte à ce droit, ont une nature analogue lorsque, comme en l'espèce, l'une et l'autre prétendent trouver leur fondement dans des clauses contractuelles dont on entend faire application;

Le tribunal estime que l'option prise de réserver le droit d'ester en justice au seul Trustee et qui tend à éviter que des détenteurs isolés introduisent des actions arbitraires et nuisibles aux émetteurs comme aux autres obligataires (D. Hayton, “The Uses of Trusts in the Commercial Context” in X, Trusts in Prime Jurisdictions, La Haye, Kluwer International, 2000, p. 441), doit également sortir ses effets lorsqu'il s'agit d'agir préventivement, et non a posteriori, en vue de faire valoir des droits que l'on prétend tirer de dispositions contractuelles dont on entend pareillement faire application;

Cette analyse du champ d'application de l'article 19 précité n'est pas invalidée par le fait que les obligataires auraient le droit d'adresser une demande de convocation d'une assemblée générale (art. 18 des conditions reprises au Schedule 1 du Trust Deed) non seulement au Trustee, mais aussi directement aux émetteurs; rien ne vient en effet justifier que ces deux dispositions, qui traitent de deux choses différentes, devraient s'interpréter en fonction l'une de l'autre;

Il convient ainsi de conclure qu'à la date du 1er octobre 2010, seul le Trustee avait qualité pour agir au nom des obligataires, et non ces derniers; de ce fait, la demande introduite à cette date doit être déclarée irrecevable.

Quant à la seconde demande

- Si, comme constaté ci-dessus, la première action rentre effectivement dans le champ d'application matériel de l'article 19 du Schedule 1 du Trust Deed, il en est ainsi a fortiori de la seconde;

Se pose toutefois la question de savoir si cet article 19 est applicable rationae temporis à la seconde action, celle-ci ayant été introduite le 22 décembre 2010, soit après la conversion des MCS en actions Ageas le 7 décembre 2010;

- Les demanderesses QVT Fund L.P., Quintessence Fund L.P. et MCS Holdings Ltd. justifient à suffisance du fait qu'elles détenaient des MCS converties en actions Ageas à la date de la seconde citation (pièces 47.a et 47.b de leur dossier); elles ont a priori qualité pour agir en annulation de la conversion qu'elles prétendent irrégulière et préjudiciable aux droits qu'elles tiennent des MCS en cause;

En effet, ainsi que l'admet Ageas en termes de conclusions, le droit d'ester en justice est personnel et appartient à la personne qui invoque le droit subjectif litigieux;

Toute dérogation conventionnelle à ce principe doit être interprétée de façon stricte; il en est ainsi du droit d'agir en justice réservé par l'article 19 précité au seul Trustee;

- En vertu de cette dernière disposition, les détenteurs de MCS ont le droit d'introduire une action directe contre l'émetteur concerné notamment si le Trustee, requis par une demande écrite de détenteurs d'au moins un quart du montant principal des MCS en circulation à ce moment, néglige de le faire pendant une période raisonnable et que sa négligence persiste;

Or force est de constater qu'à la date du 7 décembre 2010, la conversion de MCS en actions Ageas avait été réalisée, et qu'il n'y avait donc plus dès ce moment ni détenteurs de MCS, ni MCS, annulées conformément à l'article 7 (b) du Trust Deed-Terms and Conditions of the MCS; il faut logiquement en conclure que la conversion des MCS impliquait également la fin de la mission du Trustee, qui était chargé de représenter les intérêts collectifs des détenteurs de MCS tant que ceux-ci existaient;

S'il est généralement admis que les clauses contractuelles relatives au règlement des litiges demeurent applicables après la dissolution du contrat, il n'en demeure pas moins que la clause litigieuse s'applique aux seuls détenteurs de MCS et que cette détention est une question de fait; à cet égard, il est constant qu'au moment de la citation, il n'y avait plus de MCS en circulation, que les anciens détenteurs de MCS s'étaient fondus dans la masse des actionnaires d'Ageas, et ne pouvaient donc plus se voir opposer l'article 19 précité;

Le fait que, pour justifier de leur intérêt à agir en annulation de la conversion, les parties demanderesses font valoir les MCS qu'elles détenaient le 3 décembre 2010 est une question différente et n'est pas de nature à énerver l'analyse qui précède; la qualité pour agir des demanderesses à l'action introduite le 22 décembre 2012 n'est pas douteuse;

De plus, il est à noter que l'application de la thèse des défenderesses pourrait même aboutir à reconnaître un curieux pouvoir du Trustee d'agir d'initiative, plusieurs années après la conversion litigieuse, au nom d'un ensemble de porteurs d'obligations MCS non identifiables;

- Enfin, BNY Corporate Trustee Services Limited déclare pour sa part s'en référer à justice quant au fond du litige et quant à la demande de production de documents formulée par les demanderesses.

C.2. La légitimité de l'intérêt à agir

- Ageas, suivie en cela par Fortis Banque et ABN Amro, conteste encore la légitimité de l'intérêt à agir des demanderesses; selon elle, lorsqu'une partie n'a qu'un intérêt purement spéculatif à introduite une action dans le cadre d'un litige qu'elle a créé artificiellement, son action est irrecevable pour défaut d'intérêt légitime;

Ageas stigmatise en substance l'attitude des demanderesses qui, bien qu'ayant acquis les MCS en pleine connaissance de cause après démantèlement du groupe Fortis, font valoir en citation introductive que ni le prospectus d'émission ni l'information publiée par la suite ne pouvaient permettre de prévoir l'ampleur des bouleversements que le groupe Fortis allait connaître en octobre 2008, et les conséquences qui en résulteraient pour les porteurs d'obligations MCS;

Ageas souligne également le fait que la demanderesse MCS Holding Ltd. a été constituée et a reçu l'apport de MCS en date du 2 décembre 2010, soit in extremis avant la date de conversion des MCS; elle se serait mise ainsi artificiellement dans les conditions d'introduire la deuxième citation;

- Toutefois, il apparaît que les demandes, en ce qu'elles tendent à donner effet aux résolutions de l'assemblée générale des obligataires du 8 novembre 2010, ne poursuivent pas en soi l'obtention d'un avantage illicite; l'espoir de gains nourri par les demanderesses dans le contexte des turbulences que le groupe Fortis a connues relève d'une intention spéculative qui peut être considérée comme normale sur les marchés financiers, qui ont continué à traiter les MCS; il en va de même de l'intention des demanderesses de faire prévaloir leur interprétation du Schedule 3 du Trust Deed, dont on ne peut dire à ce stade qu'elle soit abusive;

D'autre part, le reproche formulé par Ageas au sujet de MCS Holding Ltd. relève d'un procès d'intention; MCS Holding Ltd. affirme en tout cas, sans que la défenderesse ne démontre le contraire, qu'elle s'est créée et a acquis des obligations MCS des autres demanderesses avant leur conversion dans le but de formaliser le concert existant de longue date entre celles-ci, et en l'élargissant à quelques tiers; dans ce contexte, rien ne démontre que l'intérêt poursuivi par les demanderesses serait illégitime.

D. Synthèse de la position des parties intéressées quant au fond

- Les demanderesses soutiennent que la délibération de l'assemblée générale des obligataires du 8 novembre 2010 décidant de reporter la date de maturité des MCS au 7 décembre 2030 s'impose aux sociétés émettrices, tant en vertu des dispositions expresses du Schedule 3 du Trust Deed que de l'article 568 du Code des sociétés, dispositions qui reconnaîtraient toutes deux à l'assemblée des obligataires un droit de modification unilatérale des conditions de l'emprunt litigieux;

- Selon Ageas, l'interprétation que donnent les demanderesses de l'article 568 du Code des sociétés serait contraire aux principes de droit civil et de droit des sociétés en matière d'emprunts bancaires; leur thèse violerait en outre la foi due à l'article 2.10 du Schedule 3 du Trust Deed; les demanderesses ne pourraient en outre se fonder sur la bonne foi pour justifier leur prétendu droit; elles ne pourraient se prévaloir d'aucune apparence trompeuse, mais seraient au contraire de mauvaise foi et commettraient un abus de droit;

Subsidiairement, Ageas fait valoir que la preuve de la tenue valable d'une assemblée générale des obligataires n'était pas établie; plus subsidiairement, Ageas prétend que les demanderesses ont confirmé la conversion des MCS en actions Ageas; plus subsidiairement encore, Ageas prétend que le report de la date de maturité des MCS n'entraînerait pas le paiement de nouveaux intérêts;

- ABN Amro confirme que selon elle, tant le droit belge que le droit anglais s'opposeraient à ce que l'article 2.10 du Schedule 3 du Trust Deed soit interprété comme conférant à l'assemblée générale des porteurs de MCS le droit unilatéral de reporter la date de maturité des MCS;

En outre, selon ABN Amro, les pouvoirs unilatéraux tels qu'interprétés par les demanderesses ne seraient pas valables et l'exécution que la demanderesse en donnerait violerait l'exigence de bonne foi;

Quant à l'article 568 du Code des sociétés, celui-ci n'attribuerait en tant que tel aucun pouvoir unilatéral à l'assemblée générale des détenteurs de MCS;

Par ailleurs, ABN Amro soutient également que les demanderesses ont confirmé la conversion des MCS en actions Ageas; elle se joint également à Ageas pour dénoncer les irrégularités relatives à la tenue de l'assemblée générale des obligataires du 8 novembre 2010;

- Fortis Banque prétend également que la convocation de l'assemblée générale du 8 novembre 2010 serait irrégulière;

Comme les autres défenderesses, elle conteste que les obligataires détiendraient un droit de modifier unilatéralement la date d'échéance des MCS, que ce soit en vertu du Code des sociétés ou des dispositions contractuelles.

E. Appréciation

Le tribunal est d'avis qu'il n'appartient pas aux porteurs d'obligations de modifier unilatéralement les termes et conditions d'obligations sans l'accord des sociétés émettrices de ces obligations, que ce soit en vertu du droit belge en général, en vertu de l'article 568 du Code des sociétés en particulier (1), ou en vertu du Schedule 3 du Trust Deed (2);

Le tribunal est également d'avis que ni la théorie de l'apparence trompeuse (3), ni le droit anglais (4) ne pourraient mener à d'autres conclusions en l'espèce.

1. Le droit belge

- Conformément à l'article 1134 du Code civil, un contrat ne peut en principe être modifié que de l'accord unanime des parties;

Sous la réserve de la possibilité que les parties auraient de convenir d'attribuer à l'une d'elles un certain pouvoir de modification unilatérale, et de l'interprétation à donner à cet égard aux dispositions contractuelles ici applicables, et particulièrement le Schedule 3 du Trust Deed, ce principe de la convention-loi doit notamment s'appliquer à un contrat de prêt tel que l'emprunt obligataire;

- L'assemblée générale des obligataires n'a pas été instituée en droit belge dans l'intérêt des obligataires, mais bien pour permettre aux sociétés émettrices d'avoir un interlocuteur unique dans leurs relations avec les obligataires; à défaut, toute modification de la convention d'émission souhaitée par les sociétés émettrices aurait requis l'accord unanime des obligataires; il s'agissait d'éviter de telles situations de blocage, qui pouvaient n'être de l'intérêt ni de la société émettrice, ni des obligataires;

Des attributions limitées ont certes été confiées à cette assemblée par la loi du 25 mai 1913 modifiant les lois sur les sociétés commerciales; il résulte cependant des travaux préparatoires que le législateur n'entendait lui donner aucun droit de modification unilatérale, mais tout au plus un pouvoir de pression morale sur la société émettrice dans l'espoir qu'elle soumette des propositions donnant satisfaction aux obligataires (C. Resteau, Traité des sociétés anonymes, Swinnen, 1985, p. 417; J. Van Ryn, Principes de droit commercial, Bruxelles, Bruylant, 1954, p. 453; L. Fredericq, Précis de droit commercial, Bruxelles, Bruylant, 1970, n° 396, p. 423);

Ainsi, dès l'origine, le pouvoir de décision de l'assemblée générale avait vocation à lier non pas la société débitrice elle-même, mais bien l'ensemble des obligataires, selon les majorités prévues;

- L'article 93 des lois coordonnées sur les sociétés commerciales conférait à l'assemblée générale des obligataires divers droits, dont celui de prolonger la durée du remboursement, de le suspendre et de consentir des modifications aux conditions dans lesquelles il devait avoir lieu;

L'interprétation qui était alors faite de cette disposition, et à laquelle le tribunal se rallie, était que les modifications des conditions de l'emprunt décidées par une assemblée générale des obligataires, pour engager valablement la société débitrice, devaient être proposées ou à tout le moins approuvées par ladite société (séance de la Chambre du 5 décembre 1912, Ann.parl. 1912-13, p. 123); pareille interprétation était et reste conforme à la nature de l'assemblée générale des obligataires et au principe de la convention-loi, décrits ci-avant (Doc.parl. Chambre 1998-99, n° 1838/1, pp. 2 et 134);

- Alors qu'il ne pouvait ignorer l'interprétation qui était faite de cet ancien article 93 LCSC, le législateur de 1999 n'a voulu apporter aucune modification significative de la nature et des pouvoirs des assemblées générales d'obligataires lors de la codification des lois coordonnées sur les sociétés commerciales;

Ainsi, c'est dans le sillage de l'article 93 précité que l'article 568 du Code des sociétés dispose ce qui suit:

“Quand le capital social est entièrement appelé, l'assemblée générale des obligataires a le droit:

1° de proroger une ou plusieurs échéances d'intérêts, de consentir à la réduction du taux de l'intérêt ou d'en modifier les conditions de paiement;

2° de prolonger la durée du remboursement, de le suspendre et de consentir des modifications aux conditions dans lesquelles il doit avoir lieu;

(...)”;

Rien ne vient justifier qu'une interprétation différente soit donnée à l'article 568 du nouveau code par rapport à celle de l'article 93 des lois coordonnées;

Le fait que l'assemblée des obligataires est classée dans le Code des sociétés sous le titre 'Organes' paraît n'être qu'un choix de structure du texte, sans effet voulu quant à la répartition des pouvoirs de chacun; il ne permet pas de conclure que cette assemblée aurait à présent vocation à représenter non seulement l'ensemble des obligataires, mais également la société émettrice qu'elle pourrait ainsi valablement engager;

La doctrine récente tend également à confirmer que les assemblées générales d'obligataires n'ont, pas plus que dans le passé, le droit d'imposer des modifications des conditions de l'emprunt sans l'approbation de la société émettrice (C. Verbruggen, “Art. 568”, Commentaire systématique du Code des sociétés, Kluwer, 2005, p. 64; P. Baert, “Art. 292”, Artikelsgewijze Commentaar Wetboek Vennootschappen, Kluwer, 2000, p. 20);

En l'espèce, les sociétés émettrices n'ont pas marqué leur accord sur le report de la date de maturité des obligations MCS.

2. Le Schedule 3 du Trust Deed

- Si le droit positif belge ne donne pas de pouvoir aux assemblées générales d'obligataires d'imposer unilatéralement des modifications aux conditions de l'emprunt, il ne s'oppose pas davantage à ce qu'il soit conventionnellement dérogé à l'article 568 du Code des sociétés;

Il convient ainsi d'apprécier dans cette perspective la portée de l'article 2.10 du Schedule 3 du Trust Deed, ainsi rédigé, suivant traduction libre non contestée:

“Pouvoirs des assemblées

2. Sans préjudice des conditions et de tout pouvoir conféré à une autre personne par le présent acte de trust, une assemblée aura le pouvoir, par résolution:

2.1. d'approuver toute proposition, des émetteurs ou du Trustee visant à modifier, abroger, changer, ou visant à obtenir un compromis ou un arrangement quant aux droits des détenteurs de MCS et/ou des détenteurs de coupons à l'encontre des émetteurs, que ces droits découlent ou non du présent acte de trust;

2.2. d'approuver l'échange, la substitution ou la conversion des MCS en actions, obligations ou autres titres des émetteurs ou de toute autre entité;

2.3. de consentir à toute proposition des émetteurs ou du trustee visant à modifier le présent acte de trust, les MCS ou les coupons;

2.4. d'autoriser quiconque à participer à et faire toute chose utile pour mettre en oeuvre une résolution;

2.5. de donner tout pouvoir, instruction ou approbation devant être donnés par résolution;

2.6. de désigner toutes personnes (détenteur de MCS ou non) comme mandataire ou mandataires destiné à représenter les intérêts des détenteurs de MCS et leur conférer tout pouvoir ou discrétion pouvant être exercé par les détenteurs de MCS par voie de résolution;

2.7. d'approuver la nomination d'un nouveau trustee proposé et de révoquer un trustee;

2.8. d'approuver la substitution de toute entité aux émetteurs (ou tout successeur précédent) comme débiteur principal en vertu du présent acte de trust;

2.9. de décharger ou exonérer le Trustee de toute responsabilité pour tout acte ou toute omission dont il pourrait être tenu responsable conformément au présent acte de trust, aux MCS ou aux coupons;

2.10. de modifier l'échéance des MCS ou les dates auxquelles les intérêts sont dus;

2.11. de réduire ou annuler le montant en principal ou les intérêts dus en vertu des MCS, le montant d'intérêts fixes dus lors de chaque date de paiement des intérêts fixes, le montant du dividende excédentaire par MCS ou encore la valeur courante;

2.12. de modifier ou annuler la clause relative à la conversion des MCS autrement que conformément aux présentes conditions et à l'acte de trust ou à la suite de toute modification à ceux-ci faite conformément à ce qui est prévu à la condition 15 (g) ('modification nouvelle entité');

2.13. d'augmenter le prix de conversion minimal ou le prix de conversion maximal ou de réduire le rapport de conversion par MCS autrement qu'en accord avec ces conditions ou conformément à une modification nouvelle entité;

2.14. de modifier la devise de tout paiement relatif aux MCS;

2.15. de modifier la loi régissant les MCS; l'acte de trust ou le contrat de service financier et de conversion; ou

2.16. de modifier les dispositions de la présente annexe concernant le quorum requis lors d'une assemblée ou concernant la majorité requise pour adopter une résolution; ou

2.17. de modifier le présent paragraphe 2.”

- Certes, la lecture littérale et isolée des termes de l'article 2.10 laisse à penser que cette assemblée aurait le droit de décider de modifier unilatéralement la date de conversion des MCS; il serait cependant inapproprié de lire cette disposition sans tenir compte du contexte contractuel et légal dans lequel elle s'inscrit;

Ainsi, conformément à l'article 1156 du Code civil, le juge doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s'arrêter au sens littéral des termes; il s'agit ainsi de faire émerger la pensée réelle des parties; à cette fin, il convient d'examiner non seulement le texte de la convention (toutes les clauses des conventions devant s'interpréter les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l'acte entier (art. 1161 C.civ.)) et son économie mais aussi, au besoin, les éléments extrinsèques à l'acte;

- En l'espèce, il résulte clairement, tant de l'analyse de l'ensemble des dispositions du Trust Deed et du Schedule 3, que des dispositions du prospectus d'émission et de l'économie générale du contrat, que l'intention des parties n'était pas de donner aux assemblées générales d'obligataires le pouvoir extrêmement étendu que leur prêtent les demanderesses.

a) Les clauses du prospectus d'émission

Le prospectus d'émission est le document contractuel initial, devant permettre au public de comprendre la nature de l'opération et d'apprécier ainsi s'il a intérêt ou non à y participer; il décrit les droits et obligations des parties à l'émission;

- dès la première page de ce prospectus, un constat s'impose: il y est question de MCS, soit de Mandatory Convertible Securities due 2010, c'est-à-dire d'obligations obligatoirement convertibles en 2010; cette conversion obligatoire en 2010 est constitutive de la nature même de l'opération;

- la présentation de l'opération qui suit immédiatement confirme: “à moins qu'ils n'aient été convertis, ou achetés et annulés conformément aux conditions d'émission des MCS, les MCS seront obligatoirement convertis en actions Fortis le 7 décembre 2010 (la 'date de maturité')”; cette stipulation liminaire et dépourvue de la moindre ambiguïté est répétée à l'article 5, a) (p. 40) du même prospectus; aucune des hypothèses visées à cet article 5, selon lesquelles la conversion pourrait avoir lieu à une autre date ne vise une décision unilatérale de l'assemblée générale des obligataires;

- en page 35, la date de maturité y est également définie comme étant le 7 décembre 2010;

- aucune autre disposition de ce prospectus n'envisage la faculté pour les obligataires réunis en assemblée de décider du report de la date de maturité ainsi déterminée; au contraire, il y est stipulé en pages 26 et 27 que les dispositions relatives aux assemblées générales des obligataires MCS permettent à des majorités définies de lier tous les obligataires MCS, en ce compris les obligataires qui ne participent pas à l'assemblée et des obligataires qui ont voté dans le sens opposé à celui de la majorité; ces termes sont un renvoi clair au principe admis en droit belge que le pouvoir de décision de l'assemblée générale n'a vocation à lier que l'ensemble des obligataires, mais pas la société débitrice elle-même;

- L'article 18, a) des conditions d'émission reprises au prospectus (p. 61) confirme le principe précité et renvoie d'ailleurs aux dispositions du droit belge et particulièrement l'article 568 du Code des sociétés, qui y est expressément visé;

- L'article 18 b) des mêmes conditions donne pouvoir au Trustee, qui est la partie en charge des intérêts des détenteurs de MCS, de convenir avec les émetteurs de certaines modifications au Trust Deed sans le consentement des détenteurs de MCS; l'on n'aperçoit pas l'intérêt qu'il a à designer ainsi l'interlocuteur des détenteurs vis-à-vis des émetteurs pour négocier avec ces derniers toute modification au Trust Deed, si ces mêmes détenteurs disposaient d'un droit de modification unilatéral de la date de maturité et partant de la nature même de l'instrument financier.

b) Le Trust Deed

- L'article 14 reprend les termes précités de l'article 18, a) des conditions d'émission reprises au prospectus;

- Le Schedule 1 du Trust Deed porte également en titre 'Mandatory Convertible Securities due 2010' et confirme que “si les MCS n'ont pas été convertis auparavant, ils seront obligatoirement convertis le 7 décembre 2010”; il reprend pareillement les autres conditions d'émission du prospectus évoquées ci-dessus;

On cherche donc vainement dans ce texte un quelconque appui à la thèse des demanderesses.

c) Le Schedule 3

- Il peut tout d'abord être noté que l'article 2 du Schedule 3 précise d'emblée que les pouvoirs conférés à l'assemblée générale le sont sans préjudice des conditions et de tout pouvoir conféré à une autre personne par le Trust Deed, et donc des dispositions évoquées ci-dessus;

- Par ailleurs, les pouvoirs de modification des conditions d'émission donnés à l'assemblée des détenteurs de MCS par les articles 2.1. à 2.8 du Schedule 3 ne sont que les pouvoirs classiques et conformes au droit belge d'approbation ou d'acceptation de propositions émanant des émetteurs ou du Trustee, dont les propositions de modifications du Trust Deed, des MCS ou des coupons;

Si les articles 2.10 à 2.17 ne parlent plus explicitement de pouvoir limité à l'approbation ou 1'acceptation de propositions d'émetteurs, il convient de considérer que cette précision est implicite mais certaine;

En effet, en décider autrement commanderait d'interpréter de la même manière extensive ces articles 2.10 à 2.17 et donc de considérer que l'assemblée des détendeurs de MCS pourrait unilatéralement décider de modifier non seulement la date de maturité des MCS, mais également la fourchette des prix de conversion des MCS (2.13), et même de modifier ses propres pouvoirs (2.17), et partant de s'arroger le pouvoir de décider - à des quorums qu'elle choisirait elle-même - de reporter indéfiniment la date de conversion et de modifier n'importe quelle autre condition essentielle de l'émission, telle que le taux d'intérêt dont elle pourrait imposer la majoration; ainsi, à supposer que ce Schedule 3 fixe un cadre précis au pouvoir unilatéral de modification qu'il conférerait, ce même Schedule 3 donne aussi pouvoir à cette même assemblée de s'arroger tous les pouvoirs, dont celui de le supprimer, ce qui viderait la notion de relation contractuelle de tout contenu;

Que ce soit en vertu du principe de la bonne foi, ou sur base de la théorie dite de la 'partij beslissing', aucune validité ne pourrait être reconnue à une clause contractuelle qui autoriserait sans restriction ni cadre contraignant une des parties à modifier unilatéralement et de façon purement potestative, les conditions les plus fondamentales du contrat;

Pareille interprétation reviendrait à considérer que les banques émettrices ont littéralement signé et remis aux détenteurs de MCS un invraisemblable chèque en blanc, ainsi que le relevait à juste titre le juge des référés en son ordonnance du 8 novembre 2010;

Une telle interprétation ne peut donc être suivie, conformément aux articles 1157 et 1161 du Code civil;

- D'autre part, l'article 28 du Schedule 3 reproduit l'article 18, a) en vertu duquel les résolutions de l'assemblée générale ont vocation à lier l'ensemble des détenteurs de MCS, sans prévoir nulle part qu'elles auraient jamais vocation à lier les émetteurs eux-mêmes;

Enfin, l'article 31 du Schedule 3 renvoie également à l'article 568 du Code des sociétés, auquel les résolutions de l'assemblée générale doivent se conformer pour devenir effectives, et dont il a été dit ci-dessus qu'il ne conférait pas aux assemblées d'obligataires les pouvoirs que les demanderesses prétendent.

d) L'économie générale du contrat

- Il est constant que le juge peut interpréter la convention conclue entre les parties et en déterminer les effets à la lumière de l'obligation d'exécution de bonne foi; sur la base d'une telle interprétation, il ne peut toutefois pas imposer aux parties des obligations qui sont inconciliables avec la nature et l'économie de la convention (Cass. 23 mars 2006, C.03.0626.N, Rev.prat.soc. 2010, pp. 228 à 244);

- Les MCS correspondaient à des instruments financiers assimilés à des fonds propres de type Tier 1 (soit des fonds propres répondant aux critères définis par l'article II.1., § 1 de l'arrêté de la CBFA du 17 octobre 2006 transposant les 'Accords de Bâle II' contenus dans les directives européennes 2006/48 et 49), ainsi que cela a été reconnu par la CBFA et son correspondant néerlandais (pièce 54 d'Ageas), parce qu'ils en présentaient les caractéristiques, notamment en ce qui concerne l'annulation de coupons en cas d'insolvabilité du groupe Fortis, leur subordination, la faculté de rachat des MCS par Fortis, leur conversion anticipée; si une assemblée générale des détenteurs de MCS avait eu la faculté de modifier unilatéralement et sans limites l'une de ces caractéristiques, il est certain que la qualité de Tier 1 n'aurait pas été reconnue par les régulateurs; si les demanderesses mettent en avant que l'assemblée n'a par exemple pas décidé de transformer la conversion en remboursement en espèce, il n'en demeure pas moins qu'à suivre leur thèse, elle aurait pu s'arroger ce pouvoir sur pied de l'article 2.10 du Schedule 3 du Trust Deed;

- En outre, comme relevé ci-dessus, le prospectus d'émission sur base duquel le public se voyait préciser les modalités de l'opération, en décrivait clairement la nature; elle portait sur des obligations obligatoirement convertibles à l'échéance 2010 (sous la seule réserve des hypothèses explicitement visées, telles que la faculté de conversion anticipée), et porteuses d'un intérêt de 8,75% l'an;

Or, il est incontestable que dans l'élaboration de l'opération financière, la date de maturité des obligations, tout comme les autres caractéristiques liées à leur qualification de Tier 1, influence de façon substantielle le calcul du taux du coupon versé aux obligataires; une clause qui donnerait pouvoir à une des parties de modifier unilatéralement l'un de ces paramètres serait de nature à bouleverser l'équilibre économique du contrat;

- Ni la situation financière de Fortis telle qu'elle était connue en 2007, ni sa restructuration en 2008, ni aucune autre circonstance évoquée ne paraît justifier qu'elle aurait accordé un tel pouvoir inconditionnel de modification unilatérale des éléments fondamentaux de l'emprunt obligataire.

e) La souscription des CCEN

Au titre d'élément extrinsèque à l'acte sujet à interprétation, il convient de prendre en compte le 'Term Sheet' du 11 juillet 2007 destiné aux acheteurs des CCEN, auxquels les MCS ont succédé en décembre 2007;

S'il n'est pas contestable que le Trust Deed et ses annexes constituent une des bases contractuelles de la relation entre les émetteurs et les détenteurs de MCS, il reste une réalité factuelle non contestée que ce Trust Deed n'avait pas encore circulé et n'était pas connu des acquéreurs initiaux de CCEN lors de leur engagement;

La souscription des CCEN s'est donc faite sur base du seul Term Sheet, lequel ne mentionne nulle part l'existence d'un pouvoir unilatéral de modification de la date de maturité; cette chronologie est révélatrice de l'absence d'intention des parties de conférer aux assemblées générales de détenteurs de MCS les pouvoirs exceptionnels revendiqués par les demanderesses.

3. La théorie de l'apparence trompeuse

Les demanderesses prétendent vainement qu'elles auraient été victimes d'une apparence trompeuse créée ou entretenue par les émetteurs; dès l'abord, c'est-à-dire dès le prospectus d'émission, l'opération a bien été annoncée comme étant une émission d'obligations obligatoirement convertibles en 2010;

En outre, et comme relevé ci-dessus, les documents contractuels renvoyaient clairement et à diverses reprises au droit belge et à l'article 568 du Code des sociétés, dont le contenu et l'interprétation, qui mettent la demande en échec, ne sont pas le fruit d'une apparence créée ou entretenue par les émetteurs.

4. Le droit anglais

Enfin, à supposer le droit anglais applicable en l'espèce, il n'est pas démontré que les règles d'interprétation de ce droit, analogues à celles du droit belge, mèneraient à une autre lecture de l'article 2.10 du Schedule 3;

En tout état de cause, il n'apparaît pas que l'application du droit anglais permettrait de donner effet à une clause attribuant à une partie le pouvoir de modifier unilatéralement les conditions essentielles du contrat sans limite ni règle de nature à éviter l'arbitraire.

5. En conclusion

Il résulte des considérations qui précèdent que la décision de l'assemblée des détenteurs de MCS du 8 novembre 2010 de reporter la date de maturité des MCS au 7 décembre 2030 ne peut lier les émetteurs;

Partant, la conversion des MCS en actions Ageas s'est faite valablement et n'est pas sujette à nullité;

Ceci justifie le rejet des prétentions des demanderesses, tant formulées à titre principal qu'à titre subsidiaire.

F. Les demandes reconventionnelles

- La SA Fortis Banque, la SA Ageas et la société anonyme de droit néerlandais ABN Amro Bank NV ont toutes introduit une demande reconventionnelle tendant à obtenir la condamnation des demanderesses au principal in solidum, à payer l'intégralité des frais relatifs à l'organisation de l'assemblée générale des obligataires MCS tenue le 8 novembre 2010 et encouru par Trustee et BNP Paribas Securities Services;

Les défenderesses sur reconvention ne contestent pas devoir prendre ce poste en charge et versent à leur dossier la preuve des versements au Trustee des montants qui lui ont été requis à cet effet (pièce 64a de leur dossier); selon elles, il ne leur appartient pas de prendre en charge d'autres frais, et notamment ceux qui seraient dus par les émetteurs en vertu des articles 9.3 et 9.4 du Trust Deed;

BNY Corporate Trustee Services Limited confirme au demeurant en termes de conclusions que les deux factures laissées en souffrance et relatives à l'assemblée générale avaient été payées depuis lors par les détenteurs;

Ni ces pièces, ni ces arguments n'ont suscité de commentaire en réponse de parts adverses;

Dans ces conditions, et à défaut de pièces justificatives des montants qui seraient dus aux demanderesses sur reconvention sur base de l'article 3 du Schedule 3 du Trust Deed après les paiements avérés, il convient de rejeter ces demandes reconventionnelles;

- Ageas et ABN Amro sollicitent en outre la condamnation des demanderesses au principal au paiement des dépens, en ce compris les frais d'expert consultés;

Elles restent cependant en défaut de justifier du fondement de leur demande de paiement des frais d'experts, qui s'ajouterait à celle de l'indemnité de procédure;

Certes, il a été jugé que les frais de conseil technique exposés par la victime d'une faute contractuelle peuvent constituer un élément de son dommage donnant lieu à indemnisation dans la mesure où ils présentent ce caractère de nécessité (Cass. 2 septembre 2004, JLMB, 30/2004, p. 1320); l'on cherche cependant en vain en quoi les frais d'experts seraient une suite nécessaire de l'inexécution de la convention par les demanderesses originaires;

Le fait d'agir en justice n'est pas en soi abusif et la divergence d'interprétation du contrat ayant donné lieu au litige ne résulte pas d'un acte fautif mais trouve au contraire son assise dans une lecture littérale de l'article 2.10 du Schedule 3 du Trust Deed;

Ces considérations n'empêchent cependant pas que pour calculer l'indemnité de procédure à accorder, il sera notamment tenu compte de la complexité de l'affaire et de l'importance des efforts que la défense a dû consentir pour y défendre ses intérêts; l'indemnité maximale sera adéquatement allouée;

Il conviendra enfin de liquider les dépens qui avaient été réservés par l'ordonnance prononcée le 8 novembre 2010 dans le cadre de la procédure de référés.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL, statuant contradictoirement, écartant comme non fondées toutes conclusions autres, plus amples ou contraires,

Joint les causes reprises sous les nos de RG A/10/8158 et A/11/00522, en raison de leur connexité;

Déclare irrecevable l'action introduite par citation du 1er octobre 2010;

Déclare l'action introduite par citation du 22 décembre 2010 recevable, mais non fondée;

Déclare les demandes reconventionnelles recevables, mais non fondées;

Condamne les demanderesses aux dépens, taxés comme suit:

- dans le chef des sociétés Ageas SA/NV et Ageas NV aux montants de 33.000 EUR (indemnité de procédure unique), 2.909,56 EUR et 1.982,10 USD (frais de citations en référé), 2.858,47 EUR (frais de signification de l'ordonnance de référé) et 10.000 EUR (indemnité de procédure de référés);

- dans le chef des SA Fortis Banque et ABN Amro Bank NV à la somme de 33.000 EUR chacune, à titre d'indemnité de procédure;

- dans le chef de la société de droit anglais BNY Corporate Trustee Services Limited à la somme de 15.000 EUR à titre d'indemnité de procédure;

(…)


Note / Noot

Ce jugement est frappé d'appel.