La gestion juridique de la crise sanitaire en Belgique
De l'Etat de droit à l'état d'exception? [1], [2]
TABLE DES MATIERES
Introduction A. Rappel de quelques faits
B. Précisions sur la notion d'Etat de droit
I. L'adoption des décisions A. Méconnaissance du principe de légalité
B. Méconnaissance du principe de sécurité juridique 1° La mise à mal de l'exigence de prévisibilité, de clarté et de précision
2° L'incohérence interne des textes: certaines obligations dépourvues de sanctions?
C. Méconnaissance du principe de proportionnalité
II. L'interprétation et l'application des décisions
III. Le contrôle des décisions, de leur interprétation et de leur application A. Contrôle a priori
B. Contrôle a posteriori 1° Les recours en suspension d'extrême urgence devant la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat a) Les décisions de rejet pour défaut d'(extrême) urgence
b) Les décisions de rejet pour absence de moyen sérieux
2° Les poursuites devant les juridictions pénales a) La politique criminelle des parquets
b) La réponse des juridictions pénales
| Introduction | ![]() |
| A. | Rappel de quelques faits | ![]() |
1.En Belgique, la pandémie de COVID-19 débute officiellement [4] le 4 février 2020, avec un premier cas confirmé - celui d'un homme de 54 ans rapatrié deux jours plus tôt de Hubei par un des vols d'évacuation de ressortissants belges présents en Chine. Le deuxième cas avéré d'infection au virus en Belgique est constaté le 1er mars suivant: il s'agit d'une femme ayant séjourné en France dans une région touchée par l'épidémie. A partir du lendemain, les cas de patients positifs commencent à augmenter de manière exponentielle. Le 11 mars, les trois premiers décès sont annoncés.
Dès la veille, une première mesure est prise par l'un des (nombreux) gouvernements que compte la Belgique fédérale: le Gouvernement wallon décrète en effet l'interdiction des visites dans les maisons de repos du sud du pays jusqu'à la fin du mois. Le vendredi 13 mars, la Communauté française de Belgique annonce à son tour que les cours sont suspendus à dater du lundi suivant pour l'ensemble des écoles de l'enseignement obligatoire, tous réseaux confondus. Le même jour, les premières mesures annonciatrices d'une période de confinement sont prises au niveau fédéral: un arrêté du ministre de l'Intérieur prévoit l'interdiction de certaines activités collectives, de nature publique ou privée, la fermeture des établissements relevant des secteurs culturel, festif, récréatif, sportif et horeca, et la suspension des activités scolaires dans l'enseignement maternel, primaire et secondaire. [5]
Le 17 mars, le nouveau Gouvernement fédéral, qui obtiendra en urgence la confiance de la Chambre des représentants 2 jours plus tard, annonce le début de la phase de confinement généralisé pour le lendemain. L'organisation juridique de cette phase est réalisée au moyen d'arrêtés signés du seul ministre de l'Intérieur, encore que ces textes n'aient d'autre objet que de traduire les décisions prises au sein du Conseil national de sécurité, auquel sont associés les ministres-présidents des entités fédérées.
En vue de parer aux conséquences de la crise sanitaire sur la vie institutionnelle, économique et sociale du pays, les différents gouvernements - non seulement le Gouvernement fédéral donc [6], mais aussi la plupart des exécutifs des entités fédérées [7] - ont, dans la foulée, sollicité auprès de leurs parlements respectifs l'octroi, pour une période de 3 mois, de « pouvoirs spéciaux », en vue de prendre, en urgence, des mesures relevant normalement de la compétence des assemblées législatives. L'octroi des pouvoirs spéciaux était destiné à permettre aux différents gouvernements d'adopter rapidement des décisions destinées à encadrer juridiquement les conséquences de la pandémie sur les nombreux aspects de la vie sociale qu'elle affecte (économie, emploi, sécurité sociale, fonctionnement des institutions, etc.).
Dès la fin du mois de mars donc, l'architecture juridique de la gestion de la pandémie en Belgique est en place: d'une part, un arrêté ministériel, régulièrement adapté, voire remplacé, après chaque réunion du Conseil national de sécurité [8], en vue d'établir les obligations directement liées au confinement [9]; d'autre part, des arrêtés royaux ou gouvernementaux de pouvoirs spéciaux destinés à adapter les législations en vigueur pour tenir compte des effets de la pandémie sur divers secteurs de la société belge.
2.A compter du 4 mai, commence un processus progressif de sortie du confinement, qui se traduit par de nouveaux arrêtés du ministre de l'Intérieur destinés à desserrer par étapes l'étau des mesures prises en mars et en avril, au moyen d'obligations nouvelles imposées à la population. [10] Les décisions collectives qu'ils traduisent, jusqu'alors adoptées au sein du Conseil national de sécurité, sont ultérieurement prises dans le cadre d'une autre instance, le Comité de concertation, où sont également représentés les exécutifs des entités fédérées. [11]
3.Toutefois, avec la reprise de la propagation de l'épidémie à l'automne, de nouvelles mesures sont adoptées, qui multiplient les restrictions destinées à éviter la multiplication des cas et l'engorgement consécutif des hôpitaux. Ces mesures sont consignées à leur tour dans des arrêtés ministériels qui se succèdent à un rythme soutenu. [12] Parallèlement à ce dispositif fédéral, le Gouvernement de la Région wallonne obtient à nouveau les pouvoirs spéciaux, d'abord pour un nouveau terme d'un mois [13], puis de deux. [14] Après avoir sollicité, à la différence de l'Exécutif wallon, l'avis de la section de législation du Conseil d'Etat [15], le Gouvernement de la Communauté française était lui aussi investi de pouvoirs spéciaux dans le courant du mois de novembre, d'emblée pour une période de 3 mois. [16] La section de législation du Conseil d'Etat a également rendu, début novembre, un avis mitigé sur l'avant-projet d'ordonnance visant à octroyer, pour une durée de 2 mois, des pouvoirs spéciaux au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale dans le cadre de la crise sanitaire du COVID-19; selon elle, l'habilitation conférée à l'Exécutif n'était pas suffisamment précise. [17] L'ordonnance sera finalement adoptée par le Parlement bruxellois le 23 novembre suivant, sans guère de modifications par rapport à la version originelle. [18]
4.Dans les lignes qui suivent, l'attention sera pour l'essentiel attirée sur la succession d'arrêtés ministériels fédéraux qui ont méticuleusement gouverné nos vies depuis le 13 mars 2020, ainsi que sur certaines mesures complémentaires édictées (ou susceptibles de l'être) par les bourgmestres et gouverneurs de province. [19] Les différentes mesures adoptées dans ce cadre ont en effet apporté des restrictions jusqu'alors inédites, du moins en temps de paix, aux libertés publiques en Belgique (notamment la liberté individuelle, y compris ses prolongements tels que les libertés d'aller et venir et d'entreprendre, la liberté de réunion et de manifestation, la liberté d'association, la liberté des cultes ou bien encore le droit au respect de la vie privée). Ces atteintes posent une importante question qui mérite de retenir l'attention de tout citoyen attaché aux principes fondateurs d'une démocratie libérale [20]: un objectif de santé publique justifie-t-il la restriction de droits et de libertés protégés par la Constitution et la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et, dans l'affirmative, jusqu'à quel point? [21] L'objectif de sauver des vies humaines dans le cadre d'une pandémie ou, plus exactement, celui d'éviter l'engorgement des hôpitaux, dans un premier temps, et celui de limiter au maximum les contaminations, dans un second, suffisent-ils à autoriser des écarts, parfois importants, par rapport aux standards d'un Etat de droit démocratique? Ces interrogations reviennent à poser la question de l'équilibre, possible ou non, entre urgence sanitaire et respect des principes fondamentaux d'un ordre juridique démocratique. Si cet équilibre est possible, la façon dont les autorités belges ont agi a-t-elle permis de le réaliser? S'il ne l'est pas, ne devons-nous pas avoir la lucidité d'admettre qu'il est des circonstances dans lesquelles les éléments constitutifs d'une démocratie libérale doivent être mis sous le boisseau, mais en ayant alors au moins la franchise de le reconnaître publiquement au lieu de faire comme si les mesures prises ne posaient aucun problème au regard de ces éléments constitutifs? [22]
| B. | Précisions sur la notion d'Etat de droit | ![]() |
5.Avant d'entrer dans le vif du sujet, il apparaît indispensable de définir ce que l'on entendra, dans la suite de l'exposé, par l'expression « Etat de droit ». En l'absence de précisions, cette notion est en effet trop sujette à discussion pour être utilisée dans une démonstration satisfaisante du point de vue scientifique. [23] Par cette expression, je viserai donc plus spécifiquement, dans les lignes qui suivent, le mode d'organisation juridique d'un régime de démocratie libérale. A défaut de pouvoir entrer dans le détail d'un tel mode d'organisation qui, même ainsi délimité, a donné lieu à d'innombrables débats [24], il semble néanmoins possible d'en dresser une sorte d'idéal-type, au sens wébérien du terme [25] - cet idéal-type se caractérisant, à l'heure actuelle, par une double dimension: formelle, d'une part; substantielle, d'autre part.
6.Formelle, d'un côté, en ce sens que certaines caractéristiques de la catégorie « Etat de droit » sont indépendantes du contenu des normes juridiques produites par les ordres juridiques relevant de cette catégorie: ces caractéristiques renvoient à certaines qualités abstraites que doit remplir une structure étatique pour être qualifiée d'« Etat de droit » en ce sens précis. Retenons-en quatre pour les besoins de la démonstration, quand bien même il faudrait certainement en mentionner d'autres pour être exhaustif:
- la séparation des pouvoirs ou, plus exactement, la séparation des fonctions: certains organes étatiques doivent être habilités à produire la loi (fonction législative), d'autres à en assurer l'exécution (fonction exécutive), les troisièmes enfin à en contrôler le respect (fonction juridictionnelle). Séparation, mais aussi effectivité et efficacité des fonctions: en particulier, dans un Etat de droit, le contrôle juridictionnel doit être en mesure d'intervenir utilement afin de pallier au mieux les atteintes à la loi dont le juge est le gardien;
- le principe de légalité et son corollaire, la hiérarchie des normes: toute norme juridique n'est valide que si elle a été habilitée par une norme supérieure et que si elle ne méconnaît pas les normes situées à un échelon plus élevé du système juridique. Ainsi, un arrêté réglementaire n'est valable dans un Etat de droit que s'il ne contrevient pas à la loi, à la Constitution, voire à un traité international auquel serait partie l'Etat en question. Ce n'est pas simplement une question de logique juridique; c'est aussi, dans les démocraties libérales, une exigence essentielle: la loi étant votée par le Parlement, c'est-à-dire par des représentants élus, et la Constitution exprimant les principes fondamentaux sur la base desquels une population est censée avoir consenti à s'organiser sous la forme d'un Etat, toute méconnaissance des règles légales et constitutionnelles par l'Exécutif rend son action invalide et cette invalidité devra, tôt ou tard, être constatée par les organes juridictionnels compétents;
- certaines exigences particulières sont en outre attendues des textes juridiques, singulièrement en matière pénale (il faut d'emblée insister, en effet, sur le fait que les diverses obligations contenues dans les arrêtés ministériels analysés dans la présente contribution sont pénalement sanctionnées [26]): non seulement il n'est pas question de poursuivre un individu pour un crime ou un délit non prévu par la loi (principe nullum crimen sine lege), ni de lui appliquer une peine non prévue par la loi (principe nulla poena sine lege) [27] - conséquences logiques du principe de légalité -, mais il faut encore que les textes en question soient formulés en termes suffisamment intelligibles pour répondre aux attentes de prévisibilité, de clarté et de précision [28] - bref, pour satisfaire au principe de sécurité juridique;
- la liberté de faire et de ne pas faire étant le principe dans une démocratie libérale, la règle pénale doit non seulement être édictée dans le respect des principes de légalité et de sécurité juridique mais, en outre, elle est forcément d'interprétation stricte: pas question d'interpréter un texte entraînant une sanction pénale par analogie ou par extrapolation et de condamner un prévenu pour des comportements ne remplissant pas exactement les éléments constitutifs de l'infraction pour laquelle il est poursuivi. En somme: le texte, tout le texte mais rien que le texte.
7.L'idéal-type de l'Etat de droit qui servira de principe directeur aux développements ultérieurs revêt également, d'un autre côté, une dimension substantielle: les organes d'un ordre juridique qui s'en revendiqueraient doivent avoir adopté et se conformer à des normes juridiques d'un certain contenu. Il s'agit en l'espèce de la consécration de ce que l'on appelle généralement les libertés publiques ou, selon une terminologie plus en vogue, les droits fondamentaux. On les retrouve, en droit belge, au Titre II de la Constitution, en particulier: l'égalité et la non-discrimination [29]; la liberté individuelle [30]; l'inviolabilité du domicile [31]; la propriété privée [32]; la liberté des cultes [33]; le droit au respect de la vie privée [34]; la liberté d'expression [35]; la liberté de réunion et de manifestation [36]; la liberté d'association. [37] Ces différents droit et libertés sont en outre protégés par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et certains de ses protocoles additionnels.
Tout fondamentaux qu'ils sont, ces droits ne sont pas pour autant absolus, non seulement parce qu'il peut y avoir, à l'occasion, des conflits entre ces différentes prérogatives [38], mais aussi parce que des raisons d'intérêt général commandent parfois d'y apporter des restrictions. [39] Dans ce cas toutefois, les autorités publiques doivent pouvoir motiver avec suffisamment de sérieux la raison d'intérêt général qui les conduit à restreindre les droits fondamentaux; en outre, cette restriction doit être absolument nécessaire pour atteindre l'objectif d'intérêt général poursuivi. En d'autres termes, il ne peut pas y avoir d'autre moyen, moins attentatoire aux libertés publiques, d'atteindre avec la même efficacité cet objectif: tel est le sens de la fameuse exigence de « proportionnalité ».
En tout état de cause, la Constitution ne peut, en Belgique, être suspendue, en tout ou en partie. [40]
8.Un mot encore sur un droit fondamental qui n'est pas expressément inscrit dans la Constitution belge mais bien dans l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales: le droit à la vie. C'est sur cette base, en particulier, que, comme le rappellent certains auteurs [41], les autorités publiques belges se sont appuyées en vue de justifier leur intervention massive dans la lutte contre la propagation du COVID-19. Il n'en reste pas moins que la portée de ce droit à la vie n'est guère aisée à cerner: s'il fait certes peser des obligations positives sur les Etats en vertu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme [42], il n'autorise pas pour autant, suivant cette même jurisprudence, à porter une atteinte disproportionnée aux autres droits et libertés garantis par la convention; en outre, les Etats conservent, sur des questions aussi complexes que la gestion d'une situation sanitaire difficile, une marge d'appréciation que la Cour européenne n'entend pas leur dénier. Ce droit n'a en tout cas aucun caractère absolu, qui autoriserait un Etat partie à la convention à faire fi des autres droits et libertés garantis par cette dernière.
9.C'est dans l'acception qui vient d'être précisée qu'il faudra donc entendre l'expression « Etat de droit » tout au long de la présente contribution.
| C. | Plan de l'exposé | ![]() |
10.Afin de déterminer si et dans quelle mesure l'Etat de droit ainsi défini a été mis à mal depuis le 13 mars 2020 en Belgique, l'exposé qui suit est divisé en quatre parties: la façon dont les décisions de confinement, de déconfinement et de reconfinement ont été adoptées fera l'objet d'une première analyse, en accordant une attention particulière aux mesures affectant les entreprises, compte tenu du champ académique de la présente Revue (I.); ensuite, les manières d'interpréter et d'appliquer les textes seront abordées (II.); en outre, l'on vérifiera si un contrôle efficace et de qualité, notamment juridictionnel, a pu être exercé sur l'adoption, l'interprétation et l'application de ces différentes décisions par le pouvoir exécutif (III.). Il sera alors possible d'évaluer la situation à la lumière de certaines théories susceptibles d'éclairer les événements relatés tout au long de l'exposé (IV.). De brèves conclusions permettront de tirer, sous l'angle du respect de l'Etat de droit, un premier bilan de l'étrange séquence qui s'est ouverte en mars 2020.
| I. | L'adoption des décisions | ![]() |
11.Lorsque, en mars 2020, les autorités fédérales belges ont jugé opportun d'adopter des mesures en vue de limiter la propagation de l'épidémie de COVID-19, au besoin en restreignant sévèrement les libertés publiques, il a fallu trouver le moyen de procéder en urgence. La convocation du Parlement en vue de l'adoption d'une loi fournissant une base juridique incontestable à de telles mesures a sans doute été considérée comme une entrave à la nécessité, pour le Gouvernement fédéral, de prendre des décisions aussi rapidement que possible. Il a donc fallu trouver, dans l'arsenal législatif existant, des textes légaux susceptibles de fonder valablement de telles décisions. Ces bases légales sont au nombre de trois et sont restées globalement inchangées depuis lors: d'abord, l'article 4 de la loi du 31 décembre 1963 sur la protection civile, qui confère au ministre de l'Intérieur le pouvoir de provoquer les mesures nécessaires à la protection civile pour l'ensemble du territoire national; ensuite, les articles 11 et 42 de la loi sur la fonction de police du 5 août 1992, permettant également au ministre de l'Intérieur, ainsi qu'aux gouverneurs de province, en cas de troubles à l'ordre public, de suppléer l'inaction des bourgmestres ou de prendre des mesures lorsque les troubles s'étendent sur le territoire de plusieurs communes; enfin, les articles 181, 182 et 187 de la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile, qui autorisent, dans certaines circonstances, le ministre ou les bourgmestres à procéder à la réquisition de biens ou de personnes [43], à obliger la population à s'éloigner des lieux ou régions particulièrement exposés, menacés ou sinistrés, à assigner un lieu de séjour provisoire aux personnes et à interdire tout déplacement ou mouvement de la population [44], sous peine, pour les citoyens qui n'obtempèreraient pas, de s'exposer à un emprisonnement de 8 jours à 3 mois ou à une amende de 26 à 500 EUR. [45]
12.Entre le 13 mars et le 3 mai, la période de confinement proprement dite s'est traduite par une série d'obligations pesant tantôt sur la population en général, tantôt sur tout ou partie des entreprises.
S'agissant de la population, citons en particulier l'obligation de rester chez soi, sauf en cas de nécessité et pour des raisons urgentes (ex.: faire des courses de première nécessité, telles que des courses alimentaires; avoir accès aux soins médicaux; fournir l'assistance et les soins aux personnes âgées, aux mineurs, aux personnes en situation de handicap et aux personnes vulnérables; effectuer les déplacements professionnels, y compris le trajet domicile-lieu de travail), ou bien encore l'interdiction des voyages non essentiels depuis ou vers la Belgique. Rappelons également que, durant cette période, toutes les activités scolaires dans l'enseignement maternel, primaire et secondaire ont été suspendues et que les établissements d'enseignement supérieur ont été dans l'obligation d'assurer un enseignement exclusivement à distance.
S'agissant des entreprises, mentionnons, entre autres: la fermeture des commerces et des magasins, sous réserve, d'une part, des entreprises des secteurs cruciaux et services essentiels [46] et, d'autre part, de quelques exceptions expressément reprises dans le corps même des arrêtés [47]; la fermeture des établissements relevant des secteurs culturel, festif, récréatif, sportif et horeca; l'obligation du recours au télétravail, dans les entreprises non essentielles, pour tous les membres du personnel dont la fonction s'y prête.
13.A partir du 4 mai, le processus de déconfinement progressif s'est également accompagné de diverses obligations, aussi bien à destination de la population [48] que des entreprises. [49]
Les arrêtés ministériels adoptés durant cette période autorisent également les bourgmestres et gouverneurs de provinces à compléter ces dispositions par des mesures supplémentaires, lorsque les circonstances locales l'exigent. Ainsi, les bourgmestres ont la faculté d'étendre l'obligation de port du masque à la voie publique [50]; on a également vu, au mois d'août, la gouverneure de la province d'Anvers imposer un couvre-feu à Anvers et sa proche banlieue.
14.Avec le rebond ou la deuxième vague de l'épidémie à l'automne, des restrictions supplémentaires, pour la plupart inspirées par les mesures en vigueur durant le confinement printanier, ont été mises en place.
Pour la population, on peut notamment citer l'obligation d'effectuer les courses accompagné d'une personne au maximum, l'instauration d'une « bulle sociale » limitée en principe à une personne ou bien encore l'interdiction de circuler sur la voie publique entre minuit et cinq heures (voire entre 22 heures et 6 heures sur les territoires des provinces wallonnes et de la Région de Bruxelles-Capitale).
Le monde des entreprises est lui aussi frappé à nouveau par des restrictions telles que, entre autres, la fermeture des commerces et magasins « non essentiels » jusqu'au 30 novembre 2020, sous réserve de la possibilité d'organiser un système de dépôt et de retrait, la fermeture des établissements relevant des secteurs culturel, festif, sportif, récréatif, événementiel, horeca et des professions de contact [51] ou bien encore l'obligation du recours au télétravail, dans les entreprises non essentielles, pour tous les membres du personnel dont la fonction s'y prête. Ces diverses mesures s'apparentent donc à un reconfinement.
15.Cette énumération est loin d'être exhaustive mais elle permet déjà d'observer que divers principes propres à l'Etat de droit ont été malmenés et continuent de l'être aujourd'hui: la légalité (A.); la sécurité juridique (B.) et la proportionnalité (C.).
| A. | Méconnaissance du principe de légalité | ![]() |
16.Est-il d'abord légal d'imposer aux citoyens et aux entreprises toutes les obligations susmentionnées en les sanctionnant (ou en prétendant les sanctionner) par les peines d'amende ou d'emprisonnement prévues à l'article 187 de la loi du 15 mai 2007? La réponse est, en bonne logique, négative. En effet, cet article 187, rappelons-le, ne vise qu'à punir les comportements visés aux articles 181 et 182 de la même loi: primo, le refus d'obtempérer aux ordres de réquisition; deuxio, le non-respect de l'obligation de se tenir éloigné des lieux ou des régions particulièrement exposés, menacés ou sinistrés; tertio, la violation de l'assignation à résidence; quarto, la méconnaissance de l'interdiction de tout déplacement ou mouvement de population. En tant que la loi de 2007 consiste en une délégation faite au ministre de l'Intérieur d'ériger certains comportements en infractions pénales, elle ne peut être que d'interprétation stricte. [52] En outre, les termes employés dans les articles 181 et 182 de la loi de 2007 ne faisant l'objet d'aucune définition légale, ils doivent, selon la meilleure doctrine, être interprétés dans leur sens courant. [53]
Or bon nombre d'obligations contenues dans les arrêtés ministériels successifs ne rentrent dans aucune des quatre catégories susmentionnées, dans l'interprétation stricte et selon le sens courant que ces dernières doivent recevoir: la fermeture des commerces non essentiels pendant le confinement du printemps ou le reconfinement de l'automne, même si elle a pour effet de rendre sans objet certains déplacements, ne résulte d'aucune des quatre hypothèses dans lesquelles le ministre de l'Intérieur est habilité à infliger des sanctions pénales [54], [55]; il en va de même pour la suspension de l'obligation scolaire, le port obligatoire du masque en lieu clos, l'obligation pour les entreprises de recourir au télétravail, le traçage dans l'horeca ou dans d'autres secteurs, l'aménagement des horaires de certains commerces (p. ex., les magasins de nuit) ou bien encore la limitation maximale du nombre de personnes dans des manifestations de caractère public ou privé. [56]
| B. | Méconnaissance du principe de sécurité juridique | ![]() |
17.Le principe de sécurité juridique a lui aussi été mis à mal, à la fois par des formulations saugrenues, qui satisfont malaisément aux exigences de prévisibilité, de clarté et de précision (1°), et par des incohérences fâcheuses qui entachent un nombre non négligeable de textes (2°).
1° La mise à mal de l'exigence de prévisibilité, de clarté et de précision ![]() |
18.L'arrêté du 23 mars 2020, sur la base duquel le confinement printanier a été organisé, fourmillait déjà de dispositions à la portée imprécise, empêchant le citoyen, même de bonne foi, de déterminer avec un degré plus ou moins élevé de certitude ce qui lui était interdit et ce qui lui était autorisé.
Ainsi, si les rassemblements étaient en principe interdits, l'article 5 de cet arrêté n'en autorisait pas moins « les promenades extérieures avec les membres de la famille vivant sous le même toit en compagnie d'une autre personne, ainsi que l'exercice d'une activité physique individuelle ou avec les membres de sa famille vivant sous le même toit ou avec toujours le même ami, et moyennant le respect d'une distance d'au moins 1,5 mètre entre chaque personne » (sic). Cette formulation alambiquée signifiait-elle que, pour pouvoir se promener « extérieurement » [57], les membres de la famille vivant sous le même toit devaient nécessairement être accompagnés d'une autre personne? C'est ce que la disposition semble impliquer, au vu de sa formulation maladroite. A suivre encore le texte, la personne qui devait obligatoirement accompagner la famille désireuse d'une promenade pouvait toutefois varier d'une promenade à l'autre. Par contre, pour pratiquer une activité physique (mais laquelle? marcher? courir? dormir? forniquer? se promener, même extérieurement, n'est-il pas déjà une activité physique?), il semblait que l'on pouvait s'y livrer soit seul, soit avec les membres de la famille vivant sous le même toit, soit toujours avec le même ami (la notion d'« ami » étant, suppose-t-on, une catégorie spécifique de « personnes » aux contours bien mal définis). Bref, compte tenu de la médiocre rédaction de l'arrêté, s'il s'agissait de se promener, les membres d'une famille vivant sous le même toit avaient l'obligation de se faire accompagner d'une personne, étant entendu que cette personne pouvait changer à chaque promenade; en revanche, pour toute autre activité physique, les membres d'une famille vivant sous le même toit pouvaient se débarrasser de chacune des personnes avec lesquelles elles avaient cheminé jusqu'alors ou bien décider qu'ils se faisaient accompagner de l'une d'entre elles, pourvu que celle-ci revête alors la qualité d'« ami » et pourvu, cette fois, que ce soit toujours la même.
De même, si les citoyens étaient en principe tenus de rester chez eux, ils étaient néanmoins autorisés à se déplacer pour « fournir l'assistance et les soins aux personnes âgées, aux mineurs, aux personnes en situation d'handicap [sic] et aux personnes vulnérables ». Mais à partir de quand a-t-on affaire à une personne « âgée » (70, 75, 80 ans? plus encore?) ou à une personne dite « vulnérable »?
19.La période de déconfinement n'a pas non plus été avare en formulations alambiquées, qui requéraient, de la part des citoyens, de grandes qualités de divination. Le pompon revenait, on le sait, à la notion controversée de « bulle sociale »: « Sans préjudice de l'article 11 [qui concernait l'interdiction partielle et aménagée des rassemblements, NdA], chaque ménage est autorisé à rencontrer maximum 5 personnes, toujours les mêmes, dans le cadre de réunions privées, en ce compris celles qui ont lieu dans les lieux accessibles au public. Les enfants de moins de 12 ans ne sont pas comptabilisés dans ces 5 personnes. » [58] La mise en oeuvre de cette obligation, combinée avec les possibilités d'avoir des contacts avec des personnes « hors bulle » (mais qui rentraient dans la bulle et qui restaient en dehors? Comment cela devait-il être déterminé? Mystère et boules de gomme), a donné lieu à de nombreuses et récurrentes interrogations.
20.Quant à la période de reconfinement, il n'est guère malaisé de fournir de nouvelles illustrations de l'absence de prévisibilité suffisante, de clarté et de précision de nombre des mesures adoptées. Qu'il suffise ici de mentionner le singulier manque de netteté de l'article 14 de l'arrêté du 28 octobre 2020 relatif à l'interdiction de principe de circuler sur la voie publique pendant une partie de la nuit. Selon cette disposition, il est en effet interdit de se trouver sur la voie publique et dans l'espace public entre minuit et cinq heures du matin, sous réserve de l'autorisation d'effectuer des déplacements essentiels qui ne peuvent être reportés, « tels que notamment [59]:
- avoir accès aux soins médicaux;
- fournir l'assistance et les soins aux personnes âgées, aux mineurs, aux personnes en situation d'handicap (sic) et aux personnes vulnérables;
- effectuer les déplacements professionnels, en ce (sic) compris le trajet domicile-lieu de travail ».
L'énumération de l'article 14 consacré aux déplacements essentiels est manifestement exemplative, de sorte que la personne physique circulant sur la voie publique dans la tranche horaire visée par l'arrêté peut se prévaloir d'autres déplacements essentiels afin de justifier sa présence dans l'espace public. Toutefois, comment délimiter alors ces déplacements essentiels non explicitement énumérés dans le texte? Qui va décider du caractère essentiel ou non du déplacement, si ce n'est l'agent verbalisateur, que sa sensibilité subjective risque d'orienter, selon les cas, dans une acception plus ou moins étroite de ces autres « déplacements essentiels »? Comment tracer, dans ces conditions, une frontière nette entre déplacements interdits et déplacements autorisés?
21.Bref, à chaque étape de la gestion juridique de l'épidémie de COVID-19 sur le sol belge, les autorités publiques ont été prodigues en dispositions évanescentes, aux contours imprécis, à la formulation médiocre - constat d'autant plus inquiétant qu'il s'agit de mesures sanctionnées pénalement.
2° L'incohérence interne des textes: certaines obligations dépourvues de sanctions? ![]() |
22.La sécurité juridique a été d'autant plus malmenée que les arrêtés ministériels portent en outre des obligations que les autorités ont (volontairement ou non? nul ne le sait) omis de frapper des sanctions pénales prévues par l'article 187 de la loi du 15 avril 2007. Or, du point de vue des destinataires de telles obligations, quel peut bien être le statut d'exigences certes proclamées dans des textes officiels mais qui ne sont en fin de compte accompagnées d'aucune menace de sanction?
Ainsi, pendant la période de confinement des mois de mars et d'avril, si, en vertu de l'article 7 de l'arrêté ministériel du 23 mars 2020, les voyages non essentiels depuis ou vers la Belgique étaient officiellement interdits, l'article 10 ne prévoyait pas que cette interdiction était soumise à l'une quelconque des peines prévues par la loi de 2007. De même, durant le processus de déconfinement, l'exigence d'une « bulle sociale » réduite à 5 personnes n'a été soumise, en tant que telle, à aucune sanction pénale. [60] Il est en outre étrange de noter que l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour garantir le respect des règles de distanciation sociale, en particulier le maintien d'une distance de 1,5 mètre entre chaque personne, n'est à son tour assortie d'aucune sanction pénale.
Etrange situation pour les citoyens que de se voir prétendument imposer des comportements déterminés, sans être exposé pour autant à aucune des sanctions possibles. C'est la raison pour laquelle, dans de telles circonstances, un tel texte n'est, selon moi, juridique qu'en apparence - étant entendu que, pour défendre cette affirmation, je m'appuie sur une vision du droit radicalement juspositiviste, qui identifie la juridicité d'une norme à son impérativité et à la menace de sanction qui l'accompagne en cas de non-respect de l'impératif: en somme, pas de menace de sanction, pas de norme juridique, à proprement parler. [61]
23.S'agissant spécifiquement de la bulle sociale, la Première ministre Sophie Wilmès, lors de sa rentrée médiatique de septembre 2020 sur La Une [62], avait justifié une telle situation de la manière suivante - il est difficile de résister à la tentation de la citer in extenso, tant cette période aura été prodigue en sottises en tous genres: « Le cinq, c'est une indication [… Le] message essentiel [est]: limiter le nombre de vos contacts, et avec vos contacts, gardez vos distances de sécurité, portez un masque. » Bref, la bulle de cinq était un simple conseil, une simple recommandation. Pourquoi alors avoir voulu lui donner les atours d'une obligation juridique en la logeant dans un arrêté ministériel? Si l'on consent à un minimum de rigueur intellectuelle, ce choix de communication politique n'a, du point de vue du droit, aucun sens et il faut donc admettre que de telles exigences (interdiction des voyages non essentiels durant le confinement, mise en place d'une bulle sociale de 5 personnes pendant la période de déconfinement, obligation de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire respecter une distance d'1,5m entre chaque personne) ne sont des obligations juridiques que sur le papier. Elles ne s'imposent en réalité à personne mais les autorités politiques n'en jouent pas moins, cyniquement ou bêtement (on ne sait ce qui serait le pire), sur l'ambivalence de recommandations logées dans des textes aux relents de Canada dry: ils ont certes un goût d'impératif juridique mais, en réalité, ils n'y correspondent aucunement.
| C. | Méconnaissance du principe de proportionnalité | ![]() |
24.Non seulement les décisions fédérales liées au confinement, au déconfinement et au reconfinement mettent à mal les principes de légalité et de sécurité juridique mais, en outre, elles ne satisfont pas toujours à l'exigence de proportionnalité, qui s'impose pourtant aux autorités, surtout quand elles entendent restreindre des droits et libertés fondamentaux. [63]
Le port obligatoire du masque dans l'espace public constitue, à l'heure actuelle, une illustration de cette propension à la disproportion dans le chef de certaines autorités: plusieurs bourgmestres zélés de petites ou moyennes communes se sont ainsi empressés d'imposer cette obligation, parfois sur la totalité de leur territoire, alors que la densité de population de ces communes permet de douter du caractère absolument nécessaire de cette obligation pour atteindre l'objectif poursuivi. Il en va de même pour les communes à plus forte densité de population qui, par exemple, imposent une telle obligation 24 heures sur 24. Il y a quelque chose de vaguement ridicule et de franchement disproportionné à imposer au vieil insomniaque qui promène son chien vers 6 heures du matin [64] dans les rues désertes de porter un masque. Les ordonnances de police qui matérialisent de telles obligations sans justifier de leur nécessité raisonnable au regard des objectifs de santé publique méconnaissent donc à leur tour le principe de proportionnalité.
25.La fermeture des commerces et magasins dits « non essentiels » lors de la période de reconfinement, quant à elle, enfreint non seulement le principe de légalité, comme on l'a vu [65], mais pourrait aussi apparaître, à la réflexion, comme disproportionnée. A la sortie du comité de concertation du 27 novembre 2020, le ministre de la Santé, M. Franck Vandenbroucke, a en effet benoîtement avoué devant les caméras de télévision que « faire du shopping ne comporte pas vraiment de risques quand tout est bien contrôlé » et que, si la décision de fermeture avait été prise antérieurement, c'était « parce qu'à un moment, on avait besoin de prendre une décision choc, il fallait un [effet choc] [66] et cela impliquait que l'on ferme immédiatement les commerces non essentiels ». [67] En clair, à l'entendre, il s'agissait d'une mesure purement psychologique, qui n'était donc nullement nécessaire pour satisfaire à l'objectif de santé publique au nom duquel on prétendait sacrifier temporairement certaines libertés publiques.
Par la suite, le ministre a eu l'occasion de revenir sur la polémique suscitée par sa sortie médiatique en précisant que « l'argument était de limiter les déplacements, ce qui imposait des mesures urgentes et drastiques ». [68] Toutefois, il n'a fait ainsi que confirmer que la fermeture immédiate des commerces « non essentiels » n'était pas liée à la dangerosité particulière des lieux mais n'était que la conséquence indirecte de la nécessité de restreindre les déplacements afin de limiter les contaminations. Or d'autres mesures, telles que le contrôle de la circulation et du nombre de passants sur les artères les plus encombrées, n'eussent-elles pas permis d'atteindre cet objectif sans en faire peser la plus grande partie du poids sur certains opérateurs économiques? Le contre-feu allumé par le ministre de la santé afin d'éteindre l'incendie provoqué par sa bourde n'efface dès lors en rien le problème de proportionnalité de la mesure.
En tant qu'illégale et très probablement disproportionnée, une telle mesure est de nature à engager la responsabilité de l'Etat en raison de la faute commise par le pouvoir exécutif du fait de son adoption. M. Vandenbroucke, que l'on savait déjà fâché avec le droit pénal, a de la sorte prouvé à ses dépens qu'il ne l'était pas moins avec le droit administratif et celui de la responsabilité civile. A moins qu'il s'agisse pour lui de commémorer de bien curieuse façon le centenaire de l'arrêt La Flandria … [69]
| II. | L'interprétation et l'application des décisions | ![]() |
26.Si une partie non négligeable des différentes mesures vouées à organiser les processus de confinement, de déconfinement et de reconfinement heurtent donc d'emblée certains principes fondamentaux de l'Etat de droit, la façon dont, une fois adoptées, elles ont été interprétées et appliquées par les autorités aggrave un peu plus encore la situation.
En effet, afin d'aider les citoyens à se retrouver dans le maquis de textes constamment changeants, ambigus et mal écrits - ce qui était déjà un indice de leur caractère peu clair, imprécis et difficilement prévisible -, le Gouvernement fédéral a rapidement créé un site internet [70] sur lequel est notamment publiée une « foire aux questions » (FAQ) dans le cadre de laquelle les autorités s'attachent à fournir une interprétation des dispositions les plus discutées, en vue d'en faciliter l'application. Si cette FAQ est prioritairement réservée à la population, les interprétations retenues ont également servi de lignes de conduite aux forces de police, chargées d'appliquer l'arrêté et de verbaliser les contrevenants, via des circulaires émanant du ministère de l'Intérieur.
Or ces interprétations ont, à plusieurs reprises, contrevenu à la lettre du texte, de sorte qu'elles ont communiqué, aussi bien aux citoyens qu'aux forces de l'ordre, de fausses informations sur le contenu de l'arrêté. [71]
27.Ce fut particulièrement le cas durant la période de confinement. Ainsi, suivant l'interprétation retenue de l'arrêté du 23 mars 2020, qui autorisait, pour rappel, les sorties pour promenades et activités physiques, les balades à cheval étaient, si l'on se référait au site gouvernemental, prétendument interdites et les déplacements en voiture en vue de s'aérer étaient réservés aux seules familles avec enfants jusqu'à 5 ans compris. De même, la promenade pédestre autorisée était censée ne s'accompagner d'aucun arrêt intermédiaire: sur la base d'une telle interprétation, la vieille dame qui, un peu essoufflée, souhaitait reprendre quelques forces en s'asseyant sur un banc dans un jardin public pouvait ainsi se voir rappelée à l'ordre par les forces de police et, si cette station assise était imputable à des individus plus jeunes, la verbalisation pour cause de violation de l'arrêté était plus que probable. Or ce type de limitations ne ressortait en rien du texte même mais, au contraire, y ajoutait. De telles interprétations étaient donc erronées puisqu'elles limitaient encore davantage la liberté des sujets sur le fondement d'un texte qui, érigeant certains comportements en infractions pénales, devait, au contraire, recevoir une interprétation stricte.
28.S'appuyant sur ces interprétations critiquables, émanant aussi bien de la FAQ que des instructions du ministère de l'Intérieur, les forces de police ont pu procéder à des verbalisations sur la base d'une vision tronquée du droit en vigueur. J'examinerai dans la suite le sort réservé à certaines de ces verbalisations mais, en attendant, la police, laissée à elle-même dans une atmosphère de panique générale, a pu user de sa force pour contraindre des citoyens à adopter des comportements qui n'étaient en réalité pas exigés par le texte de l'arrêté ministériel, avec la bénédiction du ministre lui-même et du Gouvernement tout entier. Du coup, si le confinement printanier était globalement respecté, c'était aussi grâce à une série d'empiètements irréguliers sur les libertés fondamentales: une suite quasiment ininterrompue d'abus de pouvoir - de petits abus de pouvoir en général, certes, mais des abus de pouvoir tout de même - a ainsi caractérisé le quotidien de l'Etat belge et de sa population au moins jusqu'au mois de mai. [72] Il n'est pas exagéré de prétendre que, durant cette période, la Belgique s'est davantage apparentée à un Etat policier [73] qu'à un Etat de droit. [74]
Ces abus ont-ils pu, au moins, être soumis à un contrôle efficace, notamment juridictionnel? Rien n'est moins sûr.
| III. | Le contrôle des décisions, de leur interprétation et de leur application | ![]() |
29.Compte tenu de ces diverses défaillances imputables à l'Exécutif dans l'adoption, l'interprétation et l'application des décisions, il n'est pas inutile de se demander si des contrôles, juridictionnels en particulier, n'auraient pas été opportuns ou ne le seraient pas, aujourd'hui encore. Il convient de distinguer à cet égard le contrôle a priori (A.) du contrôle a posteriori (B.): dans les deux cas, la situation n'est pas entièrement satisfaisante, pas plus aujourd'hui qu'hier.
| A. | Contrôle a priori | ![]() |
30.En principe, les projets d'arrêtés réglementaires (qu'ils émanent d'un gouvernement ou d'un ministre) doivent être soumis à l'avis de la section de législation du Conseil d'Etat. Dans son vade-mecum sur la procédure d'avis devant la section de législation [75], le Conseil d'Etat écrit à ce propos: « la section de législation ne s'immisce pas dans les choix d'opportunité opérés dans un projet [...], mais [...] elle vérifie uniquement si la formulation de ce projet [...] est correcte du point de vue juridique et si le projet [...] se concilie avec les normes supérieures dans la hiérarchie des normes. Ainsi, la section de législation vérifie-t-elle [...] si un projet réglementaire trouve bien un fondement juridique dans la loi [...] ». [76] Certes, cet avis n'est pas contraignant pour le gouvernement, qui peut ne pas se rallier aux suggestions de la section de législation, mais, au moins, il est en possession des propositions d'améliorations et est en mesure d'évaluer avec plus de certitude la rectitude juridique du texte soumis pour avis.
Ce contrôle n'a pourtant jamais pu être effectué sur les arrêtés ministériels organisant les processus successifs de confinement, de déconfinement et de reconfinement. En effet, l'article 3 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat autorise les exécutifs à ne pas recourir à la procédure d'avis en cas d'« urgence spécialement motivée ». L'invocation systématique de cette exception a jusqu'à présent empêché la section de législation de se prononcer a priori sur la régularité des textes proposés par le ministre de l'Intérieur.
Si la situation était incontestablement urgente, le Gouvernement fédéral, s'il avait été réellement soucieux de respecter les libertés publiques, aurait pu, au moins à propos des arrêtés ministériels modificatifs (car on comprend que, s'agissant des tout premiers arrêtés, le Gouvernement ait estimé opportun de prendre des mesures immédiates), recourir à la procédure de demande d'avis en urgence (obligeant le Conseil d'Etat à se prononcer dans les 5 jours de sa saisine), voire interroger officieusement le premier président du Conseil d'Etat pour savoir si la section de législation ne serait pas en mesure de rendre un avis toutes affaires cessantes. Toutefois, qu'il s'agisse du Gouvernement Wilmès ou du Gouvernement De Croo, la préoccupation pour la qualité juridique des mesures adoptées semble avoir été systématiquement reléguée au rayon des accessoires inutiles.
| B. | Contrôle a posteriori | ![]() |
31.Un contrôle proprement juridictionnel des décisions prises est également possible; il s'exerce par définition a posteriori. Depuis le début de la crise sanitaire, il a pris essentiellement deux formes: d'une part, la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat a été saisie de recours en suspension d'extrême urgence de tout ou partie des arrêtés ministériels ou des décisions provinciales ou communales prises en application de ces arrêtés (1°); d'autre part, certaines juridictions pénales [77] ont été amenées à statuer sur les suites à donner aux verbalisations policières (2°).
1° Les recours en suspension d'extrême urgence devant la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat ![]() |
32.Un acte administratif illégal peut faire l'objet de recours devant la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat. Statuant en tant que juridiction administrative, le Conseil d'Etat est notamment habilité à annuler un règlement d'une autorité administrative contraire à la loi. La procédure d'annulation, qui vise à mettre à néant un acte administratif, est toutefois particulièrement lente [78] (elle dure souvent plusieurs années), de sorte que, dans certaines circonstances, les requérants peuvent introduire parallèlement une demande de suspension en urgence, voire en extrême urgence, le cas échéant avant même d'introduire le recours en annulation proprement dit. [79] L'idée sous-jacente à cette procédure de référé administratif est que le délai dans lequel l'arrêt d'annulation sera rendu risque d'ôter à ce dernier tout effet utile si, préalablement, les effets de l'acte administratif illégal n'ont pas été paralysés. L'octroi d'une mesure de suspension est toutefois subordonné à deux conditions: d'une part, il doit exister une urgence incompatible avec le traitement de l'affaire en annulation; d'autre part, la partie requérante doit être en mesure d'avancer un moyen sérieux, susceptible de justifier prima facie l'annulation ultérieure de l'acte. Dans la quasi-totalité des cas [80], il a rejeté les demandes, tantôt pour défaut d'urgence (a)), tantôt pour absence de moyen sérieux (b)).
a) Les décisions de rejet pour défaut d'(extrême) urgence ![]() |
33.Dans le cadre des mesures de confinement, de déconfinement et de reconfinement, le Conseil d'Etat a été saisi de plusieurs recours en suspension d'extrême urgence contre tout ou partie des dispositions des arrêtés ministériels. Ces recours portaient notamment sur la fermeture des salles de jeux [81], la non-réouverture des salles de plus de 400 personnes [82] ou bien encore le port du masque. [83] Toutes ces demandes ont été rejetées, faute pour les parties requérantes d'avoir justifié à suffisance de l'extrême urgence. Les magistrats rappellent, à cet égard, que « la procédure d'extrême urgence doit [...] demeurer exceptionnelle parce qu'elle réduit à un strict minimum l'exercice des droits de la défense de la partie adverse, l'instruction du dossier ainsi que la contradiction des débats ». [84] Ils précisent également que « la condition de l'urgence est indépendante de l'examen des moyens et requiert la démonstration que leurs conséquences dommageables doivent être suspendues ». [85] Pour qui, comme l'auteur de ces lignes, ne fréquente pas assidûment la jurisprudence du Conseil d'Etat, il est a priori surprenant de lire à cet égard que, « en l'absence d'éléments factuels concrets, la seule atteinte à une liberté fondamentale ne constitue pas un inconvénient d'une gravité suffisante pour qu'on ne puisse le laisser se produire en attendant l'issue de la procédure en annulation ». [86] Lorsqu'une liberté fondamentale est potentiellement en cause, on a du mal à comprendre en quoi l'urgence fait défaut, faute d'éléments factuels concrets, et quels sont ces « éléments factuels concrets » qui seraient alors nécessaires à l'établissement de cette urgence. De là à penser que la vénérable institution s'en est tenue à de simples arguments de procédure pour éviter d'avoir à statuer sur le fond, il n'y a qu'un pas que, par respect, je me garderai bien de franchir.
34.Par comparaison, les tribunaux administratifs et le Conseil d'Etat de France ont statué à plusieurs reprises, depuis mars dernier, sur des recours introduits dans le cadre de la procédure dite de « référé-liberté » [87] contre des mesures, nationales ou locales, pour certaines comparables à celles prises en Belgique. [88] Cette procédure permet d'obtenir du juge administratif « toutes mesures nécessaires » à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle l'administration aurait porté atteinte de manière grave et manifestement illégale. Le juge se prononce dans ce cas en principe dans un délai de 48 heures. Le requérant doit en particulier démontrer au juge que sa demande ne souffre aucune attente. En somme, lui aussi doit démontrer une extrême urgence. Une certaine tendance de la jurisprudence administrative française conduit toutefois à se contenter, pour satisfaire à cette démonstration, de la gravité et de l'illégalité de l'atteinte - lesquelles emportent en quelque sorte une « présomption d'urgence » [89], au point que certaines décisions rendues ne règlent même pas explicitement la question de l'urgence, comme pour signifier qu'elle participe nécessairement de la gravité de l'atteinte. [90] Tel a été le cas dans plusieurs décisions rendues par les juridictions administratives françaises dans le cadre du contentieux liées aux mesures COVID - qu'elles rejettent ou non, en fin de compte, le recours. En tout état de cause, le contrôle de la condition d'urgence est beaucoup plus souple [91] - ce qui a permis aux juridictions administratives d'exercer un contrôle globalement plus efficace du contenu des mesures, par comparaison avec la situation belge.
b) Les décisions de rejet pour absence de moyen sérieux ![]() |
35.Il est également arrivé au Conseil d'Etat de rejeter les recours pour absence de moyens sérieux, notamment en matière de couvre-feu [92] et de fermeture des établissements relevant du secteur horeca. [93] En ce qui concerne ce dernier point, spécifiquement applicable à certaines catégories d'entreprises, la démonstration du Conseil d'Etat pour rejeter le moyen tiré de l'incompétence du ministre de l'Intérieur laisse songeur. Le moins que l'on puisse écrire est qu'elle ne témoigne guère d'un grand respect des principes de légalité et d'interprétation stricte de la loi pénale.
En effet, après avoir rappelé les trois fondements légaux invoqués à l'appui de la décision ministérielle en cause - notamment les articles 181, 182 et 187 de la loi du 15 mai 2007 -, le Conseil d'Etat croit pouvoir justifier la compétence ministérielle de la manière suivante:
« La mesure en cause implique que les citoyens ne peuvent plus entrer dans certains lieux ou établissements (comme les restaurants et cafés) sauf, et de manière strictement limitée, pour l'activité qui y est encore autorisée (repas à emporter), qui par sa nature même est de courte durée, et, en outre, conformément aux dispositions du Chapitre 9 de l'arrêté ministériel du 28 octobre 2020 […], qui énonce les principales mesures que chacun doit adopter lorsqu'il est en contact avec d'autres personnes. Dans cette mesure, la fermeture imposée peut être assimilée à une interdiction de circuler au sens de l'article 182 de la loi du 15 mai 2007, […] qui permet au ministre, en cas de circonstances dangereuses, d'exiger de la population, afin d'assurer sa protection, qu'elle s'éloigne des lieux particulièrement exposés, menacés ou sinistrés, de même qu'en cas de lockdown (total), il lui est permis d'interdire, pour la même raison, tout mouvement ou déplacement de la population.[c'est moi qui souligne, NdA] » [94]
36.Si on lit bien, le Conseil d'Etat considère donc que la compétence du ministre de l'Intérieur d'imposer une obligation d'éloignement ou une interdiction de circulation englobe celle de fermer certains établissements dans les locaux desquels, en raison même de cette fermeture, il serait désormais inutile ou sans objet de se rendre. Est-il besoin de souligner le caractère loufoque d'un tel argument? Ce que le ministre est habilité à faire consiste en effet à interdire, sous la menace des sanctions pénales prévues à l'article 187 de la loi de 2007, tout ou partie de la circulation dans l'espace public; en aucun cas, il n'est autorisé à prendre des mesures visant simplement à décourager ou à rendre inopérants ces déplacements en infligeant, par la bande, des sanctions pénales pour d'autres comportements que ceux visés par la loi. En conférant une telle portée à l'article 182 de la loi du 15 mai 2007, le Conseil d'Etat fait allègrement fi du principe d'interprétation stricte de la loi pénale. En outre, il s'éloigne manifestement du sens courant des mots employés dans cette disposition: qui, lisant de bonne foi ou, pour ainsi dire, naïvement les termes de l'article 182, peut prétendre leur donner la signification que le Conseil d'Etat leur découvre tout à coup?
Pire: en procédant de la sorte, il retient une interprétation potentiellement inconstitutionnelle des dispositions légales en jeu. Le principe constitutionnel de légalité en matière pénale [95] n'exige certes pas que le législateur règle lui-même l'incrimination jusque dans ses moindres détails; il lui est donc permis de déléguer à l'Exécutif ou, à la rigueur, à une autorité ministérielle la compétence de compléter ou de préciser l'incrimination en cause. Encore faut-il que cette délégation soit definie de manière suffisamment précise dans la loi et ne porte que sur l'exécution de mesures dont les éléments essentiels sont fixés préalablement par le législateur. [96] Dans cette perspective, en donnant une portée si vaste et, partant, si vague au texte légal pour conclure à la légalité de l'arrêté ministériel attaqué, le Conseil d'Etat conduit immanquablement à poser la question de la constitutionnalité de la loi de 2007: l'interprétation choisie par le juge administratif n'implique-t-elle pas, en effet, que la délégation confiée au ministre de l'Intérieur est trop large et trop imprécise pour satisfaire au principe de légalité des crimes et délits? Le Conseil d'Etat aurait-il oublié l'enseignement de la Cour constitutionnelle, qui invite les juridictions à choisir, entre deux interprétations possibles de la loi, celle qui en assure la conformité à la Constitution? [97]
Il est vrai que, si le Conseil d'Etat avait retenu une interprétation conforme, et donc beaucoup plus stricte, de la délégation opérée par l'article 182 de la loi du 15 mai 2007, il aurait logiquement dû conclure à l'illégalité de la mesure attaquée et, par voie de conséquence, aurait dû en prononcer la suspension - ce que les magistrats siégeant dans les différentes affaires relatives au secteur horeca ne souhaitaient peut-être pas. Misère du raisonnement conséquentialiste en droit?
2° Les poursuites devant les juridictions pénales ![]() |
37.Un contrôle a posteriori sur les mesures ministérielles de confinement, de déconfinement et de reconfinement peut également être effectué par le canal des poursuites diligentées par les parquets (c.-à-d. les différents procureurs du Royaume) (a)) et les premières décisions rendues par les juridictions pénales en la matière. La moisson de décisions publiées ou accessibles est encore peu abondante, il est vrai (b)).
a) La politique criminelle des parquets ![]() |
38.Dans la foulée de l'adoption de l'arrêté ministériel du 23 mars 2020, le Collège des procureurs généraux a publié, dès le 25 mars, une circulaire portant le n° 06/2020 et contenant des directives relatives notamment à la mise en oeuvre judiciaire de cet arrêté. Cette circulaire a été modifiée à plusieurs reprises [98] depuis lors mais les faiblesses qui en affectaient la première version n'ont guère été surmontées.
D'une part, pas un mot n'est consacré aux difficultés relatives à la légalité douteuse d'au moins une partie des dispositions de l'arrêté. Certes, la mission première des parquets est de poursuivre les infractions mais ils sont aussi tenus, que l'on sache, par le principe de légalité. Il n'eût donc pas été inutile que le Collège des procureurs généraux se penche sur la question, ne fût-ce que pour conclure, après examen, à la légalité de l'arrêté ministériel en question - conclusion qui, en cas d'application rigoureuse des principes, aurait été fort surprenante il est vrai (comme je crois l'avoir montré, il y avait en effet suffisamment d'arguments pour s'interroger sur la conformité des différents arrêtés ministériels à la lumière de la loi, voire de la Constitution). Peut-être la question a-t-elle été évoquée en interne, peut-être le silence officiel sur la légalité douteuse des arrêtés ministériels s'explique-t-il par des raisons d'opportunité politique mais, du point de vue du raisonnement juridique, une telle absence laisse une fois encore songeur.
D'autre part, dès la première version de la circulaire, celle-ci prévoyait que, pour les difficultés d'interprétation et d'application des mesures prises par l'arrêté ministériel, il convenait de se référer à la FAQ mise en place par le Gouvernement fédéral. Etrange innovation que de faire d'une FAQ logée sur un site internet - ce dernier émanât-il même d'une autorité publique - une source d'interprétation officielle d'un arrêté ministériel portant des dispositions sanctionnées pénalement. Innovation d'autant plus étrange qu'alors même que les gestionnaires de cette FAQ avaient illégalement ajouté au texte ministériel ou retranché de celui-ci [99], elle n'en fut pas moins réitérée dans les versions ultérieures de la circulaire. En d'autres termes, le Collège des procureurs généraux invite les membres du parquet à s'appuyer, entre autres, sur des interprétations parfois clairement illégales pour faire leur travail. Tout au plus admet-il aujourd'hui que cette FAQ n'a qu'une valeur indicative mais la qualité des informations que l'on peut y glaner [100] a quand même de quoi inquiéter.
Maigre consolation: il arrive que le Collège des procureurs généraux condescende à revenir, dans les versions ultérieures de sa circulaire, sur des excès de zèle auxquels, tout à son enthousiasme répressif, il s'était préalablement laissé aller. Ainsi a-t-il fini par renoncer, dans la version révisée du 15 décembre 2020 [101], à suggérer l'application, pour la recherche et la constatation des infractions aux arrêtés ministériels, de l'article 27 de la loi du 5 août 1992 sur la fonction de police, qui autorise, à certaines conditions, la fouille administrative de lieux privés. Ce faisant, il a admis implicitement l'abus que constituait la référence à cette base légale dans les précédentes versions de sa circulaire - révélant ainsi une désinvolture coupable, longue de plusieurs mois, à l'égard du principe constitutionnel d'inviolabilité du domicile.
b) La réponse des juridictions pénales ![]() |
39.Il faut préalablement préciser que, pour que les juridictions pénales (tribunaux correctionnels ou tribunaux de police [102]) puissent être valablement saisies, l'action publique ne peut être éteinte. En d'autres termes, il faut que le ministère public puisse introduire une action contre le citoyen soupçonné d'avoir enfreint une des règles de l'arrêté en vigueur. Or une telle action publique est dans certains cas éteinte, parmi lesquels celui du paiement, par le contrevenant supposé, d'une somme d'argent: tel est le sens de la transaction pénale. [103]
Vu le risque d'engorgement des tribunaux par un contentieux COVID trop important, le Gouvernement fédéral et les procureurs généraux ont souhaité, depuis le début de la crise sanitaire, favoriser au maximum cette voie, en particulier au moyen de la perception immédiate des amendes par l'agent verbalisateur, grâce à un terminal de paiement. Le nouveau ministre de la Justice se situe clairement, lui aussi, dans cette optique. [104]
En clair: un policier verbalise un citoyen pour une violation d'une règle COVID; il lui propose de payer une amende de 250 EUR au moyen d'un terminal de paiement mis à sa disposition, en précisant que, s'il ne paie pas, une citation directe lui sera envoyée pour comparaître devant un tribunal; n'étant pas juriste, notre citoyen prend peur et paie immédiatement l'amende; tel substitut du procureur du Roi, à qui tous les P.V. COVID dressés par la police doivent être envoyés, s'aperçoit, à la lecture du P.V., que l'infraction n'est en réalité pas établie, faute de preuves suffisantes, ou bien que ce P.V. a constaté un comportement qui n'est en réalité pas prohibé ou bien encore que le comportement verbalisé, tel un voyage non essentiel depuis la Belgique lors du confinement printanier, le non-respect de la bulle sociale lors du déconfinement ou, de manière générale, le fait, pour un particulier, de ne pas prendre les mesures nécessaires pour garantir le respect des règles de distanciation sociale, n'est visé par aucune sanction pénale; il en conclut donc qu'un justiciable a injustement payé une amende qu'il ne devait pas; il ne lui est toutefois en principe plus possible d'introduire l'action publique afin d'obtenir du tribunal que ce dernier acquitte ce citoyen pour permettre à celui-ci de récupérer l'indu, puisque l'action publique a été éteinte par le paiement de l'amende! L'atteinte aux droits du justiciable risque donc, dans un tel cas, d'être définitive.
40.Là où, en revanche, les tribunaux ont pu être valablement saisis, l'article 159 de la Constitution leur fait obligation de vérifier la conformité de la règle qu'il leur est demandé d'appliquer aux règles juridiques supérieures.
De ce point de vue, les rares décisions accessibles au public offrent un aperçu contrasté: par exemple, le tribunal correctionnel du Brabant wallon a conclu à la légalité de l'arrêté ministériel applicable (mais il s'agissait de celles de ses dispositions restreignant les déplacements sur la voie publique et, par conséquent, rentrant bien dans l'une des hypothèses visées par la loi du 15 avril 2007) [105]; en revanche, dans une autre affaire, le tribunal de police du Hainaut a acquitté le prévenu, au motif que, compte tenu du caractère vague et peu prévisible du texte, ce prévenu avait pu légitimement se méprendre « sur l'interdiction du comportement susceptible d'engager sa responsabilité pénale, notamment parce que l'article 5, alinéa 2, de l'arrêté ministériel du 23 mars 2020 autorise expressément la 'promenade extérieure' non seulement avec les 'membres de la famille vivant sous le même toit' - ce que le prévenu pouvait considérer comme étant autorisé puisque sa belle-soeur avait 'trouvé refuge' chez lui et y résidait depuis 3 jours - mais aussi 'en compagnie d'une autre personne' ne vivant pas sous le même toit et parce qu'il est évident que toute promenade peut comporter un ou des arrêts et que le but allégué par le prévenu pour cette sortie n'est pas incriminé par la loi pénale ». [106] Le même tribunal de police, autrement composé, a également rendu une décision remarquée en concluant à l'irrecevabilité des poursuites pour cause d'illégalité et d'inconstitutionnalité de l'arrêté ministériel sur la base duquel ces poursuites avaient été engagées. [107] Ce jugement a toutefois été réformé en degré d'appel.
Il est également arrivé à des juridictions d'acquitter les prévenus faute de preuves suffisantes, par exemple en ce qui concerne le non-respect de la distance d'1,5 mètre entre personnes (certains P.V. des forces de police semblent avoir été rédigés avec la désinvolture de quiconque croit en la supériorité de sa parole par la simple magie du port d'un uniforme). [108] Il n'est pas inintéressant de noter que, dans un communiqué de presse du 15 octobre 2020, le parquet de Bruxelles évaluait le nombre de dossiers COVID fixés devant le tribunal de police de Bruxelles à 1.157, dont 708 condamnations et 449 acquittements. [109] Près de 40% d'acquittements dans un contentieux de masse, voilà en effet un chiffre qui paraît singulièrement élevé et qui se prête à des interprétations diverses: le tribunal de police fait-il bien son travail ou le parquet fait-il mal le sien?
Enfin, on peut citer un arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 28 octobre 2020 [110], rendu dans le cadre d'une procédure en référé et dans lequel les magistrats, tout en se déclarant incompétents pour accéder aux demandes des parties requérantes en raison du principe de séparation des pouvoirs, n'en mettent pas moins en doute la légalité de certaines mesures ministérielles discutées devant eux. [111]
41.La voie du contrôle incident de légalité devant les juridictions judiciaires [112] constitue donc probablement le moyen jusqu'à présent le plus adéquat pour contester les diverses décisions ministérielles sur la base desquelles des poursuites pénales sont diligentées. Néanmoins, seule une infime minorité de dossiers arrive ainsi devant les tribunaux correctionnels et de police, compte tenu du nombre élevé de transactions pénales acceptées et payées: sous ce couvert, combien d'illégalités ont-elles été définitivement entérinées?
| IV. | Une analyse théorique de la situation actuelle: recul de l'Etat de droit, avancée de l'état d'exception (sanitaire) | ![]() |
42.Sauf à sombrer dans le déni, il paraît difficile, à la lumière des développements qui précèdent, de contester que la période actuelle est dominée par une certaine fragilisation de l'Etat de droit - quand bien même on la jugerait utile, voire nécessaire, pour juguler la crise sanitaire. Elle illustre, ce faisant, un problème récurrent dans l'histoire des démocraties libérales, confrontées, tout au long des XXe et XXIe siècles, à des dangers très divers: celui d'une tension, voire d'une incompatibilité, entre principes fondamentaux de l'Etat de droit, d'une part, et nécessité de lutter contre certaines menaces majeures, d'autre part. Cette tension peut être éclairée à la lumière du débat, déjà ancien, qui a opposé, dans les années 20 du siècle dernier, deux des plus éminents juristes du XXe siècle à propos de la représentation la plus adéquate du phénomène juridique: Hans Kelsen et Carl Schmitt. Sous couvert d'une disputatio relevant de la théorie générale du droit, ce débat est sous-tendu par des enjeux très concrets qui en confortent, aujourd'hui encore, la saisissante actualité.
43.Kelsen est, on le sait, l'auteur d'une théorie « pure » du droit, qui vise à identifier les traits communs à toute norme juridique et à tout système juridique, quelle que soit sa localisation et quelle que soit son époque. [113] L'une des ambitions de Kelsen est de forger une représentation du phénomène juridique qui convienne à tout Etat, que celui-ci soit démocratique, autoritaire ou totalitaire, libéral, nazi ou communiste. Or ce qui rassemble les systèmes juridiques issus de ces différents régimes politiques, c'est que le droit y exprime toujours un « Devoir-Être » (Sollen) que son auteur a été habilité à produire par une norme supérieure et qui est, effectivement, obéi et appliqué en gros et de manière générale. Ce qui fait le caractère juridique d'une norme, ce n'est donc pas tant son contenu (p. ex., sa conformité à une valeur morale ou religieuse donnée ou à une idéologie politique particulière) que son contenant: ce mélange d'habilitation et d'effectivité qui, seul, caractérise toute norme juridique, d'où qu'elle émane. La structure kelsénienne du droit correspond par conséquent à une pyramide normative, c'est-à-dire à une représentation du système juridique sous la forme d'une construction en étages: une norme n'est juridique que si son auteur a été habilité à la poser par une autre norme juridique, supérieure, et celle-ci n'est à son tour juridique que si elle émane d'une autorité habilitée à la poser en vertu d'une norme juridique encore supérieure, et ainsi de suite jusqu'à remonter à la norme suprême, la plus élevée d'un système juridique, que Kelsen appelle la « norme fondamentale » (Grundnorm).
Si, sous l'angle de la théorie juridique, Kelsen se veut absolument neutre, prétendant développer ainsi une représentation scientifique du droit valable pour tout système juridique, quel que soit le système de valeurs sous-jacent à chacun d'eux, il n'en va pas de même pour ses écrits dans le domaine de la théorie politique. Kelsen s'y présente explicitement comme un défenseur de la démocratie libérale et du régime des partis, meilleur système politique à ses yeux, par comparaison avec les autres régimes politiques qui se sont succédés dans l'histoire occidentale. [114] C'est que la démocratie libérale, avec son respect des règles, procédurales notamment, ses instances pacifiques de délibération, ses mécanismes de contrôle juridictionnel du respect, par l'auteur d'une norme juridique, des limites de l'habilitation reçue de la norme juridique supérieure constitue une sorte de mise en oeuvre perfectionnée de sa vision formelle et pyramidale du phénomène juridique.
Ce que l'on appelle le normativisme kelsénien, quoique indifférent sur le plan des valeurs morales, s'accorde donc particulièrement bien avec la représentation de l'Etat de droit évoquée au début de cette contribution et, plus particulièrement, avec sa dimension formelle - c'est-à-dire avec les principes de séparation des fonctions, de légalité, de hiérarchie des normes et de sécurité juridique. [115]
44.A cette vision s'oppose avec virulence celle de Carl Schmitt, l'un des principaux adversaires intellectuels de Kelsen dans les années 1920, qui se discréditera ensuite en adhérant, par conviction autant que par opportunisme, au régime nazi dès 1933, au sein duquel il occupera des fonctions officielles jusqu'en 1936, avant d'être la cible, en raison de son catholicisme conservateur devenu suspect dans la seconde moitié des années 30, d'attaques de la frange la plus radicale du mouvement national-socialiste, au demeurant familier des révolutions de palais et des renversements d'alliances. Afin de présenter brièvement sa conception du droit, je me concentre exclusivement sur des textes antérieurs à 1933. [116]
Selon Schmitt, loin d'être réductible à une pyramide de normes reliées entre elles par des habilitations successives, le phénomène juridique est traversé par une opposition fondamentale entre deux instances irréductibles: la norme et la décision. Ces notions correspondent aux deux pôles de l'expérience juridique. Analyser ce dernier en insistant exclusivement, comme Kelsen, sur la dimension normative, au point de laisser totalement dans l'ombre le pôle décisionnel, c'est réduire le droit à un pur système normatif, c'est-à-dire à une architecture institutionnelle abstraite, désincarnée, déconnectée de la réalité concrète où se déploie le phénomène juridique. Or la notion de décision permet d'appréhender le processus juridique également sous un autre angle, celui de l'individu (ou du groupe d'individus) qui décide; elle autorise ainsi à mettre en lumière les aspects de force et de prééminence du décideur juridique: le droit est cette fois approché dans sa dimension d'autorité, c'est-à-dire de façon tout à fait incarnée, en prise directe avec la réalité concrète qu'il entend régir. Quoique antagonistes, ces deux éléments n'en sont pas moins intrinsèquement liés; il n'est pas possible de les distinguer dans le droit qui se manifeste quotidiennement. Celui-ci est toujours-déjà de la norme et toujours-déjà de la décision. Même un jugement revêt cette double dimension: il est à la fois le résultat de la mise en oeuvre d'une norme supérieure et une décision prise par le juge de donner à cette norme une signification qui ne lui est pas intrinsèque mais procède au contraire de choix (méthodologiques, axiologiques, politiques) posés par lui.
Afin de mieux faire apercevoir ce couple oppositionnel, sur lequel le normativisme kelsénien fait l'impasse, Schmitt s'intéresse plus particulièrement à un stade d'élaboration du droit au cours duquel chacun de ces deux éléments est, par extraordinaire, bien mis en évidence, en raison de leur dissociation temporaire: l'état d'exception. Le type de situations visées par cette expression intervient, par exemple, à l'occasion de révolutions ou de guerres civiles: lors de ces périodes troublées où un régime politique vacille, le souverain, en vue de sauver l'ordre menacé, suspend le droit dans sa dimension normative pour imposer une décision de pur fait (ainsi, p. ex., lorsqu'il proclame l'état d'urgence ou la loi martiale, aussi bien dans l'hypothèse où un texte antérieur lui en aurait confié la compétence de principe [117] que dans celle où il se prévaudrait, dans le silence des textes, de l'état de nécessité). Le droit se présente alors avant tout comme autorité du souverain imposant des mesures de fait ou confiant à un représentant le pouvoir d'en imposer, indépendamment, voire à l'encontre, du système normatif existant. Dans de telles circonstances exceptionnelles, la décision souveraine prend temporairement le dessus sur la norme en faisant prévaloir, le temps nécessaire, une dictature commissariale (ou de commissaire). La dictature commissariale, c'est donc l'état d'exception instauré en vue de sauvegarder un régime politico-juridique existant mais menacé. Par conséquent, il s'agit davantage d'une suspension du système normatif que de son anéantissement pur et simple: l'initiative purement factuelle du souverain vise au bout du compte le rétablissement de l'effectivité d'un système de normes, une fois le danger passé. La légitimité de la décision du souverain, fondatrice d'une dictature de commissaire temporaire, provient ici du fait que son auteur vise à rétablir le système normatif existant.
Le raisonnement est le même lorsque le souverain en place, faute d'avoir réussi à mater la tentative de révolution ou à anéantir ses ennemis, est déposé au profit d'un nouveau souverain (comme il advient quand une révolution réussit): ce dernier tire cette fois sa légitimité du fait qu'après une période où prévaut sa décision, destinée à instaurer et à consolider le nouveau régime (le cas échéant, au moyen de mesures radicales, de procès expéditifs ou d'exécutions sommaires), il parvient à mettre en place un nouveau système normatif, qui gouvernera la population une fois le calme revenu. Entre la chute de l'ancien régime et la stabilisation du nouveau, prévaut alors ce que Schmitt appelle une dictature souveraine. La dictature souveraine, c'est l'état d'exception (à nouveau temporaire) instauré en vue de créer un nouveau régime politico-juridique, et non d'en rétablir un préexistant.
Le souverain se situe donc dans une situation paradoxale: à cheval sur le système normatif et le pur fait, à la fois en dehors et au-dedans de l'ordre juridique. En dehors, puisqu'il peut suspendre le système de normes et n'est plus, dans ce cas, habilité à agir par une norme qui légaliserait son action; au-dedans, puisque son action vise toujours à restaurer un ancien système de normes ou à en instaurer un nouveau. Pour Schmitt, l'état d'exception n'est donc jamais un chaos ou une anarchie, il correspond juste au moment où l'écart entre les deux composantes du phénomène juridique est le plus grand: minimum de norme et maximum de décision. De même, on ne s'étonnera guère du fait que, sous la plume de Schmitt, le terme de « dictature » n'a pas le sens péjoratif qui lui est désormais le plus souvent accolé; c'est, au contraire, une institution parfois nécessaire en vue de sauvegarder ou d'instaurer un système normatif.
La vision schmittienne du droit, avec son insistance sur la dimension « décisionniste » de ce dernier, témoigne également des inclinations politiques du juriste allemand: n'a-t-il pas été de ceux qui, brocardant les chicaneries délibératives du régime parlementaire, appelaient de leurs voeux une lecture autoritaire de la Constitution de Weimar, en proposant une interprétation particulièrement large des pouvoirs exceptionnels que le président du Reich tenait de son article 48? [118] Les théories juridique et politique de Schmitt convergent donc elles aussi, à l'instar de celles de Kelsen.
45.A la lumière de cet éclairage théorique, les décisions [119] prises en urgence pour lutter contre l'épidémie de coronavirus, en Belgique et ailleurs, ne correspondent-elles pas à un « état d'exception », au sens schmittien du terme, venu éroder les normes constitutives de l'Etat de droit? Cet état d'exception ne déboucherait-il pas, au reste, sur une forme de « dictature de commissaire » dans laquelle, les assemblées parlementaires ayant abdiqué une grande partie de leurs prérogatives, les différents exécutifs en Belgique, au premier rang desquels le Gouvernement fédéral, se seraient vus déléguer le pouvoir, en réalité illimité, de prendre toutes mesures appropriées en vue de répondre à la crise sanitaire? Face aux dangers qui les menacent, les démocraties libérales n'en seraient pas à leur coup d'essai en la matière, si l'on veut bien se rappeler, en particulier, les nombreux dispositifs exorbitants du droit commun adoptés pour lutter contre le terrorisme depuis le début de ce siècle. Certains exégètes de gauche de Carl Schmitt, tels le philosophe italien Giorgio Agamben, défendent cette thèse depuis les premières réponses étatiques aux événements du « 11 septembre » [120] jusqu'aux mesures actuelles de lutte contre le coronavirus [121]: la démocratie libérale ne serait plus désormais qu'un simulacre, livré à la toute-puissance de l'exécutif et aux mesures d'exception en tous genres. Cette vision, pour peu qu'on aille regarder de près les textes juridiques, est loin d'être convaincante: il reste évidemment des garanties, des contrôles, des limites dans les démocraties occidentales, même pendant ces périodes troublées. Certains jugements rendus par les tribunaux belges pendant la crise sanitaire [122] en offrent une illustration convaincante.
Au reste, la notion d'« état d'exception » théorisée par Schmitt est tout autant un idéal-type que l'« Etat de droit », dans l'acception que je lui ai assignée depuis le début de la présente contribution. Ces idéaux-types (« Etat de droit », « état d'exception ») ne se retrouvent jamais à l'état pur dans la réalité, toujours mélangée à des degrés divers. Ainsi, même dans des systèmes en principe attachés à l'Etat de droit, il arrive que des illégalités soient commises par les autorités sans jamais être sanctionnées. A l'inverse, dans un état d'exception, certaines normes du système en place restent d'application: par exemple, pendant la Première Guerre mondiale, si de nombreuses mesures d'exception furent prises par les puissances belligérantes sur leurs territoires respectifs, une bonne partie des règles préexistantes de droit privé, telles que les droits et obligations en matière de bail, de mariage, d'activité économique, n'en sont pas moins restées inchangées.
Cette relativisation n'implique pas pour autant qu'il ne faille pas s'inquiéter des dérives actuelles. Ce qui doit en particulier retenir l'attention de quiconque est attaché aux principes de l'Etat de droit, ce sont l'intensité, la régularité et la durée des atteintes qui sont portées à ces derniers depuis plusieurs mois. Lorsque, en effet, ce sont des droits fondamentaux qui sont atteints, lorsque les écarts sont multiples, lorsque leur temporalité dépasse les limites d'un provisoire bien circonscrit, ce n'est certes pas la version spectaculaire de l'état d'exception tel que théorisé par Schmitt, faite de troubles séditieux, de violences armées, de guerres civiles ou d'agitations révolutionnaires, qui surgit, mais bien plutôt une série de « petits » états d'exception, auxquels l'on prête d'autant moins d'attention que, pris isolément, ils n'empiètent que de façon apparemment modeste sur les libertés publiques. Qu'est-ce, après tout, que d'être contraint de porter un masque dans un lieu clos, quand bien même l'arrêté ministériel qui l'imposerait serait dépourvu de base légale suffisante? L'habituation alimentée par ces atteintes apparemment circonscrites est particulièrement dangereuse car elle revient à inoculer à petites doses un virus - celui du mépris de l'Etat de droit - dont, de proche en proche, nous finirons, si nous n'y prenons garde, par ne plus sentir les effets et dont nous n'aurons même plus alors l'idée de nous offusquer.
46.D'aucuns écartent ces inquiétudes d'un revers de la main en Belgique, au motif que des contrôles juridictionnels sont toujours possibles [123] et que, tout au moins sous l'angle des demandes en suspension portées devant le Conseil d'Etat, les critiques formulées à l'encontre des décisions ministérielles ont été rejetées. [124] Des juges ayant eu l'occasion de se prononcer, le débat ne devrait-il pas être clos une bonne fois pour toutes?
L'histoire juridique, même récente, des Etats, même démocratiques, regorge pourtant de décisions juridictionnelles, même émanant de Cours suprêmes, qui ont couvert, admis, entériné, voire perpétré directement des violations de la légalité. [125] L'oxymore - des gardiens de la légalité laissant impunie une violation de la légalité, voire la commettant eux-mêmes - n'est qu'apparent. En effet, suivant la distinction opérée par Hart, il est possible d'analyser une situation juridique suivant deux approches: l'une « interne » et l'autre, « externe ». [126]
L'approche interne consiste à examiner le droit du point de vue des autorités d'un système juridique déterminé (législateur, administrations, juges, etc.) et d'en rendre compte dans les termes propres à ces autorités, y compris les artifices rhétoriques et la part de mythologie déployés à cet effet. Or il va de soi que, lorsqu'une juridiction, a fortiori une Cour suprême, avalise ou produit elle-même une irrégularité par rapport au droit en vigueur, elle n'a de cesse d'occulter cette irrégularité afin de donner toutes les apparences de la continuité. La doctrine attachée à une approche purement interne du phénomène juridique finit alors généralement, fût-ce parfois après quelques réticences, par enregistrer le tour de passe-passe et par faire comme si tout s'était déroulé dans l'ordre. Cette approche interne est le lot commun de la plupart des juristes dont la réflexion est bornée par le champ d'un droit positif déterminé.
En revanche, suivant une approche externe, qui s'efforce d'appréhender le système juridique du dehors et qui est ainsi délestée du souci de respecter, fût-ce hypocritement, les fictions créées pour les besoins de celui-ci, de telles irrégularités passent pour ce qu'elles sont: des violations de la légalité en vigueur, dont certains agents de l'ordre juridique s'autorisent parfois en raison du fait que l'application pure et simple de la norme en cause produirait des résultats à leurs yeux regrettables. Une précision de méthode s'impose à cet égard: l'approche externe prônée par Hart n'a pas pour ambition d'évaluer le caractère régulier ou non d'une solution juridique à la lumière d'un hypothétique système idéal (généralement appelé « droit naturel »); elle reste clairement juspositiviste. Elle invite toutefois l'observateur à se départir des mythes et du langage officiel véhiculés par le système juridique étudié afin de se donner une apparence de stabilité et de régularité constantes, en vue de proposer une description plus riche, plus complète et probablement moins idyllique de la réalité observée. Ainsi, l'approche externe peut puiser aux enseignements d'autres sciences sociales afin d'éclairer la problématique concernée; plus modestement, elle peut, comme je m'y suis essayé dans les pages qui précèdent, recourir aux ressources de la logique, de la philologie ou de l'épistémologie (avec la référence à la notion wébérienne d'idéal-type) afin de pointer les contradictions et les dérives de la situation actuelle par rapport aux principes de l'Etat de droit.
Les arrêts du Conseil d'Etat rendus depuis le début de la crise sanitaire peuvent ainsi être appréhendés selon les deux perspectives suggérées par Hart. Quand, par exemple, le juge administratif conclut à la légalité de l'arrêté ministériel en ce qui concerne la fermeture du secteur horeca, il emploie en quelque sorte le vocabulaire de l'Etat de droit pour entériner une violation de la légalité et, du coup, sauver les apparences. L'auteur de doctrine qui se limite à la seule perspective interne est alors bien obligé d'admettre que l'arrêté ministériel n'a pas été jugé illégal par le Conseil d'Etat et que, par conséquent, il ne l'est pas. En revanche, l'approche externe permet de mettre en lumière la performativité inhérente aux décisions juridictionnelles, en particulier celles émanant de Cours supérieures, puisque leurs auteurs peuvent décider (pour reprendre le vocabulaire de Schmitt) de rendre conforme au droit, par cela seul qu'ils le décident, ce qui, jusqu'alors, ne l'était très probablement pas. L'approche externe suggérée par Hart permet dès lors de mettre en lumière ce phénomène de transsubstantiation de l'illégal en légal, que l'approche interne maintient au contraire soigneusement dans l'ombre.
47.Derrière l'apparence de régularité et de continuité d'un système juridique, même démocratique, se cache ainsi une succession d'irrégularités et de ruptures. Pour un certain nombre de raisons, les autorités d'un système juridique et, plus particulièrement, certains juges peuvent estimer nécessaire de s'écarter du droit en vigueur, notamment sur la base de considérations d'opportunité politique, tout en déployant une rhétorique apparemment conforme à ce droit. Ils provoquent ainsi des ruptures de légalité au sommet de l'ordre juridique qui, du coup, ne correspond plus exactement à ce qu'il était avant chaque rupture: il s'agit chaque fois de révolutions, au sens de changements des règles au sommet d'un ordre juridique sans respecter les règles sur le changement des règles. [127] A chaque révolution, c'est, au fond, un nouvel ordre juridique qui voit le jour, même si les autorités veillent, par un certain nombre d'artifices rhétoriques et argumentatifs, à maintenir l'illusion de la continuité et de la régularité d'un seul et même ordre.
Quand des juges contribuent ainsi à entériner des violations de la légalité, ils sont parties prenantes de ce que Lucien François appelle des révolutions « subreptices » ou « non dites » [128], qui ne se différencient des révolutions « explicites » que par le calme apparent dans lequel elles se déroulent. Sous l'angle de la théorie du droit, ces deux catégories de révolutions n'en consistent pas moins l'une et l'autre à opérer des changements dans l'ordre juridico-politique sans respecter les règles de changement. Que cela se fasse dans le fracas, d'un côté, et dans une atmosphère moins fulminante, de l'autre, ne forme, de ce point de vue, qu'une différence de façade. Il se pourrait bien, dans cette perspective, que certains juges, loin d'être les remparts de l'Etat de droit, aient estimé préférable d'être les soutiers de l'état d'exception sanitaire et de participer ainsi à l'une de ces révolutions non dites qui ponctuent, de loin en loin, l'histoire des systèmes juridiques, même démocratiques. [129]
| Conclusion | ![]() |
48.Les nombreux coups de canif portés aux standards de l'Etat de droit durant la crise sanitaire ne constituent pas, contrairement à ce que l'on pourrait croire, une rupture radicale par rapport à un passé où l'observance des différents paramètres de cet Etat de droit aurait été parfaite. Au contraire, ils s'inscrivent dans la continuité de phénomènes antérieurs préoccupants: face à des menaces considérées comme très lourdes, les démocraties libérales choisissent de plus en plus souvent, depuis quelques années, de s'en prémunir au moyen de dispositifs d'exception qui menacent l'équilibre délicat, voire fragile, entre objectifs collectifs ou d'intérêt général (tels que la protection de la sécurité publique ou de la santé publique) et garantie des libertés individuelles. L'invocation de l'urgence et des circonstances exceptionnelles permet ainsi de justifier des politiques qui visent en fin de compte à substituer au droit « ordinaire » un « état d'exception » - lequel, marquant un recul significatif de nombreux droits fondamentaux, est souvent étendu par la suite à bien d'autres cas que ceux qui étaient visés à l'origine, au point d'être parfois transformé en nouveau droit « ordinaire ». Ainsi, après le 11 septembre 2001, tout ou partie des dispositifs antiterroristes de nombreux Etats, adoptés dans l'urgence et prétendument temporaires, ont tout simplement été importés ensuite dans la loi pénale commune - certains des mécanismes d'exception prévus à l'origine pour lutter contre la seule menace terroriste ayant été ensuite étendus à la répression d'autres catégories de crimes et délits, au prix d'un amoindrissement non négligeable des garanties procédurales. [130] Autre transsubstantiation, en somme: celle de l'état d'exception temporaire en droit ordinaire permanent. Ne sommes-nous pas, désormais, en présence d'un autre état d'exception - l'état d'exception sanitaire -, dont il est à craindre qu'il ne finisse par être lui aussi inscrit dans la durée, malgré les promesses publiques en sens contraire? La seule façon pour une démocratie libérale de lutter contre certains dangers réside-t-elle donc nécessairement dans la mise sous le boisseau de ses propres principes?
S'agissant du droit français, M. Chazal a récemment dressé un constat désabusé [131]: « Nous avons probablement surestimé la confiance que nous pouvions avoir dans le concept d'Etat de droit. A l'occasion de la situation d'état d'urgence sanitaire, l'hypothèse ne peut plus être écartée que les normes (Constitution et loi) ne sont que des remparts de papier et que les juges, qui sont censés en être la bouche qui en prononce les paroles, peuvent en devenir les bâillons qui les réduisent au silence. » [132] Mme Vidal-Naquet n'a pas hésité, dans la même veine, à conclure que le droit apparaît « comme l'un des grands perdants de la crise engendrée par l'épidémie de COVID-19 ». [133] Faut-il s'y résoudre en Belgique aussi?
Seuls quelques juristes et associations de défense des droits humains semblent pourtant s'inquiéter de la tournure des événements. [134] Ce n'est pas de bon augure car la santé d'une démocratie dépend en grande partie de la vigilance des citoyens et sa déliquescence commence avec l'apathie d'une population prête à tous les renoncements en raison du caractère extraordinaire d'une situation (guerre, terrorisme, crise économique ou sanitaire, etc.).
| [1] | La documentation consultée est, sauf indication contraire dans le texte, arrêtée au 31 décembre 2020. |
| [2] | Je tiens à remercier vivement les collègues et amis qui ont eu la gentillesse de relire ce texte, pour les remarques qu'ils ont bien voulu me transmettre - contribuant ainsi à rendre ma copie moins pire que ce qu'elle eût été sans leur intervention. Ma reconnaissance va tout particulièrement au professeur Fabienne Kéfer et à M. Xavier Miny, mes collègues de l'Université de Liège. Il va de soi que toute erreur dont la présente contribution resterait entachée relève de la seule responsabilité de son auteur. |
| [3] | Professeur ordinaire à l'Université de Liège. |
| [4] | Bien que l'on sache désormais que plusieurs personnes infectées se trouvaient déjà sur le territoire belge bien avant cette date. |
| [5] | Arrêté ministériel du 13 mars 2020 portant des mesures d'urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19. |
| [6] | Au niveau fédéral, 2 lois du 27 mars habilitant le Roi à prendre des mesures de lutte contre la propagation du coronavirus Covid-19 (I) et (II) confèrent des pouvoirs spéciaux au Roi (c.-à-d., en pratique, au gouvernement fédéral) pour une durée de 3 mois à partir de l'entrée en vigueur de ces 2 lois (à savoir le 30 mars, jour de leur publication au Moniteur belge). L'octroi des pouvoirs spéciaux au Roi a en effet nécessité 2 lois distinctes pour distinguer, d'une part, les dispositions qui règlent une matière visée à l'art. 74 de la Constitution et, d'autre part, les dispositions qui règlent une matière visée à l'art. 78 de la Constitution. Les premières relèvent en effet de la procédure monocamérale devant la Chambre des représentants, tandis que les secondes, qui concernent essentiellement, en l'occurrence, l'organisation et les compétences du Conseil d'Etat, ressortissent du bicaméralisme optionnel. |
| [7] | Région wallonne: décret wallon du 17 mars 2020 octroyant des pouvoirs spéciaux au Gouvernement wallon dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19; décret wallon du 17 mars 2020 octroyant des pouvoirs spéciaux au Gouvernement wallon dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19 pour les matières visées à l'article 138 de la Constitution (par « matières visées à l'art. 138 de la Constitution », il faut entendre celles dont l'exercice a été transféré par la Communauté française à la Région wallonne). Communauté française de Belgique: décret de la Communauté française du 17 mars 2020 octroyant des pouvoirs spéciaux au Gouvernement dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19. Région de Bruxelles-Capitale: ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 19 mars 2020 visant à octroyer des pouvoirs spéciaux au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19. Commission communautaire commune: ordonnance de la Commission communautaire commune du 19 mars 2020 visant à octroyer des pouvoirs spéciaux au collège réuni de la Commission communautaire commune dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19. Commission communautaire française de la Région de Bruxelles-Capitale: décret du 23 mars 2020 accordant des pouvoirs spéciaux au Collège de la Commission communautaire française dans le cadre de la pandémie de Covid-19. Communauté germanophone: décret de crise 2020 du 6 avril 2020. |
| [8] | Sur le Conseil national de sécurité, voy. la contribution de T. Gaudin dans la série des « carnets de crise » du Centre de droit public de l'ULB, disponible à l'adresse suivante: www.droit-public.ulb.ac.be/carnet-de-crise-13-du-15-avril-2020-le-conseil-national-de-securite/. |
| [9] | Du 18 mars au 3 mai 2020 (arrêté ministériel du 18 mars 2020 portant des mesures d'urgence pour limiter la propagation du coronavirus, abrogé et remplacé par l'arrêté ministériel du 23 mars 2020, lui-même modifié par les arrêtés ministériels des 3 avril et 17 avril 2020). |
| [10] | A partir du 4 mai 2020 (arrêté ministériel du 23 mars 2020, tel que modifié par les arrêtés ministériels des 30 avril, 8 mai, 15 mai, 20 mai, 25 mai, 30 mai et 5 juin 2020, puis abrogé et remplacé par l'arrêté ministériel du 30 juin 2020, lui-même modifié par les arrêtés ministériels des 10 juillet, 24 juillet, 28 juillet, 22 août et 25 septembre 2020). |
| [11] | Sur le Comité de concertation, voy. la présentation succincte qui en est faite sur le site du Centre de recherche et d'information socio-politiques (CRISP) à l'adresse suivante: www.vocabulairepolitique.be/comite-de-concertation/. |
| [12] | Arrêté ministériel du 30 juin 2020, tel que modifié par l'arrêté ministériel du 8 octobre 2020, suivi de l'arrêté ministériel du 18 octobre 2020 portant des mesures d'urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19, à son tour modifié par un arrêté ministériel du 23 octobre suivant, pour terminer (provisoirement) par un arrêté ministériel du 28 octobre doté du même intitulé, modifié déjà 12 fois depuis lors (les 1er novembre, 28 novembre, 11 décembre, 19 décembre, 20 décembre et 24 décembre 2020, 12 janvier, 26 janvier, 29 janvier, 6 février, 12 février et 6 mars 2021). De quoi donner le tournis aux citoyens les mieux disposés à l'égard de cette danse de Saint-Guy réglementaire … |
| [13] | Décret du 29 octobre 2020 octroyant des pouvoirs spéciaux au Gouvernement wallon en vue de faire face à la deuxième vague de la crise sanitaire de la COVID-19; décret du 29 octobre 2020 octroyant des pouvoirs spéciaux au Gouvernement wallon en vue de faire face à la deuxième vague de la crise sanitaire de la COVID-19 pour les matières réglées par l'article 138 de la Constitution. |
| [14] | Décret du 13 novembre 2020 modifiant l'article 4 du décret du 29 octobre 2020 octroyant des pouvoirs spéciaux au Gouvernement wallon en vue de faire face à la deuxième vague de la crise sanitaire de la COVID-19; décret du 13 novembre 2020 modifiant l'article 5 du décret du 29 octobre 2020 octroyant des pouvoirs spéciaux au Gouvernement wallon en vue de faire face à la deuxième vague de la crise sanitaire de la COVID-19 pour les matières réglées par l'article 138 de la Constitution. |
| [15] | Avis 68.206/4/AG du 9 novembre 2020. |
| [16] | Décret du 14 novembre 2020 octroyant des pouvoirs spéciaux au Gouvernement en vue de réagir à la deuxième vague de la crise sanitaire du COVID-19. |
| [17] | Avis 68.231/AG/3 du 10 novembre 2020. |
| [18] | Voy. égal. l'ordonnance du même jour visant à octroyer des pouvoirs spéciaux au Collège réuni de la Commission communautaire commune dans le cadre de la crise sanitaire du COVID-19. |
| [19] | Les questions liées aux lois, décrets et ordonnances de pouvoirs spéciaux, aux mesures prises en application de ces différents textes et à la confirmation des arrêtés de pouvoirs spéciaux pris durant la première période de confinement ne seront donc pas abordées ici. |
| [20] | Par « démocratie libérale », j'entends, pour faire bref, un régime politico-juridique dans le cadre duquel la désignation d'une majorité politique, au terme d'élections libres et régulières, est contrebalancée par un certain nombre de garanties, procédurales et substantielles, au profit de la minorité et, plus largement, de tout individu (via, notamment, la reconnaissance et la protection adéquates de droits considérés comme « fondamentaux ») - par opposition, précisément, à ce qu'il est désormais usuel d'appeler des « démocraties illibérales » (telles que, p. ex., la Hongrie ou la Pologne), c.-à-d. des régimes politico-juridiques dans le cadre desquels la loi de la majorité (issue d'un processus électoral globalement libre et régulier) n'est entravée par aucune limite un tant soit peu solide permettant d'assurer la protection des minorités ou des prérogatives des individus face aux éventuels abus du pouvoir majoritaire. Dans une démocratie libérale, la suprématie de la loi de la majorité peut parfois entrer en tension avec les garanties supra-légales (constitutionnelles notamment) accordées aux minorités et aux individus, voire être mise en échec par elles (sur cette tension inhérente à un tel régime politico-juridique, voy. Fr. Bouhon, « Décider ensemble ou vivre ensemble. Quelques pas de danse sur un air de tango », Revue de la Faculté de droit de l'Université de Liège, 2017, pp. 219 et s.). |
| [21] | Pour une première esquisse de réponse à cette question, voy. A. Schaus et V. Letellier, « Les droits et libertés à l'épreuve de la crise sanitaire (Covid-19) », disponible à l'adresse suivante: www.droit-public.ulb.ac.be/carnet-de-crise-15-les-droits-et-libertes-a-lepreuve-de-la-crise-sanitaire-covid-19/. |
| [22] | A lire les multiples déclarations médiatiques de plusieurs experts conseillant le gouvernement fédéral, l'idée selon laquelle les principes fondamentaux d'une démocratie libérale pourraient bien faire obstacle à une politique sanitaire « efficace » est au reste envisagée avec une candeur si désarmante qu'elle ne suscite, étonnamment, aucune perplexité dans le chef des observateurs. Citer en exemples de « bonne » gestion sanitaire des pays comme la Chine, le Vietnam, la Thaïlande ou Cuba (voy., en dernier lieu, les propos de Mme Vlieghe à l'adresse suivante: www.nieuwsblad.be/cnt/dmf20201227_95159290) qui, tous, sont gouvernés, comme on le sait, par des régimes dictatoriaux ou, à tout le moins, autoritaires, devrait au moins inviter à questionner les raisons de cette « bonne » gestion et, surtout, la nature des moyens mis en oeuvre par ces régimes pour assurer le respect des mesures prises. A ma connaissance, aucun organe de presse n'a jugé bon de soulever cette question et son corollaire (une démocratie devrait-elle recourir à de tels moyens coercitifs pour améliorer la gestion sanitaire, au risque de renier ses principes fondateurs?). La plupart des journalistes, avantageusement présentés par la Cour européenne des droits de l'homme comme les « chiens de garde de la démocratie », semblent décidément avoir le râtelier bien élimé en temps de crise sanitaire. |
| [23] | On se rappellera, par exemple, que, pour le grand théoricien du droit Hans Kelsen, « Etat » et « Droit » sont deux concepts parfaitement équivalents, de sorte que l'expression « Etat de droit » est, à proprement parler, une tautologie: « dès lors que l'on reconnaît que l'Etat est un ordre juridique, tout Etat est un Etat de droit, et ce terme d'Etat de droit représente un pléonasme » (H. Kelsen, Théorie pure du droit, trad. fr. de la 2e éd. de Reine Rechtsslehre par Ch. Eisenmann, Paris, Dalloz, 1962, p. 411). A cette aune, l'Allemagne nazie et la Russie soviétique sont tout autant des « Etats de droit » que les Etats-Unis d'Amérique, le Royaume-Uni ou la République française. Kelsen précise toutefois que certains emploient cette expression pour désigner « un type d'Etat particulier, qui répond aux postulats de la démocratie et de la sécurité juridique » (ibid.). C'est à cette dernière acception que je me réfère, comme je l'indique dans le texte. |
| [24] | Pour une synthèse de ces débats, qui entretiennent constamment la polysémie du concept lorsqu'il est employé sans avoir préalablement défini le sens dans lequel on entend l'employer: X. Miny, « Au nom de l'Etat de droit » (note sous Trib. civ. fr. Bruxelles (réf.), 5 août 2020), A.P.T., à paraître en 2021. |
| [25] | C.-à-d. une catégorie conceptuelle qui permet de comprendre et de théoriser certains phénomènes concrets, sans que les caractéristiques de cette catégorie soient systématiquement et parfaitement identifiables dans la totalité des phénomènes observés (voy. not.: M. Weber, Essais sur la théorie de la science [1904-1917], Paris, Pocket, 1992). |
| [26] | Pour plus de détails à ce sujet, cf. infra, nos 11-14. |
| [27] | Voy., à ce sujet, art. 12, al. 2 et 14 Constitution belge. |
| [28] | Voy. p. ex.: Cour eur. D.H., 17 février 2005, K.A. et A.D. / Belgique, § 52; Cass., 12 février 1996, Pas., 1996, I, p. 189; Cass., 16 septembre 1998, J.L.M.B., 1998, p. 1340. |
| [29] | Art. 10 et 11. |
| [30] | Art. 12. |
| [31] | Art. 15. |
| [32] | Art. 16. |
| [33] | Art. 19. |
| [34] | Art. 22. |
| [35] | Art. 25. |
| [36] | Art. 26. |
| [37] | Art. 27. |
| [38] | P. ex., la tension pouvant exister entre la liberté de la presse et le droit au respect de la vie privée. |
| [39] | P. ex., des raisons de sécurité publique ou de santé publique. |
| [40] | Art. 187 Const. Voy., à ce propos, les développements de X. Miny et Q. Pironnet à propos de la lutte contre le terrorisme, autre terrain propice aux mesures extraordinaires: « 'Ceci n'est pas un état d'urgence'. Analysis of the Belgian Legal Framework for the Fight against Terrorism », in O. Baller (éd.), Violent Conflicts, Crisis, State of Emergency, Peacebuilding. Constitutional Problems, Amendments and Interpretation, Berlin, Berliner Wissenschafts-Verlag, 2019, pp. 131 et s. |
| [41] | Voy. en particulier F. Bouhon, A. Jousten, X. Miny et E. Slautsky, L'Etat belge face à la pandémie de Covid-19: esquisse d'un régime d'exception, Courrier hebdomadaire du CRISP, n° 2445, 2020, pp. 7-8. |
| [42] | Cour eur. D.H. (gr. ch.), 30 novembre 2004, Öneryildiz / Turquie, § 90; 20 mars 2008, Boudaïeva / Russie, § 132; 28 février 2012, Kolyadenko et autres / Russie, § 158; 17 janvier 2013, Mosendz / Ukraine, § 90; 5 décembre 2013, Vilnes et autres / Norvège, § 220; 4 février 2014, Oruk / Turquie, § 52; 26 février 2015, Prilutskiy / Ukraine, § 31; 2 février 2016, Cavit Tinarlioglu / Turquie; 4 octobre 2016, Cevrioglu / Turquie, § 51; 6 juin 2017, Sinim / Turquie, § 58; 8 mars 2018, R.S. / Lettonie, § 80. |
| [43] | Art. 181 loi du 15 mai 2007. |
| [44] | Art. 182 loi du 15 mai 2007. |
| [45] | Art. 187 loi du 15 mai 2007. |
| [46] | Ex.: les institutions de soins médicaux, y compris les services de prévention de santé; les services d'asile et migration; les services de collecte et de traitement des déchets. |
| [47] | Les magasins d'alimentation, les pharmacies, les stations-services et les fournisseurs de carburants et combustibles. |
| [48] | Ex.: obligation du port du masque dans les espaces clos (magasins, salles de cinéma, salles de spectacles, lieux de culte, etc.); obligation, en cas de voyage à l'étranger, de remplir un « Formulaire de Localisation du Passager »; mise en place d'une bulle sociale limitée à 5 personnes. |
| [49] | Ex.: fermeture des discothèques et des dancings; obligation, dans le secteur horeca, de recueillir les coordonnées des clients afin d'en assurer le traçage et obligation d'aménager les locaux et les modalités de prestation des services à l'aune de diverses obligations (port du masque ou d'un écran facial pour le personnel; disposition des tables, contraintes horaires, etc.); limitation maximale du nombre de personnes dans le cadre de manifestions à caractère public (ex.: spectacles, exercice collectif des cultes) ou privé (ex.: mariages, banquets), sous réserve de dérogations qui pouvaient être accordées par les autorités communales à des exploitants d'infrastructures permanentes destinées à accueillir des événements, des représentations ou des compétitions. |
| [50] | Art. 23 arrêté ministériel du 30 juin 2020. |
| [51] | Ex.: les salons de coiffure et barbiers; les instituts de beauté; les salons de massage. |
| [52] | Supra, n° 6. |
| [53] | Fr. Kuty, Principes généraux de droit pénal, t. 1, La loi pénale, 3e éd., Bruxelles, Larcier, 2018, pp. 227 et s. |
| [54] | Voy. à ce propos: Fr. Kuty, « Les implications pénales de la sécurité civile. Les infractions à la réglementation tendant à limiter la propagation du virus COVID-19 (2e partie) », J.T., 2020, pp. 320 et s.: « Lorsque l'obligation méconnue trouve son fondement dans cet arrêté ministériel - nous pensons aux fermetures d'une série de commerces et d'entreprises [c'est moi qui souligne, NdA] et aux limitations de déplacement motivées par les nécessités de la lutte contre la propagation du coronavirus - ou dans l'arrêté d'un bourgmestre, le tribunal correctionnel a le devoir, avant d'asseoir une condamnation pénale sur ceux-ci, d'en vérifier la conformité à la loi et à la Constitution. » |
| [55] | Contra (à propos du secteur horeca): C.E., 30 octobre 2020, n° 248.818; 13 novembre 2020, n° 248.918. Pour une critique de ces arrêts, cf. infra, nos 35-36. |
| [56] | L'interprétation stricte de la loi pénale ne va évidemment pas sans la possibilité laissée au ministre de l'Intérieur de moduler la compétence qui lui est octroyée en fonction des circonstances, selon une certaine doctrine: l'interdiction ou l'obligation formulée dans l'arrêté ministériel ou dans tout autre texte (p. ex., une ordonnance d'un bourgmestre ou un arrêté d'un gouverneur) ne doit pas nécessairement être totale, absolue; elle peut aussi être partielle, relative car « qui peut le plus peut le moins » (en ce sens: Fr. Kuty, « Les implications pénales de la sécurité civile. Les infractions à la réglementation tendant à limiter la propagation du virus COVID-19 (1re partie) », J.T., 2020, pp. 296 et s.). C'est ainsi, p. ex., que l'obligation de porter le masque sur la voie publique peut sans difficulté s'interpréter comme une interdiction de se déplacer sans masque, c.-à-d. comme une interdiction seulement relative de déplacement. Une interdiction ainsi modulée ne heurte en rien le principe de légalité. |
| [57] | Une telle expression semblait impliquer, a contrario, qu'il restait donc possible de se « promener » librement à l'intérieur - ce qui demandait beaucoup d'imagination il est vrai. On n'est pas très loin de la chanson de Brel: « Les vieux ne bougent plus leurs gestes ont trop de rides leur monde est trop petit Du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil et puis du lit au lit. » |
| [58] | Art. 20 arrêté ministériel du 30 juin 2020, tel que modifié par l'arrêté ministériel du 28 juillet suivant. |
| [59] | C'est moi qui souligne, NdA. |
| [60] | Art. 23 arrêté ministériel du 30 juin 2020. |
| [61] | Voy. en particulier: L. François, Le problème de la définition du droit, Liège, Collection scientifique de la Faculté de droit, 1978 (en cours de réédition dans la collection Normes des Presses universitaires de Liège, avec une préface de l'auteur de la présente contribution; parution prévue en 2021). |
| [62] | www.rtbf.be/info/societe/detail_bulle-de-5-personnes-c-est-une-indi cation-mais-le-message-essentiel-c-est-qu-il-faut-reduire-ses-contacts-rappelle-sophie-wilmes?id=10572721. |
| [63] | Supra, n° 7. |
| [64] | Puisque, avant 6 heures (tout au moins sur les territoires des provinces wallonnes et de la Région de Bruxelles-Capitale), le téméraire propriétaire de canidés enfreindrait l'interdiction de circuler sur la voie publique - cette interdiction, étendue à l'ensemble du territoire, pouvant du reste elle aussi poser question à la lumière du principe de proportionnalité. |
| [65] | Supra, n° 16. |
| [66] | Schockeffect. |
| [67] | www.lalibr e.be/belgique/politique-belge/une-interview-surrealiste-de-quoi-ne-plus-donner-envie-aux-belges-de-suivre-les-regles-les-propos-de-frank-vandenbroucke-apres-le-comite-de-concertation-font-reagir-5fc49a297b50a65ab1a0d775. |
| [68] | www.rtbf.be/info/belgique/detail_frank-vandenbroucke-se-defend-d-avo ir-utilise-le-mot-electrochoc-les-avis-du-celeval-etaient-plus-durs-que-ce-qui-a-ete-decide?id=10643927. |
| [69] | Cass., 5 novembre 1920, Pas., 1921, I, pp. 193 et s. |
| [70] | www.info-coronavirus.be/fr/faq/#faq. |
| [71] | Voy. déjà à ce propos: www.rtbf.be/info/regions/detail_l-arrete-ministeriel-sur-le-confinement-un-texte-qui-favorise-l-insecurite-juri dique?id=10481972. |
| [72] | D'autres excès se sont ensuite appliqués à d'autres obligations, liées, elles, au déconfinement et au reconfinement. |
| [73] | C.-à-d. un état dans lequel l'application du droit, correcte ou non, est laissée à l'entière discrétion de la force publique, sans un contrôle extérieur suffisamment fort pour limiter d'emblée au strict minimum les risques d'abus de pouvoir. |
| [74] | Voy. égal. à ce propos, le rapport de la Ligue des droits humains de juin 2020, intitulé Abus policiers et confinement et disponible à l'adresse suivante: www.liguedh.be/wp-content/uploads/2020/06/Rapport-Police-Watch-LDH-2020.pdf. |
| [75] | Disponible via le lien suivant: www.raadvst-consetat.be/?page=proc_consult&lang=fr. |
| [76] | P. 22 du Vade mecum. |
| [77] | Les tribunaux correctionnels mais aussi, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 20 mai 2020 portant des dispositions diverses en matière de justice, les tribunaux de police (pour les infractions aux seuls arrêtés ministériels toutefois; les ordonnances des bourgmestres et arrêtés des gouverneurs de provinces restent de la seule compétence des tribunaux correctionnels). |
| [78] | Elle dure souvent plusieurs années. |
| [79] | Art. 17 lois coordonnées sur le Conseil d'Etat. |
| [80] | Sous réserve d'une affaire concernant une ordonnance du bourgmestre de Bruxelles du 28 septembre 2020 interdisant la prostitution sur le territoire de la ville (C.E., 9 octobre 2020, n° 248.541) et d'une autre visant les dispositions de l'arrêté ministériel du 28 octobre 2020 qui interdisaient de façon disproportionnée tout exercice collectif des cultes (C.E., 8 décembre 2020, n° 249.177). Peut-être la Haute Juridiction administrative belge s'est-elle autorisée ce rare moment d'insolence en raison d'une décision analogue rendue, quelques jours plus tôt, par le juge des référés du Conseil d'Etat de France (C.E. fr. (réf.), 29 novembre 2020, disponible à l'adresse suivante: www.conseil-etat.fr/actualites/actualites/limite-de-30-personnes-dans-les-etablissements-de-culte-decision-e n-refere-du-29-novembre). Enfin, dans un arrêt n° 249.685 du 2 février 2021, le Conseil d'Etat a considéré comme discriminatoire la différence de traitement existant entre les secteurs des campings et des parcs de vacances, maintenus fermés, et d'autres formules d'hébergement, autorisées à ouvrir. |
| [81] | Arrêt n° 247.939 du 26 juin 2020. |
| [82] | Arrêt n° 248.039 du 9 juillet 2020. |
| [83] | Arrêts nos 248.108 et 248.109 du 3 août 2020. |
| [84] | Cf. not. les arrêts cités aux notes 80 à 82. |
| [85] | Ibid. |
| [86] | Arrêt n° 248.124 du 5 août 2020. |
| [87] | Art. L.521-2 du Code de justice administrative. |
| [88] | Les décisions rendues par le Conseil d'Etat de France peuvent être consultées à l'adresse suivante: www.conseil-etat.fr/actualites/actualites/dernieres-decisions-referes-en-lien-avec-l-epidemie-de-covid-19. |
| [89] | C.E. fr., 22 mai 2003, Commune de Théoule-sur-Mer, requête n° 256848, Rec., p. 232. |
| [90] | P. ex., C.E. fr., 14 janvier 2005, Luzeyido Bondo, A.J.D.A., 2005, p. 1360, note O. Lecucq. |
| [91] | Voy., en particulier, l'ordonnance du juge des référés du Conseil d'Etat de France du 29 novembre 2020 à propos de la limite de 30 personnes dans les établissements de culte: www.conseil-etat.fr/actualites/actualites/limite-de-30-personnes-dans-les-etablissements-de-culte-decision-en -refere-du-29novembre. |
| [92] | Arrêt n° 248.819 du 30 octobre 2020. |
| [93] | Arrêts nos 248.780 et 248.781 du 28 octobre 2020, 248.818 du 30 octobre 2020 et 248.918 du 13 novembre 2020. |
| [94] | Arrêt n° 248.918 du 13 novembre 2020 (les autres arrêts relatifs à la fermeture du secteur horeca - supra, note 93 - sont rédigés en néerlandais mais reprennent une argumentation similaire). |
| [95] | Art. 12, al. 2, Const. |
| [96] | Voy. not.: C.C., 18 novembre 1998, n° 114/98; 21 decembre 2004, n° 202/2004; 2 fevrier 2005, n° 27/2005; 19 juillet 2005, n° 137/2005; 10 mai 2006, n° 71/2006; 22 avril 2010, n° 37/2010; 28 fevrier 2013, n° 20/2013. |
| [97] | A ce sujet, voy. not.: G. Rosoux et F. Tulkens, « Considérations théoriques et pratiques sur la portée des arrêts de la Cour d'arbitrage », in La Cour d'arbitrage, un juge comme les autres?, Actes du colloque organisé le 28 mai 2004 par la Faculté de droit de l'Université de Liège (Service de droit constitutionnel) et la Conférence libre du Jeune Barreau de Liège, Liège, Éditions du Jeune Barreau, 2004, pp. 95 et s., spéc. pp. 126-128. Voy. aussi, p. ex. : C.C., 19 avril 2006, n° 52/2006, point B.5.5., dans lequel la Cour estime que « les juridictions sont tenues d'appliquer [la] disposition dans l'interprétation jugée compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution ». |
| [98] | Voy. la dernière version ici: https://www.om-mp.be/sites/default/files/u147/col_06_2020_coronavirus_fr_nl_version_02.02.2021_clean.pdf. |
| [99] | Supra, nos 26-28. |
| [100] | Ibid. |
| [101] | Version disponible à l'adresse suivante: www.om-mp.be/sites/default/files/u147/col_06_2020_coronavirus_fr_nl_version_15.12.2020_clean.pdf. |
| [102] | Supra, note 77. |
| [103] | Art. 216bis C.i. cr. |
| [104] | www.lesoir.be/330500/article/2020-10-09/coronavirus-il-y-aura-des-amendes-pour-non-respect-des-regles-previent-van. |
| [105] | Corr. Brabant wallon, 26 juin 2020 (deux jugements), dont l'un a été publié: J.L.M.B., 2020, pp. 1755 et s. |
| [106] | Pol. Hainaut (div. Charleroi), 29 juillet 2020, J.L.M.B., 2020, pp. 1288 et s. |
| [107] | Pol. Hainaut (div. Charleroi), 21 septembre 2020, J.L.M.B., 2020, pp. 1692 et s. |
| [108] | Corr. Brabant wallon, 26 juin 2020, J.L.M.B., 2020, pp. 1755 et s. |
| [109] | www.om-mp.be/fr/votre-mp/parquets-procureur-roi/bruxelles/communiqués. |
| [110] | Inédit. |
| [111] | Pour d'autres exemples de décisions judiciaires rendues en sens divers, voy. X. Miny, « Au nom de l'Etat de droit » (note sous Trib. civ. fr. Bruxelles (réf.), 5 août 2020), A.P.T., à paraître en 2021. |
| [112] | Laquelle pourrait également prendre la forme, dans les mois à venir, d'actions en responsabilité contre l'Etat belge. |
| [113] | H. Kelsen, Théorie pure du droit, trad. fr. de la 2e éd. de Reine Rechtsslehre par Ch. Eisenmann, Paris, Dalloz, 1962, o.c. |
| [114] | Voy., p. ex.: H. Kelsen, La démocratie. Sa nature - Sa valeur, trad. fr. de la 2e éd. de Vom Wesen und Wert der Demokratie par Ch. Eisenmann, Paris, Dalloz, 2004. |
| [115] | Supra, n° 6. |
| [116] | Voy. not.: C. Schmitt, Théologie politique, trad. fr. de Politische Theologie. Vier Kapitel zur Lehre von der Souveränität par J.-L. Schlegel,Paris, Gallimard, 1988; La notion de politique (suivi de Théorie du partisan), trad. fr. de Der Begriff des Politischen et de Theorie des Partisanen. Zwischenbemerkung zum Begriff des Politischen par M.L. Steinhauser, Paris, Flammarion, 1992, coll. Champs, présentation par J. Freund; Théorie de la Constitution, trad. fr. de Verfassungslehre par O. Beaud, Paris, PUF, 1993, introduction du traducteur; La dictature, trad. fr. de Die Diktatur. Von den Anfängen des modernen Souveränitätsgedankens bis zum proletarischen Klassenkampf par M. Köller et D. Séglard, Paris, Seuil, 2000, coll. Points. |
| [117] | Voy., p. ex., art. 16 Constitution française de 1958. |
| [118] | Voy., à cet égard, le dernier chapitre de la traduction française de Die Diktatur (supra, note 115). |
| [119] | Le choix opéré dans la présente contribution de désigner les mesures ministérielles visant à limiter la propagation du coronavirus COVID-19 par le mot « décisions » plutôt que par celui de « normes » est ainsi justifié parce que ces mesures correspondent davantage, selon moi, aux situations urgentes impliquant des mesures autoritaires visées par Schmitt. |
| [120] | G. Agamben, Homo sacer, II, 1, Etat d'exception, Paris, Seuil, 2003. |
| [121] | www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/24/giorgio-agamben-l-epidemie-montre-claireme nt-que-l-etat-d-exception-est-devenu-la-condition-normale_6034245_3232.html |
| [122] | Supra, n° 40. |
| [123] | Il n'en faut pas moins relativiser cette affirmation: nombre de dossiers liés à la gestion juridique de la pandémie de COVID-19 n'arriveront jamais devant un juge (supra, n° 39). |
| [124] | Supra, nos 33-36. |
| [125] | A ce propos, voy. mon article « Quis custodiet ipsos custodies? Libres propos sur les violations de la légalité couvertes, admises, entérinées ou commises par les Cours suprêmes », Rev. Dr. ULg, 2017, pp. 135 et s. |
| [126] | H.L.A. Hart, Le concept de droit, trad. fr. de The Concept of Law par M. Van De Kerchove, Bruxelles, Publications des FUSL, 1976, pp. 114-115. |
| [127] | L. François, « La révolution selon le droit », in E. Delruelle et G. Brausch, Le droit sans la justice. Actes de la rencontre du 8 novembre 2002 autour du Cap des Tempêtes de Lucien François, Bruxelles-Paris, Bruylant-LGDJ, 2004, pp. 111 et s., spéc. p. 113. |
| [128] | L. François, « La révolution selon le droit » in E. Delruelle et G. Brausch, Le droit sans la justice. Actes de la rencontre du 8 novembre 2002 autour du Cap des Tempêtes de Lucien François, o.c., pp. 126-127; du même auteur, « Droit et révolution. Que sont-ils l'un par rapport à l'autre? », in Le problème de l'existence de Dieu et autres sources de conflits de valeurs, Bruxelles, L'Académie en poche, 2017, pp. 99 et s., spéc. pp. 122-126. |
| [129] | M. Miny pointe ainsi avec raison la (fausse?) naïveté du juge des référés du tribunal civil francophone de Bruxelles qui, dans son ordonnance du 5 août 2020, affirme sans ambages que les cours et tribunaux sont les « derniers remparts des droits et de libertés » (X. Miny, « Au nom de l'Etat de droit » (note sous Trib. civ. fr. Bruxelles (réf.), 5 août 2020), A.P.T., à paraître en 2021). |
| [130] | A ce propos, voy. à nouveau: X. Miny et Q. Pironnet, « 'Ceci n'est pas un état d'urgence'. Analysis of the Belgian Legal Framework for the Fight against Terrorism », o.c. |
| [131] | Alors même que, nous l'avons vu, le juge administratif français a pourtant davantage eu l'occasion de limiter les dérives de l'exécutif (supra, n° 34). Maigre consolation à nouveau: les problèmes soulevés en Belgique par la gestion juridique de la crise sanitaire ne sont pas une exception; toutes les démocraties libérales sont touchées. |
| [132] | J.-P. Chazal, « L'Etat de droit: la fin d'une illusion? », Dalloz, 2020, p. 2281. |
| [133] | A. Vidal-Naquet, « Le droit, grand perdant de la crise due au coronavirus », Le Monde, 25-26 décembre 2020, p. 26. |
| [134] | Voy. toutefois, à ce sujet, le rapport (assez tardif) d'UNIA: www.unia.be/files/Documenten/Publicaties_docs/2020_Rapport_Covid_-_FR.pdf. |


