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Application de l'article 46 de la loi sur les faillites au contrat d'emphytéose : réflexion sur la nature des droits réels à la lumière de l'arrêt de la Cour de cassation du 3 décembre 2015, R.D.C.-T.B.H., 2017/7, p. 701-729

Application de l'article 46 de la loi sur les faillites au contrat d'emphytéose: réflexion sur la nature des droits réels à la lumière de l'arrêt de la Cour de cassation du 3 décembre 2015 [1]

Benjamin Pirlet [2]

TABLE DES MATIERES

Introduction

I. Précisions terminologiques 1. Notions de résiliation et résolution

2. Nature de l'effet rétroactif

3. Application à l'article 46 de la loi sur les faillites

II. Portée de l'article 46 de la loi sur les faillites 1. L'application de l'article 46 aux contrats de bail 1.1. Portée de l'article 46

1.2. Thèse de l'opposabilité

1.3. Thèse de l'inopposabilité 1.3.1. Inopposabilité de principe

1.3.2. Limites à l'inopposabilité

2. Application aux droits réels: l'arrêt du 3 décembre 2015 2.1. Présentation de l'arrêt de la Cour de cassation du 3 décembre 2015

2.2. Constations relatives à l'arrêt

III. Analyse au regard de la nature des droits réels 1. Nature des droits réels 1.1. Le droit réel face au droit de créance

1.2. Le parallèle avec la vente

1.3. Le raccourci de l'assimilation de l'emphytéose au bail 1.3.1. La différence de nature entre bail et emphytéose

1.3.2. Les contrats à exécution successive ou instantanée

2. Attributs des droits réels

3. Analogie avec les droits réels accessoires

4. Mécanismes résolutoires 4.1. Validités des mécanismes résolutoires

4.2. Effets des mécanismes résolutoires

5. Le point sur les théories des droits réels 5.1. Evolution des théories des droits réels

5.2. Critique des théories (néo-)personnalistes: l'obligation passive (universelle)

5.3. Parallèle avec le droit de propriété lui-même

5.4. Contribution des théories personnalistes et néo-personnalistes

5.5. Essence du droit réel

5.6. Le régime de constitution de droits réels

Conclusion

RESUME
Cette contribution commente l'arrêt de la Cour de cassation du 3 décembre 2015 autorisant le curateur, sur la base de l'article 46 de la loi sur les faillites, à résilier un contrat constitutif de droits réels. Après un bref rappel de la jurisprudence et de la doctrine traitant de l'article 46 appliqué aux droits personnels, la présente contribution revient sur les spécificités propres aux droits réels qui justifient selon l'auteur un traitement particulier face au pouvoir de résiliation du curateur. Dans une perspective plus large, l'auteur tire des développements qui précèdent une critique des différentes théories des droits réels, et propose une théorie retournant davantage à la conception classique, sans pour autant faire abstraction des enseignements des théories (néo-)personnalistes.
SAMENVATTING
Deze bijdrage bespreekt het arrest van het Hof van Cassatie van 3 december 2015 waarin de curator, op grond van artikel 46 van de faillissementswet, wordt toegestaan om een overeenkomst op te zeggen waarbij zakelijke rechten worden gevestigd. Na een korte herhaling van de rechtspraak en de rechtsleer met betrekking tot artikel 46 toegepast op persoonlijke rechten, keert deze bijdrage terug naar de specifieke eigenheden van zakelijke rechten die volgens de auteur een bijzondere behandeling rechtvaardigen ten opzichte van de beëindigingsbevoegdheid van de curator. In een ruimer perspectief leidt de auteur uit de voorgaande ontwikkelingen een kritiek af op de verschillende theorieën met betrekking tot zakelijke rechten, en stelt hij een theorie voor die eerder terugkeert naar het klassieke concept, zonder echter abstractie te maken van de lessen die de (neo-)personalistische theorieën bieden.
Introduction

Le curateur, suite à une faillite du bailleur emphytéotique, peut-il mettre fin au contrat d'emphytéose et récupérer sans indemnité les améliorations faites par un emphytéote dans la croyance que son droit durerait plus longtemps [3]? L'article 46 de la loi sur les faillites autorise en effet le curateur, sous certaines conditions, à résilier les contrats en cours.

La question n'est pas simple. De Page écrivait que « la matière de la dissolution des contrats est l'une des plus complexes et des plus délicates de tout le droit civil » [4]. Or la dissolution concerne ici un droit réel, dont les rapports avec le contrat sont par ailleurs largement débattus. En outre, comme le relève notamment Vincent Sagaert, le régime des droits réels démembrés principaux est confronté à une certaine insécurité juridique [5].

La question n'est pas seulement théorique et elle est notamment importante, dans un contexte de renaissance du droit d'emphytéose ces dernières décennies [6], pour les investisseurs immobiliers qui font le choix de la structure emphytéotique et pour les banques qui les financent, en ce que la capacité d'emprunt des premiers dépend grandement de leur possibilité d'apporter un bien en garantie aux secondes. En l'espèce, une résiliation de l'emphytéose ferait disparaître l'assiette de l'hypothèque que consentirait l'investisseur sur son emphytéose, rendant la garantie somme toute assez aléatoire [7].

Longuement débattu en relation avec des droits personnels, et en particulier le droit au bail, le pouvoir de résiliation du curateur consacré par l'article 46 a connu un développement récent, la Cour de cassation ayant, dans un arrêt du 3 décembre 2015, transposé à la matière des droits réels le raisonnement essentiellement suivi jusque-là pour les droits personnels.

Le présent article commence par une première partie (I.) consacrée à certaines précisions terminologiques propres à la dissolution des contrats. Une deuxième partie (II.) est ensuite consacrée à un bref résumé des positions prises par la doctrine et la jurisprudence en droit du bail (1.) et à une analyse de l'arrêt de la Cour de cassation précité qui étend le raisonnement aux droits réels (2.). La troisième et dernière partie (III.) tentera de mettre en évidence les caractéristiques propres aux droits réels qui justifient selon nous un traitement différencié des droits réels et personnels face à l'article 46.

I. Précisions terminologiques
1. Notions de résiliation et résolution

L'optique du présent article est de considérer à nouveau une série de concepts de droit civil, en partant du principe qu'il est ainsi possible de dégager des contours précis et cohérents à ces concepts, de façon à déterminer leurs interactions respectives. En l'espèce, le présent article tente d'articuler deux concepts bien connus du droit civil: le droit réel d'une part, et la résiliation d'autre part.

L'objectif est principalement de présenter certaines caractéristiques essentielles du droit réel et d'en tirer des conclusions quant à son interaction avec le droit de résiliation et, en miroir, le droit de résolution. A titre préliminaire, avant de confronter ces notions aux droits réels, il nous a dès lors paru important de rappeler brièvement les notions de résiliation et de résolution, qui font l'objet de nombreuses confusions en pratique [8].

La résolution et la résiliation ont deux champs d'application différents. En effet, il apparaît que la résolution peut viser tout type de contrats, alors que la résiliation ne peut viser que des contrats à exécution successive (c.-à-d. étalée dans le temps, de façon continue ou en plusieurs occurrences) [9], à l'exclusion donc des contrats à exécution instantanée [10]. Cette différence s'explique par le fait que la résolution a un effet rétroactif, contrairement à la résiliation [11]. En effet, en toute logique, mettre fin à un contrat sans effet rétroactif suppose que ce contrat doive encore être exécuté (au moins partiellement) [12].

Une autre thèse conçoit cependant différemment la distinction entre résiliation et résolution. La résolution serait la dissolution du contrat qui trouve son motif dans une inexécution fautive d'une des parties, alors que la résiliation viserait les autres cas de dissolution [13]. Il est vrai que la faute d'un cocontractant pourra donner lieu à une résolution, par le jeu d'un pacte commissoire ou prononcée par le juge sur la base de l'article 1184 du Code civil [14].

Le champ d'application de la résolution est toutefois plus large, ce que la terminologie employée relativement aux conditions résolutoires confirme. Elles visent en effet les cas de dissolution pour un motif autre que la faute, alors même qu'elles sont aussi « résolutoires » [15]. La confusion pourrait s'expliquer par le fait que mettre fin à un contrat avec effet rétroactif peut prendre deux formes: la résolution et l'annulation. Dans ce cadre, l'annulation est effectivement réservée aux vices dans la formation du contrat, et la résolution à des événements postérieurs (notamment la faute d'un contractant, mais également, comme indiqué supra, la survenance d'un événement visé par une condition résolutoire, le cas échéant d'ailleurs purement potestative).

La résiliation est quant à elle cantonnée à une faculté unilatérale sans effet rétroactif accordée à l'une des parties par contrat, par la loi (tel que l'art. 46 de la loi sur les faillites) ou actée de commun accord entre les parties [16]. Comme nous le verrons au point suivant, l'effet rétroactif de la résolution est parfois tempéré, ce qui atténue les différences entre résolution et résiliation et ajoute à la confusion [17]. La résolution n'en demeure pas moins, selon nous, à classer par principe dans les mécanismes à effet rétroactif [18].

2. Nature de l'effet rétroactif

L'effet rétroactif de la résolution d'un contrat entraîne la restitution réciproque des prestations déjà effectuées. Cet effet rétroactif doit toutefois être relativisé, la doctrine et la jurisprudence admettant certains tempéraments nécessaires ou utiles au principe [19].

Tout d'abord, la restitution aura lieu par équivalent lorsque la restitution en nature n'est pas possible [20]. Ensuite, il est généralement admis que les mécanismes résolutoires n'ont pas d'effet rétroactif lorsqu'ils concernent des contrats à exécution successive exécutés jusque-là à la satisfaction des parties [21]. Tel est notamment le cas d'un contrat de bail [22]. Ce principe a été admis par la Cour de cassation en 1991 [23]. L'absence d'effet rétroactif de la résolution d'un contrat à caractère successif suppose toutefois que « les parties reçoivent l'une de l'autre des prestations équivalentes et ratifient implicitement cette exécution » [24].

Ce faisant, et développant ce critère des prestations exécutées à la satisfaction des parties, la doctrine a développé les notions d'indivisibilité et d'équilibre économique du contrat, pour indiquer que ce tempérament à la rétroactivité supposait que les prestations réciproques des parties se soient, pendant une certaine durée au moins, exécutées à la satisfaction des parties, ce qui nécessite que les prestations déjà effectuées puissent former un équilibre économique propre, détachable des prestations encore à effectuer [25]. A défaut en effet, l'absence d'effet rétroactif lèserait la partie qui n'était satisfaite de l'équilibre économique du contrat qu'en considération des prestations encore à effectuer.

Cette solution est d'ailleurs comparable à la position adoptée par la Cour de cassation française dans son arrêt du 3 novembre 1983 [26]. On notera toutefois que la doctrine française et la doctrine belge adoptent des approches différentes des concepts de contrats à exécution successive et instantanée, mais qui se rejoignent toutefois quant à leurs conséquences sur le tempérament de l'effet rétroactif: l'absence de divisibilité des prestations, qu'elles soient ou non qualifiées de successives, fait obstacle au tempérament de l'effet rétroactif [27].

Certains auteurs, allant un cran plus loin, ont suggéré que le critère des contrats à exécution successive pouvait dès lors être abandonné, au profit de ce seul critère « économique » [28]. Nous pensons toutefois que la question ne se pose que pour des contrats à exécution successive: pour les contrats à exécution instantanée, il n'est pas possible d'opérer uniquement pour l'avenir, au risque sinon de priver la résolution de tout effet [29].

La discussion n'est pas seulement théorique. Ainsi, nous verrons infra que, même si la question est débattue, nous pensons qu'un contrat constitutif d'emphytéose ou de superficie ne s'analyse pas en un contrat à exécution successive [30]. En suivant ce raisonnement, la résolution d'un contrat d'emphytéose a nécessairement, selon nous, un effet rétroactif, même si le contrat a été exécuté, jusqu'à la résolution, à la satisfaction des parties [31].

Notons enfin que ce tempérament est à notre avis une modalité de l'effet rétroactif dans un cas particulier, plutôt qu'une dérogation à cet effet rétroactif. Placé au stade des restitutions réciproques, le fait que le contrat ait été jusque-là exécuté à la satisfaction des parties et que les prestations déjà effectuées puissent être isolées économiquement du reste du contrat démontre que les parties considèrent que leurs prestations réciproques ont une valeur équivalente, de sorte que les restitutions par équivalent se compenseraient exactement, ce qui justifie l'absence de restitutions (par compensation) [32].

3. Application à l'article 46 de la loi sur les faillites

Au moment de rédiger l'article 46 de la loi sur les faillites, qui autorise le curateur à mettre fin à certains contrats, les travaux préparatoires indiquent que le législateur a lui aussi hésité entre les termes « résiliation » et « résolution », mais semble-t-il plutôt en raison de considérations propres au droit du travail que sur la base de réflexions générales autour de l'effet rétroactif ou non de l'intervention du curateur [33].

Nonobstant cette controverse, l'article 46 de la loi sur les faillites prévoit finalement que (nous soulignons) « dès leur entrée en fonctions, les curateurs décident sans délai s'ils poursuivent l'exécution des contrats conclus avant la date du jugement déclaratif de la faillite et auxquels ce jugement ne met pas fin ».

En visant la décision de poursuivre l'exécution des contrats, il apparaît dès lors clairement que le pouvoir du curateur concerne les contrats encore à exécuter. Le pouvoir de résiliation visé à l'article 46 s'entend en conséquence sans effet rétroactif. Il s'agit dès lors bien d'un pouvoir de résiliation, dans le sens développé ci-dessus. Dans la mesure où une obligation est déjà exécutée, il n'y a en effet plus rien à poursuivre. Cette thèse est confirmée par Th. Bosly [34]. La suite du texte législatif confirme d'ailleurs expressément cette position, en ce qu'il prévoit que (nous soulignons) « […] si les curateurs ne prennent pas de décision, le contrat est présumé être résilié ».

La combinaison des deux phrases ne laisse donc guère de place au doute: le législateur a opté pour un pouvoir de résiliation, sans effet rétroactif donc. Cette solution paraît d'autant plus logique que le pouvoir du curateur s'exerce alors même qu'aucune condition résolutoire n'est amenée à jouer et que le cocontractant n'a pas commis de faute. On est donc clairement dans une hypothèse de faculté de résiliation unilatérale, et pas dans un cas de survenance a posteriori d'un événement anticipé par les parties dans leur contrat ou dans une situation de faute du cocontractant, qui auraient pu justifier une résolution.

Pour la suite du présent article, nous utiliserons « résiliation » lorsque la faculté n'est pas par principe accompagnée d'un effet rétroactif, et « résolution » dans le cas contraire (y compris donc, lorsqu'un tempérament à l'effet rétroactif est admis). Ces précisions terminologiques étant apportées, examinons plus en détail la portée de cet article 46.

II. Portée de l'article 46 de la loi sur les faillites

Les prérogatives que le curateur tire de l'article 46 de la loi sur les faillites ont fait l'objet de nombreuses controverses et de plusieurs décisions de jurisprudence, y compris au niveau de la Cour de cassation. A notre connaissance toutefois, et jusqu'à un arrêt du 3 décembre 2015, cette question avait été principalement débattue en jurisprudence et en doctrine relativement aux droits personnels [35].

Nous consacrerons le point 1. de la présente partie à une analyse succincte des principales positions prises par la jurisprudence et la doctrine relativement à l'application de l'article 46 face aux droits personnels (1.), pour lesquelles nous renvoyons pour le surplus aux analyses référencées ci-dessous, avant d'examiner plus en détail, dans le point 2., l'arrêt de la Cour de cassation du 3 décembre 2015, qui transpose le raisonnement à la matière des droits réels (2.).

1. L'application de l'article 46 aux contrats de bail
1.1. Portée de l'article 46

L'article 46 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites stipule pour rappel que « les curateurs décident sans délai s'ils poursuivent l'exécution des contrats conclus avant la date du jugement déclaratif de la faillite et auxquels ce jugement ne met pas fin ». Comme le souligne Florence George, ce pouvoir discrétionnaire des curateurs n'est toutefois pas absolu, mais au contraire limité par un principe général en droit de la faillite: la continuité des contrats [36]. Par principe en effet, la faillite n'interrompt pas les contrats [37].

L'article 46 a été adopté, par dérogation à ce principe, pour tenter d'atteindre un meilleur équilibre entre les différents intérêts en jeux, en donnant un pouvoir accru aux créanciers, et partant au curateur, sur les actifs du failli [38]. Il s'agit tout particulièrement de permettre au curateur de dispenser la masse d'exécuter des contrats qui aggravent le passif [39]. Ce faisant, la disposition réalise un équilibre entre les intérêts des cocontractants du failli et ceux de ses créanciers, en permettant au curateur de jouer son rôle de préservation du patrimoine du failli [40]. A défaut en effet, certains créanciers cocontractants seraient favorisés par rapport aux autres créanciers, sans pour autant disposer d'une sûreté [41].

De prime abord, la doctrine s'accorde pour estimer que l'article 46 s'applique à des contrats de toute nature [42]. A notre connaissance, c'est toutefois surtout à propos des contrats de bail que la doctrine et la jurisprudence se sont interrogées [43].

Dans ce cadre, la question la plus débattue en doctrine est de déterminer si, dans l'exercice de cette faculté de résiliation, le curateur est tenu par les délais de préavis opposables au failli, tels ceux qui découlent par exemple de la législation impérative protégeant les locataires commerciaux. Deux thèses doctrinales s'opposent à titre principal à ce sujet: la thèse de l'opposabilité de ces droits (le cas échéant impératifs) du tiers au curateur (1.2.) et la thèse de l'inopposabilité (1.3.) [44].

1.2. Thèse de l'opposabilité

Pour plusieurs éminents auteurs, l'article 46 ne permet pas au curateur de se libérer des contraintes contractuelles des contrats en cours. Les professeurs Georges et Biquet-Mathieu notamment ont défendu que le preneur pouvait opposer son contrat de bail au curateur nonobstant l'article 46 de la loi sur les faillites [45]. A l'appui de cette thèse, la Cour de cassation, dans un arrêt du 11 avril 2005, a estimé que la loi sur les faillites ne portait aucune dérogation à la loi sur les baux [46].

Une loi du 15 juillet 2005 a semblé confirmer cette interprétation. Elle a modifié l'article 46 de façon à ce qu'un nouveau paragraphe stipule désormais que « si lors de la cessation d'activités, notamment à l'occasion du jugement déclaratif de faillite, les curateurs manifestent expressément ou tacitement leur volonté de résilier les contrats de travail existants, ils ne sont pas tenus de l'accomplissement des formalités et procédures particulières applicables à la résiliation de ces contrats ». Les travaux préparatoires, comme le souligne A. Zenner et C. Alter, expliquent que cet alinéa ne s'applique qu'aux contrats de travail, ce que le texte de la loi confirme d'ailleurs [47]. A contrario, il semble dès lors ressortir de la loi que le curateur doit respecter les formalités des autres contrats en cours.

Si nous partageons les arguments invoqués par les auteurs précités, force est de constater que cette thèse, similaire à la situation juridique préalable à l'adoption de l'article 46, est aujourd'hui mise à mal par plusieurs arrêts de la Cour de cassation (voy. infra, point 1.3.1.).

1.3. Thèse de l'inopposabilité
1.3.1. Inopposabilité de principe

D'autres auteurs soutiennent la thèse contraire: le curateur ne serait pas lié par les droits, même impératifs, des cocontractants du failli [48]. Selon ces auteurs, la consécration d'un pouvoir de résiliation serait sans réel effet pratique si ce pouvoir s'exerçait dans le respect des délais de préavis contractuels. Cette thèse a reçu plusieurs appuis jurisprudentiels déterminants.

La Cour constitutionnelle (alors Cour d'arbitrage) a tout d'abord confirmé, dans un arrêt du 10 décembre 2003, qu'une telle interprétation ne violait pas la Constitution, même en ce qu'elle permettait de déroger à des dispositions impératives [49]. Comme le souligne Florence George, la Cour n'a toutefois pas pris position sur l'interprétation qu'il convenait de donner à l'article 46, puisqu'elle ne conclut pas à l'inconstitutionnalité d'une des deux thèses [50].

Par contre, la Cour de cassation a pris plus nettement position dans un arrêt du 24 juin 2004 [51]. Dans cet arrêt, la cour décide qu' « (…) il n'appartient pas au curateur de résilier un contrat opposable conclu par le failli, lorsque la poursuite du contrat ne fait pas obstacle à la liquidation normale de la masse; que le curateur peut par contre mettre fin à un contrat qui lie le failli, si la résiliation du contrat est nécessaire à l'administration de la masse en bon père de famille ».

Si la Cour ne prend pas explicitement position sur la question (qui n'était d'ailleurs pas réellement débattue devant le juge du fond), le fait qu'elle exige que la résiliation soit nécessaire et non simplement opportune démontre qu'elle entend autoriser les résiliations ne respectant pas les termes et délais prévus dans les contrats. Si le curateur respectait l'ensemble des dispositions contractuelles auxquelles le failli était tenu, une telle condition n'aurait à notre estime pas lieu d'être.

Thomas Hürner voit par ailleurs dans un arrêt de la Cour de cassation du 10 avril 2008 une autre confirmation implicite d'un droit de résiliation dans le chef du curateur [52]. En l'espèce toutefois, la Cour s'était abstenue de répondre à un moyen du pourvoi posant très clairement à la Cour la question de la portée de l'article 46 de la loi sur les faillites [53]. L'arrêt de 2008 précisait néanmoins à ce sujet que le simple fait qu'un contrat en cours diminue la valeur de réalisation ne suffisait pas. A notre sens, la même interprétation que celle proposée pour l'arrêt de 2004 peut être suivie.

La combinaison des deux arrêts, examinés à la lumière du rapport annuel de 2008 de la Cour, nous semble donc confirmer la thèse de l'inopposabilité [54]. L'arrêt de la Cour de cassation du 3 décembre 2015, analysé au point 2. ci-dessous, confirme par ailleurs cette analyse. Il semble par contre majoritairement admis que ce pouvoir de résiliation ne prive pas le cocontractant des indemnités contractuelles auxquelles il a droit [55].

1.3.2. Limites à l'inopposabilité

Si le curateur peut mettre fin aux contrats de bail en cours en dehors des possibilités contractuelles et légales de préavis, ses droits ne sont pas pour autant sans limite [56]. Les arrêts de 2004 et 2008 balisent en effet ce pouvoir dérogeant au droit commun dont bénéficie le curateur: la résiliation doit être une « nécessité pour l'administration de la masse en bon père de famille » et cette nécessité ne peut se justifier uniquement par l'augmentation de la valeur de l'actif qui en résulterait.

M. Dirix propose les motifs suivants comme pouvant justifier une résiliation de bail: (i) lorsque les biens qui font l'objet du contrat sont, du fait de ce contrat, invendables; (ii) lorsque le montant du loyer est considérablement inférieur aux conditions de marché ou (iii) lorsque le maintien des droits du cocontractant impose des obligations financières exagérées à la masse (p. ex., des réparations) [57].

M. Hürner, partisan de la thèse de l'inopposabilité, remarque que ces conditions sont difficilement conciliables avec la résiliation d'un bail. Il écrit en effet que « dans ce contexte, et singulièrement lorsque le contrat en cause est un contrat de bail conclu par le bailleur failli, on peut légitimement s'interroger sur les arguments que les curateurs pourront encore invoquer avec fruit pour résilier le contrat » [58].

Ces considérations nous paraissent mêmes renforcées dans le contexte de l'emphytéose. En effet, contrairement aux obligations du bailleur, les obligations du bailleur emphytéotique sont généralement principalement passives [59]. Par ailleurs, si la présence d'un bail n'a pas toujours pour effet de réduire la valeur d'un bien (il est même courant au contraire qu'elle l'augmente), il est en tout cas certain que l'emphytéose a pour effet de priver pendant une période définie le bailleur emphytéotique de la pleine propriété de son bien. Mettre fin à l'emphytéose a dès lors nécessairement pour effet d'agrandir le patrimoine du failli de la pleine propriété du bien en question, alors qu'il ne disposait avant que d'un droit résiduaire. Il devient alors difficile de démonter qu'une telle résiliation n'est pas motivée par la volonté d'accroître la valeur du patrimoine failli.

2. Application aux droits réels: l'arrêt du 3 décembre 2015
2.1. Présentation de l'arrêt de la Cour de cassation du 3 décembre 2015

La matière a connu un développement intéressant avec un arrêt de la Cour de cassation du 3 décembre 2015 [60]. Dans cet arrêt, la Cour de cassation rappelle que l'article 46 de la loi sur les faillites donne au curateur le pouvoir de mettre fin aux contrats en cours, alors même qu'ils sont opposables à la masse.

Elle en déduit que l'article 46 permet également au curateur de mettre fin à un droit de superficie, indépendamment du fait qu'en l'espèce il devait encore courir pour une longue période de temps (la durée exacte du droit de superficie faisait par ailleurs l'objet de débats parallèles). La Cour semble ainsi étendre sans difficulté à la matière des droits réels un raisonnement que les auteurs et les juridictions avaient jusqu'ici suivi en matière de droits personnels [61].

Dans le rapport annuel de 2015 de la Cour, l'enseignement est davantage développé, et résume bien la position progressivement construite par la Cour de cassation: « En vertu de l'article 46 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, le curateur peut, si cela s'avère nécessaire pour la gestion de la masse faillie, mettre fin à un contrat conclu avant la faillite. Cette règle tend à la protection de la masse: en résiliant un contrat qui n'est pas nécessaire pour liquider la faillite, mais qui est financièrement très onéreux, le curateur veille à ce que le passif n'augmente pas. Suivant la jurisprudence de la Cour, cette compétence s'étend aux contrats par lesquels sont attribués à des tiers des droits opposables à la masse faillie.

Il est ainsi possible que le curateur résilie les contrats de bail et de bail à ferme conclus par le failli. La question se posait de savoir si cette compétence s'étend aussi aux contrats qui créent un droit réel, comme un droit d'emphytéose ou de superficie. La Cour répond de manière affirmative à cette question: lorsque les conditions sont réunies, le curateur peut résilier un contrat relatif à l'usage et à la jouissance de biens immobiliers même si les droits ainsi octroyés sont des droits réels. »

Cet exposé met en lumière un passage de l'arrêt qui retient notre attention. La Cour estime en effet que (nous soulignons) « (…) aldus kan de curator wanneer de voorwaarden hiertoe vervuld zijn een einde maken aan overeenkomsten inzake het gebruik en het genot van onroerende goederen ook al beantwoorden de aldus verleende rechten aan een zakelijke recht ». Ce passage, essentiel dans le raisonnement de la Cour, soulève les constatations qui suivent.

2.2. Constations relatives à l'arrêt

En adoptant une telle formulation, et plus généralement en étendant le raisonnement sans restriction des droits personnels aux droits réels (ou en tout cas à certains d'entre eux), la Cour semble englober dans une même catégorie les droits de jouissance (« overeenkomsten inzake het gebruik en het genot van onroerende goederen »), qu'il s'agisse de droits personnels au bail ou de droits réels d'emphytéose ou de superficie [62].

Cette analyse nous étonne. La Cour semble en effet raisonner non pas tellement sur la base de la division entre droits réels et personnels, mais sur la base d'une catégorie transcendant cette division, celle des droits de jouissance. Or, de notre point de vue, la nature des droits réels et leurs caractéristiques propres ne sont pas compatibles, à tout le moins relativement à l'article 46 de la loi sur les faillites, avec un traitement comparable à celui des droits personnels.

La Partie III. du présent article est précisément consacrée à exposer les principes, propres aux droits réels, qui justifient à notre avis une approche différente de celle suivie par la Cour de cassation. A ce stade, nous pouvons néanmoins déjà faire les quatre remarques liminaires suivantes.

Tout d'abord, il convient de remarquer que le failli était en l'espèce le superficiaire, et non le propriétaire, contrairement aux situations précédemment envisagées en matière de bail [63]. Compte tenu de la généralité des termes de l'arrêt et de ceux par ailleurs repris dans le rapport annuel de la Cour précité, nous ne pensons pas qu'il puisse en être déduit que cet élément a influencé la position de la Cour [64]. Comme nous n'avons pas d'indications sur les obligations (généralement plus nombreuses) encore à supporter par le superficiaire et que la Cour ne relève pas ce point, nous ne pouvons toutefois pas déterminer avec certitude dans quelle mesure ces considérations ont pu impacter le raisonnement de la Cour.

Ensuite, cette tendance d'étudier ensemble les droits de jouissance nonobstant leur qualité réelle ou personnelle, qu'il s'agisse du droit au bail, du droit d'emphytéose, du droit de superficie ou même de l'occupation précaire, n'est pas neuve. La terminologie même de « bail emphytéotique » ou de « bail de superficie » contribue à cette tendance [65]. D'ailleurs, l'emphytéote et le locataire se retrouvent en apparence dans la même situation, qui se caractérise par la jouissance qu'ils ont du bien. Il est dès lors tentant de leur appliquer le même régime [66]. En suivant cette voie, les seules différences entre le droit au bail et le droit d'emphytéose sont les attributs spécifiques des droits réels: le droit de suite, le droit de préférence et la possibilité d'hypothéquer [67]. Or, comme nous le développerons infra, l'interprétation de la Cour de cassation affaiblit également la portée de ces attributs, de sorte que l'on peut s'interroger sur la portée pratique de la différence [68].

Par ailleurs, nous relevons qu'il est probable que cette globalisation des droits de jouissance soit partiellement justifiée par la volonté de préserver les sûretés réelles. En énonçant la règle en termes de droits réels, sans autre forme de restriction, il serait en effet difficile de justifier pourquoi l'hypothèque recevrait un traitement différent de l'emphytéose [69]. Pourtant, la résistance de l'hypothèque à l'article 46 est une nécessité, au risque sinon de priver l'instrument de toute utilité [70]. La catégorie des « droits de jouissance » devient alors utile, en ce qu'elle permet de poser une règle applicable à l'emphytéose et à la superficie, mais pas à l'hypothèque, pourtant tous les trois des droits réels.

Enfin, il convient de souligner qu'au stade de la finalisation de cet article, un projet de loi du 20 avril 2017 portant insertion du Livre XX « Insolvabilité des entreprises », dans le Code de droit économique, et portant insertion des définitions propres au Livre XX, et des dispositions d'application au Livre XX, dans le Livre Ier du Code de droit économique, a été déposé [71]. L'article XX.141 de ce projet reprend le principe posé par l'article 46 de la loi sur les faillites, d'ailleurs sans lever l'ambiguïté quant au respect des formalités et délais applicables à ces contrats [72]. Il indique par contre que « Cette décision [celle du curateur de résilier le contrat] ne peut porter atteinte aux droits réels de tiers opposables à la masse ». Ce faisant, si le projet devait être confirmé, la position défendue dans le présent article serait confirmée par le législateur.

III. Analyse au regard de la nature des droits réels

A rebours de l'arrêt de la Cour de cassation du 3 décembre 2015, notre thèse est que l'article 46 de la loi sur les faillites n'est pas compatible avec la nature des droits réels, qu'il s'agisse ou non d'un droit de jouissance. La présente Partie III. a ainsi pour objectif de confronter la notion de droit réel au pouvoir de résiliation du curateur.

Pour ce faire, nous présenterons d'abord notre compréhension des droits réels et les enseignements qui peuvent en être tirés quant à la question posée par le présent article (1). Nous utiliserons ensuite la notion de droit de suite et de droit de préférence (2), ainsi que celle de droit réel accessoire (3) pour appuyer notre thèse. Nous confronterons ensuite ces principes aux effets des mécanismes résolutoires (4.). Dans une perspective plus large, et tirant profit des réflexions que la question du présent travail nous a inspirées, nous exposerons enfin certains développements relatifs aux théories des droits réels (5.).

Notre objectif est également, de façon plus large, de contester les fondements juridiques d'une tendance, courante en jurisprudence et en doctrine, à rapprocher les concepts de bail et d'emphytéose [73]. Un tel rapprochement, reposant sur une analyse à notre avis incorrecte du système des droits réels, est de nature à renforcer l'insécurité juridique du régime des droits réels et la difficulté de les concevoir d'une manière harmonisée et globale, constat par ailleurs largement partagé par la doctrine [74]. De ce point de vue, l'article XX.141 du projet de loi précité va certainement dans le bon sens [75].

1. Nature des droits réels
1.1. Le droit réel face au droit de créance

La distinction entre droits réels et droits personnels est une construction essentiellement doctrinale [76]. Elle trouve son origine dans la distinction qui était faite dans la Rome antique entre les actions in personam et in rem [77]. Il est par ailleurs largement admis qu'elle constitue un élément structurant fondamental du droit civil [78].

Le droit réel naît souvent d'un contrat, et par conséquent d'un droit de créance [79]. Toutefois, à la différence du droit de créance, le droit réel crée sur le bien [80] une emprise directe du titulaire du droit réel [81],  [82]. Notre thèse est que, en conséquence de ce principe, le droit réel, une fois l'obligation de dare (soit l'obligation de transférer la titularité du droit réel) exécutée, ne dépend plus de la convention qui l'a créé, en ce sens que le bénéficiaire du droit réel ne doit plus mettre en oeuvre de droit de créance pour utiliser son droit et qu'en sens contraire le débiteur n'a plus aucune obligation propre, même passive: le droit a été cédé en une fois, à l'image d'une vente [83]. Le fait que le droit d'emphytéose soit un droit temporaire n'enlève rien à ce constat [84].

Ainsi, l'acte constitutif d'emphytéose, au moment de l'exécution de l'obligation de dare, emporte transfert de l'usus et du fructus, pour la période convenue, à l'emphytéote. Une fois ce transfert opéré, le droit de jouissance a quitté le patrimoine du tréfoncier, qui est donc impuissant à suspendre son exécution, puisqu'il s'est déjà exécuté. Les mécanismes non rétroactifs deviennent alors inefficaces pour anéantir le droit de jouissance de l'emphytéote.

Maurice Lambert estime quant à lui que le contrat (droit de créance) régit les relations entre l'emphytéote et le bailleur emphytéotique, là où le droit réel régit les relations entre l'emphytéote et le bien, et que son existence ne saurait remettre en cause les règles contractuelles valant entre les deux cocontractants [85]. Il souligne toutefois que la nature réelle du droit d'emphytéose devrait encourager le juge à être plus prudent s'il prononce une résolution [86]. De ce fait, il admet que la nature directe de la relation entre l'emphytéote et le bien la rend moins dépendante du contrat. Et s'il évoque la résolution, dont l'effet est rétroactif, il n'envisage pas qu'une résiliation, unilatérale qui plus est, puisse porter atteinte à un droit réel.

En ce sens, Maurice Lambert résume parfaitement les relations entre droits réels et droits de créance, à condition d'en adopter la bonne lecture. Le contrat crée des droits et obligations dans le chef des parties. Ces obligations consistent soit à exécuter une prestation ou à s'en abstenir (facere / non facere), soit à transférer la titularité d'un droit (dare[87]. Ces obligations d'exécuter des prestations s'exécutent, le cas échéant, pendant toute la durée du contrat, mais l'obligation de dare s'exécute au moment de l'échange des consentements [88]. Il n'y a en effet aucune raison de réserver à la vente un mécanisme qui a vocation à s'appliquer à toutes les cessions de droit réel, fut-ce par démembrement [89]. Une fois la titularité du droit acquise par le créancier, le contrat, en ce qui concerne cette obligation, a sorti tous ses effets [90].

L'obligation de constituer une emphytéose (ou tout autre droit réel), et partant l'obligation de conférer à l'emphytéote la jouissance (usus et fructus) du bien, s'analyse dès lors en une obligation à exécution instantanée, et pas à exécution successive [91]. C'est pourquoi une résiliation de la convention (par définition sans effet rétroactif) ne saurait plus avoir d'impact sur le droit, puisqu'il a définitivement quitté le patrimoine du débiteur [92].

Zachariae ne dit pas autre chose lorsque, identifiant une dernière différence entre le droit réel et le droit de créance, il estime que « le droit réel affecte la chose; celui qui l'a concédé ne peut pas enlever ce droit par un nouvel acte de disposition, il ne peut plus disposer de la chose que dans l'état où elle se trouve, c'est-à-dire affectée d'un droit réel » [93].

En ce sens, lorsque l'article 46 de la loi sur les faillites invite le curateur à choisir de « poursuivre » ou non les contrats en cours, il y a lieu de remarquer que, relativement à l'obligation d'accorder un droit d'emphytéose à l'emphytéote (obligation de dare), il n'y a plus rien à poursuivre: l'obligation a été exécutée par le failli préalablement à la faillite, et la décision d'accorder ou non la jouissance sur le bien a dès cet instant quitté le patrimoine du failli [94], et partant a nécessairement échappé aux prérogatives du curateur [95].

Dans le même sens, le président du tribunal de commerce de Bruxelles décide que « le droit réel est un droit qu'une personne possède directement sur une chose (…); que la constitution d'un droit réel suppose un acte d'aliénation par lequel la propriété d'une chose, ou un démembrement de cette propriété est transmise; que la personne qui acquiert un droit réel sur une chose acquiert un démembrement de sa propriété; qu'il exerce son droit directement sur la chose, et non plus sur la personne qui lui a concédé le droit » [96].

Le juge en déduit que (nous soulignons): « Attendu que la personne qui a concédé ce droit à un tiers ne peut plus lui enlever ce droit. Il ne peut disposer de la chose que dans l'état où elle se trouve; Qu'une fois constitué, le droit réel est soustrait à la volonté unilatérale du constituant (…). Il est devenu étranger à cette relation [entre le titulaire du droit réel démembré et la chose]; Que la possibilité pour une personne de mettre fin à un contrat par rupture unilatérale ne concerne que les droits de créance et non pas les conventions constitutives de droit réel. » [97].

De la même manière, A.-M. Stranart estime ainsi que « si la jurisprudence et la doctrine admettent aujourd'hui qu'un contrat à durée indéterminée soit susceptible de rupture unilatérale, il faut néanmoins constater que ce droit ne s'applique qu'à la matière des droits de créance entre les personnes. La jurisprudence n'a, en effet, jamais appliqué cette règle aux contrats générateurs de droits réels » [98]. Sur la base du même raisonnement, la cour d'appel de Gand, dans un arrêt du 7 octobre 2013, a refusé de reconnaître au curateur invoquant l'article 46 le pouvoir de résilier un contrat constitutif de superficie [99].

1.2. Le parallèle avec la vente

Pour expliciter notre propos, prenons le cas d'une convention de vente: une fois la propriété du bien transférée par convention, l'acheteur a définitivement acquis la propriété, quelles que soient par ailleurs les autres obligations toujours en cours (paiement du prix par tranche, obligation de garantie, etc.). Le curateur ne pourrait pas résilier le contrat de vente et récupérer la propriété du bien pour la seule raison que d'autres obligations du contrat seraient toujours en cours (une obligation de garantie p. ex.). Le transfert du droit réel a eu lieu, et le seul moyen de revenir dessus est de résoudre le contrat, c'est-à-dire d'y mettre fin avec effet rétroactif, ce qui est différent d'une résiliation, et n'est pas visé par l'article 46 de la loi sur les faillites. Pour cette raison, il est ainsi communément admis que « la résiliation d'une vente constitue une impropriété de langage, qu'il convient d'éviter » [100].

De la même manière, le contrat d'emphytéose transfère la titularité du droit réel d'emphytéose, pour la durée convenue dans le contrat, au moment prévu par celui-ci. Cette réalité se matérialise par le fait que le bailleur emphytéotique, une fois l'emphytéose cédée et le bien délivré, n'a plus aucune obligation positive vis-à-vis de l'emphytéote [101]. L'existence d'autres obligations prévues par le contrat, l'obligation dans le chef du bailleur emphytéotique d'effectuer certains travaux par exemple, ne pourrait suffire à justifier la fin du droit d'emphytéose, en ce qu'elles ne constituent que des modalités contractuelles accompagnant le droit réel.

Relevons à cet égard que le professeur Van Ommeslaghe considère que « lorsque les clauses du contrat peuvent sortir leurs effets indépendamment de toute intervention ou de toute prestation du curateur, il nous apparaît que ce dernier ne pourrait (…) prétendre s'opposer à la clause » [102]. Or, par nature, les obligations réelles sont en principe des obligations purement passives [103].

Une illustration de l'indépendance entre le droit réel et la convention peut être trouvée dans la théorie de la prescription acquisitive [104]. Imaginons le cas théorique d'un emphytéote qui aurait acquis son droit d'emphytéose par prescription acquisitive. Il est bien évident, en ce qui le concerne, qu'une résiliation de contrat n'aura aucun impact sur son droit, puisque son droit n'est précisément pas issu d'un contrat. Pourquoi en serait-il différemment pour l'emphytéote qui a acquis son droit par contrat? Devrait-on alors admettre que l'emphytéose soit soumise au pouvoir de résiliation du curateur, jusqu'au moment où l'emphytéote a accumulé suffisamment de temps pour invoquer la prescription acquisitive en parallèle de son contrat? Ou alors devrait-on mettre l'emphytéote contractuel dans une position plus précaire que ne l'est l'emphytéote qui a acquis son droit par prescription? Nous ne le pensons pas.

1.3. Le raccourci de l'assimilation de l'emphytéose au bail
1.3.1. La différence de nature entre bail et emphytéose

Comme nous le verrons, ce qui est établi en matière de propriété nous paraît toutefois moins clairement admis en doctrine en matière d'emphytéose. Pourtant, permettre au curateur de priver l'emphytéote de son droit réel en résiliant le contrat qui l'a créé reviendrait à attribuer au droit réel la fragilité du droit de créance sur la base du raisonnement que le second a créé le premier. Cette vision nous apparaît contraire au Code civil, dans la mesure où une telle conception du droit réel fragilise excessivement ce dernier, au point de le rapprocher dangereusement de la notion de droit de créance [105].

La seule raison de traiter la vente, pour laquelle il est évident que le curateur ne peut revenir sur le transfert de propriété par une simple résiliation, différemment de l'emphytéose, pour laquelle le curateur pourrait revenir sur la constitution de l'emphytéose pour la durée convenue, serait d'assimiler l'emphytéose à un bail, pour lequel les obligations du bailleur s'étalent dans le temps [106]. C'est sur ce chemin que la Cour de cassation, dans son arrêt du 3 décembre 2015, nous paraît s'engager [107].

Ce raccourci, compte tenu de la proximité apparente des deux institutions, nierait à notre avis la différence essentielle entre le droit réel et le droit de créance: le premier crée, pour une durée illimitée ou limitée, un rapport direct entre le bien et le titulaire du droit, là où le droit de créance ne crée que le droit pour son titulaire d'obtenir du débiteur l'exécution d'une prestation. Autrement dit, le locataire ne jouit du bien que parce que le bailleur lui en procure quotidiennement la jouissance, là où l'emphytéote jouit du bien en vertu d'un droit qu'il exerce par lui-même sur le bien [108]. Et il exerce ce droit par lui-même précisément parce que le débiteur s'est déjà exécuté. Le curateur, agissant en l'espèce pour le bailleur emphytéotique, est alors impuissant à priver l'emphytéote du droit cédé [109].

Pour reprendre les mots éclairants du marquis de Vareilles-Sommières, « [le propriétaire] (par analogie ici l'emphytéote) a actuellement le droit de tirer plus tard de la chose les services qu'elle pourra fournir dans l'avenir et tant qu'elle durera. Le propriétaire d'un champ, par exemple, a dès à présent droit à la récolte que ce champ produira dans cent, dans mille, dans dix mille ans [en l'espèce, dans vingt-sept à nonante-neuf ans selon le cas] » [110].

1.3.2. Les contrats à exécution successive ou instantanée

La différence ainsi visée est celle entre les contrats à exécution successive et les contrats à exécution instantanée, et c'est au travers de celle-ci que la doctrine et la jurisprudence raisonnent habituellement en la matière [111]. Les développements qui précèdent démontrent à notre avis que le contrat constitutif d'emphytéose, et en particulier l'obligation du bailleur emphytéotique d'accorder la jouissance à l'emphytéote (transfert de l'usus et du fructus, obligation de dare), est à classer dans la catégorie des obligations à exécution instantanée, ce qui justifie, corollaire nécessaire, l'impuissance d'une résiliation à y mettre fin [112].

Cette position est toutefois loin d'être unanimement suivie en jurisprudence et en doctrine. Ainsi, le tribunal de première instance de Liège a jugé que « la convention par laquelle le titulaire du droit d'emphytéose dispose d'un droit réel qui consiste à avoir la pleine jouissance d'un immeuble appartenant à autrui constitue une convention à exécution successive » [113].

En doctrine, il a également été soutenu que le caractère instantané ou successif d'un droit de superficie dépendait de l'existence et de la nature de la contrepartie. Selon ces auteurs, « la distinction doit être faite, à cet égard, entre un contrat constitutif de superficie à titre gratuit ou moyennant le paiement d'un capital unique et un contrat dit de bail de superficie, impliquant le paiement récurrent d'une redevance périodique » [114].

Nous ne souscrivons pas à cette analyse, qui contribue par ailleurs à notre avis à alimenter la confusion entre bail et droit réel de jouissance. Cette analyse revient à notre avis à affirmer que le contrat de vente s'analyse en un contrat à exécution instantanée ou successive selon que le paiement du prix a lieu en une seule fois, ou par tranches (le cas échéant, étalées sur plusieurs années). Or, les modalités de paiement sont de notre point de vue sans effet sur la nature du contrat, qui porte à titre principal sur une obligation de dare [115].

S'il ne fait pas de doute, dans le second cas, que l'obligation de paiement du prix (ou du canon) est bien une obligation à exécution successive, il n'en va pas de même pour l'obligation de dare, qu'il s'agisse de céder la propriété ou de conférer un droit réel de jouissance, qui demeure dans tous les cas une obligation à exécution instantanée [116]. Or, le caractère successif d'un contrat suppose que « les parties reçoivent l'une de l'autre des prestations équivalentes et ratifient implicitement cette exécution » [117]. Ni un contrat de transfert de propriété, ni un contrat constitutif ou translatif d'emphytéose ne nous paraissent correspondre à cette définition, l'obligation de dare s'exécutant instantanément [118], et empêchant du coup toute possibilité d'exécution parallèle et progressive de part et d'autre [119].

P. Vassart adopte une approche similaire lorsque, envisageant l'hypothèse d'un contrat de vente dont le paiement du prix s'étalerait dans le temps, il écrit que « le critère infaillible de cette classification [exécution successive ou instantanée] réside donc dans la prestation caractéristique du contrat, celle qui lui donne son nom et sa physionomie: le transfert instantané d'un droit ou la durée ('successive') des prestations à effectuer » [120]. M. Fontaine estime quant à lui que le caractère successif ou instantané doit s'analyser dans le chef de l'obligation considérée, et non du contrat dans son ensemble [121]. Or ici, l'obligation concernée, sur laquelle le curateur essaye de revenir et qui constitue par ailleurs l'obligation caractéristique du contrat, est bien celle de dare.

Un arrêt de la Cour de cassation du 4 juin 2004 nous paraît confirmer implicitement cette analyse, qui est par ailleurs expressément soutenue par le ministère public dans l'affaire en question [122]. Dans cette affaire, le caractère rétroactif de la résolution d'une vente, dont le paiement du prix avait lieu sous la forme d'une rente viagère, était débattu en raison du caractère aléatoire et prétendument successif du contrat, alors que la majorité de la doctrine réserve l'effet rétroactif aux seuls contrats aléatoires à exécution instantanée [123]. Le vendeur s'était ici totalement exécuté, alors que l'acheteur avait encore une série d'obligation à exécuter.

La Cour opte pour la rétroactivité, au motif que le transfert de propriété est définitivement exécuté [124]. Elle refuse ainsi de suivre le pourvoi cherchant à limiter l'effet rétroactif de la résolution. Ce faisant, la Cour réserve aux seuls contrats aléatoires à exécution successive (dans le sens que nous venons d'énoncer) la possibilité de faire obstacle à la rétroactivité d'une résolution, et écarte à notre avis la qualification de contrat à exécution successive pour un contrat de vente dont la propriété a déjà été transférée mais le prix pas encore totalement payé [125].

Rendant les conclusions pour le ministère public, l'avocat général De Riemaecker précise que la vente, alors même que le paiement du prix est étalé dans le temps, n'est pas un contrat à exécution successive parce que les prestations réciproques des parties ne se poursuivent pas dans le temps et ne sont pas corrélatives l'une de l'autre [126].

Le même raisonnement nous paraît devoir être suivi en matière d'emphytéose [127]. Si le paiement annuel (plutôt qu'unique) du canon n'est pas de nature à qualifier le contrat d'emphytéose de contrat à exécution successive, c'est bien le caractère instantané de l'obligation caractéristique, celle de dare, qui doit être pris en compte, en ce qu'il empêche toute possibilité d'exécution parallèle des obligations réciproques des parties [128]. Cette obligation s'exécute donc en une fois, contrairement à l'obligation du bailleur d'assurer la jouissance en matière de droits personnels [129].

On remarquera d'ailleurs que l'analyse qui verrait dans l'obligation (passive) du bailleur emphytéotique d'accorder la jouissance une obligation à exécution successive correspondant à l'obligation de paiement du canon (à l'image de l'analyse menée en matière de bail) se heurte à notre avis elle aussi à la logique de l'obligation de dare. En effet, il n'est pas contesté que l'obligation de dare s'exécute en une fois, puisqu'elle se réalise en règle instantanément par l'échange des consentements [130]. Il n'est donc pas non plus contesté que du fait de cette exécution, l'emphytéote reçoit un droit réel de jouissance. Quelle serait encore la portée de ce droit (instantanément acquis) s'il devait être confirmé quotidiennement par une obligation successive (même purement passive) du bailleur emphytéotique, qui pourrait dès lors y mettre fin à tout moment, notamment sur la base de l'article 46 de la loi sur les faillites [131]?

Et pourtant, tant en jurisprudence [132] qu'en doctrine [133], la tendance majoritaire nous paraît être d'admettre la résiliation des conventions constitutives d'emphytéose et de superficie, sur la base du raisonnement que le contrat d'emphytéose constitue un contrat à exécution successive (ou, un cran plus loin dans l'assimilation entre bail et emphytéose, sans se poser la question). En négligeant ainsi la portée des obligations de dare et la nature corrélative des droits réels, rendus par l'exécution de cette obligation indépendants de la convention qui les a créés (sous réserve de l'effet rétroactif [134]), cette analyse nous paraît hypothéquer très largement la possibilité d'aboutir un jour à un régime cohérent et global applicable aux droits réels et garantissant une certaine sécurité juridique [135].

2. Attributs des droits réels

Le raisonnement développé ci-dessus est par ailleurs confirmé par le fait qu'attribuer au curateur la possibilité de reprendre la titularité de l'emphytéose priverait le titulaire du droit réel de l'essentiel des trois principaux attributs normalement attachés à son droit [136].

Un des principaux attributs du droit réel est le droit de suite, soit le droit de rester titulaire de son droit réel en quelque main que passe le bien constituant l'assiette de ce droit [137]. Le droit de suite découle de l'opposabilité erga omnes dont bénéficient les droits réels [138]. Dans le cas d'une emphytéose, le droit de suite consiste dès lors pour l'emphytéote à rester titulaire de son emphytéose indépendamment du changement de propriété du fonds.

En conséquence, résilier le contrat d'emphytéose pour vendre le bien en pleine propriété à un tiers est une atteinte directe à ce droit de suite, puisque l'emphytéote est privé du droit d'opposer son emphytéose au tiers qui aurait acquis le bien en suite de la faillite. Le curateur, propriétaire d'un fonds grevé d'une emphytéose, ne peut utiliser l'article 46 pour devenir plein propriétaire. En effet, l'objectif de l'article 46 n'est pas d'élargir le patrimoine du failli. Or, fût-ce temporairement, l'emphytéose ne fait pas partie du patrimoine du bailleur emphytéotique failli [139].

Le second attribut du droit réel est le droit de préférence, soit le droit d'opposer son droit réel à tout tiers sans souffrir la concurrence de leurs droits de créances. Or, résilier le contrat d'emphytéose revient ici à abandonner le titulaire du droit réel dans la masse des créanciers du failli, ce qui constitue dès lors aussi une atteinte directe au droit de préférence [140].

Le troisième attribut du droit réel est la capacité d'hypothèque qu'il emporte [141]. Si on permet au curateur de résilier l'emphytéose, il est évident que le droit devient alors tellement dépendant de la situation financière du cocontractant que son potentiel hypothécaire est réduit à une peau de chagrin. En effet, le banquier, cherchant par l'hypothèque le moyen de s'assurer contre l'insolvabilité de son débiteur, perdrait sans avertissement cette protection à un moment par ailleurs critique pour le débiteur: celui où ce dernier perd la jouissance du bien où il menait jusque-là ses activités.

En suivant une telle interprétation du droit d'emphytéose, force est de constater que la possibilité d'hypothéquer serait largement réduite, et partant fort artificielle. Pourtant, on remarquera que la possibilité d'hypothéquer un droit réel ou de l'aliéner en constitue une caractéristique essentielle du droit d'emphytéose, même si certains auteurs déduisent de l'article 17 de la loi de 1824 sur l'emphytéose [142] qu'il pourrait y être dérogé par contrat [143].

On le voit, permettre au curateur de résilier la convention d'emphytéose et partant de mettre fin au droit réel prive ce dernier des principaux attributs attachés à sa nature. Si une simple résiliation peut faire obstacle tout à la fois au droit de suite, au droit de préférence et à la capacité hypothécaire du droit réel, on peut légitimement se demander ce qui le différencie encore fondamentalement du droit de créance [144].

3. Analogie avec les droits réels accessoires

Pour rappel, la question posée est de savoir si un droit réel peut être opposé à un curateur faisant application de l'article 46 de la loi sur les faillites. Notre discussion porte sur un droit réel principal (l'emphytéose), finalement rarement confronté à la question de savoir s'il est opposable au curateur.

A notre connaissance, le seul cas est celui de la propriété, lorsque la doctrine s'est interrogée sur la possibilité d'opposer une clause de réserve de propriété au curateur, même si la controverse n'a pas porté sur l'application de l'article 46 de la loi sur les faillites [145]. La loi a en toutes hypothèses clos la controverse en confirmant l'opposabilité de telles clauses en ce qui concerne la faillite (art. 101 de la loi sur les faillites) et la doctrine s'entend désormais majoritairement pour suggérer l'extension de cette solution à toutes les situations de concours [146], à l'exception notable de la procédure de règlement collectif de dettes. La question est toutefois sur le point d'être clarifiée, du fait de la prochaine entrée en vigueur de la loi sur les sûretés mobilières faisant de la clause de réserve de propriété une sûreté réelle à part entière, opposable de façon générale lors de toute procédure de concours [147].

La jurisprudence et les auteurs soutenant le contraire ne se fondaient d'ailleurs pas sur l'opposabilité d'un droit réel au curateur, mais plutôt sur le principe de droit public d'interdiction des sûretés non prévues par la loi [148].

Les droits réels accessoires sont, eux par contre, bien plus souvent confrontés à cette question, puisqu'il s'agit de leur raison d'être. Le gage et l'hypothèque sont en effet deux droits réels dont l'objet est précisément de garantir le créancier contre la faillite du débiteur. Or, les prérogatives des droits réels s'appliquent indistinctement aux droits réels principaux et accessoires [149]. La doctrine et la jurisprudence n'ont d'ailleurs à notre connaissance jamais admis de différence de traitement entre ces deux catégories de droits réels, jusqu'à l'arrêt du 3 décembre 2015 de la Cour de cassation envisageant dans une même catégorie les droits de jouissance (distinguant de facto le droit d'emphytéose du droit d'hypothèque), sans fondement légal apparent [150].

Autrement dit, face au curateur, l'emphytéote a donc à notre avis un droit de même nature que le créancier hypothécaire [151]. Il s'agit également d'un droit réel généré par un droit de créance. La question peut donc indifféremment être posée en ces termes: « le curateur peut-il utiliser l'article 46 pour résilier un contrat d'hypothèque? » Et ici la réponse est évidente: la sûreté hypothécaire a la forme d'un droit réel spécialement pour éviter de tomber dans le concours des créanciers.

Si on permettait au curateur de résilier ce droit réel, l'hypothèque serait privée de tout intérêt. En effet, on ne concevrait pas que le curateur, confronté à un créancier dont la convention de prêt hypothécaire est toujours en cours, invoque son droit de résiliation pour mettre fin à l'hypothèque et vendre le bien en pleine propriété. Il ne fait pas de doute que l'intention du législateur, en rédigeant l'article 46, n'a pas été de remettre en cause l'existence même des hypothèques, clé de voûte du crédit immobilier.

Ces analyses trouvent un écho dans un article de A. Zenner et C. Alter, dans lequel ceux-ci expliquent la situation différente dans laquelle se trouvent une sûreté réelle et une sûreté personnelle face à l'application de l'article 46 de la loi sur les faillites [152]. Xavier Dieux et le premier auteur précité soulignent également le statut potentiellement différent d'une sûreté personnelle par rapport à l'article 46 [153]. D'après ces auteurs, le curateur ne saurait mettre fin à un contrat d'hypothèque, sûreté réelle, au motif que son essence est précisément d'éviter le concours. Le raisonnement nous paraît indiscutable [154]. Dès lors, est-il raisonnable de rendre un droit réel principal, l'emphytéose, sensible à un mécanisme, l'article 46, auquel résistent les droits réels accessoires? Poser la question est, nous semble-t-il, y répondre.

L'argument avait d'ailleurs été utilisé pour critiquer les arrêts de 2004 et 2008 de la Cour de cassation, au motif qu'autoriser le curateur à résilier les contrats de bail l'autoriserait également à résilier les contrats de sûretés réelles. T. Hürner, défendant la position de la Cour, estime que le risque n'existe pas, en raison du caractère accessoire (à une créance principale) des sûretés réelles [155]. Ni l'argument des premiers ni la réponse des seconds ne nous paraissent entièrement convaincants. A notre avis en effet, c'est l'obligation de dare, propre aux droits réels, qui justifie la non-application de l'article 46 aux sûretés réelles, que le contrat soit principal ou accessoire.

4. Mécanismes résolutoires
4.1. Validités des mécanismes résolutoires

Si l'on admet que le curateur est impuissant à résilier une emphytéose, se pose la question connexe de la validité et de l'effet des clauses résolutoires (p. ex. en cas de faillite) bien souvent insérées dans les contrats d'emphytéose et des autres mécanismes résolutoires [156].

La matière a notamment connu, relativement aux conditions résolutoires, deux débats doctrinaux, qui ne traitent toutefois pas directement de l'effet rétroactif des conditions résolutoires.

La doctrine s'est ainsi interrogée sur la possibilité pour les parties d'insérer dans un contrat d'emphytéose une clause résolutoire, lorsque cette clause sort ses effets avant l'expiration de la 27e année du contrat. Cette question a été tranchée par l'affirmative par la Cour de cassation dans son arrêt du 30 mars 2006, dans le cas d'une faillite [157]. La doctrine a toutefois questionné la portée de cet arrêt, notamment parce que la Cour ne précise pas si elle interprète la clause comme une condition résolutoire ou une clause résolutoire expresse [158].

La doctrine s'est également interrogée sur la possibilité pour les parties d'insérer dans un contrat d'emphytéose une « clause résolutoire » en cas de faillite. Cette controverse concerne en effet l'interdiction posée par l'article 1762bis du Code civil d'insérer dans un contrat de bail un pacte commissoire exprès, d'où découle la question de savoir si la faillite peut s'analyser en une faute. Une telle disposition n'existe toutefois pas en matière d'emphytéose, ce qui a conduit la doctrine à écarter cette restriction [159], même si certains auteurs appellent régulièrement à une harmonisation des régimes [160].

Au-delà de ces controverses particulières, si un mécanisme sans effet rétroactif est impuissant à mettre fin à une emphytéose [161], le caractère instantané de l'obligation de dare, en matière de constitution ou cession d'emphytéose, ne fait par contre pas obstacle aux mécanismes rétroactifs, puisque ceux-ci annihilent les effets du contrat ab initio [162]. En ce sens, les clauses résolutoires sont parfaitement compatibles avec la nature du droit d'emphytéose.

De la même manière, la doctrine admet largement l'application de l'article 1184 du Code civil, permettant la résolution du contrat en cas d'inexécution fautive, aux contrats constitutifs d'emphytéose [163]. Un doute subsiste toutefois lorsque l'inexécution fautive concerne le non-paiement du canon, pour des raisons toutefois étrangères à la question posée par le présent article [164].

4.2. Effets des mécanismes résolutoires

Les mécanismes résolutoires opèrent par principe avec effet rétroactif [165]. La doctrine est toutefois divisée sur la question de savoir si le raisonnement suivi en matière de bail, selon lequel « la résolution judiciaire, par application de l'article 1184 du Code civil, d'un contrat synallagmatique comportant une exécution successive, notamment un bail, n'opère que pour l'avenir lorsque les prestations effectives en exécution de la convention ne sont pas susceptibles de restitution », pouvait être suivi en matière d'emphytéose [166].

La cour d'appel de Mons, dans un arrêt du 17 mai 1999, nous semble admettre un tel tempérament à l'effet rétroactif d'une condition résolutoire, puisqu'elle admet que, conformément à l'article 8 de la loi sur l'emphytéose, le propriétaire récupère sans indemnité les constructions réalisées par l'emphytéote [167]. L'article 8 stipule en effet que « l'emphytéote ne pourra forcer le propriétaire du fonds à payer la valeur des bâtiments, ouvrages, constructions et plantations quelconques, qu'il aurait fait élever, et qui se trouvent sur le terrain à l'expiration de l'emphytéose ». Selon la cour, tous les cas d'extinction de l'emphytéose sont visés par l'article 8.

Si le terme « expiration » utilisé par le législateur n'est pas limpide [168], il convient par contre de remarquer que, en respectant les effets rétroactifs de la résolution, la seule conclusion possible serait que l'emphytéose n'a jamais existé, et qu'en conséquence l'(ex-)emphytéote a construit sans titre valable (mais le cas échéant de bonne foi) sur le sol d'autrui. La question devrait dès lors être réglée sur la seule base de l'article 555 du Code civil, et non sur la base de l'article 8 de la loi sur l'emphytéose [169]. En faisant le choix inverse, la cour admet nécessairement un tempérament à l'effet rétroactif de la résolution, puisqu'elle raisonne comme si l'emphytéose avait été résiliée (sans effet rétroactif) et non résolue (avec effet rétroactif).

A notre avis, une telle limitation de l'effet rétroactif ne peut être admise, dans la mesure où le contrat d'emphytéose ne constitue pas, selon nous, un contrat à exécution successive [170]. Or, le tempérament à l'effet rétroactif n'est applicable qu'à ces derniers [171]. Le professeur Lecocq et M. Fontaine semblent défendre une thèse partiellement similaire, tirant toutefois plutôt argument de l'économie du contrat (l'acquisition des constructions par le propriétaire sans indemnité étant conditionnée à la longue durée du droit), que de la nature du droit d'emphytéose (et partant de son caractère instantané), et en conséquence n'étendent pas le raisonnement à tous les contrats d'emphytéose [172].

On le voit, la question soulève assez logiquement les mêmes discussions que celles relatives à la faculté de résiliation du curateur, puisque dans les deux cas il s'agit de mettre fin à un contrat à exécution instantanée sans effet rétroactif. A la différence de la résiliation, le tempérament à l'effet rétroactif d'une résolution suppose également, comme nous le relevions dans la Partie I., que les prestations exécutées forment un tout équilibré [173]. Ce critère permet ainsi à une partie de la doctrine d'écarter l'emphytéose du champ d'application d'un mécanisme sans effet rétroactif, sans soulever la question délicate du caractère successif ou instantané de l'emphytéose.

Au-delà de la question du sort des constructions de l'emphytéote, une résolution d'un contrat d'emphytéose avec effet rétroactif emporte de nombreuses autres conséquences, qu'il est important d'avoir en mémoire. Ainsi, la résolution du contrat entraîne l'obligation, dans le chef de l'emphytéote, de restituer les fruits perçus [174]. Les tempéraments d'équité généralement admis à la rétroactivité, notamment quant aux fruits, seront par contre bien entendu pleinement valables [175]. Pour le surplus, l'examen détaillé des conséquences de la rétroactivité sur les contrats sortant du cadre du présent article, nous renvoyons notamment à l'étude approfondie de R. Jafferali [176]. Notons simplement, pour conclure sur ce point, que l'effet rétroactif s'imposera également aux tiers, notamment les créanciers hypothécaires [177].

5. Le point sur les théories des droits réels

La question soulevée par la présente contribution permet de porter un oeil différent sur la controverse historique concernant la nature des droits réels: s'agirait-il de liens entre des personnes et des choses ou, à l'image des droits de créance, de liens entre personnes? L'objectif de ce point 5. est de reprendre les conclusions tirées ci-dessus pour les replacer dans le contexte général de la controverse sur la nature des droits réels.

5.1. Evolution des théories des droits réels

Dans la thèse classique, le droit réel « réaliserait une appropriation immédiate [de la chose] sans que le titulaire du droit ait pour cela besoin du concours d'un autre sujet de droit » [178]. Laurent estime quant à lui qu'il y a donc un lien direct entre la chose et celui à qui elle appartient [179]. Ce lien direct entre la chose et le titulaire du droit, a pour corollaire l'absence d'intermédiaire [180], de sorte que le droit réel apporte à son titulaire « le bénéfice de certaines utilités matérielles ou économiques de la chose » [181]. Il porte « immédiatement sur une chose et permet de retirer de celle-ci tout ou partie de l'utilité qu'elle comporte » [182].

Résumant la division classique entre droits réels et droits personnels, Jean Dabin écrit « [...] les droits portant sur des choses sont réels ou de créance suivant la manière dont ils affectent l'objet auxquels ils s'appliquent: le droit réel qui atteint la chose de manière directe et immédiate se distingue de celui qui atteint la chose de façon médiate, par l'intermédiaire d'une personne » [183]. H. De Page estime également que « l'homme peut [en] user directement, sans que l'intervention d'un autre homme soit nécessaire » [184]. Pothier, exprimant une conception similaire, parlait lui des droits « dans » une chose [185].

A cette vision classique, s'est opposée une vision personnaliste, sous la plume en tout premier lieu de M. Planiol, avant de convaincre plus largement [186]. R. Martin écrit ainsi que « le phénomène juridique est toujours un rapport entre personnes. Il n'est pas vrai, sinon par métaphore, que le droit de propriété (droit réel) soit un rapport immédiat entre une personne (le propriétaire) et une chose [...] » [187].

L'idée cardinale de la thèse défendue par les personnalistes est que le droit ne peut être résumé par des rapports entre un bien et une personne, et que derrière ces apparences il y a toujours un rapport interpersonnel [188]. En l'occurrence, s'agissant d'un droit réel, il s'agit de l'obligation passive universelle qu'a chacun de respecter les droits du titulaire du droit réel [189]. Cette obligation aurait fondamentalement la même nature que les obligations traditionnelles, mais s'imposerait non pas à un débiteur mais à une pluralité non déterminée de débiteurs [190]. Les débats entre thèses classique et personnaliste ont été nombreux [191]. Il a notamment été relevé qu'une telle obligation s'imposerait aux tiers également face aux droits de créance [192].

Après avoir remarquablement exposé la thèse classique, Jacques Hansenne propose une autre thèse, dite néo-personnaliste, partant de la théorie personnaliste mais en en corrigeant ses imprécisions. Il défend à cet égard une opinion similaire à celle de S. Ginossar en droit français [193]. Selon eux, les titulaires de droits réels (à l'exception du droit de propriété) seraient titulaires d'un droit d'exiger une véritable prestation à l'égard de leur débiteur, le propriétaire du bien. Cette obligation consisterait « dans l'obligation de laisser le titulaire du droit réel exercer sur la chose les prérogatives impliquées par le droit » [194]. Partant, ils contestent l'existence d'une relation directe entre le titulaire et le bien. La seule différence avec le droit de créance serait alors que le débiteur est tenu réellement, c'est-à-dire du fait de sa qualité de propriétaire [195]. Jacques Hansenne souligne une autre différence en ce que « l'obligation réelle est, normalement, purement passive » [196].

5.2. Critique des théories (néo-)personnalistes: l'obligation passive (universelle)

Les théories (néo-)personnalistes partent de deux constats pertinents. D'une part, le droit est fondamentalement conçu pour régir les relations entre les personnes. D'autre part, si le titulaire d'un droit réel bénéficie d'un droit quelconque sur un bien, le propriétaire dudit bien a l'obligation corrélative de ne pas empêcher l'exercice de ce droit. Cette approche nous apparaît toutefois prendre des raccourcis qui contredisent l'essence du droit réel.

En exposant que le titulaire du droit réel n'a pas de relation directe avec le bien objet de son droit et que son droit ne porte que sur l'obligation corrélative dans le chef du débiteur de le laisser exercer son droit, la théorie néo-personnaliste dénature à notre sens l'idée même de droit réel, à savoir la possibilité de jouir de son droit sans devoir obtenir une telle faculté d'un tiers [197]. En faisant dépendre l'exercice d'un droit réel (démembré) de l'exécution d'une obligation continue dans le chef du propriétaire, intermédiaire entre le titulaire du droit et le bien, on prive le titulaire du droit réel de son emprise directe sur la chose. Ce faisant, la théorie personnaliste ne donne pas aux obligations réelles la portée qu'elles devraient avoir [198].

En effet, le fait que ces obligations soient, en ce qui concerne les obligations principales, purement passives, ne signifie pas simplement à notre avis que le créancier réel a le droit d'obtenir du débiteur l'exécution de son obligation d'abstention. Cela signifie que le débiteur s'est déjà exécuté, au moment de la constitution du droit réel démembré et de sa livraison, de sorte qu'il n'a en réalité plus rien à faire, au sens juridique et pas factuel du terme (ou si on préfère, qu'il n'a plus rien à faire où à s'abstenir de faire) pour que le créancier réel puisse exercer son droit pendant la durée convenue [199]. Ce droit lui a été transféré en entier, et en une fois, au moment de sa constitution. A défaut, on est bien en peine d'expliquer en quoi l'emphytéose se distingue d'un bail dans lequel l'essentiel des prestations positives serait mis à charge du preneur. Le critère de la durée par exemple ne saurait pas être pertinent, en ce qu'il est une restriction applicable aux emphytéoses, mais pas un élément de définition [200].

La dépendance du droit réel de l'emphytéote au bon vouloir du propriétaire, intermédiaire imposé, est certes relativisée par l'obligation générale de non-interférence que la théorie néo-personnaliste impose au bailleur emphytéotique (par essence passive) [201]. Toutefois, présentée sous la plume néo-personnaliste comme une véritable obligation à charge du bailleur emphytéotique, on n'aperçoit mal la différence qui existerait entre cette obligation réelle et l'obligation personnelle du bailleur de ne pas troubler la jouissance de son locataire si ce n'est, comme l'indique Jacques Hansenne, le fait qu'elle s'impose aux propriétaires successifs de la chose [202].

Or selon nous, le propriétaire n'a plus aucune obligation, puisqu'il s'est exécuté pour le tout en constituant son droit (sans préjudice des obligations accessoires qui demeuraient le cas échéant) [203]. L'obligation qui persiste dans son chef est celle qui existe dans le chef de chaque tiers au droit réel considéré, qu'il s'agisse du voisin, du tréfoncier ou de l'acquéreur des droits de propriété sur le bien: celui de respecter les droits d'autrui. Il s'agit de notre point de vue d'une situation tout à fait différente de celle de l'obligation générale de non-intervention exposée par le professeur Hansenne [204].

L'application de l'article 46 de la loi sur les faillites en est une illustration: interprétée dans le sens indiqué par Jacques Hansenne, et considérant que le bailleur emphytéotique a bien une obligation à exécuter de façon continue pendant la durée du droit (fut-elle passive), le pouvoir du curateur de ne pas poursuivre l'exécution de cette obligation a alors du sens, et porte atteinte aux droits de l'emphytéote. Confronté par contre à un bailleur emphytéote qui n'a d'autres obligations que celles des tiers, le curateur est impuissant à arrêter l'exécution d'une obligation qui n'existe pas, si ce n'est dans le chef de tous les tiers. Ou alors faudrait-il autoriser le curateur à renoncer au respect du droit de propriété du voisin?

Comme le soulève H. De Page, exposant la théorie personnaliste, et adoptant une lecture de l'obligation passive universelle allant dans le sens de notre interprétation (c.-à-d. valable à l'égard de tous et dans toutes circonstances, indépendamment des rapports entre titulaires de droits réels démembrés), « on s'illusionne donc en croyant que l'obligation passive universelle constitue l'un des caractères propres du droit réel » [205].

Dans le même esprit, envisageant ladite obligation sous l'angle d'un devoir de respect, Jean-François Romain écrit que « ce devoir est lié à l'existence des attentes, droits et libertés d'autrui, à leur opposabilité donc, qui, dans son principe (mais non nécessairement dans ses régimes de publicité notamment) semble être de nature identique dans les droits de créance, les droits réels et les autres droits » [206]. Dans la thèse du professeur Romain, un devoir de respect des droits réels ou personnels des tiers s'imposerait à chacun à partir du moment où la connaissance de ce droit est acquise [207].

Nous souscrivons tout particulièrement cette vision d'un devoir de respect ainsi formulée, qui s'imposerait à tous, en dehors de toute relation contractuelle. Notre thèse est précisément que, dès lors que le bailleur emphytéotique (ou tout autre titulaire de droits résiduaires de propriété) a exécuté son obligation de dare, il s'est exécuté pour le tout relativement à son obligation de fournir la jouissance, de sorte qu'il n'est plus vis-à-vis de l'emphytéote qu'un tiers parmi d'autres, soumis à ce devoir de respect des droits des tiers [208], [209]. Or, si l'article 46 de la loi sur les faillites permet au curateur de ne pas poursuivre l'exécution des contrats, on n'imagine pas qu'il autorise le curateur à se soustraire à ce devoir général de respect, norme d'équilibre essentielle dans toute société de droit.

A cette assimilation du bailleur emphytéotique à un tiers, il a été rétorqué que « La proposition paraît difficile à admettre. Que je m'interdise de bâtir sur mon fonds et que je confère le bénéfice de cette renonciation au locataire de la maison voisine et je ferai naître une créance dont je serai le débiteur. Que je concède au propriétaire du fonds voisin le même bénéfice et je donnerai naissance à [un droit réel]. Comment prétendre qu'il n'y a naissance d'une obligation véritable que dans le premier cas? Comment prétendre que l'interdiction de construire, constitutive d'une obligation négative authentique dans l'hypothèse où elle est imposée à titre personnel, ne conduit pas à ce résultat lorsqu'elle se coule dans le moule juridique [d'un droit réel]? Par la vertu de quel miracle le non facere, simple manifestation de l' 'obligation passive universelle' dans le cas du droit réel, deviendrait-il l'élément corrélatif du droit personnel (…)? » [210].

Malgré le grand respect que nous portons aux travaux de Jacques Hansenne, nous pensons que c'est précisément l'exécution instantanée de l'obligation de dare qui transforme le bailleur emphytéotique, débiteur d'une obligation personnelle (celle de dare), en un tiers, simplement tenu d'un devoir de respect, là où le bailleur est débiteur d'une obligation de non facere, parce qu'il n'a pas cédé l'usus et le fructus mais s'est simplement engagé à une obligation négative continue ne pas faire obstacle à la jouissance du locataire. D'ailleurs, le contrat de vente est également un contrat de cession de jouissance. Et dans ce cas, personne ne conteste que l'obligation du vendeur de ne pas perturber la jouissance de l'acheteur, une fois le bien vendu, s'assimile avant tout au devoir de respect des tiers, et non à une obligation continue de non facere qui pourrait être résiliée [211].

A défaut de suivre une telle interprétation, on pourrait d'ailleurs se demander en quoi consiste précisément l'obligation de dare, en matière de constitution d'emphytéose, si le bailleur emphytéotique doit encore, de façon continue, exécuter son obligation (certes passive) de laisser l'emphytéote jouir du bien [212]. N'est-ce pas précisément l'objet de l'obligation de dare que d'avoir transmis l'emphytéose (et partant l'usus et le fructus) à l'emphytéote au moment de l'échange des consentements [213]? On voit mal autrement comment distinguer l'obligation de dare de l'obligation de délivrance, alors que ces deux notions ne se confondent pas en droit civil [214].

5.3. Parallèle avec le droit de propriété lui-même

Un indice de l'imprécision de la théorie néo-personnaliste se retrouve au niveau du statut du droit de propriété, droit réel par excellence. Forcé d'admettre que le plein propriétaire ne doit exiger de personne en particulier l'exercice de son droit, Jacques Hansenne énonce que « la propriété, en soi, n'est pas à proprement parler un droit subjectif: c'est une faculté foncière originale, en quelque sorte antérieure et supérieure à l'idée même de rapports entre sujets de droit » [215]. Et de prendre l'exemple de Robinson qui n'aurait jamais eu besoin de droits subjectifs sans l'arrivée de Vendredi. Cette dernière comparaison est exacte, mais il est tout aussi vrai qu'en l'absence d'autres sujets de droit, Robinson n'était pas propriétaire, mais simple possesseur, au sens le moins juridique du terme. Le régime de propriété n'existe, à l'image de tous les autres champs du droit, que comme un régulateur des relations sociales, et il n'a pas de sens s'il ne peut être opposé à personne.

A notre avis, affirmer que le droit de propriété est « le premier des droits réels » est un peu court pour s'autoriser à le sortir du raisonnement, et à présenter une théorie des droits réels qui ne s'applique pas à ce dernier [216]. Le droit de propriété n'existe selon nous que pour protéger son titulaire des interférences des autres, qu'il s'agisse du voisin, d'un passant ou de l'usufruitier. Un bon exemple du caractère subjectif du droit de propriété se retrouve précisément dans son démembrement: le bailleur emphytéotique, face à l'emphytéote, a droit à ce que ce dernier n'empiète pas sur son droit; le propriétaire du fonds servant a le droit que le propriétaire du fond dominant s'abstienne de sortir des prérogatives de sa servitude. Ces droits sont bien réels (sans mauvais jeu de mot) et ils vont dans les deux sens.

Quelle raison justifierait d'ailleurs que l'emphytéote ou le superficiaire soit traité différemment du propriétaire, dans la mesure où tous bénéficient d'un droit réel? Si des parties décident de démembrer le droit de propriété en différentes prérogatives, qu'est-ce qui justifierait que certaines de ces prérogatives soient traitées différemment des autres? Autrement dit, le bailleur emphytéotique a autant un droit sur sa propriété que ne l'a l'emphytéote. L'usus, le fructus et l'abusus sont trois composantes de la propriété d'égale importance. Ces droits ont bien sûr une portée différente, mais sont de même nature. Le propriétaire et l'emphytéote sont à cet égard dans la même situation que deux copropriétaires, à la différence que dans le premier cas, la pleine propriété retournera toujours, in fine, dans les mains du propriétaire. Ce caractère temporaire, qui indique ce qui se passera à la fin du droit, ne devrait pas avoir d'influence sur la nature du droit réel.

Sous l'impulsion des théories (néo-)personnalistes, la définition de la propriété a toutefois été largement débattue et plusieurs auteurs ont également soutenu que la propriété se plaçait à un niveau différent des autres droits réels [217], à rebours de la conception traditionnelle du droit de propriété, qui y voyait un droit certes plus large en prérogative (usus, fructus et abusus), mais se situant au même niveau que les autres droits réels [218]. Ainsi, Zenati lui donne une double portée: la propriété créerait le lien d'appartenance entre une chose et une personne (rapport objectif) et donnerait à une chose sa qualité de bien (rapport subjectif), du fait de cette appartenance [219]. Ginossar y voit lui essentiellement un moyen d'appropriation, et ici aussi une forme d'appartenance [220].

Ce débat, particulièrement abstrait, aboutit notamment à la conclusion que, dès lors qu'un « bien » (et il peut s'agir d'un droit) fait l'objet du droit de propriété, alors il devient opposable, et de ce fait concerné par l'obligation passive universelle [221]. Schématiquement, puisque le droit de propriété peut porter sur des droits ou sur des choses, il pourrait notamment porter sur un droit d'emphytéose, ainsi relégué un étage en dessous du droit de propriété. Ce débat, intimement lié à la définition même des « biens », dépasse du cadre de la présente contribution [222].

Nous relevons simplement que ces discussions ont lieu à un étage différent du système juridique: la nature du lien entre une personne et son droit, et non la nature du lien entre une personne et une chose. Pour l'examen des prérogatives de l'emphytéote, peu importe finalement que l'emphytéote soit propriétaire ou titulaire de son droit d'emphytéose, pour autant que la nature de son droit sur l'objet envisagé soit définie [223]. Le danger par contre serait, en plaçant la propriété à un étage différent des autres droits réels, de discriminer le titulaire du droit réel démembré par rapport au titulaire du droit résiduaire de propriété [224]. A cet égard, la définition des différents droits réels, y compris la propriété, en termes d'usus, fructus et abusus, apporte une sécurité juridique bienvenue [225].

5.4. Contribution des théories personnalistes et néo-personnalistes

On le voit, les débats sur la nature des biens et des droits réels sont loin d'être clôturés. Par ailleurs, il ne faudrait pas déduire des considérations qui précèdent que les contributions des théories personnalistes et néo-personnalistes doivent selon nous être mises de côté. Elles apportent au contraire un élément crucial au débat: le fait que les droits réels portent sur des biens ne doit pas faire oublier que le droit a pour objectif de régler les relations entre individus. De ce constat découle un principe cardinal: affirmer qu'une personne a un droit sur une chose n'a aucun sens si cette règle n'est pas traduite en termes de droits et obligations pour toutes les personnes concernées.

Il est donc à notre avis correct de souligner qu'il n'existe pas de relations entre des personnes et des biens. Mais cela ne veut pas dire, et c'est là que les théories (néo-)personnalistes vont à notre sens trop loin, qu'une personne ne peut pas avoir un contrôle direct et autonome, fut-il partiel, sur une chose. Cette maîtrise directe sur une chose peut tout à fait être traduite par des rapports interpersonnels, à condition d'admettre que ce rapport interpersonnel s'exécute en une fois, pour le tout, au moment du transfert du droit réel, créant ainsi une maîtrise directe du titulaire sur la chose, puisque le propriétaire s'est exécuté pour le tout en concédant le droit réel.

Il est tout aussi vrai que l'obligation réelle est une obligation dont la caractéristique est de ne pas être attachée à une personne en tant que telle mais en raison de sa qualité de titulaire d'un droit réel. Par conséquent, elle se transfert en même temps que la titularité du droit. Il est vrai également, et c'est la clé du système, que les obligations réelles sont des obligations essentiellement passives. Seules certaines obligations accessoires peuvent être positives [226].

5.5. Essence du droit réel

Au risque de nous répéter, tentons de faire le point. Les relations entre individus sont nouées par un faisceau de droits subjectifs et d'obligations correspondantes. Par ces relations, les individus s'accordent un passage, se garantissent la jouissance d'une chose ou encore se promettent une prestation. La différence entre obligations réelles et de créance est le moment où ces obligations s'exécutent, les premières étant nécessairement exécutées en une fois, là où les secondes peuvent - mais ne doivent pas - être exécutées continuellement.

Lorsqu'un contrat comporte l'obligation, de créance, de constituer un droit réel dans le chef du créancier (obligation de dare), cette obligation s'exécute une fois pour toute au moment de la constitution et de la délivrance corrélative. L'obligation passive qui subsiste n'est rien d'autre que l'obligation pour le concédant de respecter le droit réel qu'il a (con)cédé, pour le vendeur l'obligation par exemple de ne pas troubler la jouissance de l'acheteur, à l'image d'ailleurs de l'obligation identique qui repose sur les tiers une fois le droit réel transcrit.

De la même manière, pour un contrat portant l'obligation, de créance, de constituer une emphytéose, cette obligation s'exécute au moment de la constitution du droit et de sa délivrance. Si le bailleur emphytéotique accorde une emphytéose de 40 ans à l'emphytéote, ce qu'il promet à titre principal, ce n'est pas de permettre à l'emphytéote de jouir de ce droit pendant 40 ans. Un tel engagement serait de l'essence du bail. Ce qu'il promet, c'est de constituer en faveur de l'emphytéote un droit réel d'une durée de 40 ans (obligation de dare) et de lui délivrer le bien (obligation de facere[227]. Une fois la constitution effectuée, et une fois le bien délivré, l'obligation est exécutée et le bailleur emphytéotique n'a plus rien à faire [228]. Il ne peut plus non plus revenir en arrière [229]. Tout au plus subsistent l'obligation de ne pas empêcher l'exercice de ce droit et les obligations propres à celui qui transfert un droit réel, en particulier la garantie d'éviction (voy. infra, 5.5.).

La thèse des néo-personnalistes est dès lors tout à fait pertinente: il n'existe pas de relations entre des biens et des personnes. La différence entre le droit réel et le droit de créance ne se situe pas à ce niveau, mais au niveau du moment de l'exécution de l'obligation. L'obligation de créance, si elle concerne une période donnée, sera exécutée tout au long de la période en question, de sorte que s'il devait être mis fin au contrat en cours de route, le droit du créancier s'en trouverait empêché pour le reste de la période.

L'obligation de dare, à l'inverse, s'exécute en une fois pour le tout, qu'il s'agisse d'une vente, ou de la constitution d'une emphytéose pour une durée de 50 ans [230]. S'il est mis fin au contrat en cours de route, le débiteur ne pourra revenir sur ce qui a déjà été cédé, en l'espèce le droit pour la durée convenue [231]. Et si le débiteur décide de troubler l'exercice par le titulaire du droit réel de son droit en reprenant la pleine propriété du bien, il ne commet pas en réalité une inexécution contractuelle (ou, le cas échéant, il en commet une également), mais il trouble le droit réel d'un tiers, celui-ci pouvant repousser cette agression du seul fait de son droit, sans devoir puiser le fondement de son action dans le contrat lui-même, si ce n'est pour démontrer que le droit réel a été créé.

Le seul moyen pour le débiteur de revenir sur son exécution, et partant sur la constitution du droit pour la période promise, est de mettre fin au contrat avec effet rétroactif [232]. Cet objectif est nettement plus difficile à atteindre, et le droit réel partant bien plus solide. Il résiste en particulier, puisque c'est la question initiale soulevée par la présente contribution, à un éventuel pouvoir de résiliation (par définition sans effet rétroactif) du curateur. Il résiste également, à notre estime et pour les mêmes raisons, à l'exception d'inexécution que souhaiterait invoquer le propriétaire [233], à une faculté de résiliation unilatérale [234] ou à une résiliation amiable [235].

Soulignons qu'une telle conception de la différence entre droit de créance et droit réel devrait faciliter la tâche de ceux qui tentent, tout en modifiant les conditions, de ne pas dénaturer des concepts juridiques pour d'évidentes raisons fiscales [236]. Ainsi, ce qui différencie le bail de l'emphytéose n'est pas la durée (il s'agit, on l'a dit, d'une restriction posée au concept et pas d'un élément de sa définition) ni l'étendue des obligations à charge du propriétaire (il s'agit de modalités de ces droits, et rien n'interdit d'ajouter à un droit réel d'autres obligations qui l'accompagnent), mais le fait de savoir si les parties ont voulu céder le droit au créancier en une fois en lui accordant une maîtrise directe sur la chose, ou au contraire organiser une exécution successive dont le propriétaire garde une certaine maîtrise [237].

En voulant souligner, à juste titre, que le droit ne définit que des rapports entre les personnes, les théories (néo-)personnalistes ont indirectement déforcé tous les autres droits réels que la propriété, en les soumettant à l'intermédiaire de tiers. Or, il est tout à fait possible de réconcilier les deux thèses, en justifiant par des rapports interpersonnels la maîtrise directe qu'a le titulaire du droit réel sur « son » bien. Les auteurs de la théorie classique détenaient selon nous la bonne solution, mais ils ont péché par excès de simplification [238]. Si le droit réel accorde à la personne une maîtrise directe (pleine ou partielle) de son bien, il ne crée pas pour autant de relation entre une personne et un bien. On pourrait parler d'une approche néo-classique. Le droit reste ainsi, et a toujours été, un régulateur des rapports sociaux.

5.6. Le régime de constitution de droits réels

Les développements qui précèdent ouvrent la voie à une série de questionnements. Qu'ils soient acquis par contrat ou par prescription, les droits réels sont transférés en une fois, pour le tout et pendant la durée convenue. Cette solution n'a jamais posé de problème pour le droit de propriété, dont le contrat de vente organise déjà la cession en une fois et pour le tout. D'autres droits par contre, et en particulier l'emphytéose, l'usufruit et la superficie, n'ont pas ou peu été envisagés dans cette perspective [239].

En effet, compte tenu de leur apparente similitude avec le contrat de bail et sous l'influence indirecte de la théorie personnaliste voyant dans ces droits une obligation continue de ne pas perturber la jouissance, ceux-ci ont été vus comme autant de variantes d'une même catégorie de contrats permettant de fournir la jouissance d'une chose. L'arrêt de la Cour de cassation du 3 décembre 2015, précité, en est à cet égard une belle illustration.

Autrement dit, à titre d'exemple, un contrat constitutif d'emphytéose a été rapproché de la notion de bail, et la doctrine s'est attachée à mettre en parallèle les obligations respectives du bailleur et du bailleur emphytéotique. Les obligations du propriétaire qui a constitué une emphytéose ne devraient pourtant selon nous pas s'analyser en termes d'obligations, propres au bail, de garantir la jouissance ou de réaliser tel type de travaux, mais en termes, propres à la vente (ou à la cession de droits réels), de théorie des risques et d'interdiction des clauses d'inaliénabilité [240]. Certaines de ces obligations sont similaires (p. ex. en matière de garantie contre les troubles de droit et de fait), mais le basculement de perspective est significatif [241].

L'analyse détaillée de ce régime sortirait largement du cadre de la présente contribution, et nous la renvoyons dès lors à une prochaine contribution. A titre illustratif, ces principes peuvent être appliqués à la question de la fin de l'emphytéose par disparition de la chose, et du sort corrélatif qui est réservé par la doctrine au paiement du canon [242]. L'article 9 de la loi du 10 janvier 1824 sur le droit de superficie, auquel renvoie l'article 18 de la loi sur le droit d'emphytéose, prévoit que « le droit de superficie [et d'emphytéose] s'éteint, entre autres (…) par la destruction du fonds ».

En cas de disparition totale de la chose (cas finalement peu fréquent, puisque l'emphytéose porte souvent, mais pas toujours, sur le bâtiment et le sol), l'extinction de l'emphytéose ne nous paraît pas contestée en doctrine, de même d'ailleurs que l'extinction du droit (le cas échéant résiduaire) de propriété [243]. Cette solution est d'ailleurs confirmée par l'article 18. Dans cette hypothèse, relativement au canon, l'article 11 de la loi du 10 janvier 1824 prévoit que « l'emphytéote n'a droit à aucune remise de la redevance, soit pour diminution, soit pour privation entière de jouissance ». Il s'agit d'une application de la théorie des risques (voy. infra). Néanmoins, atténuant la rigueur des principes, l'article poursuit en précisant que « si la privation totale de la jouissance a duré pendant cinq années consécutives, remise sera due pour le temps de la privation » [244].

Lorsque la disparition de la chose n'est que partielle (p. ex., scénario classique, parce que la maison a brûlé mais que le terrain, par hypothèse également objet du droit d'emphytéose, continue lui forcément d'exister), la question est plus controversée. La question du sort du canon l'est tout autant. Certains auteurs maintiennent ainsi que l'emphytéose s'éteint [245]. D'autres auteurs soutiennent au contraire que l'emphytéose demeure [246]. Laurent lui estime que l'emphytéose demeure, mais que le canon doit être réduit s'il est stipulé en compensation de la jouissance et non à titre recognitif de la propriété [247]. Plusieurs auteurs ont défendu à l'inverse la thèse du caractère abstrait du canon [248].

La théorie des risques nous paraît apporter la solution suivante à ces deux controverses. A l'image d'une vente, pour laquelle la destruction, fut-elle partielle, du bien vendu ne porte pas atteinte au transfert de propriété réalisé, le risque étant supporté par l'acheteur, la destruction partielle du bien ne nous paraît pas pouvoir entraîner (sauf dispositions contractuelles contraires [249]) une remise en cause du transfert de titularité du droit réel (dare), les risques étant supportés pour les mêmes raisons par l'emphytéote [250].

De la même manière, à l'image d'une vente, qui ne dispenserait pas l'acheteur du paiement du prix alors même que le bien a disparu postérieurement au transfert de propriété mais préalablement au paiement du prix [251], une emphytéose dont l'objet aurait entièrement disparu ne porte en rien préjudice au fait qu'il appartient au titulaire du droit réel de supporter les risques survenus postérieurement à l'exécution de l'obligation de dare, et qu'en conséquence, il lui appartient de continuer à payer le canon [252]. Comme indiqué supra, l'article 11 applique parfaitement ce principe, sous réserve de l'assouplissement qu'il prévoit après 5 années.

Conclusion

L'emphytéose est un droit de jouissance sur une chose. Elle est aussi et surtout un droit réel démembré. Corollaire nécessaire de ce principe, une fraction du droit de propriété du bien ne se retrouve plus, du fait de l'exécution de l'obligation de dare, dans le patrimoine du bailleur emphytéotique pendant la durée du droit, si ce n'est au travers du droit de percevoir le canon, matérialisé par l'existence d'un droit résiduaire de propriété (le tréfonds).

Or, l'article 46 de la loi sur les faillites a été conçu pour libérer la masse des contraintes trop lourdes pesant sur certains biens du patrimoine du failli. Il n'a certainement pas été conçu pour faire rentrer dans le patrimoine du failli des biens qui ne s'y trouvaient pas jusque-là. Le principe d'égalité des créanciers, indépendamment de la portée qu'on lui reconnaît, n'a pas plus que l'article 46 vocation à attirer dans un patrimoine failli des biens qui, sans fraude, ne s'y trouvaient pas au moment de la faillite. Telle est la limite à ne pas franchir, de façon à préciser les contours du droit d'emphytéose d'une manière compatible avec les principes cardinaux de notre droit civil.

Le cas du bail et la conception habituelle du droit de jouissance font pourtant qu'un contrat portant sur la jouissance d'une chose est généralement envisagé comme s'étalant sur une longue période, et partant, un contrat à exécution successive ou, pour reprendre la terminologie du droit de la faillite, un contrat en cours. Sur la base de ce raisonnement, la question de savoir si un curateur peut résilier une emphytéose, contrat de jouissance par excellence, se pose légitimement.

Cependant, ce raisonnement heurte de plein fouet notre conception des droits réels, ce qui se matérialise par le fait qu'une telle solution équivaudrait non seulement à nier aux droits réels leur droit de suite et de préférence, mais également à priver les emphytéotes d'un droit réel suffisamment stable pour être hypothéqué, caractéristique pourtant essentielle d'un droit réel immobilier. A notre estime, l'erreur du raisonnement tient en une assimilation des contrats de jouissance aux contrats à exécution successive.

Pourtant, la seule façon de réconcilier la nature de l'emphytéose (un droit réel) et sa fonction (un droit de jouissance) est à notre avis de constater qu'un droit réel de jouissance est cédé en une fois et que le cédant, une fois la jouissance de la chose délivrée, n'a plus d'autres obligations que le devoir des tiers de respecter les droits d'autrui. Il n'a pas, en particulier, une obligation (par opposition au devoir), même purement passive, d'accorder la jouissance de la chose [253].

On remarquera d'ailleurs que la vente est aussi un contrat de cession de jouissance (initialement, en droit romain, elle n'était même que cela) et que son caractère instantané n'est pourtant pas contesté. Personne n'attribue en effet au vendeur une obligation, même purement passive, de ne pas perturber la jouissance de l'acheteur, si ce n'est au travers du devoir général de respect imposé aux tiers. Nous ne voyons de ce point de vue aucune raison de distinguer le régime de la vente de celui de l'emphytéose, dans la mesure où chacune entraîne la cession instantanée de tout ou partie des droits réels sur une chose, par exécution d'une obligation de dare.

En toute hypothèse, et pour reprendre les mots de Vincent Sagaert, « vele andere aspecten van erfpacht (en opstal) is gebleken dat het rechtsonzekerheid troef is (…). Gezien de enorme investeringen die vaak in het geding zijn, is die rechtsonzekerheid vanuit economisch oogpunt niet langer te verantwoorden. Een herwerking van de Erfpacht en Opstalwet dringt zich op » [254]. A défaut d'une telle réforme législative, nous pensons qu'une analyse systématique et globale des droits réels permettrait d'apporter une plus grande prévisibilité à ces constructions juridiques.

Il faut par contre à notre estime à tout prix éviter une réforme législative qui viendrait davantage brouiller les pistes entre droit personnel et droit réel, au risque d'éloigner davantage la perspective de parvenir un jour à un système cohérent et prévisible applicable aux droits réels. De ce point de vue, l'article XX.141 du projet de loi du 20 avril 2017 ajoutant un Titre XX au Code de droit économique va assurément dans la bonne direction [255].

[1] La présente contribution a reçu le prix du médaillé David-Constant (2015). Ce prix est décerné à une contribution scientifique rédigée dans l'année qui suit sa proclamation par le lauréat de la Médaille David-Constant. Cette médaille récompense le meilleur étudiant en droit, en science politique ou en criminologie, pour l'ensemble des résultats obtenus au cours de ses études à la Faculté de Droit, de Science politique et de Criminologie de l'Université de Liège.
[2] Avocat stagiaire au barreau de Bruxelles, assistant à l'Université Libre de Bruxelles.
[3] Sur l'absence d'indemnité en cas d'expiration anticipée du droit d'emphytéose, voy. infra, Partie III., point 4.2.
[4] H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, t. II, Les obligations, 3e éd., Bruxelles, Bruylant, 1964, p. 724.
[5] V. Sagaert et M. Somers, « Erfpacht, ontbinding en faillissement: een complexe trilogie », T. Not., 2008/2, n° 28. Les auteurs soulignent d'ailleurs que « de juridische onzekerheid werkt immers niet enkel in het nadeel van de vastgoedsector, maar ook in het nadeel van de kredietinstellingen: de vestiging van hypotheekrechten op erfpachtrechten heeft een wankele basis indien het bestaan/voortduren van het erfpachtrecht onzeker is. Juridische onzekerheid creëert economische onzekerheid. Economische onzekerheid creëert in dit geval een bijzonder hoge kost. »
[6] R. Carton de Tournai et A. Chalier, « Renaissance de l'emphytéose et de la superficie », in Renaissance du phénomène contractuel, C.D.V.A., Liège, Faculté de droit, 1971, p. 134.
[7] V. Sagaert et M. Somers, « Erfpacht, ontbinding en faillissement: een complexe trilogie », T. Not., 2008/2, n° 28.
[8] Pour une analyse systématique des différents modes de dissolution du contrat et des confusions les entourant, nous renvoyons à l'étude de Patrick Wéry: P. Wéry, Droit des obligations, vol. 1, Bruxelles, Larcier, 2011, pp. 897-947. Voy. égal. P. Vassart, Manuel de droit romain, Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 256.
[9] Nous reviendrons infra, dans la Partie III., point 1.3, sur ces notions de contrats à exécution successive ou instantanée, dans le contexte de l'emphytéose.
[10] P. Van Ommeslaghe, « Examen de jurisprudence. Les obligations (1968 à 1973) », R.C.J.B., 1975, p. 619; J. Dewez, « La résiliation du contrat par accord mutuel des parties », R.G.D.C., 2010, p. 227; T. Delahaye, Résiliation et résolution unilatérales en droit commercial belge. Eléments d'appréciation, Bruxelles, Bruylant, 1984, pp. 12-13; voy. aussi Comm. Bruxelles (prés.), 25 septembre 1996, J.L.M.B., 1997, p. 161: « [le] droit de résiliation unilatérale ne s'applique qu'au contrat à prestations successives ».
[11] I. Moreau-Margrève, note sous Comm. Liège, 2 janvier 1967, J.T., 1968, p. 242. Voy. égal. Cass., 24 mars 1972, Pas., 1972, I, p. 693.
[12] Rien n'empêche toutefois la résiliation d'un contrat à exécution instantanée dont aucune des obligations n'aurait encore été exécutée, par exemple en raison d'un terme suspensif. Pour une analyse détaillée de la notion de rétroactivité, voy. not. R. Jafferali, La rétroactivité dans le contrat, Bruxelles, Bruylant, 2014.
[13] P. Van Renterghem, « Les clauses résolutoires expresses », Ann. dr. Louvain, vol. 71, 2011, n° 4.
[14] Comm. Liège, 2 janvier 1967, J.T., 1968, pp. 240 et s.; H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, t. II, Les obligations, Bruxelles, Bruylant, 1964, nos 759 et 768.
[15] P. Wéry, Droit des obligations, vol. 1, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 839.
[16] Comm. Liège, 2 janvier 1967, J.T., 1968, pp. 240 et s.; H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, t. II, Les obligations, Bruxelles, Bruylant, 1964, nos 759 et 768.
[17] Voy. infra, point suivant.
[18] Pour une critique de la terminologie employée relativement aux résiliations et résolutions, voy. not. I. Moreau-Margrève, note sous Comm. Liège, 2 janvier 1967, J.T., 1968, p. 242. A contrario, nous pensons que la résolution se distingue clairement de la résiliation même dans le cas où l'effet rétroactif est tempéré. On en veut pour preuve que, dans le second cas, les indemnités réciproques entre parties trouveront leur fondement dans les dispositions contractuelles organisées par les parties, alors que dans le premier cas, à défaut de contrat (puisqu'il a disparu avec effet rétroactif), c'est la théorie de l'enrichissement sans cause qui fonde généralement les restitutions réciproques (ou l'absence de restitution, lorsque l'effet rétroactif est tempéré). Voy. à cet égard Cass., 24 mars 1972, Pas., 1972, I, p. 693. Cette position est également défendue par Van Ommeslaghe (P. Van Ommeslaghe, « Examen de jurisprudence. Les obligations (1968-1973) », R.C.J.B., 1998, n° 131). La question ne fait toutefois pas l'unanimité (voy. M. Fontaine, « La rétroactivité de la résolution des contrats pour inexécution fautive », note sous Cass., 8 octobre 1987, R.C.J.B., 1990, section I).
[19] Soulignons que nous synthétisons ici le courant qui nous apparaît aujourd'hui majoritaire en doctrine et en jurisprudence. La question a toutefois suscité de nombreux débats, et nous renvoyons notamment, pour un examen approfondi de ces discussions, aux articles suivants: M. Fontaine, « La rétroactivité de la résolution des contrats pour inexécution fautive », note sous Cass., 8 octobre 1987, R.C.J.B., 1990, pp. 379 et s.; C. Lefebve, « Les effets de la résolution judiciaire des contrats successifs », Rev. not. belge, 1986, pp. 228 et s.
[20] M. Van Ruymbeke, « Et si la résolution n'était pas judiciaire », R.G.A.R., 1978, n° 9850/4. Certains auteurs soutenaient à l'inverse que l'impossibilité de la restitution faisait obstacle à la rétroactivité. Comme le souligne justement l'auteur précité, cette considération n'est pas pertinente, puisque la restitution peut tout à fait avoir lieu par équivalent.
[21] V. Sagaert et M. Somers, « Erfpacht, ontbinding en faillissement: een complexe trilogie », T. Not., 2008/2, p. 78; C. Lefebve, « Les effets de la résolution judiciaire des contrats successifs », Rev. not. belge, 1986, p. 228; P. Van Ommeslaghe, Traité de droit civil belge, Bruxelles, Bruylant, 2013, p. 902; P. Vassart, Manuel de droit romain, Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 256.
[22] P. Wéry, Droit des obligations, vol. 1, Bruxelles, Larcier, 2011, p. 903.
[23] Cass., 31 janvier 1991, Pas., 1991, I, p. 520; V. Sagaert et M. Somers, o.c., p. 78. La Cour de cassation a par ailleurs déjà admis qu'il pouvait être fait obstacle à la restitution également dans le cas de contrats à exécution instantanée, dans le cas où une partie s'est déjà exécutée mais pas l'autre partie, de sorte qu'une restitution placerait la partie concernée dans une situation inéquitable (Cass., 24 mars 1972, Pas., 1972, I, p. 693). Cette position est également défendue par Van Ommeslaghe (P. Van Ommeslaghe, « Examen de jurisprudence. Les obligations (1968-1973) », R.C.J.B., 1998, n° 131).
[24] C. Lefebve, « Les effets de la résolution judiciaire des contrats successifs », Rev. not. belge, 1986, p. 228. Nous reviendrons plus longuement infra, dans le contexte de l'emphytéose, sur ces notions de contrats à exécution successive ou instantanée (Partie III., point 1.3.2).
[25] I. Moreau-Margrève, note sous Liège, 2 janvier 1967, J.T., 1968, pp. 242 et s.; M. Van Ruymbeke, o.c., n° 9850/4; C. Lefebve, o.c., pp. 228 et s.
[26] Cass. fr., 3 novembre 1983, Bull. Civ., I, n° 252; M. Fontaine, « La rétroactivité de la résolution des contrats pour inexécution fautive », note sous Cass., 8 octobre 1987, R.C.J.B., 1990, section III.
[27] Deux visions, l'une française, et l'autre belge, entourent la notion de contrat à exécution successive, lorsque le contrat prévoit des obligations, certes successives (à tout le moins dans le chef d'une partie), mais pas parallèles, de sorte qu'il ne s'agit pas pour les deux parties d'exécuter en parallèle des obligations de même importance, d'une telle façon que le contrat puisse être interrompu à tout moment sans créer un déséquilibre entre les parties. En France, la doctrine et la jurisprudence qualifient majoritairement ces contrats de contrats successifs mais indivisibles (G. Briere De L'isle, « De la notion de contrat successif », Dall., 1957, Chron. XXV, p. 55; Cass. civ. fr., 28 avril 1971, Dall., 1971, p. 608; Cass. civ. fr., 4 mai 1989, Dall., 1898, I, 457, note Planiol). La doctrine belge par contre ne semble pas admettre cette distinction, et semble classer majoritairement ces contrats dans les contrats à exécution instantanée (P. Van Ommeslaghe, R.C.J.B., 1975, p. 622; C. Lefebve, « Les effets de la résolution judiciaire des contrats successifs », Rev. not. belge, 1986, p. 228). Tous s'accordent toutefois pour admettre que la dissolution d'un tel contrat doit nécessairement être rétroactive, et qu'elle n'est donc pas visée par le tempérament applicable aux contrats à exécution successive et « à obligations divisibles » (ou autrement dit, exécuté à la satisfaction des parties). Voy. infra, Partie III., point 1.3, pour de plus amples développements sur la notion de contrat à exécution successive.
[28] M. Fontaine, « La rétroactivité de la résolution des contrats pour inexécution fautive », note sous Cass., 8 octobre 1987, R.C.J.B., 1990, p. 379; C. Lefebve, o.c., pp. 228 et s.
[29] Une résolution dont l'effet rétroactif est empêché serait en effet aussi impuissante qu'une résiliation à revenir sur les obligations déjà exécutées.
[30] Partie III., point 1.3.
[31] Voy. infra, Partie III., point 4.
[32] Comme indiqué supra, la disparition rétroactive du contrat se matérialise par le fait que la Cour de cassation raisonne généralement sur la base de l'enrichissement sans cause pour accorder ou refuser les restitutions (Cass., 24 mars 1972, Pas., 1972, I, p. 693).
[33] Doc. parl., Ch., 1995-99, n° 330; Doc. parl., Ch., 1991-92, n° 631/1; F. George, « Faillite et (in)exécution du contrat: questions choisies », in Chronique de jurisprudence en matière de contrats spéciaux, Liège, Anthémis, 2011, n° 61.
[34] Th. Bosly et M. Alhadeff, « Développements récents en matière de faillite », in Réorganisation judiciaire, faillite, liquidation déficitaire. Actualités et pratique, C.U.P., vol. 120, Liège, Anthémis, 2010, p. 256.
[35] La question avait toutefois également déjà été débattue au regard des droits réels dans un arrêt du 7 octobre 2013 de la cour d'appel de Gand (7e ch.) (R.W., 2014-15, liv. 6, 230). Nous y reviendrons infra, dans la Partie III.
[36] F. George, « Faillite et (in)exécution du contrat: questions choisies », in Chronique de jurisprudence en matière de contrats spéciaux, Liège, Anthémis, 2011.
[37] D'où l'intérêt d'ailleurs des conditions résolutoires visant le cas de la faillite (voy. infra, Partie III., point 4, pour une analyse de ces dernières).
[38] Doc. parl., Ch., 1996-97, nos 330-1 et 330-26.
[39] Doc. parl., Ch., 1996-97, nos 329 et 330.
[40] Th. Bosly et M. Alhadeff, « Développements récents en matière de faillite », in Réorganisation judiciaire, faillite, liquidation déficitaire. Actualités et pratique, C.U.P., vol. 120, Liège, Anthémis, 2010, pp. 248-249.
[41] J. Malekzadem, « Een extra puzzel in het spel van de curator en de lopende overeenkomsten », R.D.C., 2016/9, p. 853, n° 14.
[42] A. Zenner et L. Verougstraete, « Poursuite des contrats en cours par les curateurs, indemnités de rupture et dettes de masse », R.D.C., 2004, p. 524.
[43] A. Zenner et C. Alter, « Faillites et contrats en cours: la portée de l'option du curateur - (Article 46 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites) », J.T., 2006/31, n° 6237, pp. 573-577.
[44] Soulignons que F. George cite également une troisième thèse, celle de l'inopposabilité absolue. Cette thèse, qui ne fixe aucune condition au pouvoir de résiliation du curateur, est toutefois moins suivie (voy. F. George, « Faillite et (in)exécution du contrat: questions choisies », in Chronique de jurisprudence en matière de contrats spéciaux, Liège, Anthémis, 2011, n° 69, note 271).
[45] Fr. Georges, La saisie de monnaie scripturale, Bruxelles, Larcier, 2006, n° 84, p. 144; Chr. Biquet-Mathieu, Chroniques notariales, vol. 43, Bruxelles, Larcier, 2006, p. 168.
[46] A. Zenner et C. Alter, « Faillites et contrats en cours: la portée de l'option du curateur - (Article 46 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites) », J.T., 2006/31, n° 6237, pp. 573-577.
[47] Ibid., p. 577.
[48] Voy. not. T. Hürner, « La poursuite des contrats en cours en cas de faillite: essai de rationalisation », J.T., 2008, pp. 342 et s.
[49] C.A., 10 décembre 2003, R.D.C., 2004, p. 253.
[50] F. George, « Faillite et (in)exécution du contrat: questions choisies », in Chronique de jurisprudence en matière de contrats spéciaux, Liège, Anthémis, 2011, n° 64.
[51] Cass., 24 juin 2004, Pas., 2004/7-8, p. 1153.
[52] T. Hürner, « La poursuite des contrats en cours en cas de faillite: essai de rationalisation », J.T., 2008, pp. 341 et s.
[53] A. Zenner et C. Alter, « Faillites et contrats en cours: état de la question après l'arrêt de la Cour de cassation du 10 avril 2008 », J.T., 2008/26, n° 6318, pp. 470-472.
[54] Rapport de la Cour de cassation 2008, disponible sur le site internet de la Cour à l'adresse www.cassonline.be/uploads/70/cass2008fr.pdf; T. Hürner, o.c., p. 347.
[55] F. George, « Faillite et (in)exécution du contrat: questions choisies », in Chronique de jurisprudence en matière de contrats spéciaux, Liège, Anthémis, 2011, n° 75 et références citées.
[56] T. Hürner, o.c., p. 347.
[57] E. Dirix, « Insolventierecht en gemeenrecht », in Van alle markten, Liber amicorum Eddy Wymeersch, Anvers, Intersentia, 2008, p. 420.
[58] T. Hürner, « La poursuite des contrats en cours en cas de faillite: essai de rationalisation », J.T., 2008, p. 347.
[59] J. Hansenne, Les biens. Précis, Liège, éd. Collection scientifique de la Faculté de droit de l'Université de Liège, 1996, n° 29.
[60] Cass., 3 décembre 2015, T.B.O., 2016, pp. 317 à 318.
[61] La cour d'appel de Gand, dans un arrêt du 7 octobre 2013, avait d'ailleurs refusé d'appliquer l'article 46 à un contrat de superficie (Gand (7e ch.), 7 octobre 2013, R.W., 2014-15, liv. 6, 230). Nous y reviendrons infra, dans la Partie III., point 1.3.
[62] Il convient toutefois de souligner que le droit de superficie n'est, à la différence du droit d'emphytéose, qu'accessoirement et indirectement un droit de jouissance. Le droit de superficie est avant tout le droit de devenir propriétaire de constructions ou de plantations sur le sol d'autrui (art. 1er de la loi du 10 janvier 1824 sur le droit de superficie). En dehors de ce droit temporaire de propriété (qui emporte évidemment un droit de jouissance), les droits de jouissance du superficiaire (p. ex. sur le fonds entourant le bâtiment construit ou sur des constructions préexistantes dont le superficiaire n'a pas acquis la propriété), sont nettement plus débattus, et à notre avis strictement limités à ce qui est nécessaire à l'exercice de l'objet principal du droit (la propriété de constructions sur le sol d'autrui). Pour une position similaire, voy. J. Hansenne, Les biens (2e partie), o.c., n° 1249, note 72. Pour une analyse plus détaillée à ce sujet et des controverses entourant la portée du droit de jouissance du superficiaire, voy. not. S. Boufflette, P. Lecocq, R. Popa et A. Salvé, Manuel de droit des biens, t. II, Bruxelles, Larcier, 2016, n° 18. Voy. aussi à ce sujet nos développements dans une chronique de jurisprudence à paraître cette année consacrée au droit des biens chez Larcier.
[63] S. Boufflette, P. Lecocq, R. Popa et A. Salvé, o.c., p. 397.
[64] Voy. toutefois la note qu'a consacré J. Malekzadem à l'arrêt de la Cour de cassation du 3 décembre 2015 (J. Malekzadem, « Een extra puzzel in het spel van de curator en de lopende overeenkomsten », R.D.C, 2016/9, p. 853, n° 14). Selon cet auteur, la question de savoir si le raisonnement de la Cour peut être étendu aux cas où le failli est le tréfoncier pose question. Il tire notamment argument de la faculté d'abandon dont dispose de toute façon le superficiaire en vertu du droit commun, contrairement au tréfoncier. Si nous partageons ce constant, il nous semble néanmoins d'une part que la Cour de cassation n'a pas eu égard à cette circonstance (au vu de la généralité de son raisonnement) et d'autre part que l'article 46 a précisément pour objet d'autoriser une résiliation dans les cas où le failli ne disposait pas, avant la faillite, d'un tel droit. A défaut en effet, et comme nous le relevions supra, l'article 46 (et notamment la condition que la résiliation soit nécessaire) ne se justifierait pas.
[65] Cette assimilation est même largement présente chez le législateur. Ainsi, à l'occasion de débats sur une modification de la loi du 10 janvier 1824 sur le droit d'emphytéose, le député Charlotteau souligne l'inutilité pratique de la différence terminologique entre loyer et canon, et propose de soumettre le canon à une revalorisation annuelle (Doc. parl., Ch., 1950-51, proposition 427, 8 mai 1951). La proposition ne rencontre aucune objection particulière relativement à cette assimilation (M. Lambert, « Emphytéose et condition résolutoire tacite », Rev. not. belge, 1986, pp. 316 et s.).
[66] Nous montrerons dans la section suivante qu'il est toutefois possible de les concevoir différemment, au travers du critère de la maîtrise directe ou indirecte, matérialisée par le moment de l'exécution de l'obligation.
[67] Voy. infra, Partie III., point 2.
[68] Voy. infra, Partie III., point 2.
[69] Sur les caractéristiques propres des droits réels accessoires qui pourraient également d'après certains auteurs justifier un traitement différencié, voy. infra, Partie III., point 3.
[70] Voy. infra, Partie III., point 3.
[71] Voy. sur le site internet de la Chambre: www.lachambre.be/FLWB/PDF/54/2407/54K2407001.pdf.
[72] Voy. supra, Partie II., point 1. On ne peut à cet égard que souhaiter que le législateur profite de l'occasion pour amender le texte de façon à préciser les droits du curateur à ce niveau. Prendre position sur le sens de cet amendement, étranger aux droits réels, sortirait toutefois largement du cadre du présent article.
[73] Voy. not. H. Vandenberghe et T. Viaene, « Actuele ontwikkelingen inzake erfpacht en opstal », T.B.O., 2006, n° 12; F. Van Neste et H. Vandenberghe, Beginselen van Belgisch Privaatrecht. Zakenrecht, Deel II, Anvers, E.Story-Scientia, 1984, n° 1017; F. Werdefroy, « Beëindiging van de erfpacht », N.F.M., 1994, n° 9.
[74] Voy. not. V. Sagaert et M. Somers, « Erfpacht, ontbinding en faillissement: een complexe trilogie », T. Not., 2008/2, n° 28.
[75] Voy. Partie II., point 2.2., in fine.
[76] Elle est toutefois aussi reprise par le législateur. Voy. à cet égard notamment l'article 1er de la loi du 10 janvier 1824 relative au droit de superficie. Voy. égal. beaucoup plus récemment l'article XX.141 du projet de loi du 20 avril 2017 portant insertion du Livre XX « Insolvabilité des entreprises », dans le Code de droit économique, et portant insertion des définitions propres au Livre XX, et des dispositions d'application au Livre XX, dans le Livre Ier du Code de droit économique.
[77] Ch. Aubry et Ch. Rau, Droit civil français, t. II, 7e éd., Paris, Librairies Techniques, 1961, p. 85. Henri De Page expose la différence de principe qui existait entre ces deux actions: la première ne visait qu'une chose, et non une personne, alors que la seconde ne s'exerçait que contre une personne (H. De Page, Traité élémentaire de droit civil, o.c., t. V, n° 821, note 4). La division moderne entre droit réel et droit de créance était ainsi déjà remarquablement identifiée.
[78] Voy. not. G. Marty et P. Raynaud, Droit civil, t. I, 2e éd., Paris, Sirey, 1972, p. 482; H.L. et J. Mazeaud, Leçons de droit civil, t. I, 1er vol., 6e éd., Paris, Montchrestien, 1980, p. 216; J.-Fr. Romain, « La distinction entre les biens », J.T., 2004, p. 277.
[79] M. Lambert, « Emphytéose et condition résolutoire tacite », in Rev. not. belge, 1988, p. 315; J. Hansenne, Les biens, Liège, éd. Collections scientifiques de la Faculté de droit de Liège, 1996, n° 26; S. Boufflette, P. Lecocq, R. Popa et A. Salvé, Manuel de droit des biens, t. 2, Bruxelles, Larcier, 2016, n° 12. Voy. égal. A.-M. Stranart, Réalités et fictions du droit des garanties, Bruxelles, Larcier, 2011, p. 229-244.
[80] Sur la notion de bien, voy. infra, point 5.
[81] R. Dekkers, Précis de droit civil belge, t. I, Bruxelles, Bruylant, 1954, n° 836; H. De Page, Traité élémentaire de droit civil belge, t. I, Bruxelles, Bruylant, 1964, nos 127 à 129; J. Hansenne, Les biens, Liège, éd. Collections scientifiques de la Faculté de droit de Liège, 1996, n° 22; N. Verheyden-Jeanmart et C. Mostin, « Jouissance d'immeuble: bail et conventions voisines », in Aspects récents du droit des contrats, Bruxelles, éd. du Jeune Barreau, 2001, n° 2, p. 94. C'est en tout cas la théorie classique, remise en cause depuis par les théories personnalistes et néo-personnalistes. Voy. infra, point 5. Voy. not., pour des auteurs défendant la vision classique: A. Montpetit et G. Taillefer, Traité de droit civil du Québec, t. 111, Montréal, Wilson & Lafleur, 1945, p. 17; C. Beudant, Cours de droit civil français, IV, 2e éd., Paris, Rousseau & Cie, 1938, p. 46; G. Ripert et J. Boulanger, Traité de droit civil, t. I, Paris, L.G.D.J., 1956, p. 290; J.-G. Cardinal, « La propriété immobilière, ses démembrements, ses modalités », (1965-66) 67 R. du N.21, p. 280; J. Carbonnier, Droit civil, t. II, Les biens et les obligations, Paris, P.U.F., 1967, p. 33; G. Marty et P. Raynaud, o.c., note 6, p. 482; A. Colin et H. Capitant, Traité de droit civil, t. I, Paris, Dalloz, 1957, p. 55.
[82] L'existence de ce rapport direct, si elle est largement reconnue en pratique, est toutefois controversée d'un point de vue conceptuel, ce qui génère des interrogations quant à la portée exacte de ce rapport. Nous y reviendrons infra (point 5.).
[83] On veut pour preuve de cette indépendance que l'obligation de payer un canon, certes récurrente, est une obligation abstraite dans la plupart des contrats d'emphytéose: elle perdure même si le contrat tombe par suite de la disparition de son objet d'après certains auteurs. Voy. infra, point 5., pour de plus amples développements sur cette question.
[84] Pour une confirmation de l'opinion selon laquelle l'emphytéose accorde à son titulaire un droit direct sur le bien, voy. Donnay, « L'emphytéose », R.G.E.N., 1974, p. 234.
[85] M. Lambert, « Emphytéose et condition résolutoire tacite », Rev. not. belge, 1988, p. 316.
[86] M. Lambert, o.c., p. 321.
[87] Il est à cet égard largement reconnu que l'obligation de constitution d'un droit réel démembré (tel qu'une emphytéose) constitue une obligation de dare. Voy. not. P. Wéry, « Les obligations de donner, de faire et de ne pas faire », Rép. not., t. IV, Les obligations, Livre 1/1, La théorie générale du contrat, Bruxelles, Larcier, 2010, n° 13. Cette distinction n'est par ailleurs pas nouvelle, puisqu'elle remonte pour l'essentiel à la période romaine (P. Pichonnaz, Les fondements romains du droit privé, Genève-Zurich-Bâle, L.G.D.J., Schulthess Médias Juridiques, Paris, 2008, pp. 342 et s.).
[88] A.-M. Stranart, Réalités et fictions du droit des garanties, Bruxelles, Larcier, 2011, p. 38; P. Wéry, « Les incidences de la force majeure sur les contrats synallagmatiques translatifs de propriété », Rép. not., t. IV, Les obligations, Livre 1/1, La théorie générale du contrat, Bruxelles, Larcier, 2010, n° 579.
[89] Cette question est liée à la notion de « bien » et de « chose » abordée en note 222, et à la question connexe du champ d'application du contrat de vente. Le professeur Lecocq remarque ainsi qu'une compréhension large du droit de propriété qualifierait tous les contrats à titre onéreux de vente (P. Lecocq, Manuel de droit des biens, Bruxelles, Larcier, 2012, t. 1, p. 16).
[90] Pour des développements plus approfondis sur les relations entre droits réels et droits de créance et des références doctrinales plus nombreuses, voy. infra, point 5.
[91] Laurent souligne ainsi que, lors de la constitution ou de la cession d'un droit réel (et pas seulement la pleine propriété), « il se fait donc une mutation, la chose passe du patrimoine d'une personne dans le patrimoine d'une autre personne » (F. Laurent, Principes de droit civil, t. 6, Bruxelles, Bruylant, 1871, n° 73). Voy. égal. P. Vassart, Manuel de droit romain, Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 256. Pour une analyse du caractère instantané ou successif d'une obligation, voy. infra, point 1.3.
[92] Sur le caractère non rétroactif de la résiliation, voy. Partie I. du présent article.
[93] Tel que cité dans Ch. Aubry et Ch. Rau, Cours de droit civil français, t. II, o.c., p. 50.
[94] F. Laurent, Principes de droit civil, t. 6, Bruxelles, Bruylant, 1871, n° 73. Pour rappel en effet, l'obligation de dare s'exécute par principe au moment de l'échange des consentements (A.-M. Stranart, Réalités et fictions du droit des garanties, Bruxelles, Larcier, 2011, p. 38; P. Wéry, « Les incidences de la force majeure sur les contrats synallagmatiques translatifs de propriété », Rép. not., t. IV, Les obligations, Livre 1/1, La théorie générale du contrat, Bruxelles, Larcier, 2010, n° 579).
[95] Il convient de remarquer que le même raisonnement peut être appliqué au droit de superficie, qui s'exécute de la même manière au moment de l'exécution de l'obligation de dare. Il ne s'agit pas non plus ici d'une obligation à exécution successive, mais bien d'une obligation à exécution instantanée.
[96] Comm. Bruxelles (prés.), 25 septembre 1996, J.L.M.B., 1997, p. 161.
[97] Ibid. A l'appui de son jugement, le juge cite notamment A.-M. Stranart, qui en 2011 rappelait encore une position exprimée pour la première fois en 1979: « Le droit réel, bien au contraire, est celui qui s'exerce directement sur les choses, sans l'intervention d'aucun autre sujet de droit. Son caractère fondamental est la création d'un rapport entre une personne et une chose. » (A.-M. Stranart, Réalités et fictions du droit des garanties, Bruxelles, Larcier, 2011, pp. 229-244).
[98] A.-M. Stranart, o.c., pp. 229-244. D'autres auteurs s'attachent plutôt à distinguer les effets d'une dissolution du contrat d'emphytéose selon qu'ils concernent les parties ou les tiers, sans remettre en cause la possibilité de mettre fin sans effet rétroactif à un contrat constitutif d'emphytéose (voy. not. F. Werdefroy, « Beëindiging van erfpacht », Not. Fisc. M., 1994/5, p. 1; V. Sagaert, « Commentaar bij artikel 45, 2°, eerste lid Hyp.W. », in Voorrechten en hypotheken. Artikelsgewijze commentaar, Anvers, Kluwer, 2001, n° 24 »). De nombreux auteurs admettent toutefois des résiliations unilatérales (contractuelles) de droits réels d'emphytéose ou de superficie. Voy. not. A. Culot, B. Goffaux, C. Mostin et H. Vangindertael, « Les biens », Rép. not., t. II, liv. VI, Bruxelles, Larcier, 2004, n° 132-1; P. Lecocq, « Chronique de jurisprudence. Superficie et emphytéose (2001-2008) », in P. Lecocq (dir.), Chronique de jurisprudence en droit des biens, C.U.P., vol. 104, Liège, Anthémis, 2008, n° 29; J. Vandemaele, « De vroegtijdige beëindiging van de erfpacht », Not. Fisc. M., 1996, p. 218; F. Werdefroy, Droits d'enregistrement, t. II, Waterloo, Kluwer, 2010-11, pp. 810 et 1131; S. Procek, « Bail emphytéotique. Quid en cas de renonciation anticipée d'un bail emphytéotique? Des droits d'enregistrement sont-ils dus? », Immobilier, 2011, livre 15, p. 1-2; X. Ulrici, « Analyse des conséquences fiscales de la cessation anticipée des droits réels démembrés immobiliers: emphytéose, superficie et usufruit », R.F.D.L., 2013/3-4, p. 425. Cette tendance est d'ailleurs suivie en jurisprudence. Voy. not. Civ. Bruxelles, 7 avril 2005, R.G.E.N., 2005, n° 25558, p. 441, note A. Culot; Anvers, 29 septembre 2005, R.G.E.N., 2006, n° 25568, p. 17; Cass., 3 décembre 2015, T.B.O., 2016, pp. 317 à 318.
[99] Gand (7e ch.), 7 octobre 2013, R.W., 2014-15, liv. 6, 230.
[100] J. Limpens, La vente en droit belge, Bruxelles, Bruylant, 1960, pp. 716 et s. L'auteur mentionne toutefois à titre d'exception le cas des ventes à prestations successives, c'est-à-dire lorsque le vendeur vend plusieurs biens par étape, et que l'acheteur paie le prix correspondant également en partie. Il s'agit toutefois d'une hypothèse tout à fait différente, qui envisage plusieurs transferts de propriété successifs dans le même cadre juridique (voy. aussi De Page, Traité élémentaire de droit civil, t. II, o.c., n° 826).
[101] Cette situation distingue le droit réel du droit personnel. Voy. à cet égard J. Dabin, Le droit subjectif, Paris, Dalloz, 1952, p. 94.
[102] P. Van Ommeslaghe, « Sûretés issues de la pratique et autonomie de la volonté », in Les sûretés, colloque de Bruxelles des 20 et 21 octobre 1983, Paris, Feduci, pp. 365 et s.
[103] J. Hansenne, Les biens, Liège, éd. Collections scientifiques de la Faculté de droit de Liège, 1996, n° 29.
[104] L'application de la prescription acquisitive aux droits d'emphytéose et de superficie est d'ailleurs confirmée par un arrêt de la cour d'appel de Liège du 26 mai 1999 (R.G.D.C., 2001, p. 110; S. Boufflette, P. Lecocq, R. Popa et A. Salvé, Manuel de droit des biens, t. II, Bruxelles, Larcier, 2016, pp. 397 et 398).
[105] Notamment en le rendant sensible au pouvoir de résiliation du curateur. Voy. le point 5. de la présente partie pour de plus amples développements sur la différence entre droit réel et droit de créance.
[106] Une autre raison pourrait être trouvée dans la différence entre la vente, qui constitue un acte translatif, de la constitution d'une emphytéose, qui constitue un acte constitutif. On notera toutefois, comme le souligne le professeur Lecocq, que « les actes constitutifs sont communément assimilés aux actes translatifs » (P. Lecocq, Le droit des biens, t. I, Bruxelles, Larcier, 2012, n° 7). De Page souligne également que le régime de la vente est généralement appliqué aux contrats constitutifs de droits réels démembrés (H. De Page, Traité élémentaire de droit civil, t. IV, o.c., n° 18).
[107] Voy. supra, Partie II., point 2.
[108] Voy. à cet égard, pour un avis similaire, B. Louveaux, Le droit du bail - Régime général, Bruxelles, De Boeck, 1993, p. 12; M. Lahay et J. Vankerckove, « Le louage des choses - les baux en général », Les Novelles, Bruxelles, Larcier, 2000, p. 7; N. Verheyden-Jeanmart et C. Mostin, « Jouissance d'immeuble: bail et conventions voisines », in Aspects récents du droit des contrats, Bruxelles, éd. du Jeune Barreau, 2001, p. 94.
[109] Pourtant, d'éminents auteurs, confrontés à la difficulté conceptuelle de différencier le bail et l'emphytéose, ont estimé qu'à part la durée (27 ans minimum), aucun critère sûr ne permettait de distinguer les deux concepts (voy. F. Laurent, t. VIII, nos 353 à 360, Durand & Pedone, Paris, 1869; De Page, Traité élémentaire de droit civil, t. VI, o.c., n° 715, C).
[110] Vareilles-Sommieres (marquis de), « La définition et la notion juridique de la propriété », Rev. trim. dr. civ., 1905, p. 455.
[111] Or, comme le rappelle J. Limpens, les mécanismes de résiliation sont à réserver aux contrats à exécution successive (J. Limpens, La vente en droit belge, Bruxelles, Bruylant, 1960, p. 716).
[112] Voy. supra, Partie I., point 1.
[113] Civ. Liège, 4 avril 2006, F.J.F., No. 2008/23; E. Sanzot, « Le financement des opérations de démembrement », Jurim Pratique, 2009/3, pp. 27-64.
[114] S. Boufflette, P. Lecocq, R. Popa et A. Salvé, Manuel de droit des biens, t. II, Bruxelles, Larcier, 2016, p. 397.
[115] La doctrine classique applique d'ailleurs les mêmes solutions, en termes d'effet rétroactif de la résolution et de restitution, que le prix ait déjà été payé ou soit en cours de paiement échelonné (soit, par une série d'obligations successives). Cette considération n'est en effet pas de nature à modifier leur conclusion selon laquelle le transfert de propriété est intervenu et qu'il est impossible de revenir sur cet état de fait par une simple résiliation (voy. not. J. Limpens, La vente en droit belge, Bruxelles, Bruylant, 1960).
[116] F. Laurent, Principes de droit civil, t. 6, Bruxelles, Bruylant, 1871, n° 73.
[117] C. Lefebve, « Les effets de la résolution judiciaire des contrats successifs », Rev. not. belge, 1986, p. 228.
[118] Nous remarquons que deux visions, l'une française, et l'autre belge, entourent la notion de contrat à exécution successive, lorsque le contrat prévoit des obligations, certes successives (à tout le moins dans le chef d'une partie), mais pas non parallèles, de sorte qu'il ne s'agit pas pour les deux parties d'exécuter en parallèle des obligations de même importance, d'une telle façon que le contrat puisse être interrompu à tout moment sans créer un déséquilibre entre les parties. En France, la doctrine et la jurisprudence qualifient majoritairement ces contrats de contrats successifs mais indivisibles (G. Briere De L'isle, « De la notion de contrat successif », Dall., 1957, Chron. XXV, p. 55; Cass. civ. fr., 28 avril 1971, Dall., 1971, p. 608; Cass. civ. fr., 4 mai 1989, Dall., 1898, I, 457, note Planiol). La doctrine belge par contre ne semble pas admettre cette distinction, et semble classer majoritairement ces contrats dans les contrats à exécution instantanée (P. Van Ommeslaghe, « Examen de jurisprudence », R.C.J.B., 1975, p. 622; C. Lefebve, « Les effets de la résolution judiciaire des contrats successifs », Rev. not. belge, 1986, p. 228). Tous s'accordent toutefois pour admettre que la dissolution d'un tel contrat doit nécessairement être rétroactive.
[119] Il convient évidemment de réserver le cas des contrats cadres de vente, qui peuvent eux être résiliés sans difficulté, puisqu'il s'agit de l'exécution successive de plusieurs obligations de dare, correspondant chaque fois au paiement d'un prix.
[120] P. Vassart, Manuel de droit romain, Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 256.
[121] M. Fontaine, « La rétroactivité de la résolution des contrats pour inexécution fautive », note sous Cass., 8 octobre 1987, R.C.J.B., 1990, section IV.
[122] Cass., 4 juin 2004, J.L.M.B., 2004, p. 1714.
[123] P. Van Ommeslaghe, Traité de droit civil belge, Bruxelles, Bruylant, 2013, p. 902; R. Jafferali, La rétroactivité dans le contrat, Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 968.
[124] P. Van Ommeslaghe, o.c., p. 902.
[125] Comme le soulève R. Jafferali, « (…) il existe [toutefois] une controverse sur le point de savoir si les contrats successifs comprennent uniquement les contrats à exécution continue (tels qu'un bail) ou incluent également les contrats à prestations échelonnées (tel qu'une vente à tempérament). Voy. à ce propos P. Van Ommeslaghe, Traité de droit civil belge, t. II, Les obligations, n° 68; P. Wéry, Droit des obligations, vol. 1, o.c., n° 75, p. 99) » (R. Jafferali, Actualités en droit général des contrats, Bruxelles, Bruylant, 2016, p. 156, note 117).
[126] P. Van Ommeslaghe, o.c., p. 902.
[127] R. Jafferali, analysant en détail la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de contrats à exécution successive, propose à cet égard une vision qui nous paraît conduire à une même analyse (R. Jafferali, La rétroactivité dans le contrat, Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 973). Selon cet auteur, la distinction entre contrats à exécution successive et instantanée peut être résolue en utilisant le critère de la divisibilité des obligations réciproques. Il en conclut qu'une vente, peu importe les modalités de paiement du prix, ne peut jamais être dissolue sans effet rétroactif, précisément parce que le vendeur s'est déjà exécuté (exécution de l'obligation de dare). Or, l'emphytéote a de la même manière entièrement exécuté son obligation de dare, nonobstant les modalités de paiement du canon.
[128] Sauf évidemment si le canon est payé en un paiement unique, auquel cas l'exécution des obligations réciproques (dare et paiement) est bien parallèle mais le caractère instantané du contrat dans ce cas est encore moins sujet à discussion.
[129] Remarquons par ailleurs qu'en matière de faillite, le vocabulaire utilisé est plutôt celui de « contrats en cours » et que les auteurs s'interrogent sur la portée exacte de cette notion. Si, pour certains auteurs, cette notion s'assimile à la notion civile de contrats à exécution successive (voy. not. X. Dieux et C. Alter, « Observations sur la nature juridique de la monnaie scripturale », in Liber amicorum Jacques Malherbe, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 398, note 50), d'autres auteurs soutiennent que ce concept propre au droit de la faillite doit recevoir une interprétation propre (E. Dirix, « Faillissement en lopende overeenkomsten », R.W., 2003-04, p. 202; A. De Wilde, Boedelschulden in het insolventierecht, Anvers, Intersentia, 2005, p. 171). Quelle que soit l'analyse retenue, elle ne porte à notre avis en rien atteinte à l'impossibilité pour le curateur de revenir, au travers d'un pouvoir non rétroactif, sur des prestations déjà effectuées. Les auteurs précités s'accordent d'ailleurs tous pour ne viser que les contrats dont l'exécution « n'était pas encore parfaite à ce moment » (E. Dirix, o.c., p. 202).
[130] A.-M. Stranart, Réalités et fictions du droit des garanties, Bruxelles, Larcier, 2011, p. 38; P. Wéry, « Les incidences de la force majeure sur les contrats synallagmatiques translatifs de propriété », Rép. not., t. IV, Les obligations, Livre 1/1, La théorie générale du contrat, Bruxelles, Larcier, 2010, n° 579.
[131] Pour des réflexions plus approfondies sur cette notion d'obligation passive universelle, voy. infra, point 5.
[132] Voy. not. Civ. Bruxelles, 7 avril 2005, R.G.E.N., 2005, n° 25558, p. 441, note A. Culot; Anvers, 29 septembre 2005, R.G.E.N., 2006, n° 25568, p. 17; Cass., 3 décembre 2015, T.B.O., 2016, pp. 317 à 318.
[133] A.-M. Stranart, o.c., pp. 229-244. D'autres auteurs s'attachent plutôt à distinguer les effets d'une dissolution du contrat d'emphytéose selon qu'ils concernent les parties ou les tiers, sans remettre en cause la possibilité de mettre fin sans effet rétroactif à un contrat constitutif d'emphytéose (voy. not. F. Werdefroy, « De beëindiging van erfpacht », Not. Fisc. M., 1994/5, p. 1; V. Sagaert, « Commentaar bij artikel 45, 2°, eerste lid Hyp.W. », in Voorrechten en hypotheken. Artikelsgewijze commentaar, Anvers, Kluwer, 2001, n° 24). De nombreux auteurs admettent toutefois des résiliations unilatérales (contractuelles) de droits réels d'emphytéose ou de superficie. Voy. not. A. Culot, B. Goffaux, C. Mostin et H. Vangindertael, « Les biens », Rép. not., t. II, liv. VI, Bruxelles, Larcier, 2004, n° 132-1; P. Lecocq, « Chronique de jurisprudence. Superficie et emphytéose (2001-2008) », in P. Lecocq (dir.), Chronique de jurisprudence en droit des biens, C.U.P., vol. 104, Liège, Anthémis, 2008, n° 29; J. Vandemaele, « De vroegtijdige beëindiging van de erfpacht », Not. Fisc. M., 1996, p. 218; F. Werdefroy, Droits d'enregistrement, t. II, Waterloo, Kluwer, 2010-11, pp. 810 et 1131; S. Procek, « Bail emphytéotique. Quid en cas de renonciation anticipée d'un bail emphytéotique? Des droits d'enregistrement sont-ils dus? », Immobilier, 2011, livre 15, pp. 1-2; X. Ulrici, « Analyse des conséquences fiscales de la cessation anticipée des droits réels démembrés immobiliers: emphytéose, superficie et usufruit », R.F.D.L., 2013/3-4, p. 425.
[134] Voy. à cet égard infra, point 4.
[135] Les incohérences du système se retrouvent à notre avis notamment dans les différences significatives ainsi créées entre la vente et l'emphytéose, pourtant toutes les deux créées par l'exécution d'une obligation de dare (voy. supra, point 1.2.), dans la grande difficulté que rencontrent la jurisprudence, la doctrine et les praticiens à différencier le bail de l'emphytéose et à éviter les requalifications (voy. ce point et le point 5., infra) et dans l'absence de fondement juridique valable qui justifierait la différence ainsi créée entre les droits réels principaux et les droits réels accessoires (voy. infra, point 3.).
[136] Sur le fait que le droit d'emphytéose s'accompagne d'un droit de suite et de préférence, voy. not. H. De Page, Traité élémentaire de droit civil, t. VI, Bruxelles, Bruylant, p. 591.
[137] Pour une analyse approfondie du droit de suite, voy. not. M. Grégoire, « L'hypothèque et le mandat hypothécaire », Jurim Pratique, 2009/3, pp. 113 et s.
[138] Y. Loussouarn, P. Bourel et P. De Vareilles-Sommieres, Droit international privé, 9e éd., Dalloz, 2007, n° 168, p. 209.
[139] F. Laurent, Principes de droit civil, t. 6, Bruxelles, Bruylant, 1871, n° 73.
[140] Voy. infra, point 3., pour une analyse plus détaillée de cette question dans le cadre des droits réels accessoires.
[141] L.-Ph. Marcelis, « Les aspects notariaux de l'aliénation d'immeubles par démembrement du droit de propriété », Séminaire l'Echo, 6 octobre 2004, p. 22. Voy. égal., en droit français, Cass. fr., 6 mars 1861, Dall. pér., 1861, I.
[142] Qui permet aux parties de déroger à la grande majorité des articles de la loi (à l'exception de celui relatif à la durée).
[143] Voy. à cet égard M. Donnay, « L'emphytéose », R.G.E.N., 1974, p. 213.
[144] On remarquera à cet égard que le législateur, en utilisant le terme « poursuivre », fait référence à un concept de droit civil très clair: la résiliation (voy. Partie I., point 3). Puisqu'il ne semble pas avoir voulu déroger à la notion de résiliation, il n'y a pas de raison d'étendre la prérogative du curateur à un pouvoir de résolution. Il y a par ailleurs lieu de conclure que la solution admise pour la résiliation du curateur vaut pour tout type de résiliation.
[145] A.-S. Gigot, « L'opposabilité de la clause de réserve de propriété en cas de procédures collectives d'insolvabilité », R.D.C., 2011/6, pp. 535 et s.
[146] A.-S. Gigot, o.c., pp. 511 et s.
[147] F. Georges, « La réforme des sûretés mobilières », R.D.C., 2013, p. 366.
[148] Voy. p. ex. Cass., 3 décembre 2010, N.J.W., 2010, p. 834. En toute hypothèse, il convient de souligner que l'article 46 était absent des débats. Pourtant, il s'agissait bien d'une convention de vente attribuant le droit de propriété à un tiers, à l'image de la convention d'emphytéose attribuant un droit d'emphytéose à un tiers. Cette « différence de traitement », dans le sens constitutionnel du terme, démontre encore la perception différente qui existe entre deux contrats d'attribution d'un droit réel, qu'il s'agisse de la pleine propriété ou d'un droit réel de jouissance. Cette différence de traitement n'est à notre estime pas justifiée (pour une position de principe similaire, voy. H. De Page, Traité élémentaire de droit civil, t. IV, o.c., n° 18).
[149] J. Hansenne, Les biens, Liège, éd. Collections scientifiques de la Faculté de droit de Liège, 1996, nos 22 et 25.
[150] Voy. supra, Partie II., point 4.
[151] Pour un parallèle entre l'application d'un raisonnement à un droit réel principal et accessoire, voy. Ch. Aubry et Ch. Rau, Cours de droit civil français, t. II, o.c., p. 50.
[152] A. Zenner et C. Alter, « Faillites et contrats en cours: état de la question après l'arrêt de la Cour de cassation du 10 avril 2008 », J.T., 2008/26, n° 6318, pp. 470-472.
[153] X. Dieux et C. Alter, « Observations sur la nature juridique de la monnaie scripturale (spécialement en relation avec l'opposabilité au tiers des comptes qualifiés) », Liber Amicorum Jacques Malherbe, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 383.
[154] Si le raisonnement nous paraît indiscutable, soulignons toutefois qu'il s'agit d'un raisonnement par l'absurde. Le raisonnement que nous proposons nous paraît apporter une justification théorique à une solution intuitivement évidente.
[155] T. Hürner, « La poursuite des contrats en cours en cas de faillite: essai de rationalisation », J.T., 2008, p. 348.
[156] Cette insertion est d'autant plus utile que, comme le soulève le professeur Lecocq, un doute subsiste en pratique sur la possibilité de faire application du droit commun pour invoquer la résolution du contrat en cas d'inexécution de l'obligation de payer le canon (P. Lecocq, Chroniques notariales, vol. 48, Bruxelles, Larcier, 2008, p. 127).
[157] Cass., 30 mars 2006, Pas., 2006, p. 720. A cet égard, voy. égal. Mons, 4 mai 1998, J.L.M.B., 1999, p. 444; Y. Herinckx, Financement des projets immobiliers, quelques aspects juridiques particuliers, 6 octobre 2004, non publié.
[158] Pour une analyse détaillée de cet arrêt, voy. not. V. Sagaert et M. Somers, « Erfpacht, ontbinding en faillissement: een complexe trilogie », T. Not., 2008, pp. 78 et s. Voy. aussi F. George, « Faillite et (in)exécution du contrat: questions choisies », in P. Wéry (dir.), Chronique de jurisprudence en matière de contrats spéciaux, C.U.P., Liège, Anthémis, 2011, n° 47; V. Waterkeyn, « L'emphytéose et les clauses et conditions résolutoires », note sous Cass., 30 mars 2006, R.G.D.C., 2008, p. 96.
[159] C. Mostin, A. Culot, B. Goffaux et J. Thilmany, « La résolution de l'acte constitutif. a) Action en résolution basée sur l'article 1184 du Code civil », Rép. not., t. II, Les biens, Livre 6, Emphytéose et superficie, Bruxelles, Larcier, 2015, n° 101.
[160] Voy. not. V. Sagaert et M. Somers, « Erfpacht, ontbinding en faillissement: een complexe trilogie », T. Not., 2008/2, n° 28.
[161] Voy. supra, Partie II., point 1.
[162] Voy. à cet égard Partie I. et la différence entre résiliation et résolution.
[163] C. Mostin, A. Culot, B. Goffaux et J. Thilmany, o.c., n° 101; P. Dehan, « L'utilisation actuelle de l'emphytéose, de la superficie, du bail et du mandat à des fins autres que celles prévues par le législateur », in Le droit de la construction et de l'urbanisme, Bruxelles, éd. du Jeune Barreau, 1976, p. 514, n° 52.
[164] P. Lecocq, Chroniques notariales, vol. 48, Bruxelles, Larcier, 2008, p. 127.
[165] Voy. supra, Partie I., point 1.
[166] Cass., 13 décembre 1985, Pas., 1986, I; Cass., 31 janvier 1991, Pas., 1991, I, p. 520; Cass., 6 décembre 2007, Pas., 2007. Pour une opinion similaire en matière de droits réels, voy. not. R. Jafferali, La rétroactivité dans le contrat, Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 973. Voy. égal. J. Baeck, « Retroactiviteit of relativiteit? », R.G.D.C., 2009, p. 361.
[167] Cass., 17 mai 1999, R.G.E.N., 2000, n° 25016, p. 152.
[168] Le Professeur Lecocq conclut néanmoins que ce terme est difficilement conciliable avec la notion de résolution. Voy. P. Lecocq, « Superficie et emphytéose », in Le point sur le droit des biens, vol. 42, C.U.P., Liège, 2000, p. 156.
[169] Or, on le sait, le régime de l'article 555 mène à une solution tout à fait différente. Voy. à cet égard Cass., 3 février 2011, Pas., 2011/2, pp. 398-423. Pour une analyse du régime de l'article 555, voy. not. la remarquable analyse du professeur Hansenne (J. Hansenne, Les biens. Précis, Liège, éd. Collection scientifique de la Faculté de droit de l'Université de Liège, 1996, nos 690 et s.). Voy. égal. P. Lecocq, « Superficie et emphytéose. Actualités législatives et jurisprudentielles », in P. Lecocq (dir.), Les droits réels démembrés, Bruxelles, Larcier, 2014, pp. 162 et 163.
[170] Voy. not., pour le caractère instantané d'une obligation de constitution d'un droit réel démembré (en l'espèce de gage), Comm. Bruxelles (prés.), 25 septembre 1996, J.L.M.B., 1997, p. 161; voy. égal. supra, Partie III., points 2 et 3.
[171] Voy. supra, Partie I., point 2.
[172] P. Lecocq, o.c., p. 156; M. Fontaine, « La rétroactivité de la résolution des contrats pour inexécution fautive » (note sous Cass., 8 octobre 1987), R.C.J.B., 1990, p. 379. Sur la question du caractère successif ou instantané du contrat d'emphytéose, voy. supra, Partie II., point 1.3.
[173] Infra, Partie I., point 2.
[174] F. Laurent, Principes de droit civil français, t. XVII, o.c., n° 154; R. Jafferali, La rétroactivité dans le contrat, Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 954. Comme le souligne ce dernier auteur, la doctrine admet toutefois parfois des tempéraments.
[175] H. De Page, Traité élémentaire de droit civil, o.c., t. V, n° 167. C'est notamment le cas de l'article 549 du Code civil, qui dispense le possesseur de bonne foi de la restitution des fruits. Voy. égal., à propos du sort des actes d'administration, P. Harmel, « Tempéraments au principe. a) En matière immobilière », Rép. not., t. VII, La vente, Livre 1, Vente - Théorie générale, Bruxelles, Larcier, 1985, n° 566.
[176] R. Jafferali, La rétroactivité dans le contrat, Bruxelles, Bruylant, 2014.
[177] Cass., 9 septembre 2013, P.10.1836.N, disponible sur le site de la Cour.
[178] J. Hansenne, Les biens. Précis, Liège, éd. Collection scientifique de la Faculté de droit de l'Université de Liège, 1996, n° 22.
[179] F. Laurent, Principes de droit civil, Bruxelles, Bruylant, 1871, t. VI, n° 75. Voy. not., pour des auteurs défendant la vision classique: A. Montpetit et G. Taillefer, Traité de droit civil du Québec, t. 1, Montréal, Wilson & Lafleur, 1945, p. 17; C. Beudant, Cours de droit civil français, IV, 2e éd., Paris, Rousseau & Cie, 1938, p. 46; G. Ripert et J. Boulanger, Traité de droit civil, t. I, Paris, L.G.D.J., 1956, p. 290; J.-G. Cardinal, « La propriété immobilière, ses démembrements, ses modalités », (1965-66) 67 R. du N.21\, p. 280; J. Carbonnier, Droit civil, t. II, Les biens et les obligations, Paris, P.U.F., 1967, p. 33; G. Marty et P. Raynaud, o.c., note 6, p. 482; A. Colin et H. Capitant, Traité de droit civil, t. I, Paris, Dalloz, 1957, p. 55.
[180] A.-B. D'Hondt, « Les relations contractuelles entre le propriétaire de la maison de repos et l'exploitant », Jurim Pratique, 2010/2, p. 35.
[181] E. Poulin, « L'hypothèque de la chose d'autrui », Les cahiers de droit, 1989, vol. 30, n° 2, p. 288. L'auteur synthétise la vision des auteurs classiques. Voy. égal. A.-M. Stranart, Réalités et fictions du droit des garanties, Bruxelles, Larcier, 2011, pp. 229-244.
[182] J. Hansenne, « La limitation du nombre de droits réels et le champ d'application du concept de service foncier », note sous Cass., 16 septembre 1966, R.C.J.B., 1968, pp. 176-177. Voy. égal. les références citées en note 12 pour d'autres auteurs défendant la théorie classique.
[183] J. Dabin, « Une nouvelle définition du droit réel », Rev. trim. dr. civ., 1962, p. 29.
[184] H. De Page, Traité élémentaire de droit civil, t. V, o.c., n° 820.
[185] F. Laurent, Principes de droit civil, t. 6, Bruxelles, Bruylant, 1871, n° 75.
[186] M. Planiol et G. Ripert, Traité de droit civil français, t. III, Paris, L.G.D.J., 1926, p. 42.
[187] R. Martin, « De l'usage des droits et particulièrement du droit de propriété », Rev. trim. dr. civ., 1975, pp. 58-59.
[188] M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. I, Paris, L.G.D.J., 1926, n° 2160.
[189] H. De Page, Traité élémentaire de droit civil, t. I, o.c., n° 128. Cette thèse a suscité de vives controverses en doctrine, au point que certains auteurs ont proposé d'abandonner la distinction entre droits réels et droits personnels, au profit d'une distinction entre droits à contenu fort et droits à contenu faible (H. De Page, Traité élémentaire de droit civil, t. V, o.c., n° 128 et références citées en note 3).
[190] H. Michas, Le droit réel considéré comme une obligation passive universelle, thèse, Paris, 1900; M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, t. 1, 6e éd., Paris, L.G.D.J., 1911, nos 2159-2160, pp. 658 et s.; C. Prodan, Essai d'une théorie générale des droits réels, thèse, Paris, 1909; R. Queru, Synthèse du droit réel et du droit personnel, Paris, V. Giard et E. Briere, 1905; R. Basque, De la distinction des droits réels et des obligations, thèse, Montpellier, 1914; P. Coste-Floret, La nature juridique de la propriété, Paris, Sirey, 1935; B. Minei, Essai sur la nature juridique des droits réels et des droits de créance, thèse, Paris, 1912; J.-L.-E. Ortolan, Généralisation du droit romain, t. 1, 7e éd., Paris, E. Plon, 1863, pp. 486-487 et E. Roguin, La règle de droit, Lausanne, Rouge, 1889, pp. 207 et s.
[191] C. Beudant, Cours de droit civil français, IV, 2e éd., Paris, Rousseau & Cie, 1938, p. 46; H. Aberkane, Essai d'une théorie générale de l'obligation propter rem en droit positif, thèse, Alger, 1957; M. De Juglart, Obligation réelle et servitude, thèse, Bordeaux, 1937; G. Ripert et J. Boulanger, Traité de droit civil, t. I, Paris, L.G.D.J., 1956, p. 290; J.-G. Cardinal, « La propriété immobilière, ses démembrements, ses modalités », (1965-1966) 67 R. du N.21\, p. 280; E. Roguin, La règle de droit, F. Rouge, Lausanne, 1889 et E. Roguin, La science juridique pure, Lausanne, F. Rouge, 1922-1923; H. Michas, Le droit réel considéré comme une obligation passive universelle, thèse, Paris, 1900; L. Rigaud, Le droit réel, histoire et théorie, thèse, Toulouse, 1912; F. Zenati, Essai sur la nature juridique de la propriété. Contribution à la théorie du droit subjectif, thèse, Univ. Jean Moulin, Lyon, 1981.
[192] S. Ginossar, Droit réel, propriété et créance. Essai d'élaboration d'un système rationnel des droits patrimoniaux, Paris, L.G.D.J., 1960, pp. 17-18. S. Ginossar s'interroge notamment sur les points suivants, comme le soulève S. Laval: « Comment se fait-il que le droit de créance, droit censément relatif, se double d'une obligation passive universelle? Comment se fait-il que dans le droit réel sur la chose d'autrui, le propriétaire de la chose grevée d'un tel droit est tenu, outre l'obligation passive universelle, d'une obligation plus stricte? Comment certaines obligations peuvent-elles être imposées au propriétaire d'un bien de telle manière qu'elles se transmettent à tous les propriétaires successifs? » (S. Laval, « L'identification de la règle de conflit applicable aux contrats créateurs de droits réels », in Le tiers et le contrat, Bruxelles, Larcier, 2016, p. 120).
[193] S. Ginossar, Droit réel, propriété et créance, Paris, L.G.D.J., 1960, p. 112. L'auteur semble toutefois considérer que le droit de propriété est finalement le seul droit réel.
[194] J. Hansenne, Les biens, Liège, éd. Collections scientifiques de la Faculté de droit de Liège, 1996, n° 28.
[195] Voy. aussi S. Ginossar, Droit réel, propriété et créance, o.c., n° 46.
[196] J. Hansenne, o.c., n° 29.
[197] J. Hansenne, o.c., n° 28.
[198] Sur le caractère essentiel des droits réels qu'est la relation directe entre la chose et le titulaire du droit et par voie de conséquence l'absence d'intermédiaire, voy. not. A.-M. Stranart, Réalités et fictions du droit des garanties, Bruxelles, Larcier, 2011, pp. 229-244.
[199] Pour une vision similaire quant à l'importance du moment de l'exécution des obligations pour la classification des droits, voy. J. Dabin, « Une nouvelle définition du droit réel », Rev. trim. dr. civ., 1962, p. 29. Il convient également de réserver le cas des obligations réelles accessoires, qui peuvent être positives (voy. infra, note 502).
[200] A cet égard, le consensus en doctrine selon lequel la sanction d'un droit d'emphytéose d'une durée de moins de 27 ans serait la requalification en bail pose problème. Compte tenu de la différence essentielle de nature entre un bail et une emphytéose, nous pensons qu'une requalification d'un droit réel en un droit de créance est une dénaturation importante, qui ne peut jouer qu'un rôle subsidiaire. Selon le cas, une prolongation du contrat, une conversion en un autre droit réel ou une nullité peuvent selon nous être envisagés par priorité. Voy., pour une opinion contraire, not. N. Verheyden-Jeanmart et C. Mostin, « Jouissance d'immeuble: bail et conventions voisines », in Aspects récents du droit des contrats, Bruxelles, éd. du Jeune Barreau, 2001, n° 29, p. 119.
[201] Henri De Page reprend aussi cette expression selon laquelle le propriétaire n'aurait plus rien à faire. Voy. H. De Page, Traité élémentaire de droit civil, o.c., t. V, n° 820.
[202] J. Hansenne, Les biens, Liège, éd. Collections scientifiques de la Faculté de droit de Liège, 1996, n° 28. D'après nous, cette différence est plutôt la conséquence d'une différence de nature plus profonde.
[203] Sur la même idée qu'il ne serait pas possible pour le concédant d'un droit réel de revenir en arrière, voy. Ch. Aubry et Ch. Rau, Cours de droit civil français, t. II, o.c., p. 50.
[204] Notons toutefois que Henri De Page, analysant la thèse personnaliste, notait « Qu'un droit réel n'ait aucun sujet passif, ou qu'il ait, comme sujets passifs, tous les individus autres que le titulaire du droit, cela importe fort peu parce que la caractéristique du droit réel sera toujours de s'exercer directement sans l'intermédiaire de personne. » (H. De Page, Traité élémentaire de droit civil, o.c., t. V, n° 129). Il ne faudrait pas, à l'aune d'une interprétation personnaliste des droits réels, rompre ce rapport direct qu'a le titulaire du droit sur sa chose.
[205] H. De Page, Traité élémentaire de droit civil, o.c., t. V, n° 821.
[206] J.-F. Romain, Actualités en droit général des contrats, Bruxelles, Bruylant, 2016, pp. 252 et s. Le professeur Romain insiste en particulier sur la connaissance d'un droit, réel ou personnel, comme critère de l'obligation de respect.
[207] Le professeur Hansenne égalemment utilisait cette terminologie du devoir de respect. Voy. not. J. Hansenne, « La limitation du nombre de droits réels et le champ d'application du concept de service foncier », note sous Cass., 16 septembre 1966, R.C.J.B., 1968, p. 181.
[208] Pour une distinction entre devoir et obligation (contractuelle), voy. J.-F. Romain, Actualités en droit général des contrats, Bruxelles, Bruylant, 2016, nos 23 et s. Les critères développés pour distinguer l'obligation du devoir nous paraissent tout à fait compatibles avec la qualification de « devoir » dans laquelle nous tentons de ranger l'obligation, pour le bailleur emphytéotique, de respecter la jouissance de l'emphytéote. La différence avec le contrat de bail est ici aussi marquée, puisqu'il s'agira par contre bien d'une obligation et non d'un devoir, dans le chef du bailleur.
[209] Pour une opinion similaire, voy. J. Dabin, « Une nouvelle définition du droit réel », Rev. trim. dr. civ., 1962, p. 20. Cette thèse est toutefois loin d'être unaniment partagée en doctrine. Voy not. Rigaud, Le droit réel, Histoire et théories, thèse, pp. 159 et s.; J. Hansenne, « La limitation du nombre de droits réels et le champ d'application du concept de service foncier », note sous Cass., 16 septembre 1966, R.C.J.B., 1968, p. 181.
[210] J. Hansenne, « La limitation du nombre de droits réels et le champ d'application du concept de service foncier », note sous Cass., 16 septembre 1966, R.C.J.B., 1968, p. 181, note 26.
[211] La confusion pourrait s'expliquer par le fait qu'en parallèle de cette obligation de dare, créatrice d'un devoir de respect propre aux tiers, le vendeur ou le propriétaire constituant un droit réel démembré restent titulaires d'obligations personnelles de facere et de non facere, telles que l'obligation de garantir le cessionnaire contre ses propres troubles de fait. Ces droits, qui trouvent leur source dans le contrat et ne sont pas constitutifs de droits réels (l'obligation de garantie ne s'impose pas aux acquéreurs successifs du tréfonds), existent bel et bien, mais en parallèle de l'obligation de respect (ces obligations personnelles ne doivent toutefois pas être confondues avec des obligations réelles accessoires, le cas échéant positives, telles que l'obligation d'assurer les grosses réparations en matière d'usufruit (art. 605 et 606 C. civ.)). Autrement dit, face à un trouble de fait commis par le vendeur ou le bailleur emphytéotique, l'acheteur ou emphytéote pourra activer parallèlement deux actions: une action sur la base du contrat et une autre sur la base de son droit réel. Face à un bailleur emphytéotique acquéreur du tréfonds par contre, seule l'action se fondant sur le droit réel sera disponible. Mais il ne conviendrait pas, sous prétexte que les deux droits existent en parallèle, d'oublier le second, surtout lorsqu'il présente des caractéristiques (résister à une résiliation) que le premier n'a pas forcément.
[212] Comme évoqué supra, la qualification d'obligation de dare en matière de constitution d'emphytéose ne fait pourtant pas de doute (P. Wéry, « Les obligations de donner, de faire et de ne pas faire. », Rép. not., t. IV, Les obligations, Livre 1/1, La théorie générale du contrat, Bruxelles, Larcier, 2010, n° 13).
[213] A.-M. Stranart, Réalités et fictions du droit des garanties, Bruxelles, Larcier, 2011, p. 38; P. Wéry, « Les incidences de la force majeure sur les contrats synallagmatiques translatifs de propriété », Rép. not., t. IV, Les obligations, Livre 1/1, La théorie générale du contrat, Bruxelles, Larcier, 2010, n° 579.
[214] P. Wéry, « Les obligations de donner, de faire et de ne pas faire », o.c., n° 13.
[215] J. Hansenne, Les biens, Liège, éd. Collections scientifiques de la Faculté de droit de Liège, 1996, n° 29.
[216] Ibid.
[217] S. Laval, « L'identification de la règle de conflit applicable aux contrats créateurs de droits réels », in Le tiers et le contrat, Bruxelles, Larcier, 2016, p. 121.
[218] F. Zenati-Castaing, Essai sur la nature juridique de la propriété, Contribution à la théorie du droit subjectif, thèse, Lyon III, 1981, n° 17; Ph. Malaurie et L. Aynes, Les biens, 5e éd., coll. Droit civil, Paris, Defrénois, 2013, p. 123.
[219] F. Zenati-Castaing, Essai sur la nature juridique de la propriété, o.c., nos 529 et s.
[220] S. Ginossar, Droit réel, propriété et créance, o.c., n° 12, p. 33: « La propriété n'est donc autre chose que la relation par laquelle une chose appartient à une personne, par laquelle elle est à lui, elle est sienne. »
[221] S. Laval, « L'identification de la règle de conflit applicable aux contrats créateurs de droits réels », in Le tiers et le contrat, Bruxelles, Larcier, 2016, p. 121; J. Duclos, L'opposabilité. Essai d'une théorie générale, coll. Bibl. dr. privé, t. 179, L.G.D.J., 1984, p. 170.
[222] Les notions de « bien » et de « chose », importantes pour définir les droits (réels et personnels), ont fait l'objet de nombreuses réflexions et oppositions (voy. not. les synthèses du professeur Lecocq (P. Lecocq, Manuel de droit des biens, Bruxelles, Larcier, 2012, t. 1, pp. 11 et s.) et de Bernard Vanbrabant (B. Vanbrabant, La propriété intellectuelle, t. 1, Nature juridique, Bruxelles, Larcier, 2016, pp. 420 et s.)).

Certains auteurs ont proposé d'étendre la notion de biens à toute valeur patrimoniale (P. Lecocq, Manuel de droit des biens, Bruxelles, Larcier, 2012, t. I, pp. 11 et s.). Dans cette conception la plus large, ce n'est pas tant la voiture en tant que telle qui constitue un bien, mais le droit de propriété sur celle-ci, ou encore le droit de créance de se voir retourner la voiture après réparation. Il s'agirait d'autant de valeurs patrimoniales, et partant de biens. Cette analyse, qui nous paraît conceptuellement exacte, ne nous satisfait pas, dans la mesure non seulement où (i) elle crée une confusion quant au champ d'application de la vente, chaque cession ou concession de droit pouvant alors in fine s'analyser en une vente de la propriété du bien que constitue ledit droit, mais où en outre (ii) elle est pédagogiquement contre-intuitive, et pose la réflexion à un stade d'abstraction correcte, mais de notre point de vue inutile.

Il nous paraît plus simple, et tout autant exact, de considérer la vision suivante: les immeubles, les objets mobiliers et les valeurs incorporelles sont autant de réalités qui existent physiquement ou psychologiquement, en dehors de toute vérité juridique. C'est le cas d'une voiture comme d'une image de marque. Le système juridique permet d'obtenir des droits sur ces réalités, de façon à pouvoir les utiliser et protéger son utilisation de ces réalités contre les agressions des tiers. Ces droits peuvent être personnels ou réels. Lorsqu'ils sont personnels, ils consistent à avoir le droit d'obtenir une prestation d'un tiers en rapport avec cette réalité (p. ex. un droit au bail sur un immeuble). Lorsqu'ils sont réels, ils consistent à pouvoir faire quelque chose directement sur/avec cette réalité. C'est dans ce second cas que le droit se confond avec la réalité. On pourrait dès lors distinguer, dans cette optique, des droits (toujours des droits personnels) et des biens (toujours des droits réels), la vente s'appliquant aux biens. La présente analyse sort toutefois du cadre du présent travail, et nous renvoyons pour le surplus aux références citées supra.
[223] On remarquera d'ailleurs que la thèse défendue dans la présente contribution peut parfaitement s'envisager indépendamment du niveau de lecture adopté. Ainsi, envisageant le droit d'emphytéose au même niveau que le droit de propriété (comme nous le faisons classiquement dans la présente contribution), nous avançons la thèse que le droit d'emphytéose sur bien a transféré pour le tout l'usus et le fructus de ce bien en dehors du patrimoine du débiteur (le bailleur emphytéotique), et partant en dehors de sa portée, de sorte qu'il n'a plus aucune obligation. Il pourrait également être défendu, envisageant le droit de propriété à un niveau supérieur au droit d'emphytéose, que la « propriété » du bien « droit d'emphytéose sur la maison » a quitté le patrimoine du débiteur, sans modifier nos conclusions en termes de contrôle direct, qui s'intéressent davantage au moment du transfert et à l'ampleur de la maîtrise sur la chose.
[224] Par ailleurs, en envisageant la propriété à un niveau supérieur, et en faisant finalement le moyen d'appropriation par lequel l'individu détient tous ses droits, réels ou personnels, le risque est grand non seulement de réduire toute opération juridique à une vente, mais en outre, en parallèle du danger que nous évoquions juste avant, de dénaturer la notion spécifique de droit de propriété, en tant que droit réel propre (J. Dabin, « Une nouvelle définition du droit réel », o.c., p. 27).
[225] F. Zenati-Castaing, Essai sur la nature juridique de la propriété. Contribution à la théorie du droit subjectif, Thèse, Lyon III, 1981, n° 17; Ph. Malaurie et L. Aynes, Les biens, 5e éd., coll. Droit civil, Paris, Defrénois, 2013, p. 123.
[226] Le sort réservé à ces obligations accessoires positives mériterait une étude approfondie. Ces obligations supposent en effet que le débiteur s'exécute positivement, en effectuant une prestation. Peut-on admettre, à l'égard de ces obligations, que leur exécution s'opère au moment de l'échange des consentements? Cette thèse pose problème, puisque cela reviendrait à donner le statut d'obligation à exécution instantanée à une obligation qui doit nécessairement s'exécuter en plusieurs fois. A l'inverse, distinguer le moment du transfert des obligations principales et accessoires pose un évident problème de cohérence et d'homogénéité d'un contrat auquel les parties ont vraisemblablement entendu donner un traitement uniforme. La solution consiste peut-être à distinguer le moment du transfert de titularité du droit de celui de son exécution effective. Le titulaire du droit réel devient, dès la constitution du droit, titulaire du droit d'obtenir plus tard, par exemple, les réparations appropriées. Cette question nous emmènerait toutefois au-delà du périmètre du présent article et nous renvoyons l'analyse de cette question à une contribution ultérieure. Pour une analyse des obligations réelles, voy. not. J. Hansenne, « La limitation du nombre de droits réels et le champ d'application du concept de service foncier », note sous Cass., 16 septembre 1966, R.C.J.B., 1968, pp. 176 et s. Voy. égal. en droit français L. Michon, Des obligations « propter rem » dans le Code civil, thèse, Nancy, 1891.
[227] Remarquons que dans de nombreux cas, l'obligation de délivrance et de dare se confondent, en ce qu'elles ont lieu en même temps. Il n'est toutefois pas exclu, pour la vente d'un droit de propriété comme pour la constitution d'une emphytéose, que ces deux obligations s'exécutent à des moments différents. Dans ce cas, il n'en demeure pas moins que les deux obligations se sont exécutées instantanément, et pas tout au long du droit.
[228] Sur l'absence d'obligations dans le chef de l'emphytéote pendant l'emphytéose, voy. N. Verheyden-Jeanmart et C. Mostin, « Jouissance d'immeuble: bail et conventions voisines », in Aspects récents du droit des contrats, Bruxelles, éd. du Jeune Barreau, 2001, n° 2, p. 94.
[229] F. Laurent, Principes de droit civil, t. 6, Bruxelles, Bruylant, 1871, n° 75; Ch. Aubry et Ch. Rau, Cours de droit civil français, t. II, o.c., p. 50.
[230] P. Wéry, Droit des obligations, vol. 1, Bruxelles, Larcier, 2011, p. 552.
[231] Ch. Aubry et Ch. Rau, Cours de droit civil français, t. II, o.c., p. 50.
[232] Ripert et Boulanger, t. II, o.c., n° 472.
[233] Si l'exception d'inexécution est de droit en matière de contrats synallagmatiques (Cass., 26 avril 1945, Pas., 1945, I, p. 148; Cass., 24 avril 1947, Pas., 1947, I, p. 174), elle suppose néanmoins en toute logique que la partie qui l'invoque ne se soit pas déjà exécutée (P. Hamel, « Champ d'application de l'exception d'inexécution », Rép. not., t. VII, La vente, Livre 1, Vente - Théorie générale, Bruxelles, Larcier, 1985, n° 439). Or, par hypothèse, le propriétaire s'est déjà exécuté, puisqu'il a concédé le droit réel pour le tout au moment de sa constitution et qu'il a livré le bien. Tout au plus l'exercice de l'exception d'exécution pourrait-il porter sur les obligations personnelles connexes contenues dans le contrat (voy., à titre d'exemple, De Page, Traité de droit civil, t. IV, o.c., n° 213). Pour une analyse plus détaillée du régime de l'exception d'inexécution, voy. not. P. Wéry, « L'exception d'inexécution », Rép. not., t. IV, Les obligations, Livre 1/1, La théorie générale du contrat, Bruxelles, Larcier, 2010, n° 948.
[234] Ainsi, nous ne souscrivons pas à l'analyse selon laquelle une clause prévoyant la dissolution du contrat d'emphytéose en cas de faillite pourrait s'analyser en une faculté de résiliation unilatérale (voy. P. Wéry, « (suite) - La convention d'emphytéose et l'arrêt de la Cour de cassation du 30 mars 2006. », Rép. not., t. IV, Les obligations, Livre 1/1, La théorie générale du contrat, Bruxelles, Larcier, 2010, n° 1011). En raison de l'effet rétroactif qui l'accompagne, nous n'écartons par contre pas la qualification de condition résolutoire purement potestative. Comme le souligne P. Wéry, cette différence s'atténue fortement lorsqu'il est fait obstacle à l'effet rétroactif de la résolution, en matière de contrats à exécution successive (P. Wéry, o.c., n° 998). Ce n'est toutefois pas le cas, à notre avis, en matière de contrat d'emphytéose (voy. supra, Partie III., point 4).
[235] Ainsi, nous ne souscrivons pas non plus, pour les mêmes raisons, à la possibilité largement reconnue en doctrine et en jurisprudence de résilier amiablement une emphytéose (voy. not. C. Mostin, A. Culot, B. Goffaux et J. Thilmany, « Résiliation amiable anticipée », Rép. not., t. II, Les biens, Livre 6, Emphytéose et superficie, Bruxelles, Larcier, 2015, n° 97-1). A l'image de la solution adoptée en matière de vente, « une telle résiliation n'anéantirait pas rétroactivement le droit de l'acquéreur mais constituerait une nouvelle vente, en sens inverse » (J. Limpens, La vente en droit belge, Bruxelles, Bruylant, 1960).
[236] En matière fiscale, la Cour de cassation considère en effet que les parties peuvent tout à fait choisir la voie la moins imposée et se placer en dehors du champ d'application d'une loi fiscale, à condition de respecter toutes les conséquences juridiques de leur choix. Voy. à cet égard Cass., 6 juin 1961, Pas., 1961, I, p. 1082. Le contribuable doit toutefois toujours avoir en tête l'existence des mesures anti-abus. Nous renvoyons le lecteur aux manuels de droit fiscal pour des développements plus détaillés.
[237] Nous attirons toutefois l'attention du lecteur sur le fait que la remarque qui précède, si elle permet d'éviter le risque qu'une telle opération soit qualifiée de simulation, et partant de fraude fiscale, ne fait pas obstacle à l'application des dispositions fiscales anti-abus.
[238] Pour reprendre l'expression d'Henri De Page, exprimant une opinion partiellement similaire: « cette vérité [le rapport direct entre une personne et une chose] apparaît avec une simplicité décisive dans la formule romaine de la revendication: le demandeur y énonce sa prétention par la seule désignation de la chose sur laquelle elle porte, sans avoir à mentionner le nom de son adversaire: Si paret fundum Tusculanum Aulit Agerii (c.-à-d. le demandeur) esse. Il y aurait un non-sens, assurément, à parler d'un droit contre une chose; mais c'est le sentiment le plus humain qui parle dans l'affirmation d'un droit sur une chose » (H. De Page, Traité élémentaire de droit civil, t. V, o.c., n° 821).
[239] De Page pourtant soulignait déjà la très grande proximité entre la vente et les contrats constitutifs de droits réels (H. De Page, Traité élémentaire de droit civil, t. IV, o.c., n° 18).
[240] P. Van de Wiele n'hésite d'ailleurs pas, lorsqu'il énumère les biens immeubles susceptibles de faire l'objet d'une vente, à citer les droits réels sur des immeubles (voy. P. Van de Wiele, La vente immobilière, Bruxelles, De Boeck Université, 2001, pp. 13 et 15). Il affirme toutefois que la cession d'un droit réel autre qu'un droit de propriété sur ces biens est constitutif non pas d'une vente, mais d'un contrat innommé, fort proche de la vente (p. 19). C'est également l'opinion de De Page (De Page, o.c., t. IV, n° 18). Sur les clauses d'inaliénabilité, voy. A. Deliege, « Inaliénabilité », Rép. not., t. II, Les biens, livre 7, Bruxelles, Larcier, 1979, n° 32.
[241] N. Verheyden-Jeanmart et C. Mostin, « Jouissance d'immeuble: bail et conventions voisines », in Aspects récents du droit des contrats, Bruxelles, éd. du Jeune Barreau, 2001, n° 8, p. 98.
[242] Sur la question du sort du canon en cas de cession et les controverses entourant cette notion, voy. S. Bouflette, P. Lecocq, R. Popa et A. Salve, Manuel de droit des biens, t. II, Bruxelles, Larcier, 2016, pp. 489-490 et les références citées.
[243] Voy. not. F. Laurent, t. VIII, o.c., n° 403 et A.-B. D'Hondt, « Les relations contractuelles entre le propriétaire de la maison de repos et l'exploitant », Jurim Pratique, 2010/2, p. 39.
[244] Cette disposition étant supplétive, rien n'empêche cependant d'appliquer pleinement la théorie des risques au détriment de l'emphytéote, ce qui est régulièrement fait en pratique (en particulier quand l'emphytéose est constituée dans un contexte financier au profit de la banque), ou au contraire d'adoucir le principe, ce qui sera plutôt fait quand l'emphytéose est envisagée comme instrument d'exploitation du fonds (A.-B. D'Hondt, « Les relations contractuelles entre le propriétaire de la maison de repos et l'exploitant », Jurim Pratique, 2010/2, p. 48).
[245] Merlin, Répertoire, mot « Emphytéose », Paris, Garnery, 1815, § I, n° 8.
[246] Troplong, Du louage, Paris, Charles Hingray, 1852, nos 41 et 42, p. 94.
[247] F. Laurent, t. VIII, o.c., n° 404. Voy. égal. C. Mostin, A. Culot, B. Goffaux et J. Thilmany, « Indivisibilité du canon », Rép. not., t. II, Les biens, Livre 6, Emphytéose et superficie, Bruxelles, Larcier, 2015, p. 117.
[248] L.-P. Marcelis, « Les aspects notariaux de l'aliénation d'immeubles par démembrement du droit de propriété », Séminaire l'Echo, 6 octobre 2004, p. 22 (pour une position contraire, voy. F. Laurent, t. VIII, o.c., n° 403). L'obligation de paiement du canon perdure d'ailleurs dans le chef d'un emphytéote qui aurait cédé son emphytéose, en raison du caractère personnel (et partant indivisible) de l'obligation de payer le canon (C. Mostin, A. Culot, B. Goffaux et J. Thilmany, o.c., n° 78; M. Donnay, « L'emphytéose », R.G.E.N., 1974, p. 220). Pour une analyse plus détaillée de la notion d'obligation de paiement du canon, voy. not. S. Bouflette, P. Lecocq, R. Popa et A. Salve, Manuel de droit des biens, t. II, Bruxelles, Larcier, 2016, pp. 476 et s. Pour de plus amples développements sur les liens entre le droit réel et l'obligation de paiement du canon, voy. aussi R. Derine, F. Van Neste et H. Vandenberghe, Zakenrecht, t. II, B, Gand, E.Story-Scientia, 1984, p. 874.
[249] Il s'agirait alors d'une clause résolutoire (voy. à cet égard supra, point 4.).
[250] Relativement à ce qui lui appartient, c'est-à-dire le droit d'emphytéose sur le bien. Les risques liés aux droits résiduaires de propriété sur le bien sont eux évidemment toujours supportés par le propriétaire, qui ne récupérera pas, ou seulement partiellement, le bien à l'issue du droit d'emphytéose.
[251] L'acheteur se retrouvant finalement dans une situation assez comparable à notre emphytéote dont le bien a disparu: il a perdu la jouissance de la chose achetée, mais doit continuer à en payer le prix, selon l'échéancier agréé entre les parties.
[252] Soutenir, comme le fait Laurent, que le canon disparaîtrait s'il était consenti en compensation de la jouissance, participe selon nous à la même confusion qui existe entre les droits réels et personnels de jouissance (F. Laurent, t. VIII, o.c., n° 404).
[253] Sur ces notions de devoir et d'obligation, voy. pour rappel J.-F. Romain, Actualités en droit général des contrats, Bruxelles, Bruylant, 2016, pp. 252 et s.
[254] V. Sagaert et M. Somers, « Erfpacht, ontbinding en faillissement: een complexe trilogie », T. Not., 2008/2, n° 28.
[255] Voy. supra, Partie II., point 2.2., in fine, pour plus de détails sur ce projet de loi. Pour rappel, il est disponible en ligne à l'adresse suivante: www.lachambre.be/FLWB/PDF/54/2407/54K2407001.pdf.