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Face à la crise économique du coronavirus: premiers constats, R.D.C.-T.B.H., 2020/10, p. 1241-1252

Face à la crise économique du coronavirus: premiers constats [1]

Luc Dresse , Alexandre Francart , Philippe Lefèvre et Pierre Wunsch [2]

TABLE DES MATIERES

1. La crise économique COVID-19: sans précédent, à tous égards 1.1. Une récession économique « générée » par les autorités

1.2. L'économie belge, frappée par le COVID-19

1.3. Le secteur financier: partie de la solution plutôt que du problème

2. Actions des autorités pour faire face à la crise 2.1. Des actions sur différents fronts

2.2. Politique monétaire

2.3. Politique prudentielle

2.4. Actions des pouvoirs publics en Belgique

2.5. Le niveau européen

3. Un cadre juridique pour les crises

4. 2020 vs. 2008: expériences de crises

Conclusions

RESUME
En mars 2020, la pandémie de COVID-19 a brutalement plongé l'économie mondiale dans la récession la plus profonde depuis la Seconde Guerre mondiale. 8 mois plus tard, au moment de la rédaction de cet article, la crise est toujours là, et il est clair que ses effets se feront sentir de manière persistante. Ils dépassent déjà largement ceux de la crise financière globale de 2008 et, dans sa foulée, de celle de la dette souveraine dans la zone euro. Il y a à peine 12 ans, la crise financière globale apparaissait pourtant comme un événement qui ne survient qu'une fois par génération.
Il est trop tôt pour établir le bilan final de la crise du coronavirus. Des premiers constats peuvent cependant déjà être tirés de la manière dont elle a touché l'économie et sur les mesures qui ont été prises à cet égard. En s'appuyant sur l'expérience engrangée sur le terrain des deux dernières crises majeures, les constats dressés dans cet article portent aussi sur le cadre juridique sur la base duquel les pouvoirs publics peuvent déployer leur action en temps de crise et, de manière plus personnelle, sur la gestion de crise en temps réel.
Le recul du temps et une analyse scientifique plus poussée seront nécessaires pour tirer des conclusions plus fondées sur ces différents points. Cette contribution a donc pour simple ambition de fournir une lecture « à chaud » des événements des derniers mois, en croisant les points de vue d'économistes, de juristes et de décideurs de politiques économiques.
SAMENVATTING
In maart 2020 heeft de COVID-19-pandemie de wereldeconomie op een brutale wijze in de zwaarste recessie gestort sedert de Tweede Wereldoorlog. 8 maanden later en bij het schrijven van dit artikel, is de crisis nog steeds niet voorbij en het is duidelijk dat de gevolgen ervan nog aanhoudend zullen gevoeld worden. Ze overschrijden reeds ruimschoots die van de globale financiële crisis van 2008 en, in de nasleep ervan, die van de overheidsschuld in de eurozone. Amper 12 jaar geleden werd de wereldwijde financiële crisis nog beschouwd als een gebeurtenis die slechts eenmaal per generatie voorkomt.
Het is te vroeg om een definitieve balans op te maken van de coronaviruscrisis. Er kunnen echter al de eerste bevindingen gemaakt worden over de manier waarop die crisis de economie heeft aangetast en op de maatregelen die in dit verband werden genomen. De bevindingen die in dit artikel worden beschreven en die gebaseerd zijn op de praktijkervaring van de laatste twee grote crisissen, hebben ook betrekking op het juridische kader op basis waarvan de overheidsinstanties in crisistijden kunnen optreden en op een meer persoonlijke wijze, op het crisismanagement in real-time.
Een beetje tijd en verdere wetenschappelijke analyse zullen nodig zijn om meer gefundeerdere conclusies over deze verschillende punten te kunnen trekken. Deze bijdrage beoogt dus louter een lezing “heet van de naald” te bezorgen van de gebeurtenissen van de afgelopen maanden, waarin de standpunten van economen, juristen en beleidsmensen van het economisch veld met elkaar worden vergeleken.
1. La crise économique COVID-19: sans précédent, à tous égards
1.1. Une récession économique « générée » par les autorités

En mars 2020, la diffusion exponentielle du coronavirus dans les populations a brutalement affecté les personnes et les économies à travers le monde. Alors que les épisodes de récession résultent généralement de la correction de déséquilibres qui s'étaient accumulés ou, comme c'était le cas en 2008, de l'éclatement de bulles financières, ce sont cette fois les gouvernements qui ont dû mettre quasiment à l'arrêt des pans entiers de l'économie. En l'absence de vaccins ou de traitements efficaces pour le COVID-19, des mesures de restriction sévères des contacts entre les personnes étaient indispensables pour éviter que la diffusion du virus n'entraîne la paralysie des services de santé et pour sauver des vies.

Inéluctablement, les mesures de confinement ont conduit à des dommages importants pour l'économie. Des activités ont été fermées, en particulier celles de services impliquant des contacts rapprochés. Les mesures de distanciation sociale ont nécessité de revoir l'organisation des productions qui appellent une présence sur site, comme dans l'industrie manufacturière et dans la construction. Du côté de la demande, outre les contraintes liées aux fermetures et aux possibilités de déplacement et de voyage, la consommation et les investissements souffrent du climat d'incertitudes économiques et des pertes de revenus.

En anticipation de ces profondes difficultés économiques, les conditions ont commencé à se tendre sur les marchés financiers dès la fin de février 2020, lorsque les premiers clusters d'infections ont été identifiés en Europe. En mars, la diffusion très rapide et généralisée du virus a fait plonger les cours de bourse et a conduit à un net élargissement des spreads d'intérêt en défaveur des emprunteurs - pays ou entreprises - en situation précaire ou plus exposés à la pandémie. La quête de sécurité dans le chef des investisseurs a asséché les sources de financement de marché des entreprises, au moment où leur position de liquidité était fortement compromise. L'action rapide et massive des banques centrales à travers le monde a toutefois permis de stabiliser les marchés, et ainsi d'éviter que la récession économique ne soit démultipliée par une nouvelle crise financière globale.

Sur le plan économique, la chute de l'activité a été exceptionnellement brutale. En Belgique, au deuxième trimestre de 2020, le PIB a reculé de 14% par rapport à la même période de l'année précédente, alors que la récession n'avait pas dépassé 3,6% au plus fort de la crise financière de 2008-2009. L'activité a nettement rebondi au 3e trimestre de 2020, sans toutefois retrouver son niveau d'avant-crise. Les autres pays européens ont connu des mouvements similaires de récession profonde au 2e trimestre, suivie d'un rebond important le trimestre suivant.

Des incertitudes planent toutefois sur la vigueur future de la reprise. Elles portent en premier lieu sur l'évolution de la situation sanitaire, comme en témoigne le fait que la deuxième vague de contamination endurée par les pays européens durant l'automne a conduit à imposer à nouveau des restrictions aux activités de certains secteurs. Ensuite, il est malaisé d'apprécier aujourd'hui dans quelle mesure la crise COVID-19 provoquera des dommages durables sur l'économie, par exemple par la faillite de sociétés viables en circonstances normales, mais trop affaiblies par le choc, ou par une augmentation persistante du chômage. Enfin, le fonctionnement de l'économie sera altéré de manière plus fondamentale, par l'adoption de nouveaux comportements de travail ou de consommation, entraînant des effets positifs pour certains secteurs, entreprises ou personnes, et des effets négatifs pour d'autres. La capacité d'adaptation des entreprises, des personnes et des pouvoirs publics sera aussi un facteur crucial pour assoir une reprise durable de l'économie.

Chaque crise présente des caractéristiques spécifiques. Par rapport à la crise financière de 2008, celle du COVID-19 se distingue en premier lieu par le fait qu'elle a été provoquée par un choc exogène à l'économie, plutôt que par la correction de comportements excessifs dans certains segments du secteur financier.

Sur le plan de ses effets, la crise actuelle a conduit, on l'a dit, à une chute exceptionnellement brutale de l'activité, mais aussi à un rebond plus rapide, dès que la production et la consommation ont pu reprendre. Un recul de quelques années sera toutefois nécessaire pour pouvoir comparer l'effet global cumulé des deux crises.

Une autre différence réside dans la rapidité et l'intensité des actions des banques centrales et des gouvernements à travers le monde dès l'éclatement de la crise. Celle-ci aurait pu être beaucoup plus sévère, comme durant la grande dépression des années 1930, si des mesures n'avaient pas été prises pour éviter un krach financier et pour soutenir les entreprises et les personnes les plus touchées.

1.2. L'économie belge, frappée par le COVID-19

Des mesures de confinement très strictes ont été prises au cours du mois de mars 2020 dans la plupart des pays de la zone euro. La Belgique n'a pas fait exception avec la fermeture des cafés et restaurants le 13 mars 2020 et de presque tous les magasins non alimentaires quelques jours plus tard, ainsi que des restrictions à la circulation des personnes. Dans les premières semaines de ce régime, des unités de production ont également interrompu leurs activités, notamment en raison d'un manque de personnel, ainsi que d'une baisse de la demande. Les informations recueillies auprès des entreprises par les enquêtes menées dans le cadre de l'Economic Risk Management Group (ERMG) [3] suggèrent que les entreprises ont perdu environ un tiers de leur chiffre d'affaires durant cette période de fermeture. Restreints dans leurs opportunités de consommation en matière de voyage, de fréquentation des restaurants ou des lieux de spectacle ou de culture, ou de shopping, tandis que leurs revenus sont, pour beaucoup, restés à niveau, les ménages ont pour leur part accumulé un surcroît d'épargne.

Après 7 semaines, au début de mai, une stratégie de déconfinement progressif et par étapes a été mise en place. Cet assouplissement a suscité l'espoir d'une reprise vigoureuse, dans la mesure où la libération de l'épargne accumulée par les ménages soutiendrait le rebond de la consommation privée et de l'activité.

Cet espoir ne s'est toutefois pas complètement concrétisé, puisque la consommation s'est certes nettement redressée, mais elle n'est pas revenue à son niveau antérieur. Deux facteurs ont joué pour expliquer une certaine retenue des consommateurs. D'une part, ils continuaient de restreindre leurs déplacements à de fins d'achats, de peur d'être contaminés, ou parce qu'ils prenaient moins de plaisir à s'adonner à ces activités dans un contexte où des mesures de distanciation et de protection sanitaire restaient de mise. D'autre part, ils ont fait montre de prudence dans leurs dépenses, préférant constituer une épargne de précaution face à la crainte d'être touchés par l'effet de faillites et de pertes d'emplois.

En octobre 2020, la résurgence de taux élevés d'infections a conduit les autorités fédérales et des régions, à l'instar d'autres pays européens, à limiter à nouveau les interactions de personnes, notamment sur les lieux de travail, dans les établissements horeca et dans le commerce de détail. Les mesures restreignant les activités ont été plus ciblées que lors du premier confinement, mais elles ont pour effet de peser sur la vigueur de la reprise économique et d'entretenir l'incertitude sur les perspectives sanitaires et économiques.

8 mois après son déclenchement, la crise est donc loin d'être dépassée. Certains constats peuvent toutefois déjà être mis en exergue:

    • la maîtrise de la situation sanitaire constitue le facteur-clé du retour à un environnement économique stable. Le risque de vagues successives de contamination induit une incertitude permanente qui bride les décisions d'investissement ou d'embauche. A l'inverse, une disponibilité rapide de moyens de vaccination ou de traitement constituerait un adjuvant;
    • la pandémie et les mesures qui ont dû être prises pour la contenir et la combattre ont touché simultanément toutes les économies. Leurs effets s'exercent toutefois de manière très variable entre les secteurs d'activité, entre les entreprises au sein de chaque secteur, ou entre les personnes;
    • les mesures massives de soutien ont permis de limiter les dégâts pendant la période critique de la crise. Jusqu'ici, les pertes d'emplois ont été limitées et les faillites ont été peu nombreuses, eu égard à l'importance exceptionnelle de la récession de l'activité;
    • malgré ces mesures, l'économie risque de porter longtemps les stigmates de la crise. A l'inverse de ce que nous montre le rebond rapide et vigoureux en Chine, plus la crise dure, plus les effets structurels sur le potentiel de production et d'emplois risquent d'être importants.
    1.3. Le secteur financier: partie de la solution plutôt que du problème

    En 2008, la crise avait pris forme au sein du secteur financier, et celui-ci avait été le catalyseur de sa transmission au niveau mondial. Aujourd'hui, la situation est tout autre. Le secteur financier n'est plus la cause de la crise, mais plutôt un élément de la solution. Au lendemain de la crise financière, les régulateurs et les superviseurs, mais également le secteur lui-même, ont pris un nombre important de mesures visant à renforcer le secteur financier. Nous pouvons maintenant constater que ces mesures ont porté leurs fruits: les banques et les compagnies d'assurances peuvent faire face à cette crise au départ d'une position beaucoup plus solide, notamment en matière de solvabilité, qu'il y a un peu plus de 10 ans.

    Jusqu'à présent, l'impact de la crise a été relativement limité pour le secteur financier. Même si les défauts de paiement sont restés stables à un faible niveau - aidés en cela par un recours important aux moratoires offerts par le secteur financier -, les banques ont néanmoins enregistré, de manière anticipative, d'importants montants de provisions pour pertes de crédit. Le revenu d'intérêts du secteur bancaire est resté relativement stable au cours des 9 premiers mois de 2020, les banques ayant enregistré une demande importante de crédits à court terme, certainement au début de la crise. Au final, le secteur a enregistré, au cours des 9 premiers mois de 2020, un bénéfice d'environ 2,5 milliards d'euros, certes largement inférieur à celui de la période correspondante de l'année passée, mais néanmoins positif.

    Les banques n'ont donc pas encore eu à puiser dans leurs réserves de fonds propres pour absorber l'impact de la crise. Leur position de solvabilité s'est au contraire même renforcée au cours des 9 premiers mois de 2020, reflétant les importantes mesures prises par les autorités prudentielles afin d'assurer que le secteur dispose de la marge de manoeuvre nécessaire pour apporter son soutien à l'économie réelle. A la fin de septembre 2020, les banques belges disposaient ainsi d'un matelas d'un peu moins de 20 milliards d'euros en sus des exigences réglementaires.

    En ce qui concerne les entreprises d'assurance, l'impact de la crise s'est pour le moment principalement fait ressentir sur leur position de solvabilité, à travers l'apparition d'un choc dit de “double hit”. Ce choc se caractérise par la combinaison d'une augmentation des primes de risque, à l'actif, et donc, toutes autres choses égales par ailleurs, par une dépréciation de la valeur de marché de certaines positions, et, au passif, par la hausse de la valeur de marché des engagements vis-à-vis des assurés suite à la baisse des taux d'intérêt sans risque. Il en résulte une diminution mécanique des fonds propres. Le ratio de solvabilité du secteur a ainsi diminué; la solvabilité du secteur reste malgré tout relativement bonne. La crise aura inéluctablement également un impact sur la rentabilité du secteur et ses différentes branches d'activité même si la nature de l'impact final reste pour le moment incertaine.

    Outre l'impact direct de la crise financière, le secteur financier doit continuer de porter une attention suffisante à une série de défis plus structurels et préexistants à la crise du COVID-19. Dans un environnement de taux bas persistant, les marges d'intérêt des banques - leur principale source de revenus - sont significativement réduites. La structure de coûts lourde, qui n'est que graduellement allégée, continue également à peser sur la rentabilité structurelle du secteur. Le modèle d'entreprise de certaines banques de taille plus réduite souffre particulièrement de la concurrence sur plusieurs marchés. Dans le secteur de l'assurance, les principaux défis concernent le rendement futur du portefeuille d'investissement et la question de savoir si ce rendement suffira à couvrir le taux garanti sur certains contrats. Dans l'environnement de taux bas actuel, même si la plupart des assureurs ont progressivement pris une série de mesures visant à réduire le taux garanti moyen à couvrir, un risque de réinvestissement persiste et peut mener dans certains cas à une quête de rendement, c'est-à-dire à une réorientation du portefeuille d'investissement vers des actifs plus risqués et/ou moins liquides.

    2. Actions des autorités pour faire face à la crise
    2.1. Des actions sur différents fronts

    Confrontées toutes aux mêmes problèmes, les autorités des différents pays à travers le monde ont mis en oeuvre des cocktails de mesures mélangeant les mêmes ingrédients. Leur dosage varie toutefois en fonction de spécificités nationales.

    Quelques mois après son éclatement, on peut considérer que la crise a jusqu'à présent été globalement bien gérée sur le plan économique. Par leurs actions rapides et ambitieuses, les autorités monétaires et les gouvernements ont permis d'éviter un effondrement comparable à la crise des années 1930, malgré un choc d'une nature et d'une ampleur sans précédent. Ces actions ont également permis d'échapper au risque que la récession économique ne se double d'un krach des marchés ou n'entraîne des tensions financières fatales pour certains pays plus touchés ou plus vulnérables.

    La première priorité a été, dès mars 2020, et continue à être, tant qu'un vaccin ou un traitement ne sont pas disponibles à grande échelle, de faire face aux conséquences de la pandémie sur le plan de la santé publique. Des moyens additionnels ont dû être mobilisés en faveur des systèmes de santé et ceux de soin aux personnes âgées, soumis à une pression intense pendant les pics d'infections. Des mesures de confinement, de restriction des mouvements et de distanciation entre les personnes ont dû être prises pour limiter la circulation du virus; la mise en place de systèmes de test et de traçage à une large échelle doit permettre de mettre en oeuvre ces mesures de manière plus ciblée. Enfin, les pouvoirs publics ont également un rôle de catalyseur à jouer pour accélérer la disponibilité à grande échelle de vaccins et de moyens thérapeutiques. Cela est nécessaire pour préserver la santé de la population et, partant, pour permettre aux activités économiques de se déployer à nouveau de manière durable.

    En Belgique, quelque 5,5 milliards d'euros ont été consacrés en 2020 à la gestion de la crise sanitaire. Ils ont été utilisés notamment pour l'achat de matériel de protection, qui était insuffisant au moment où la pandémie a pris de l'ampleur, et à l'engagement de traceurs de contact qui devraient permettre d'étouffer dans l'oeuf les résurgences du virus. Des moyens ont aussi été dégagés pour le fonctionnement des structures de soin et pour le personnel de santé.

    Le COVID-19 lui-même et les mesures mises en place pour limiter sa diffusion exerçant un impact soudain et profond sur l'économie, la deuxième priorité a consisté à éviter un grippage à court terme de l'économie. Toute une série de mesures ont été prises pour protéger les emplois et les revenus des particuliers et pour préserver la liquidité des entreprises, de sorte que celles-ci puissent faire face à leurs obligations de paiement.

    Au-delà des besoins de liquidité à court terme, la préoccupation est également que le choc de la crise n'entraîne pas de dommages persistants sur le potentiel économique en déclassant du capital humain, du capital physique ou du capital intangible. En l'occurrence, il s'agit d'éviter que des entreprises susceptibles de créer de la valeur ajoutée dans des circonstances normales ne soient contraintes à la faillite et ne provoquent des pertes d'emplois irrémédiables.

    Enfin, outre sur la préservation d'un tissu sain d'activité, les actions des autorités commencent à se porter sur la mise en place des conditions pour renforcer de manière durable le potentiel de production de l'économie et sa capacité de résilience et d'adaptation. L'économie post-coronavirus ne fonctionnera pas de la même manière qu'avant la crise, que ce soit sur le plan de l'organisation du travail (travail à distance) ou sur celui de la consommation (e-commerce), avec des conséquences en cascade. Par ailleurs, les défis structurels restent présents, par exemple sur le plan environnemental. Une reprise durable de l'économie nécessitera des réallocations importantes d'activité et de travail.

    Face à l'ampleur du choc, l'ensemble des leviers de politiques économiques ont rapidement été mobilisés dans les différentes économies, qu'il s'agisse de la politique monétaire, de la politique (macro)prudentielle, ou de la mobilisation des budgets publics pour financer les actions nécessaires. Ces mesures ont été principalement prises au niveau national, en Belgique tant par le gouvernement fédéral que par les régions et les communautés. Les institutions européennes ont toutefois aussi apporté leur pierre à l'édifice, soit pour faciliter et renforcer l'action des Etats membres, soit dans l'exercice des prérogatives qui sont directement de leur ressort.

    2.2. Politique monétaire [4]

    La politique monétaire est emblématique de compétences que les Etats ont transférées au niveau européen. Dans la zone euro, alors que l'orientation de la politique monétaire était déjà très accommodante, la BCE a considérablement renforcé ses mesures d'assouplissement dès le début de la crise, en mars 2020. Elle a augmenté ses achats d'actifs, en élargissant le programme déjà en cours, puis en lançant dès le 18 mars un nouveau « programme d'achats d'urgence face à la pandémie » (Pandemic Emergency Purchase Programme - PEPP), doté d'une enveloppe large, de 1.350 milliards d'euros.

    Les achats effectués dans le cadre de ce programme se poursuivront au moins jusqu'à la fin de juin 2021 et seront réalisés de façon flexible, ce qui permettra des fluctuations dans leur ventilation entre différentes catégories d'actifs ou entre les différents pays. La BCE a également étendu et assoupli les possibilités d'emprunt de liquidité offertes aux banques dans le cadre de ses opérations de refinancement à long terme. Les exigences en matière de garanties applicables à ces opérations ont également été allégées, afin de pallier les pressions sur la disponibilité des garanties résultant de la dégradation des conditions sur les marchés financiers. Enfin, des lignes de swap et de repo renforcées en dollars des Etats-Unis et en euros ont contribué à limiter les pressions sur les marchés de financement internationaux.

    Par ces actions, la BCE poursuivait trois grands objectifs, tous essentiels à l'accomplissement de son mandat principal de maintien de la stabilité des prix: garantir une orientation globale suffisamment accommodante pour soutenir l'économie, contribuer à la stabilisation des marchés financiers afin de préserver le mécanisme de transmission de sa politique monétaire et fournir de la liquidité de Banque centrale en abondance, en particulier pour maintenir l'octroi de crédits.

    Les achats d'actifs de la BCE jouent un rôle essentiel pour maintenir les coûts d'emprunt à un faible niveau. C'est en particulier le cas pour les taux des obligations souveraines, alors que les montants considérables de dettes supplémentaires que le secteur public a émis et continuera d'émettre pour le financement des mesures de crise aurait dû conduire à des pressions à la hausse. Le PEPP a aussi permis de réduire le risque de fragmentation au sein des marchés financiers de la zone euro, avec des augmentations de taux qui auraient été plus marquées dans les pays qui ont été plus touchés par la crise ou qui sont moins armés pour y faire face.

    Les opérations de refinancement à plus long terme de la BCE ainsi que l'assouplissement des exigences en matière de garanties ont en outre permis de préserver le canal des prêts bancaires. Celui-ci revêt une importance cruciale pour les entreprises de la zone euro, puisque les prêts bancaires représentent environ la moitié de leur financement externe. A la suite des mesures de confinement, un grand nombre d'entreprises ont fait face à une baisse soudaine et significative de leurs flux de trésorerie. L'octroi de crédit bancaire permet de pallier cette situation. Les données disponibles jusqu'à la fin du mois de juin 2020 donnent à penser que les banques de la zone euro ont été en mesure de répondre aux besoins de liquidité importants des entreprises durant les premiers mois de la crise. De plus, les critères d'octroi de prêts aux entreprises sont également restés relativement souples.

    2.3. Politique prudentielle

    La disponibilité du crédit bancaire a également été soutenue par l'allègement des exigences prudentielles en matière notamment de fonds propres et de liquidité des banques. Les autorités micro- et macroprudentielles ont ainsi veillé à dégager une marge de manoeuvre supplémentaire afin d'assurer que le secteur bancaire puisse apporter son soutien à l'économie réelle à travers sa fonction d'intermédiation financière. Les coussins de fonds propres libres, déjà significatifs avant le début de la crise, ont ainsi été élargis afin de prendre en compte les incertitudes entourant l'impact final de la crise. En Belgique, ils atteignaient un peu moins de 20 milliards d'euros à la fin de septembre 2020.

    Au niveau européen, la BCE, qui assure la supervision directe sur les principales banques de la zone euro, a pris une série de mesures microprudentielles permettant notamment aux banques d'opérer pour un certain temps à des niveaux de liquidité et de fonds propres inférieurs aux exigences réglementaires (neutralisation temporaire de l'exigence de 100% en matière de ratio de couverture de liquidité, utilisation de la « Pillar 2 » guidance et du Capital Conservation Buffer (CCoB) pendant la période de crise sans mise en oeuvre (trop) rapide d'un plan de redressement). Les mêmes mesures ont été prises par la Banque nationale de Belgique (BNB) pour les banques belges de taille plus réduite. Les banques se sont également vu recommander de limiter la distribution de dividendes afin de préserver leurs réserves de fonds propres.

    En ce qui concerne la politique macroprudentielle, décidée au niveau national, la BNB a, dès mars 2020, libéré de manière anticipative l'entièreté du coussin de fonds propres contracyclique. Ce coussin est constitué en période d'octroi de crédits dynamique pour générer une capacité d'absorption suffisante lorsque des pertes de crédit sont attendues. Compte tenu des décisions similaires prises dans d'autres pays, cela a permis de libérer un coussin de fonds propres d'environ 2 milliards d'euros pour les banques belges.

    A l'heure actuelle, les autres exigences de fonds propres macroprudentielles n'ont pas été relâchées. Elles pourraient toutefois l'être si les circonstances l'imposent. L'exigence de fonds propres spécifique pour le marché immobilier résidentiel, qui correspond à un coussin d'environ 2 milliards d'euros, pourrait par exemple être levée si les défauts de paiement sur les crédits hypothécaires venaient à augmenter, permettant ainsi aux banques d'utiliser le buffer constitué pour apporter les solutions nécessaires aux emprunteurs en difficulté et absorber les pertes de crédit éventuelles. En ce qui concerne le marché immobilier, la BNB avait, de manière complémentaire aux exigences de fonds propres susmentionnées, publié des recommandations spécifiques aux banques et entreprises d'assurance, les invitant à se montrer plus prudentes dans leurs octrois de prêts hypothécaires, notamment ceux présentant une quotité élevée, tout en maintenant l'accès au crédit pour les emprunteurs solvables. Ces « attentes prudentielles » ont été maintenues, afin d'éviter toute nouvelle augmentation du risque dans la production de crédits hypothécaires.

    Un défi majeur pour les autorités prudentielles reste d'encourager les banques à utiliser efficacement les coussins de fonds propres dont elles disposent lorsque cela sera nécessaire, par exemple en proposant un rééchelonnement de dette aux entreprises en difficulté, mais viables. Les banques pourraient en effet être réticentes à mobiliser leurs réserves de fonds propres, notamment au vu des incertitudes concernant l'évolution future de la situation sanitaire et parce qu'elles pourraient craindre d'être considérées comme « plus faibles » si leur position globale de solvabilité se détériorait. Une communication claire des autorités prudentielles, concernant notamment les conditions préalables à un relèvement des exigences de fonds propres à leur niveau d'avant-crise, doit permettre de lever certains freins à l'utilisation des coussins de fonds propres des banques.

    Outre les initiatives prises au niveau prudentiel, différentes mesures visant à soutenir la liquidité de l'économie réelle ont également fait l'objet, dès mars 2020, d'un accord entre le secteur financier et le gouvernement fédéral. Cet accord comprend notamment un régime de garantie fédéral prévoyant de couvrir jusqu'à 50 milliards d'euros de nouveaux crédits, à court ou moyen terme, aux entreprises. Le but de ce mécanisme est d'inciter les organismes de crédit à fournir le financement nécessaire aux entreprises. Le recours à ce système est jusqu'à présent resté relativement limité, l'octroi de crédits hors garantie ayant couvert la plupart des besoins de financement. D'autres mesures ont également soutenu la liquidité des entreprises, comme le moratoire sur le paiement des crédits qui, tout comme le moratoire sur les crédits hypothécaires, faisait également partie de l'accord de mars. Le recours à ces deux moratoires a respectivement couvert 13% de l'encours des crédits aux entreprises et 6% de l'encours des crédits hypothécaires. Outre les banques, les entreprises d'assurance ont également adhéré à cet accord et se sont en plus engagées à faire preuve de flexibilité concernant notamment le paiement de certaines primes d'assurance.

    2.4. Actions des pouvoirs publics en Belgique

    Face au choc aussi imprévisible qu'inéluctable qui a brutalement grevé les sociétés non financières d'une grande partie, voire de la totalité, de leurs recettes, les pouvoirs publics se devaient dans un premier temps d'intervenir de manière décisive pour éviter des dégâts économiques irrémédiables à court terme.

    De nombreuses mesures ont été prises pour soulager la position de trésorerie des entreprises, en limitant les sorties financières ou pour compenser une partie des manques à gagner. Le Gouvernement fédéral a apporté un soutien de liquidité aux entreprises en accordant des reports de paiement d'impôts et de cotisations de sécurité sociale et, surtout, par le régime de chômage temporaire. Les entreprises y ont eu recours dans une ampleur de loin supérieure à celle des autres crises, ce qui les soulage de la charge des coûts du travail, tout en préservant dans une mesure significative les revenus des travailleurs. Les indépendants contraints de fermer ou de réduire fortement leurs activités peuvent aussi bénéficier d'un revenu de remplacement. Les gouvernements régionaux ont également apporté un soutien important aux entreprises - principalement les PME - forcées de fermer en raison des mesures de confinement et aux entreprises dont le chiffre d'affaires a considérablement diminué. Ils ont aussi augmenté les subventions aux secteurs vulnérables tels que les crèches, les entreprises de chèques-services, le secteur culturel, sportif et de la jeunesse, etc.

    Sur le plan juridique, les autorités belges ont octroyé un sursis général légal aux entreprises touchées par la crise du COVID-19. Ce sursis est entré en vigueur le 24 avril 2020 et a été d'application jusqu'au 17 juin. Il revient à ce que les entreprises concernées soient protégées temporairement contre la faillite, les saisies et la résolution de contrats pour cause de non-paiement.

    8 mois après l'éclatement de la crise, il apparaît que globalement, les actions prises par les différentes autorités ont permis de largement amortir le choc économique initial. Le nombre de faillites prononcées s'est inscrit en retrait de celui observé l'année précédente et l'accroissement du nombre de demandeurs d'emploi est resté limité. Ces mesures doivent cependant nécessairement garder un caractère temporaire, au risque sinon de paralyser la dynamique de régénération et d'adaptation du tissu économique, mais aussi de grever gravement les finances publiques. La deuxième vague de contaminations et le renforcement des mesures de confinement durant l'automne ont conduit à prolonger ou à réactiver certaines des dispositions qui permettent un portage de l'économie vers une situation plus stable.

    A mesure qu'elle se prolonge, la crise économique pèse de manière croissante sur la structure financière des sociétés, parce que les pertes accumulées érodent leurs fonds propres et parce que le financement des besoins de trésorerie accroît leurs engagements financiers. Une telle détérioration constitue une hypothèque pour le potentiel économique, soit en provoquant la disparition d'entreprises, soit en réduisant la capacité de celles-ci de financer les investissements futurs.

    Des actions ont donc été décidées aussi pour renforcer la solvabilité des entreprises. Au niveau fédéral, il s'agit principalement de mesures fiscales, en permettant de prendre en compte les pertes de 2020 dans les impôts dus pour 2019 ou en offrant un traitement favorable pour la mise en réserve des bénéfices des prochaines années. Via leurs véhicules de financement, tant le Gouvernement fédéral que ceux des régions ont accru les moyens pour des instruments en vue de renforcer les fonds propres des entreprises, tant en capital que par des prêts subordonnés. Certains des dispositifs prévus visent à mobiliser les financements du secteur privé, y compris les ménages, ainsi que les financements européens.

    L'efficacité des mesures de solvabilité sera testée au moment de la reprise, lorsque celles de soutien temporaire à la liquidité seront démantelées. Le calibrage des conditions attachées à ces mesures est un exercice d'équilibre particulièrement délicat, puisqu'il convient d'éviter les effets d'aubaine. Il ne s'agirait pas que des sociétés dont le modèle d'affaires n'est fondamentalement pas viable soient maintenues en vie par l'effet de ces perfusions, ou que des sociétés qui ont la capacité de faire face par elles-mêmes aux aléas de la crise bénéficient d'un support trop généreux, au détriment du budget de l'Etat. Dans la mesure du possible, le soutien à la solvabilité devrait être ciblé sur des sociétés viables en temps normal, mais dont la solidité a été mise à mal par la crise COVID-19.

    Les mesures de liquidité et celles de solvabilité contribuent les unes et les autres à assurer un portage de l'économie à travers la période de crise intense, afin de maintenir un tissu sain d'entreprises qui soient en mesure de se déployer à nouveau lorsque la période de reprise s'installera. A ce titre, elles constituent les fondements sur lesquels pourra s'appuyer la relance.

    La forte impulsion budgétaire déployée en Belgique, comme dans pratiquement tous les autres pays, en 2020 pour faire face à la pandémie et à ses conséquences économiques est pleinement justifiée. En faisant porter dans un premier temps sur les pouvoirs publics une grande partie de la facture de la crise, on a évité une forte baisse du pouvoir d'achat des ménages, tandis que les mesures en faveur des entreprises devraient permettre de garantir que des entreprises intrinsèquement saines ne fassent pas faillite et puissent traverser la période de crise. Ces deux éléments sont essentiels pour éviter que l'économie ne tombe dans une spirale descendante, avec un impact négatif sur l'emploi.

    Cependant, la politique budgétaire expansionniste a également considérablement augmenté les déficits et les dettes du secteur public. Dans certains pays, dont la Belgique, la dette publique était déjà à un niveau élevé avant la crise du coronavirus. Dans ces pays, les ressources destinées à une politique de relance devront donc être utilisées de manière sélective. Et à moyen terme, après la crise, le déficit doit être réduit afin que le poids de la dette publique par rapport au PIB soit ramené sur une trajectoire descendante.

    2.5. Le niveau européen

    Si le centre de gravité des mesures de politique économique se situe au niveau national, elles ont été renforcées par les actions de l'Union européenne et, en particulier, de la Commission.

    Ainsi, l'Union européenne a assoupli certaines des règles qui s'appliquent habituellement aux Etats membres, de manière à élargir les marges de manoeuvre pour leurs politiques de soutien. La Commission a activé pour la première fois la clause de dérogation générale (General Escape Clause) au pacte de stabilité et de croissance, de sorte que l'application des règles budgétaires est suspendue. En ce qui concerne le fonctionnement du marché unique, elle a allégé temporairement le cadre légal des aides d'Etat, assouplissant notamment les conditions des garanties publiques sur les prêts bancaires et celles de recapitalisation d'entreprises et d'octroi de prêts subordonnés.

    Par ailleurs, l'Eurogroupe s'est mis d'accord de manière urgente sur la constitution de filets de sécurité, sous la forme de prêts à des taux favorables dont l'enveloppe globale maximale s'élève à 540 milliards d'euros. Il s'agit d'un renforcement des lignes de crédit du Mécanisme européen de stabilité (European Stability Mechanism) auxquelles peuvent prétendre les Etats membres particulièrement frappés par la pandémie pour les aider à financer les coûts de soins et de prévention en matière de santé liés à la crise COVID-19. Des crédits ont également été mis à disposition des Etats qui le souhaitent pour le financement de dépenses de soutien aux travailleurs (Support to mitigate Unemployment Risks in an Emergency - SURE) et un système de soutien à la solvabilité des entreprises a été instauré par le biais de la Banque européenne d'investissement, via un fonds européen de garanties.

    Dans une perspective de plus long terme, l'UE a également décidé d'un train de mesures de relance dans le cadre budgétaire pour les années 2021 à 2027 et l'instrument temporaire NextGenerationEU. L'élément le plus important en est la facilité pour la reprise et la résilience, grâce à laquelle les États membres pourront bénéficier de financements européens pour soutenir leurs efforts d'investissements et de réformes. Alors que les effets économiques ne se matérialiseront que dans les prochaines années, cette décision a eu pour effet immédiat d'atténuer les tensions financières que subissaient au printemps 2020 les Etats membres plus touchés par la pandémie ou considérés comme plus vulnérables sur le plan économique, en particulier l'Italie. En effet, la Commission empruntera sur les marchés pour financer Next­GenerationEU à des coûts plus favorables que ceux dont auraient pu bénéficier de nombreux Etats membres et elle redistribuera les montants.

    Une coordination européenne s'est aussi développée au niveau sanitaire, par exemple dans le domaine du financement des vaccins. D'autres exemples, comme la définition du niveau de risque dans les différents pays et régions, montrent, a contrario, qu'une telle coordination se heurte rapidement aux contraintes des compétences nationales. Ce défaut de coordination induit des entraves à la liberté de circulation entre les Etats membres et à l'instauration de conditions équitables.

    3. Un cadre juridique pour les crises

    La crise financière de 2008 et la crise actuelle ont en commun que la BNB, ou du moins certains membres de sa direction et de son personnel, y ont joué un rôle qui dépasse largement le cadre de leurs compétences légales.

    Dans les deux cas, ces pompiers volontaires ont en outre été confrontés, lorsque la crise s'est déclarée, à l'absence d'un cadre légal pour faire face aux problèmes qui se sont posés.

    On rappellera que lors de la crise de 2008, la BNB n'était pas l'autorité compétente en matière de contrôle microprudentiel et qu'il n'existait pas de cadre légal qui permette d'organiser une résolution ordonnée des banques. De même, dans la crise actuelle, il s'est avéré que les instruments qui avaient été mis en place suite à la crise de 2008 n'apportaient pas une solution appropriée aux problèmes liés à une pandémie.

    En particulier, les mesures anti-crise de l'article 36/24 de la loi du 22 février 1998 fixant le statut organique de la Banque nationale de Belgique (ci-après la loi organique) ne semblaient pas pouvoir être utilisées. Pour rappel, ces mesures permettent au Roi de prendre un certain nombre de mesures, sur avis de la BNB, en cas de crise soudaine sur les marchés financiers ou en cas de menace grave de crise systémique, aux fins d'en limiter l'ampleur ou les effets.

    Parmi ces mesures figure la possibilité pour le Roi de mettre en place un système de garantie de l'Etat pour les engagements souscrits par les entreprises contrôlées du secteur financier, voire même pour les créances détenues par ces entreprises.

    Le fait que la loi précise expressément que ces mesures ne peuvent être prises qu'en cas de crise soudaine sur les marchés financiers ou en cas de menace grave de crise systémique rendait le recours à celles-ci impossible en l'absence de la constatation de ces circonstances. Il n'était en effet pas évident de conclure, à la mi-mars 2020, et ce même si la crise était très préoccupante sur le plan sanitaire, à l'existence d'une menace grave de crise systémique au niveau du secteur financier. Et ce d'autant plus que les mesures de soutien à l'économie qu'on envisageait de prendre, sur la base des informations disponibles à ce moment-là, notamment sur la durée probable de la crise sanitaire, avaient été calibrées pour ne pas risquer de provoquer de crise systémique au niveau du secteur financier.

    Contrairement à la crise de 2008, les banques belges n'étaient en effet pas en première ligne pour encaisser le choc et avaient des coussins de fonds propres largement supérieurs à ce qu'ils étaient en 2008. Mais elles n'étaient pas à l'abri d'une éventuelle contagion sur leurs bilans via une explosion des pertes sur les crédits octroyés à l'économie ou des difficultés de banques étrangères moins bien capitalisées.

    Il a dès lors été opté pour le recours à une loi de pouvoirs spéciaux habilitant le Roi à prendre un certain nombre de mesures dans différents domaines énumérés de manière limitative dans la loi (loi du 27 mars 2020 qui est entrée en vigueur le 30 mars 2020).

    Ce n'est pas le lieu ici d'entrer dans les discussions juridiques liées au fait que le gouvernement Wilmès était alors en affaires courantes ainsi que sur les modalités de l'obtention de la confiance du Parlement, qui a été limitée aux mesures à prendre pour la gestion de la crise sanitaire.

    Force est toutefois de constater qu'il a finalement été relativement peu fait appel à la possibilité de prendre des arrêtés de pouvoirs spéciaux et que ceux-ci ont été octroyés pour une période assez courte. Certes, la limitation de ces pouvoirs spéciaux à 3 mois, éventuellement renouvelables une fois, correspondait aux attentes à ce moment en termes de durée de la crise sanitaire. Cette limitation, ainsi que le fait que les arrêtés de pouvoirs spéciaux devaient être confirmés par la loi dans un délai d'un an à partir de leur entrée en vigueur s'est toutefois avéré être une contrainte dans un certain nombre de cas.

    Un exemple en est la garantie de l'Etat pour les nouveaux crédits octroyés aux entreprises. Alors que la loi de pouvoirs spéciaux prévoyait pourtant expressément la possibilité pour le Roi de mettre en place un tel régime de garantie, il a finalement été jugé préférable pour la sécurité juridique d'adopter une loi séparée, datée également du 27 mars 2020, donnant habilitation au Roi d'octroyer une garantie de l'Etat pour certains crédits dans la lutte contre les conséquences du coronavirus.

    La durée limitée dans le temps des pouvoirs spéciaux, qui n'ont finalement pas été prolongés au delà du 30 juin 2020, ainsi que la nécessité d'une confirmation des arrêtés de pouvoirs spéciaux par la loi dans un délai d'un an étaient en effet des inconvénients majeurs pour l'octroi d'une garantie de l'Etat dont le caractère pérenne et irrévocable est essentiel à son succès et à la sécurité juridique.

    C'est donc finalement par un arrêté royal du 14 avril 2020 que cette garantie a été octroyée pour les crédits octroyés entre le 1er avril et le 30 septembre 2020 (entre-temps prolongé jusqu'au 31 décembre 2020). Celle-ci est venue compléter le moratoire sur les remboursements de crédits coulé dans la « charte report de paiement crédit aux entreprises » négociée entre l'Etat et le secteur financier.

    Le caractère judicieux de cette approche a encore été confirmé lorsqu'on s'est rendu compte que la crise sanitaire serait plus longue que prévu initialement, et qu'il s'est donc avéré nécessaire d'étendre la garantie de l'Etat à des crédits de plus longue durée en faveur des PME. Les pouvoirs spéciaux n'ayant pas été prolongés au-delà du 30 juin 2020 et l'habilitation au Roi contenue dans la loi du 27 mars 2020 n'étant pas assez large, cette nouvelle garantie a finalement été octroyée via une loi du 20 juillet 2020.

    Une autre difficulté à laquelle ont été confrontés nos pompiers volontaires est la complexité de la répartition des compétences entre les différents niveaux de pouvoirs, fédéral, communautés et régions, ainsi que la difficulté de coordonner l'action de ces différents pouvoirs. Sans parler de la difficulté parfois d'identifier le ou les niveaux de pouvoirs compétents.

    Dans un certain nombre de cas, tel que celui de la garantie pour les crédits aux entreprises, cela a rendu encore un peu plus complexe la rédaction des textes légaux qui devaient régler en détail, en vue d'assurer la sécurité juridique, la hiérarchie entre les garanties offertes par les différents niveaux de pouvoir.

    Mais dans un certain nombre d'autres cas, cela a rendu extrêmement difficile et même parfois impossible de conseiller dans l'urgence du moment l'ERMG sur la possibilité de prendre certaines mesures et à quel niveau de pouvoir celles-ci devaient, le cas échéant, être prises. Même le Conseil d'Etat, consulté de manière informelle sur ce point, n'était pas en mesure de se prononcer en la matière de manière abstraite, en l'absence d'un projet détaillé, car, comme souvent dans ce domaine, le diable est dans les détails.

    Le risque de prendre des mesures qui auraient ensuite été retoquées pour cause d'absence ou d'excès de compétence était dès lors important.

    Des interrogations similaires se sont fait jour sur l'existence d'une base légale adéquate pour prendre des mesures qui portent parfois atteinte à des libertés fondamentales reconnues par la Constitution ou la convention européenne des droits de l'homme. En particulier, le fait que ces mesures étaient prises sur la base d'un « simple » arrêté ministériel du ministre de l'Intérieur a suscité de nombreuses questions.

    En particulier, le fait que ces arrêtés ministériels ont généralement été pris sans consultation du Conseil d'Etat, au motif de l'urgence, alors que dans certains cas ils n'entraient en vigueur qu'après un certain délai, pose question.

    Pour ces différentes raisons, l'expérience des deux crises pose la question de l'opportunité d'adopter, à tête reposée, comme cela existe déjà dans un certain nombre d'autres pays, une législation de crise qui fournirait un cadre prédéterminé à la gestion du plus grand nombre de crises possibles.

    Ce cadre pourrait, d'une part, mettre en place une structure de coordination adaptée aux situations de crise entre les différents niveaux de pouvoirs, voire clarifier les compétences réciproques dans un certain nombre de domaines. D'autre part, il pourrait habiliter le Roi et les exécutifs des Régions et Communautés, à prendre un large éventail de mesures selon des modalités à définir à tête reposée.

    Cette approche permettrait également de préciser dans quelle mesure les mesures prises pourraient être permanentes ou uniquement temporaires. L'expérience des deux crises montre en effet que la tentation est parfois grande de procéder sans réflexion approfondie à des réformes permanentes pour faire face à des situations de crise généralement temporaires.

    Une des principales leçons de la présente crise est qu'il n'est pas toujours facile d'évaluer ex ante la durée de la crise et l'ampleur potentielle de ses ramifications. Il importe dès lors de pouvoir disposer d'un cadre juridique suffisamment flexible que pour pouvoir prendre rapidement les mesures supplémentaires qui s'imposent et de modifier les mesures existantes. A cet égard, le recours à des arrêtés de pouvoirs spéciaux d'une durée limitée dans le temps et dont la validité juridique pourrait être remise en question ex post à défaut de confirmation par le Parlement dans un certain délai risque de porter atteinte à la sécurité juridique, en particulier si le Parlement devait se trouver dans l'impossibilité de procéder à cette confirmation au moment où ce délai arrive à échéance.

    Ceci pose des questions institutionnelles complexes mais permettrait de professionnaliser autant que possible la mission des pompiers du futur!

    4. 2020 vs. 2008: expériences de crises

    Comme déjà mentionné, la crise actuelle sera vraisemblablement plus sévère d'un point de vue économique que la crise financière de 2008-2009. Elle a probablement aussi été mieux gérée sur le plan économique. Il semble donc utile de comparer succinctement les deux expériences d'un point de vue de management de crise, profitant notamment du fait que le Gouverneur de la Banque nationale actuel a eu l'occasion de participer aux deux épisodes, d'abord comme représentant du ministre des Finances au sein du Comité de pilotage dirigé par le Gouverneur Coene et instauré par le gouvernement Leterme le 1er octobre 2008, ensuite en tant que co-président de l'ERMG et membre du GEES en 2020.

    Le premier élément qui distingue les deux crises est d'ordre « moral ». Alors que la crise financière résultait (ou était perçue comme résultant) des excès de l'industrie bancaire, avec le danger concomitant de renflouer des « coupables », la crise du coronavirus nous a tous confrontés aux images d'Italiens trouvant difficilement place dans les hôpitaux du nord du pays. Quelques années plus tard, la crise des souverains au sein de la zone euro mettait en lumière le non-respect des règles budgétaires et même des cas de fraudes « statistiques » dans le cas de la Grèce, conduisant à nouveau à des débats difficiles sur le soutien au « Sud » de l'Europe (qui comprenait bien sûr l'Irlande). Exprimé d'une manière plus académique, la crise financière et celle des souverains renvoyaient à des questions cruciales d'aléa moral (moral hasard) qui imposaient de prendre en compte des questions de précédents ou d'incitants inappropriés qui ont largement pu être évitées en 2020 devant le spectacle de victimes d'une crise purement exogène. Outre l'expérience acquise lors des crises précédentes, cet élément a vraisemblablement rendu possible une réaction plus vigoureuse mais aussi sans doute plus solidaire en 2020 qu'en 2008.

    La seconde différence essentielle concerne l'étendue de la crise, dans le temps mais aussi dans l'espace. La crise de 2008 était une crise aiguë, concentrée dans le temps, qui a imposé aux autorités belges d'intervenir massivement pour éviter l'effondrement du secteur financier du pays et éviter la faillite du crédit souverain qui s'en serait suivie. En un mois, le Gouvernement belge a pris des participations importantes dans trois des quatre plus grandes banques du pays et dans une compagnie d'assurances tandis que la garantie des dépôts bancaires était multipliée par cinq et que le Parlement autorisait à très brève échéance des garanties pour un montant approchant 100% du PIB national.

    En octobre 2008, la crise a été gérée par un petit groupe d'experts en lien continu avec le Gouvernement et sous la direction décisive de Luc Coene. A titre personnel, cela impliquait pour un nombre restreint d'acteurs de travailler 31 jours sur 31, quinze heures par jour, avec trois nuits blanches, pour engager en quelques jours des transactions qui prennent typiquement plusieurs mois pour être menées à bien en temps normal.

    En 2020, la crise s'est manifestée de manière moins soudaine. Elle est apparue en Italie avant la Belgique, alors que notre pays avait été le premier touché sur le continent en 2008. Elle était aussi bien évidemment de nature sanitaire avant d'être économique. En ce sens, elle se présentait comme moins violente que celle de 2008. Nous n'avons pas connu les fameuses nuits de crise, les levers de soleil devant le parterre de journalistes, le risque d'un effondrement rapide de notre économie si, à l'instar de l'Islande, les garanties engagées par l'Etat avaient été perçues comme non crédibles par le marché. Mais cette moindre intensité était « compensée » par une ampleur incomparable. Alors que la crise de 2008 se résume d'une certaine manière à la gestion d'une série de dossiers individuels (Fortis, Dexia, KBC, Ethias, …), la crise COVID-19 a rapidement touché l'ensemble de l'économie. Elle ne pouvait donc pas être gérée de la même manière, nécessitant de répondre à deux larges fronts semés d'immenses incertitudes: un front sanitaire et un front économique.

    Mais ces divergences n'impliquent pas l'absence de similitudes. Dans toute crise majeure, il y a ce moment crucial où l'on doit accepter que les règles du jeu habituelles ne comptent pas, « that one needs to think out of the box ». Lors de la crise financière, cela impliqua de ne pas s'astreindre aux procédures de marché pour constituer rapidement une force de frappe en soutien technique au Comité de pilotage mais aussi, de manière plus conséquente, d'accepter d'engager de l'argent public sous la forme de garanties pour sauver des banques. D'accepter, en d'autres termes, qu'il n'y avait plus de solutions élégantes à la crise, qu'il fallait se résoudre à renflouer ceux-là même qui étaient responsables. En 2020, ce moment de rupture est peut-être moins facile à identifier mais l'annonce par le gouverneur de la BNB, puis par la Commission européenne, que les règles budgétaires devaient être temporairement mises de côté marque une étape symbolique dans la gestion du pan économique de la crise (le lockdown exprimant cette rupture de manière encore plus claire sur le front sanitaire).

    Une autre similitude réside dans l'appel à des comités d'experts en support du gouvernement pour l'aider à gérer la crise, le Comité de pilotage en 2008, l'ERMG et le GEES en 2020. Lors de la crise financière, la technicité des dossiers et les délais très courts imposés par les événements, imposaient de créer rapidement un lien étroit entre « techniciens » et politiques. A cet égard, et peut-être ironiquement, la composition politique du comité de direction de la BNB a été perçue comme un atout, chaque vice-premier ministre pouvant désigner une personne de confiance qui la tiendrait au courant « en temps réel » des développements entre les réunions du kern. Lors de la crise COVID-19, la constitution de l'ERMG et du GEES répondait sans doute moins à l'urgence mais plutôt à la nécessité perçue de créer un consensus suffisamment large sur les mesures à prendre alors que le gouvernement ne disposait pas d'une majorité stable au Parlement. L'EMRG en particulier regroupait à la fois des partenaires sociaux au sens large, des membres des cabinets fédéraux et régionaux, des experts de la Banque nationale et du Bureau du Plan, et des académiques. S'il n'a pas permis (et n'avait sans doute pas pour ambition), de piloter la crise comme l'avait fait le comité dirigé par Luc Coene, il a vraisemblablement joué un rôle positif dans l'analyse de la situation économique, mais aussi dans l'émergence d'une lecture commune des enjeux.

    Face à l'incertitude extrême des crises de 2008 et 2020, la nécessité de construire un discours à la fois cohérent et suffisamment ouvert pour rester flexible s'impose rapidement. En 2008, les priorités suivantes ont balisé les actions du Gouvernement: 1) la sauvegarde du système financier et de l'économie, 2) l'engagement de ne laisser aucun épargnant « sur le bord de la route », 3) le maintien de l'emploi et de l'activité dans le secteur financier, 4) la préservation de la situation financière de l'Etat et 5) l'intérêt des actionnaires. Même si elles peuvent apparaître comme relativement évidentes avec le recul, ces priorités ne coulaient pas de soi à l'époque, notamment du fait de la pression des actionnaires individuels ou institutionnels qui entendaient être préservés dans leurs intérêts. Privilégier l'intérêt général dans ce contexte impliquait un coût politique qui s'est avéré non négligeable.

    Les principes de gestion de la crise COVID-19 ne furent pas établis de manière formelle mais un consensus relativement large s'est cristallisé autour de la nécessité d'intervenir de manière 1) ambitieuse et rapide pour répondre adéquatement à l'ampleur de l'enjeu, 2) ciblée sur les personnes ou entreprises victimes de la crise, et enfin 3) au travers de mesures temporaires afin de préserver les finances publiques à terme. En anglais, cette philosophie se résume en référence aux trois « T »: timely, targeted, temporary.Au-delà de ce triptyque, l'ERMG s'est entendu sur l'intérêt de prendre autant que possible des mesures transversales et d'éviter des mesures purement sectorielles, du moins tant que le confinement touchait l'essentiel de l'économie. A défaut, l'on risquait de voir revenir sur la table les cahiers de revendications sectorielles d'avant-crise, ce qui aurait conduit à des arbitrages impossibles. Plus tard, lorsqu'il est apparu que certains secteurs devaient rester confinés plus longtemps, un nombre limité de mesures sectorielles ont pu être mises en oeuvre. Globalement, le principe des trois « T » a été assez bien suivi jusqu'au moment où la formation du Gouvernement a remis à l'agenda des sujets de la campagne électorale de mai 2019.

    La communication de crise en 2008 s'apparentait à un cauchemar. Du fait du caractère structurellement fragile des secteurs bancaires qui sont sujets à des « run » sur les dépôts, il n'était pas possible de communiquer de manière transparente sur la gravité de la situation. Un ministre des Finances ne peut tout simplement pas dire devant les caméras de télévision qu'il ne sait pas si les banques, et avec elles le pays, vont résister à la crise. Les circonstances imposent de prétendre que la situation est sous contrôle alors même que l'on a frôlé la catastrophe. Le 8 octobre, lorsque l'on est forcé d'apporter une garantie au groupe Dexia, on sait que le crédit de la Belgique tient à un fil. Si les marchés n'y croient pas, nous risquons la faillite. Mais l'on ne peut évidemment pas le dire.

    De ce point de vue, la communication relative à la crise COVID-19 est sans doute moins schizophrène. Ceci dit, l'ampleur de l'incertitude sur les plans sanitaires et économiques rend le discours complexe et aussi chaotique, d'autant que la communication est en partie sous-traitée à des virologues qui ne sont pas toujours d'accord entre eux ou sont en désaccord partiel avec les politiques. Sur le plan budgétaire, il n'est pas non plus aisé d'expliquer que l'on doit tout faire pour réaliser un portage de l'économie vers l'après-crise sanitaire tout en rappelant qu'il y a des limites à ce que l'on peut se permettre en termes de soutenabilité de nos finances publiques. L'idée que l'on devra revenir à plus de rigueur à relativement brève échéance n'est pas facile à faire passer dans un environnement de taux bas. La dernière crise des souverains date de moins de 10 ans et, comme le domaine climatique, la soutenabilité des dettes est sujette à des « tipping points » mais il n'en reste pas moins difficile de convaincre les gens que l'argent n'est pas devenu durablement gratuit.

    Conclusion

    Chaque crise économique est unique, par les facteurs déclencheurs, par le contexte dans lequel elles se développent et par les effets qu'elles exercent. Dès lors, chaque crise appelle des réponses spécifiques en matière de mesures pour les combattre.

    Des points communs forts se dégagent toutefois de l'expérience de la crise, encore en cours, du COVID-19 et de la crise financière de 2008. Compte tenu de l'incertitude extrême qui prévaut dans ces situations, il s'agit d'abord de la nécessité de disposer d'informations en temps réel pour suivre une situation très mouvante, et de pouvoir s'appuyer sur une grille de lecture adéquate pour donner du sens à ces circonvolutions. Sur cette base, il devient possible d'établir des grands principes tant pour la gestion de crise, que pour la communication vers la population.

    Les crises finissent par survenir, à une fréquence qui, s'il est permis de tirer une inférence du timing des deux derniers épisodes, semble augmenter. Du fait de leur caractère disruptif, dans toute crise majeure, il y a ce moment où il faut sortir des clous des règles du jeu habituelles afin d'apporter une réponse adéquate face aux enjeux économiques et sociétaux.

    Pour être en mesure de mettre en oeuvre des solutions radicalement nouvelles dans un contexte incertain et changeant, les décideurs politiques doivent disposer d'un cadre juridique suffisamment flexible pour prendre et mettre rapidement en oeuvre les mesures qui s'imposent. L'expérience des deux crises pose la question de l'opportunité d'adopter, à tête reposée, une législation de crise qui fournirait un cadre prédéterminé à la gestion du plus grand nombre de crises possibles.

    [1] Version finale: 30 novembre 2020.
    [2] Banque nationale de Belgique; Pierre Wunsch en est le gouverneur. Cet article n'engage que ses auteurs et pas l'institution à laquelle ils appartiennent.
    [3] L'ERMG a été institué le 19 mars 2020 par le gouvernement fédéral. Placé sous la co-présidence de Piet Vanthemsche et de Pierre Wunsch, il a pour mission de mesurer l'incidence de la pandémie de coronavirus sur les entreprises, les secteurs et les marchés financiers (“monitoring”), de veiller à ce que les entreprises et les infrastructures particulièrement critiques pour notre pays continuent de fonctionner (“business continuity”) et de jouer un rôle de coordination en dressant la liste des mesures qui ont été prises pour lutter contre les conséquences économiques de cette crise.
    [4] Pour plus information, cf. J. Boeckx, M. Deroose et E. Vincent (2020), The ECB's monetary policy response to COVID-19, NBB Economic Review, June, 37-52.