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CONTRAT DE SWAP D'INTÉRÊTS
Loi applicable en l'absence de choix des parties - Economie générale du contrat - Qualification du contrat - Contrat de swap d'intérêts entre une banque et un emprunteur
Confrontée à un contrat de SWAP d'intérêts conclu en 2006 entre la Société wallonne du logement (« SWL ») et la banque d'investissement française « NATIXIS », qui, assez singulièrement, ne comportait pas de clause relative à la loi applicable, la cour d'appel de Mons (« cour ») a considéré, entre autres [2], que les obligations des parties se réduisaient à des échanges de flux financiers. Elle en a déduit qu'il était impossible d'isoler la prestation caractéristique du contrat au sens de l'article 4, 2., de la Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (« convention »), qui était encore en vigueur à l'époque des faits. Le règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (« Règlement Rome I ») ne régit, en effet, que les contrats conclus après le 17 décembre 2009 [3]. La cour s'est dès lors estimée autorisée à recourir à l'article 4, 5., de la convention. A cet égard, constatant que le contrat était adossé à un contrat d'emprunt de droit belge et que les fonds empruntés étaient destinés à la réalisation par la SWL de projets en Belgique, la cour a retenu que le contrat de SWAP avait ses liens les plus étroits avec ce pays [4].
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RENTESWAPOVEREENKOMST
Toepasselijk recht bij gebrek aan keuze van de partijen - Algemene structuur van de overeenkomst - Kwalificatie van de overeenkomst - Renteswapovereenkomst tussen een bank en een kredietnemer
Geconfronteerd met een renteswapovereenkomst die in 2006 werd gesloten tussen de Waalse Huisvestingsmaatschappij (Société wallonne du Logement - “SWL”) en de Franse zakenbank “NATIXIS” en die, enigszins merkwaardig, geen clausule bevatte met betrekking tot het toepasselijk recht, oordeelde het hof van beroep van Bergen (“hof”) onder meer dat de verplichtingen van de partijen werden gereduceerd tot de uitwisseling van financiële stromen. Het hof leidde daaruit af dat het onmogelijk was om de kenmerkende prestatie van de overeenkomst te isoleren in de zin van artikel 4, 2. van het Verdrag van Rome van 1980 inzake het recht dat van toepassing is op verbintenissen uit overeenkomst (“verdrag”), dat ten tijde van de feiten nog steeds van kracht was. Verordening (EG) nr. 593/2008 van het Europees Parlement en de Raad van 17 juni 2008 inzake het recht dat van toepassing is op verbintenissen uit overeenkomst (“Rome I-Verordening”) is alleen van toepassing op overeenkomsten die ná 17 december 2009 zijn gesloten. Het hof was dan ook van oordeel dat het een beroep kon doen op artikel 4, 5. van het verdrag. In dit verband, na te hebben vastgesteld dat de overeenkomst gekoppeld was aan een leningsovereenkomst naar Belgisch recht en dat de geleende middelen bestemd waren voor de SWL om projecten in België uit te voeren, heeft het hof geoordeeld dat de swapovereenkomst met dat land de nauwste banden had.
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1.L'analyse de la convention de swap en cause en un échange de flux financiers est critiquable car réductrice.
2.Le contrat en cause est appelé indifféremment contrat de swap d'intérêts, contrat d'échange d'intérêt ou Interest Rate SWAP (« IRS ») [7].
3.Le contrat de swap débouche sur l'échange entre les deux parties de leurs conditions respectives d'accès aux marchés financiers ou d'emprunts. Le flux d'intérêts à taux variable d'un contrat avec un tiers est troqué contre celui à taux fixe d'un autre contrat conclu avec un autre tiers. Les valeurs nominales (ou notionnelles) des contrats tiers, c'est-à-dire le montant initialement emprunté, restent en revanche inchangées [8].
4.Le plus couramment, ce type de contrat est adossé à un contrat d'emprunt à taux variable antérieur. Un contrat de swap permet de se prémunir contre un risque d'augmentation du taux variable d'un emprunt. Le taux de référence pour ce type de contrat est l'EURIBOR 3 mois. Le taux Euribor détermine également la fréquence à laquelle les flux de taux d'intérêt sont échangés dans le cadre du contrat de swap [9].
5.C'est donc à juste titre que la cour d'appel de Mons relève que: « Le swap de taux d'intérêts le plus classique est celui dans lequel un client échange un taux variable de référence contre un taux fixe: une partie accepte de payer un cash-flow représentatif d'intérêts à taux fixe et reçoit en contrepartie un flux d'intérêts à taux variable; réciproquement, l'autre partie accepte de payer un cash-flow représentatif d'intérêts à taux variable et reçoit un flux d'intérêts à taux fixe; les flux financiers sont calculés sur un montant principal déterminé (le notionnel) et sont échangés entre les parties selon une fréquence (p. ex. 3s ou 6 mois) et une durée convenues entre elles. » [10].
6.Elle en déduit toutefois erronément l'équivalence des prestations réciproques des deux parties.
7.Ce, parce qu'elle laisse dans l'ombre l'économie générale de la convention en l'espèce, celle d'une prestation d'un service financier par un professionnel, la banque, à un client. Le contrat de swap de taux d'intérêts est, en effet, un contrat de couverture contre les fluctuations de taux d'intérêt.
8.NATIXIS offre un service de couverture contre les fluctuations de taux d'intérêt. A cet effet, il a soumis pas moins de quatre propositions différentes à la SWL, qui l'avait sollicité afin de restructurer le swap originaire conclu avec un autre établissement.
9.La SWL semble en outre sans pouvoir réel de négocier la teneur des formules offertes [11]. Sa seule possibilité est d'accepter ou de refuser les différents contrats proposés. La SWL revêt la qualité d'un destinataire d'un service financier [12].
10.Le fournisseur de services financiers reçoit également une rémunération pour les solutions qu'il apporte. Si le contrat de swap se matérialise par un échange, le taux dans le cadre d'un swap de couverture sera déterminé en fonction du risque que représente l'IRS pour le vendeur. L'aléa du taux variable est compensé par une rémunération potentielle plus importante, pour la partie qui supporte le risque [13]. Le fait que cette rémunération présente un aléa n'enlève rien à l'aspect rémunératoire des conditions contractuelles pour la personne qui vend ce taux (IRS) [14]. Les termes de l'échange de flux abritent donc une rémunération de la banque pour le service de couverture du risque de fluctuation d'un intérêt variable qu'elle fournit (y inclus le service de conseil et de structuration qu'il suppose préalablement).
11.NATIXIS est donc le fournisseur de la prestation caractéristique du contrat, à l'exclusion de la SWL. C'était donc la loi française qui aurait dû être retenue sur la base du paragraphe 2. de l'article 4 de la Convention de Rome, NATIXIS ayant son siège social en France [15].
12.C'est donc inutilement et hâtivement que la cour s'est rabattue sur la disposition du paragraphe 5. de l'article 4 pour déterminer la loi applicable au contrat de swap en l'absence de choix de la loi applicable par les parties.
| Conclusion |
13.La cour d'appel de Mons a donc fait une mauvaise application de l'article 4, 2., de la Convention de Rome.
14.La présente affaire montre que l'analyse de l'économie générale d'un contrat doit être faite avec soin. Elle ne se réduit pas à la lettre du contrat. Elle doit prendre en compte la fonction que le rapport juridique en cause exerce [16].
15.En effet, contrairement à la déclaration d'une spécialiste du droit bancaire (européen), madame Sousi, selon laquelle « on admettra que dans toutes les opérations de swaps, il est impossible de déterminer la partie qui fournit la prestation caractéristique » [17], un contrat de swap n'est pas toujours uniquement un échange de flux financiers - entre opérateurs financiers - au sein duquel il n'est pas possible d'identifier une prestation caractéristique: il peut également être, comme dans l'affaire qui a donné lieu à l'arrêt commenté, l'instrument qui permet à un opérateur financier de fournir un service de couverture contre le risque de fluctuation d'un intérêt variable à un client se trouvant dans une situation d'asymétrie avec lui. Cela confirme la pertinence de l'observation de Schopenhauer selon laquelle, plus une affirmation est générale, plus elle s'expose au risque d'infirmations » [18].
16.En conséquence, la solution classique, retenue à tort par la cour d'appel de Mons, demeure valable dans d'autres circonstances, notamment dans la plupart des contrats de swaps conclus entre opérateurs financiers [19]. On soulignera que le Règlement « Rome I » a aussi eu égard aux marchés financiers dans lesquels peuvent s'inscrire des opérations financières. C'est ainsi que son article 4, 1., sous f) prévoit que, à défaut de choix par les parties, le contrat conclu au sein d'un système multilatéral qui assure ou facilite la rencontre de multiples intérêts acheteurs et vendeurs exprimés par des tiers pour des instruments financiers selon des règles non discrétionnaires et qui est régi par la loi d'un seul pays, est régi par cette loi.
| [1] | L'arrêt comporte beaucoup d'autres prises de position fort intéressantes, notamment en droit bancaire et financier, qui ont fait l'objet d'un pourvoi en cassation depuis longtemps. Nous ne les aborderons pas dans ce commentaire. |
| [2] | JOUE, L. 477 du 4 juillet 2008, p. 6, art. 28. |
| [3] | Mons (1re ch.), 12 septembre 2016, 2016/RG/173, pp. 4-5. |
| [4] | L'auteur remercie Grégory Minne, associé de l'étude d'avocats Arendt & Medernach, spécialisé en financements et sûretés, pour ses lumières sur les contrats de swap. Il tient à mentionner aussi Quentin Goffioul, un de ses étudiants à l'Université de Liège qui, dans le cadre d'un stage, et sous ses indications, a préparé la première ébauche de la présente note d'observations. |
| [5] | EU Financial and Competition Law Partner Arendt & Medernach et Professeur à l'Université de Liège. |
| [6] | V.J. Sad, « Les SWAP de taux d'intérêts: cinq ans de jurisprudence », D.B.F., 2015, p. 375. C. Alter et L. Van Muylem, Contrats de couverture et SWAP de taux d'intérêts (IRS): les vestiges de pratiques révolues?, p. 49 |
| [7] | V.J. Sad, « Les SWAP de taux d'intérêts: cinq ans de jurisprudence », D.B.F., 2015, p. 377. |
| [8] | Euribor est l'abréviation de « Euro Interbank Offered Rate ». Euribor est le taux d'intérêt moyen auquel 25/40 banques européennes de premier plan (le panel de banques) se consentent des prêts en euros. Pour déterminer les taux Euribor, les 15% supérieurs et inférieurs des taux mentionnés ne sont pas pris en compte. Chaque jour ouvrable, à 11h Central European Time, les taux d'intérêt Euribor sont fixés et transmis à toutes les parties participantes et à la presse (disponible sur www.fr.euribor-rates.eu). |
| [9] | Mons (1re ch.), 12 septembre 2016, 2016/RG/173, p. 4 citant V.J. Sad, « Les SWAP de taux d'intérêts: cinq ans de jurisprudence », D.B.F., 2015, pp. 375 et s., n° 3; A. Faudemet, Les dérivés contrat à terme sur taux d'intérêt, pp. 35 et s. |
| [10] | Mons (1re ch.), 12 septembre 2016, 2016/RG/173, pp. 1 et s.: la SWL ne négocie pas réellement le contrat mais choisit parmi les options qu'on lui propose. Elle adhère plus à un contrat qu'elle ne le négocie. |
| [11] | V.J. Sad, « Les SWAP de taux d'intérêts: cinq ans de jurisprudence », D.B.F., 2015, p. 387: « La jurisprudence semble particulièrement attentive aux discussions et aux négociations intervenues entre les parties avant la conclusion du contrat. »; Comm. Bruxelles (12e ch.), 22 novembre 2012, R.G. A/11/04845.« 'Une recommandation personnalisée' [au client], amenant ce dernier à contracter une convention IRS à des conditions précises fixées en fonction des données du contrat de crédit, et donc fondée sur la situation propre [du client] et présentée à lui comme adaptée au but qu'[il] cherchait (fixer les taux) […] le service fourni et consistant en la conclusion du contrat IRS était bien un service de conseil en investissement. »; S. Laval, « Chapitre 2. Le maintien de la règle de conflit général en matière contractuelle », in Le tiers et le contrat, Bruxelles, Editions Larcier, 2016, pp. 355-399: « (…) il faut regarder plus précisément les conditions de conclusion du contrat et prendre en considération l'identité de la personne à l'initiative de la conclusion des contrats (…) » |
| [12] | C.-à-d., la partie qui supporte le taux variable au sein du contrat de swap. |
| [13] | V.J. Sad, « Les SWAP de taux d'intérêts: cinq ans de jurisprudence », D.B.F., 2015, p. 378; A. Faudemet, Les dérivés contrat à terme sur taux d'intérêt, pp. 35 et s.: C. Van Gysel et J. Ingber, « A la recherche de la prestation caractéristique », Rev. dr. ULB, 1994, pp. 55 et s. |
| [14] | Même si, à la différence de la Convention de Rome, l'art. 4, 1., du règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (« Rome I ») désigne le siège social du prestataire de service comme l'élément déterminant la loi applicable, NATIXIS devrait, de par son rôle dans la négociation et la structuration du contrat de même qu'en vertu de son expertise, être considéré comme le prestataire du service. En conséquence, la solution aurait dû être identique sous l'empire du Règlement « Rome I »: la loi française devait être applicable. |
| [15] | Rapport concernant la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, par Mario Giuliano, professeur à l'Université de Milan, et Paul Lagarde, professeur à l'Université de Paris I (J.O., C. 282 du 31 octobre 1980, pp. 1-50, commentaire de l'art. 4, point 3). |
| [16] | B. Sousi, « La Convention de Rome et la loi applicable aux contrats bancaires », Rec. Dalloz, 1993, Ccchron. S 183-190, p. 185. |
| [17] | « Plus une thèse est générale et plus il est facile de l'attaquer et de la réfuter. » A. Schopenhauer, L'art d'avoir toujours raison ou dialectique éristique, 1864. |
| [18] | En ce sens, U. Magnus, « Art. 4 Rome I Regulation », in Rome I Regulation, European Commentaries on Private International Law, Mankowski/Magnus, OttoSchmidt 2017, p. 414, n° 553; J.-P. Mattout, Droit bancaire international, 4e éd., RB éditions, 2009, p. 430, n° 440. |

