Article

Cour d'appel Mons, 12/09/2016, R.D.C.-T.B.H., 2020/3, p. 325-333

Cour d'appel de Mons 12 septembre 2016

CONTRAT DE SWAP D'INTÉRÊTS
Loi applicable en l'absence de choix des parties - Economie générale du contrat - Qualification du contrat - Contrat de swap d'intérêts entre une banque et un emprunteur
Confrontée à un contrat de SWAP d'intérêts conclu en 2006 entre la Société wallonne du logement (« SWL ») et la banque d'investissement française « NATIXIS », qui, assez singulièrement, ne comportait pas de clause relative à la loi applicable, la cour d'appel de Mons (« cour ») a considéré, entre autres [1], que les obligations des parties se réduisaient à des échanges de flux financiers. Elle en a déduit qu'il était impossible d'isoler la prestation caractéristique du contrat au sens de l'article 4, 2., de la Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (« convention »), qui était encore en vigueur à l'époque des faits. Le règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (« Règlement Rome I ») ne régit, en effet, que les contrats conclus après le 17 décembre 2009 [2]. La cour s'est dès lors estimée autorisée à recourir à l'article 4, 5., de la convention. A cet égard, constatant que le contrat était adossé à un contrat d'emprunt de droit belge et que les fonds empruntés étaient destinés à la réalisation par la SWL de projets en Belgique, la cour a retenu que le contrat de SWAP avait ses liens les plus étroits avec ce pays [3].
RENTESWAPOVEREENKOMST
Toepasselijk recht bij gebrek aan keuze van de partijen - Algemene structuur van de overeenkomst - Kwalificatie van de overeenkomst - Renteswapovereenkomst tussen een bank en een kredietnemer
Geconfronteerd met een renteswapovereenkomst die in 2006 werd gesloten tussen de Waalse Huisvestingsmaatschappij (Société wallonne du Logement - “SWL”) en de Franse zakenbank “NATIXIS” en die, enigszins merkwaardig, geen clausule bevatte met betrekking tot het toepasselijk recht, oordeelde het hof van beroep van Bergen (“hof”) onder meer dat de verplichtingen van de partijen werden gereduceerd tot de uitwisseling van financiële stromen. Het hof leidde daaruit af dat het onmogelijk was om de kenmerkende prestatie van de overeenkomst te isoleren in de zin van artikel 4, 2. van het Verdrag van Rome van 1980 inzake het recht dat van toepassing is op verbintenissen uit overeenkomst (“verdrag”), dat ten tijde van de feiten nog steeds van kracht was. Verordening (EG) nr. 593/2008 van het Europees Parlement en de Raad van 17 juni 2008 inzake het recht dat van toepassing is op verbintenissen uit overeenkomst (“Rome I-Verordening”) is alleen van toepassing op overeenkomsten die ná 17 december 2009 zijn gesloten. Het hof was dan ook van oordeel dat het een beroep kon doen op artikel 4, 5. van het verdrag. In dit verband, na te hebben vastgesteld dat de overeenkomst gekoppeld was aan een leningsovereenkomst naar Belgisch recht en dat de geleende middelen bestemd waren voor de SWL om projecten in België uit te voeren, heeft het hof geoordeeld dat de swapovereenkomst met dat land de nauwste banden had.

Société wallonne du Logement / Natixis

Sièg.: J. Matagne (président), C. Knoops et B. Inghels (conseillers)
Pl.: Mes. P.A. Foriers, V. Marquette, M. Von Keugelgen, C.-E. Lambert, M. Grégoire et D. Zygas

La cour, après avoir délibéré, rend l'arrêt suivant:

Vu la requête d'appel du 2 mars 2015;

Vu le jugement du 28 novembre 2014 du tribunal de commerce de Mons et de Charleroi, division de Charleroi;

Vu les conclusions du 22 février 2016 de la Société wallonne du Logement (en abrégé SWL);

Vu les conclusions du 21 avril 2016 de la société de droit français NATIXIS;

Vu les dossiers des parties;

L'appel, interjeté dans les formes et délai légaux, est recevable.

l. Antécédents

II y a lieu de renvoyer à l'exposé des premiers juges quant aux faits de la cause et à l'objet de la demande.

II suffit de rappeler succinctement ce qui suit:

- la SWL est un organisme public constitué en 1984 dont le capital est majoritairement détenu par des personnes morales de droit public;

- elle assure la tutelle, le conseil et l'assistance de 64 sociétés de logement de droit public;

- les sociétés de logement peuvent faire appel à la SWL pour leurs investissements; la SWL agit en tant qu'intermédiaire ou en tant que fournisseur de crédits et pour ce faire, elle a recours au marché des capitaux;

- en 2003, la SWL a lancé un appel d'offres européen en vue de sélectionner des institutions financières pour financer ses programmes 2002-2003;

- elle a retenu l'offre de la banque DEXIA prévoyant un financement via un emprunt obligataire sur 15 ans pour un montant en principal de 19.954.600 EUR à un taux d'intérêt variable;

- pour se prémunir contre la variation des taux d'intérêts, elle a souscrit un produit de couverture (swap) et a retenu l'offre de la société française CDC IXIS (aux droits de laquelle vient NATIXIS);

- le taux d'intérêt devant être payé par la SWL dans le cadre de ce contrat de swap, calculé sur un notionnel de 19.954.600 EUR, pouvait varier de 3,10% à 6,50% en fonction de l'évolution des taux pendant les 10 premières années et était ensuite calculé en fonction du taux EURIBOR 3 mois diminué de 0,10%;

- fin 2005, il est apparu que le taux qui devrait être payé en 2006 par la SWL serait porté à 6,50%;

- estimant ce taux trop élevé, la SWL a négocié avec NATIXIS une restructuration du swap;

- NATIXIS lui a transmis 4 propositions et la SWL, laquelle était assistée par un conseiller financier, la société IFCA (Institut de cambisme et de finance internationale), a choisi la quatrième;

- un nouveau swap a ainsi été conclu le 24 mars 2006 en remplacement de celui de 2004; il expire en 2019;

- en 2011, la SWL, après avoir fait choix d'un nouveau conseiller financier après la faillite de la société IFCA survenue le 5 juillet 2011, a entamé de nouvelles négociations avec NATIXIS en vue de restructurer le swap de 2006 eu égard au taux fort élevé des intérêts;

- ces négociations n'ont cependant pas abouti;

- par lettres de ses conseils du 16 mars 2013, la SWL a mis NATIXIS en demeure de la délier de ses obligations résultant du contrat de swap souscrit en 2006 et de lui rembourser les sommes payées;

- par citation du 17 mai 2013, elle a cité NATIXIS devant le tribunal de commerce de Charleroi en postulant l'annulation du contrat de swap de 2006 et le remboursement des sommes payées;

- par jugement du 28 novembre 2014, la demande a été dite recevable mais non fondée;

- la SWL a interjeté appel par requête du 2 mars 2015.

II. Loi applicable

Les parties s'accordent quant à la compétence des juridictions belges pour connaître du litige mais s'opposent quant à la loi applicable, la SWL soutenant que c'est la loi française et NATIXIS estimant que c'est la loi belge qui est d'application.

La Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles dispose en son article 4 qu'à défaut de choix des parties le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits.

Cet article dispose, sub 2, qu'« (...) il est présumé que le contrat présente les liens les plus étroits avec le pays où la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a, au moment de la conclusion du contrat, sa résidence habituelle ou, s'il s'agit d'une société, association ou personne morale, son administration centrale ».

La « prestation caractéristique » est celle qui différencie le contrat en cause d'un autre contrat et qui, en principe, ne consiste pas dans le paiement d'une somme d'argent.

La SWL estime que la prestation caractéristique dans un contrat de swap adossé à un prêt est constituée par la prise en charge du taux d'intérêt dû par le client dans ce prêt.

La convention litigieuse est un contrat de swap d'intérêts, lequel peut être défini comme un contrat par lequel deux parties se paient respectivement un taux d'intérêt, calculé sur un montant principal, et suivant une fréquence et une base calendaire déterminée.

Le swap de taux d'intérêts le plus classique est celui dans lequel un client échange un taux variable de référence contre un taux fixe: une partie accepte de payer un cash-flow représentatif d'intérêts à taux fixe et reçoit en contrepartie un flux d'intérêts à taux variable; réciproquement, l'autre partie accepte de payer un cash-flow représentatif d'intérêts à taux variable et reçoit un flux d'intérêts à taux fixe; les flux financiers sont calculés sur un montant principal déterminé (le notionnel) et sont échangés entre les parties selon une fréquence (p. ex. 3 ou 6 mois) et une durée convenues entre elles (V.J. Sad, « Les swap de taux d'intérêts: cinq ans de jurisprudence », D.B.F., 2015, pp. 375 et s., n° 3).

Rien n'interdit cependant que les intérêts échangés soient chacun basés sur des taux variables différents.

Les prestations des deux parties consistent ainsi en l'échange de flux financiers, variant selon les stipulations contractuelles et les taux d'intérêts servant de référence, de sorte que chacune peut être qualifiée de prestation caractéristique et qu'il convient d'en revenir pour déterminer la loi applicable au litige au critère du pays avec lequel le contrat présente les liens les plus étroits.

En l'espèce, le swap litigieux est adossé à un emprunt soumis au droit belge et les fonds empruntés étaient destinés à la réalisation par la SWL de projets en Belgique; c'est avec ce pays quel le contrat présente les liens les plus étroits et le droit belge s'applique.

A titre surabondant, il convient de relever que les parties conviennent que cette contestation est en pratique de peu d'incidence dès lors que la solution à apporter au litige est la même en droit français et en droit belge, les dispositions et principes applicables étant similaires.

Ainsi, mutatis mutandis, les considérations qui suivent demeureraient pertinentes si le droit français était appliqué.

III. Au fond

A titre principal, la SWL soutient que le contrat de swap de 2006 doit être déclaré nul pour trois raisons:

- elle n'avait pas, en raison de sa spécialité légale, la capacité de conclure cette convention, s'agissant d'un swap spéculatif;

- son consentement a été vicié;

- le swap est illégal pour avoir été conclu en violation de la réglementation applicable aux marchés publics.

A. Violation du principe de spécialité légale

1. La SWL fait valoir qu'en vertu du principe de spécialité légale et organique, les personnes morales de droit public n'existent et ne peuvent agir que dans le but qui leur est dévolu par la loi.

Elle rappelle que l'article 95 du Code du logement prévoit que ses avoirs et disponibilités ne peuvent être utilisés que pour réaliser ses missions et tâches prévues par ou en vertu de ce code ou du contrat de gestion et non pour réaliser des spéculations.

Elle estime que la conclusion du swap litigieux, produit spéculatif, viole nécessairement le principe de spécialité légale et que le contrat est par conséquent nul.

Elle soutient encore que si la conclusion d'opérations de couverture peut entrer dans les prévisions de l'article 96 du Code du logement, lequel dispose que la SWL peut être autorisée par le Gouvernement wallon à contracter des emprunts, il n'en va pas de même des swaps spéculatifs.

Elle en déduit que la convention est nulle, excédant les limites de l'article 96 et celles de l'autorisation gouvernementale octroyée.

NATIXIS répond à cette argumentation en faisant valoir que le swap litigieux n'est pas un swap spéculatif mais un swap de couverture.

2. Un swap est un contrat aléatoire au sens des articles 1104, alinéa 2 et 1964 du Code civil.

II présente en principe un aléa, puisqu'il incorpore une évaluation du risque de changement de taux d'intérêt, assumé par les parties.

Cet aléa ne se confond pas avec la spéculation et le swap peut constituer un instrument de couverture ou un instrument spéculatif.

Fondamentalement, les swaps de couverture et spéculatif se distinguent comme suit:

- dans le cas du swap de couverture, il est adossé à une situation préexistante, de dette ou de placement;

- dans le cas du swap spéculatif, la position prise au travers du swap l'est pour elle-même, en l'absence de toute relation avec quelque situation préalable que ce soit (V.A. Ruttiens, Futures, swap, options. Les produits financiers dérivés, 2012, p. 101).

La Commission des Normes Comptables a retenu une distinction similaire (voy. son avis 2011/18 - Le traitement comptable du swap de taux d'intérêt (Interest Rate Swap)).

Toutefois, on ne peut exclure qu'un swap, même adossé à un contrat d'emprunt, soit en réalité un contrat spéculatif, lorsque l'IRS (« lnterest Rate Swap ») est totalement indépendant, ou est susceptible de le devenir, du crédit contracté.

Comme relevé récemment par la doctrine, en pareil cas, « le montant nominal sur lequel sont calculés les intérêts fixes et variables, soit n'est pas la somme empruntée, soit correspond nominalement à cette somme de départ, mais n'est pas amorti. II est également fréquent que la durée de l'IRS ne soit pas subordonnée à la vie du crédit. Dans un tel cas, ce montant nominal est purement fictif et l'IRS devient un contrat spéculatif dont l'objet se limite à l'espoir d'un gain lié à une variation du taux d'intérêts » (voy. C. Alter et L. Van Muylen, « Contrats de couverture et swap de taux d'intérêts », in Liber Amicorum François Glansdorff et Pierre Legros, 2014, p. 50).

En l'espèce, le swap litigieux était adossé à un contrat de crédit et n'était pas indépendant de celui-ci ou susceptible de le devenir.

II s'agissait bien d'un swap de couverture, adossé à l'emprunt souscrit par la SWL auprès de la banque DEXIA; il constituait en outre une couverture subséquente puisqu'il couvrait aussi la soulte qui aurait été due suite à la liquidation anticipée, à la demande de la SWL, du swap conclu en 2004.

La conclusion de ce swap restait dans les limites de l'autorisation du Gouvernement wallon (arrêté gouvernemental du 13 mars 2003), lequel permettait à la SWL de recourir à des produits dérivés « notamment les swaps et options sur taux, dans un but de couverture uniquement ».

Elle respectait également le prescrit des articles 95 et 96 du Code du logement.

Les procédures de contrôle (consultation du comité Asset Liability Management et validation par le ministre du Budget de la Région wallonne) ont d'ailleurs été respectées sans qu'à aucun moment le caractère prétendument spéculatif du swap n'ait été évoqué; certes, cet élément n'est pas déterminant comme le relève la SWL mais il y a lieu d'observer que c'est seulement suite au litige entre parties qu'il a été fait état de ce caractère, pour les besoins du présent procès.

Ni le fait que cette convention présentait un aléa, inhérent à ce type de contrat, ni le fait que l'évolution ultérieure des taux d'intérêts a abouti à ce que la SWL soit redevable de taux particulièrement élevés ne permettent de revenir sur cette qualification d'instrument de couverture et de considérer a posteriori le swap litigieux comme un instrument spéculatif, ce qu'il n'était pas.

Au jour de la conclusion du contrat, la couverture était parfaite en termes économiques et financiers, ce qui est inconciliable avec la notion de spéculation avancée par la SWL.

Par ailleurs, NATIXIS rappelle à raison qu'un instrument financier de couverture reste un instrument de couverture quand bien même il ne ferait pas l'objet d'une comptabilité de couverture.

La nullité de la convention ne peut ainsi être prononcée sur base de la violation prétendue du principe de spécialité légale et organique, des articles 95 et 96 du Code du logement et de l'autorisation du Gouvernement wallon.

B. Vices de consentement

La SWL soutient que NATIXIS n'a pas respecté les obligations d'information et de mise en garde qui lui incombaient lors de la négociation du swap de 2006.

Elle considère qu'elle a ainsi commis une faute précontractuelle ayant conduit à un vice de consentement dans le chef de la SWL et invoque le dol et l'erreur.

1. Obligation d'information et de mise en garde

a. Les contrats de swap sont actuellement soumis à la réglementation MiFID (Markets in Financial Instruments Directive), laquelle a notamment pour objectif une meilleure protection des investisseurs.

II s'agit essentiellement de la directive n° 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les marchés d'instruments financiers et la directive n° 2006/73/CE de la Commission du 10 août 2006 portant mesures d'exécution.

Cette réglementation a été transposée en droit belge par la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers ainsi que par l'arrête royal du 3 juin 2007 portant les règles et modalités visant à transposer la directive concernant les marchés d'instruments.

Ces dispositions ne s'appliquent rationae temporis qu'aux seuls contrats conclus après le 1er novembre 2007, date correspondent à l'entrée en vigueur en droit belge des textes précités.

Pour les contrats conclus avant cette date, comme le swap litigieux, il y a lieu de se référer aux règles de conduite énoncées par l'article 36 de la loi du 6 avril 1995 relative au statut et au contrôle des entreprises d'investissement (V.J. Sad, o.c., in D.B.F., 2015, n° 15).

b. Parmi les règles de conduite que l'article 36 de la loi du 6 avril 1995 mettait à charge des intermédiaires autorisés sur les marchés financiers réglementés, la cinquième concernait directement l'information à fournir à l'investisseur.

Ainsi, ces intermédiaires devaient veiller « à faire des démarches raisonnables pour fournir dans un délai raisonnable, au client qu'ils conseillent, dans une langue compréhensible, toute information qui lui permet de prendre une décision bien réfléchie et en connaissance de cause ».

Le devoir d'information du professionnel de la finance trouve aussi son fondement dans les principes d'exécution de bonne foi et de comportement prudent et raisonnable.

Dans la phase précontractuelle, la bonne foi impose aux parties d'informer loyalement l'autre sur les circonstances déterminantes pour la conclusion du contrat; elle est fondée sur les articles 1382 et 1383 du Code civil.

Lors de l'exécution du contrat, elle est fondée sur l'article 1134, alinéa 3, du Code civil qui impose à chaque contractant de s'informer mutuellement de tout élément de nature à influencer l'exécution de ses obligations par sa contrepartie (voy. J.-P. Buyle, « Les obligations d'information, de renseignement, de mise en garde et de conseil des professionnels de la finance », in Les obligations d'information, de renseignement, de mise en garde et de conseil, C.U.P., vol. 86, p. 185, n° 12).

Le devoir d'information se définit « comme la transmission d'une information dont le contenu est déterminé de manière objective. II consiste parfois à rechercher cette information si celui qui doit la transmettre l'ignore. Le devoir d'information porte tout d'abord sur la communication de données et de faits. Il ne concerne que des aspects techniques d'un service permettant au client d'en comprendre le mécanisme et la portée pour, sur cette base, orienter et déterminer son choix. L'information concerne les conditions du service financier » (voy. J.-P. Buyle, o.c., p. 167, n° 1).

Le devoir de mise en garde quant à lui « correspond à l'obligation d'attirer l'attention de l'interlocuteur sur les dangers qui se présentent à lui. Le contenu de l'information, à savoir le danger eu égard à certaines circonstances, peut être déterminé de manière objective et n'exige pas que le débiteur de cette obligation donne un avis personnel. Par contre, pour pouvoir mettre quelqu'un en garde, ii faut examiner la situation dans laquelle se trouve l'intéressé et l'analyser afin de découvrir le danger. II s'agit là d'une prestation de nature intellectuelle qui requiert une appréciation subjective, ce qui rattache en quelque sorte la mise en garde au devoir de conseil » (ibid.).

c. La nature, le contenu et les limites de l'information à donner varient en fonction de la nature, de la simplicité ou de la complexité du produit bancaire visé, de la structure mise en place par le professionnel, de l'expérience et de la compétence du client et des circonstances particulières de l'espèce visée (voy. J.-P. Buyle, o.c., p. 186, n° 12).

Le devoir d'information est ainsi relatif.

Le banquier doit seulement donner au client les informations techniques nécessaires et lui révéler les risques encourus.

II convient de vérifier s'il s'est comporté comme l'aurait fait un professionnel normalement prudent et diligent.

Le devoir d'information du banquier cesse lorsque le client a, ou doit avoir, connaissance de l'information.

Le client ne peut se borner à invoquer son ignorance, encore faut-il que celle-ci soit légitime ou excusable (ibid.).

2. Etendue en l'espèce

a. En l'espèce, même si la SWL n'est pas un professionnel de la finance, elle ne peut être considérée comme un client profane.

En effet, afin de mener à bien sa mission en matière de logement social, elle recourt pour partie au marché des capitaux.

Elle est ainsi accoutumée à conclure des contrats ayant trait au financement de ses activités.

Comme le relève NATIXIS, l'appel d'offres général du 10 juin 2004 décrit les missions de la SWL en précisant notamment qu'elle a un rôle de conseil de tutelle auprès des sociétés de logements sociaux agréées; « elle leur apporte son assistance et exerce son soutien administratif, technique et financier. Elle est à la fois investisseur, banquier et agent financier ».

Elle disposait d'un service financier et était assistée, lors de la conclusion du swap litigieux, par un conseiller financier, l'IFCA.

Ces éléments limitaient l'obligation d'information à charge de NATIXIS sans la dispenser toutefois de révéler les risques encourus, sa cliente n'étant pas un professionnel de la finance mais un organisme public dont la mission concerne le logement social.

b. NATIXIS fait valoir que le swap litigieux n'est pas complexe.

Toutefois, il ne s'agit pas d'un swap simple, dans lequel le client échange un taux variable de référence contre un taux fixe, mais d'un produit faisant intervenir une fourchette de taux et une formule dont toutes les implications, notamment les effets « cliquets », ne sont pas aisément perceptibles.

Par ailleurs, l'objectif de la SWL lors de la négociation d'un nouveau swap était bien connu de NATIXIS, sa cocontractante considérant le taux de 6,50% qu'elle devait payer en application de la convention de swap de 2004 comme trop élevé et souhaitant obtenir un taux moindre.

Force est de constater que cet objectif n'a pas été atteint, la SWL payant actuellement un taux de l'ordre de 37,50%.

NATIXIS aurait dû l'informer du mécanisme et des risques de la formule proposée pour le remplacement du swap de 2004, compte tenu de sa relative complexité, de ce que l'objectif recherché pouvait ne pas être atteint et qu'une augmentation importante du taux d'intérêts pouvait même survenir.

c. NATIXIS soutient toutefois que l'opération litigieuse était caractérisée par son faible degré de risque.

Elle relève que le taux EURIBOR 3 mais de référence était à l'époque caractérisé par sa stabilité.

Elle fait valoir que de 1999 jusqu'en 2008, ce taux manifestait une réelle constance, ne descendant pas en dessous des 2% et ne dépassant pas les 5,50%.

Elle ajoute que la forte chute du taux constatée fin 2008 est une conséquence directe de la crise financière mondiale que nul ne pouvait prévoir.

d. La cour ne partage pas cette appréciation quant au caractère peu risqué de l'opération.

La formule de swap proposée était susceptible d'entraîner de fortes augmentations des taux d'intérêts dus par la SWL si le taux EURIBOR 3 mois ne se maintenait pas dans une fourchette allant de 1,91% à 7%.

Cette augmentation pouvait s'avérer considérable, compte tenu d'effets « cliquets », même si le taux EURIBOR était à la baisse plutôt qu'à la hausse.

C'est d'ailleurs ce qui s'est concrètement produit, la SWL n'étant pas sérieusement contredite lorsqu'elle précise que:

- elle est amenée à payer actuellement un taux d'intérêt avoisinant les 37,50%, lequel ne pourra plus évoluer à la baisse mais seulement à la hausse jusqu'à la fin du contrat;

- au 30 novembre 2015, elle a déjà payé à NATIXIS une somme d'intérêts de 24.476.550,70 EUR pour se couvrir contre le taux d'intérêt d'un prêt dont le montant en principal est de 20.000.000 EUR.

Contrairement à l'opinion de NATIXIS, la cour estime que le risque de voir le taux EURIBOR sortir de la fourchette allant de 1,91% à 7% n'était ni imprévisible ni minime.

Tout d'abord, lorsque le contrat a été conclu, le 24 mars 2006, les données disponibles ne portaient que sur quelques années, les taux EURIBOR n'existant que depuis 1999, année de l'introduction de l'euro.

Or, le contrat de swap ne prend fin qu'en 2019, de sorte qu'il était pour le moins hasardeux de considérer que la stabilité du taux EURIBOR 3 mois allait se maintenir jusqu'à la fin du contrat.

En outre, comme le montre le graphique ci-après, figurant à la p. 46 des conclusions de NATIXIS, la stabilité vantée n'empêchait pas des variations de taux de près de 3%, le taux ayant approché les 5% avant de descendre à un peu plus de 2%.

Ceci, sur une période réduite et avant la survenance de la crise financière de 2008.

On observera encore que lorsque les parties ont négocié le nouveau swap, le taux était d'un peu plus de 2%, soit très proche de la limite basse de la « fourchette », soit 1,91%.

II était ainsi parfaitement prévisible pour un professionnel de la finance comme l'est NATIXIS que le taux EURIBOR 3 mois sorte de la « fourchette » durant la durée du contrat, lequel ne se terminait qu'en 2019.

Les conséquences pouvaient s'avérer fort lourdes pour sa cocontractante.

II s'agissait donc d'une opération présentant un risque sérieux pour la SWL.

Un banquier normalement prudent et diligent se devait dès lors d'informer celle-ci de la portée de l'opération et du risque encouru.

3. Manquement à l'obligation d'information

a. NATIXIS prétend qu'elle a correctement rempli son obligation d'information et que la SWL a contracté en parfaite connaissance de cause.

Elle relève que la charge de Ia preuve du manquement au devoir d'information repose sur la SWL.

A cet égard, sur le plan probatoire, il est généralement considéré que la charge de la preuve du manquement à ce devoir incombe au créancier; s'il est admis que la démonstration de la preuve d'un fait négatif peut être appréciée avec moins de rigueur que celle d'un fait positif, cela ne peut entraîner un renversement de la charge de la preuve; l'intermédiaire est tenu de collaborer loyalement à la charge de la preuve mais n'est pas tenu de démontrer le respect de son obligation d'information.

Toutefois, une jurisprudence et une doctrine récentes s'appuient sur le prescrit de l'article 1315 du Code civil pour considérer que le raisonnement doit s'effectuer en deux temps: c'est d'abord à celui qui se prétend victime d'un manquement à une obligation d'information d'établir l'existence de cette obligation; c'est ensuite au débiteur qu'il appartient de prouver qu'il s'en est libéré (voy. F. Glansdorff, « La charge de la preuve de l'(in)exécution de l'obligation de conseil et d'information » (note sous Civ. Bruxelles, 5 avril 2016), J.T., 2016, p. 408; voy. égal. en matière d'obligation d'information de l'avocat : Cass. 25 juin 2015, R.G.A.R., 2015, n° 15219, note F. Glansdorff).

La cour se rallie à ce raisonnement mais cela ne présente en l'espèce qu'un intérêt théorique puisque les éléments produits aux débats sont suffisamment éclairants quant à l'information donnée lors de la négociation du swap litigieux.

b. Suite à la demande de la SWL de négocier un nouveau swap, NATIXIS lui a adressé 4 propositions sous forme de formules, dont la quatrième fut finalement acceptée, lesquelles n'étaient assorties d'aucun commentaire ou explication.

Ces propositions ont été examinées par le conseiller financier de la SWL, l'IFCA, lequel a établi un mémorandum le 20 janvier 2006.

NATIXIS déduit de ce mémorandum que l'IFCA avait parfaitement compris la portée de la formule 4, notant qu'« en dehors de cette fourchette, il y aura une pénalité à payer qui correspond au taux moins les taux de la fourchette ».

Ce mémorandum montre au contraire que l'IFCA n'avait pas perçu les risques liés à cette formule, contrairement à ceux de la formule 2 où il fait mention d'un effet « boule de neige ».

II ne fait aucunement état de ce que la formule 4:

- présentait un effet cliquet, en ce sens qu'une fois un taux atteint, le taux payé par la SWL lors des échéances suivantes ne pourrait plus jamais redescendre en dessous de ce taux;

- avait un effet cumulatif, le taux dû par la SWL lors d'une échéance donnée résultant d'un cumul des taux des périodes précédentes;

- n'était pas plafonnée.

Les échanges ultérieurs entre l'IFCA et NATIXIS n'ont porté que sur l'actualisation des formules et aucune remarque n'a été faite par NATIXIS quant aux risques de la formule 4.

A cet égard, même s'il y a eu des échanges verbaux entre NATIXIS et l'IFCA, il est certain que si la question des risques avait été évoquée, il en aurait été fait mention, à tout le moins succinctement, par écrit; les pièces produites révèlent que cela n'a pas été abordé.

La formule 4 a ainsi été acceptée sans autre changement qu'une actualisation des taux de la fourchette, ceux-ci étant de 1,25%-7,50% dans la proposition et de 1,91%-7% dans la convention.

c. NATIXIS fait état de l'envoi d'un outil de simulation, étant un outil de « crash scenario », à l'IFCA (sa pièce 12).

Cependant, la SWL relève à raison que cet outil concernait un emprunt de la Région wallonne, dont l'IFCA était également le conseiller financier, l'annexe étant d'ailleurs présentée comme « Snowball Simulation RW ».

Les paramètres de cette opération concernant la Région wallonne, notamment quant à la durée du swap et au montant du nominal, étaient différents de ceux concernant la SWL.

L'envoi d'un tel outil pour l'opération envisagée aurait été des plus judicieux, permettant à la SWL et à son conseiller financier de mieux percevoir les risques de l'opération.

Un tel envoi n'est toutefois pas intervenu et la pièce vantée est étrangère à cette opération, de sorte qu'elle ne peut être considérée comme constituant la communication d'un outil de simulation pertinent.

d. II ressort des considérations qui précèdent que NATIXIS ne s'est pas comportée comme l'aurait fait un intermédiaire financier normalement prudent et diligent quant à l'information de son cocontractant.

Elle s'est abstenue de lui révéler les risques encourus en raison du mécanisme de ce swap et a ainsi méconnu son obligation d'information.

4. Dol

La SWL soutient que sa volonté a été entachée d'une erreur lors de la conclusion du swap litigieux et que cette erreur a été provoquée par des abstentions délibérées et dès lors dolosives de NATIXIS.

Ce faisant, il lui appartient de démontrer la réalité des manoeuvres dolosives qu'elle impute à NATIXIS.

Comme dit ci-avant, NATIXIS s'est comportée fautivement en méconnaissant l'obligation d'information qui lui incombait.

Cela n'implique cependant pas qu'elle a, ce faisant, commis une réticence dolosive.

Son abstention fautive peut s'expliquer autrement que par un dol, pouvant résulter:

- d'une part, d'une mauvaise perception de la stabilité future du taux EURIBOR 3 mois et des risques de l'opération;

- d'autre part, d'une conception erronée de son obligation d'information dès lors qu'elle traitait avec un client non profane et assisté d'un conseiller financier.

NATIXIS ne s'est pas comportée comme l'aurait fait un professionnel de sa catégorie, normalement prudent et diligent, et a ainsi commis une faute mais la commission d'un dol n'est pas démontrée.

5. Erreur

a. La SWL soutient que son consentement a été vicié par une erreur substantielle.

L'erreur est une discordance entre la volonté réelle et la volonté déclarée, non provoquée et involontaire dans le chef de celui qui la commet.

L'erreur substantielle est celle qui tombe sur la substance même de la chose qui est l'objet de la convention.

La substance de la chose est tout élément qui a déterminé principalement la partie à contracter de telle sorte que, sans cet élément, le contrat n'aurait pas été conclu.

En l'espèce, la SWL entendait conclure un swap réduisant le taux d'intérêt dû en vertu du swap de 2004, plafonné à 6,50%.

Sa volonté déclarée, telle qu'elle ressort de la convention litigieuse, ne concorde cependant pas avec cette volonté réelle puisqu'il suffisait que le taux EURIBOR 3 mois s'écarte de la fourchette 1,91-7% pour qu'elle soit amenée à devoir payer un taux d'intérêt beaucoup plus élevé; l'on rappellera à cet égard que le taux actuellement payé est de 37,50% soit un taux sans proportion avec le plafond de 6,50% du swap de 2004.

Ainsi, alors que la SWL souhaitait conclure un nouveau swap afin de réduire le taux d'intérêt supporté, elle a contracté un engagement lui faisant courir un risque important et pouvant l'amener à devoir payer des taux d'intérêts beaucoup plus élevés.

II est certain que si elle avait eu connaissance de cet élément, elle n'aurait pas contracté.

b. NATIXIS estime que l'erreur vantée serait une erreur sur la valeur, non susceptible d'entraîner la nullité du contrat, et pas une erreur sur la substance de l'obligation.

Toutefois, l'erreur ne porte pas sur l'étendue de l'obligation de la SWL mais consiste dans la représentation inexacte du résultat que la convention devait normalement fournir, porte sur son aptitude à réaliser l'objectif poursuivi par la victime de l'erreur (voy. P. Wery in Rép. not., tome IV, Les obligations, livre 1/1 (« La théorie générale du contrat », p. 362, n° 232).

II s'agit donc bien d'une erreur substantielle, et non d'une erreur sur la valeur.

II s'agit d'une erreur commune étant rappelé qu'une erreur est commune non pas lorsqu'elle a été commise par les deux parties mais lorsque l'élément qui a déterminé le consentement d'une partie relève des caractéristiques usuelles de ce qui fait l'objet du contrat ou porte sur des éléments spécifiques qui sont entrés dans le champ contractuel (v. P. Van Ommeslaghe, Traité de droit civil belge, tome II, vol. 1, p. 255, n° 140).

c. NATIXIS considère que la SWL se prévaut d'une erreur inexcusable.

Une erreur est inexcusable lorsqu'elle n'aurait pas été commise par une personne normalement prudente, diligente et raisonnable.

En l'espèce, la SWL n'est pas un profane et était assistée d'un conseiller financier.

Toutefois, sa mission concerne le logement social et elle n'est pas une spécialiste en matière de produits financiers.

Même si elle conclut habituellement des emprunts, il ne s'en déduit pas qu'elle devait comprendre la portée et les risques du swap litigieux en l'absence d'explications.

L'on rappellera que NATIXIS, professionnel du secteur et spécialiste en la matière, considérait que « l'opération était donc caractérisée par son faible degré de risque ».

Comme dit ci-avant, la SWL n'a pas été correctement informée par NATIXIS quant aux caractéristiques et risques de l'opération.

Son attention n'a pas davantage été attirée sur les dangers de ce swap par son conseiller financier, l'IFCA, et par la trésorerie de la Région wallonne; l'attitude de ceux-ci aurait certainement été différente si NATIXIS avait correctement rempli son obligation d'information.

On ne peut ainsi reprocher à la SWL de ne pas avoir décelé les risques importants liés à ce swap alors qu'aucune information en ce sens ne lui avait été communiquée.

L'erreur qu'elle a commise n'apparaît pas comme étant inexcusable.

d. II ressort des considérations qui précèdent que Ie manque d'information de la SWL quant au swap litigieux a bien entraîné une erreur substantielle dans son chef.

II y a dès lors lieu d'annuler cette convention.

C. Non-respect de la réglementation sur les marchés publics

Compte tenu de ce qui vient d'être dit ci-avant, il n'y a pas lieu d'examiner ce moyen.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Statuant contradictoirement,

Vu l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 concernant l'emploi des langues en matière judiciaire,

Reçoit l'appel.

Le dit fondé.

Réforme le jugement entrepris.

Prononce la nullité de la convention de swap de 2006.

En conséquence, condamne NATIXIS à restituer à Ia SWL toutes les sommes payées par elle dans le cadre de ce contrat, sous déduction des sommes payées par NATIXIS à la SWL au titre de ce même contrat et sous réserve des sommes qui auraient été payées si le swap de 2004 n'avait pas été résilié, ces sommes devant être augmentées des intérêts au taux légal à compter du paiement de chaque échéance jusqu'à complet paiement.

Condamne NATIXIS aux frais et dépens des deux instances, liquidés à 33.518,33 EUR par la SWL, et lui délaisse ses frais et dépens en ces instances.

[1] L'arrêt comporte beaucoup d'autres prises de position fort intéressantes, notamment en droit bancaire et financier, qui ont fait l'objet d'un pourvoi en cassation depuis longtemps. Nous ne les aborderons pas dans ce commentaire.
[2] JOUE, L. 477 du 4 juillet 2008, p. 6, art. 28.
[3] Mons (1re ch.), 12 septembre 2016, 2016/RG/173, pp. 4-5.