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Droit commercial général

CJUE, 26/11/2019: la légitimité du filtrage des pourvois par les avocats à la Cour de cassation

Dans son arrêt du 26 novembre 2019 (T-287/16), la Cour de Justice de l’Union européenne (« CJUE ») a eu l’occassion de se prononcer sur le rôle de filtrage d’un avocat à la Cour de cassation.

La Commission européenne considérait qu’en ne se pourvoyant pas en cassation contre une décision qui l’avait déboutée, la Belgique n’avait pas tenté adéquatement de récuperer une restitution indue dans le cadre de la politique agricole commune.

La Belgique se défendait en précisant qu’en vue d’introduire un recours devant la Cour de cassation, elle avait solicité l’avis d’un avocat portant le titre légal d’avocat à la Cour de cassation, conformément aux règles de la procédure judiciaire belge, qui réservent à ces avocats le pouvoir d’introduire des pourvois en matière civile devant cette juridiction. Ces avocats, en nombre limité, assurent un filtrage des causes déférées à ladite juridiction, en écartant celles qui ne se prêtent pas au contrôle de légalité ou qui ne peuvent pas donner lieu à cassation, afin de prévenir son engorgement. Le rôle desdits avocats est dès lors important, ceux-ci devant déconseiller l’introduction d’un pourvoi lorsqu’ils estiment que celui-ci ne présente pas de chance d’aboutir. L’avocat à la Cour de cassation dont l’avis est sollicité examine le dossier de son client de manière approfondie, afin de déterminer si la décision concernée rendue en dernier ressort est susceptible de critiques au regard des moyens, énumérés limitativement par la loi, pouvant être invoqués devant la Cour de cassation (et notamment celui d’une contravention à la loi). Après cet examen, trois hypothèses se présentent:

  1. L’avis de cet avocat à la Cour de cassation est positif, auquel cas il rédige un projet de pourvoi en cassation;
  2. Son avis est négatif et il déconseille à son client de former un pourvoi en cassation;
  3. Ledit avocat a un doute quant aux chances de succès, auquel cas il laisse le choix à son mandant de tenter sa chance ou d’arrêter la procédure.

Certes, en cas d’avis négatif, le client peut passer outre, s’il le veut, et rédiger lui-même la requête en pourvoi et demander à l’avocat à la Cour de cassation de la signer. Pourtant, cette pratique est marginale, l’avocat à la Cour de cassation devant dans ce cas signer une requête en y apposant la mention « sur réquisition et sur projet« , ce qui signalerait à ladite juridiction qu’il a été forcé de signer la requête, dont il ne soutient pas le contenu.

La CJUE a suivi la position de la Belgique.

Elle constate d’abord qu’à la suite de l’avis négatif rendu par l’avocat à la Cour de cassation, les autorités belges n’étaient pas dans l’impossibilité de former un pourvoi en cassation, les règles procédurales belges n’interdisant pas de passer outre un tel avis ou de solliciter l’avis d’un autre avocat à la Cour de cassation.

Cependant, la CJUE est d’avis qu’il ne peut pas être reproché aux autorités belges d’avoir suivi l’avis négatif de l’avocat à la Cour de cassation consulté, dans la mesure où le droit belge confie aux avocats à la Cour de cassation un rôle spécifique de filtrage des pourvois. Dans le système des voies de recours existant en droit belge, le rôle desdits avocats est dès lors fort important. En effet, il revient à ces avocats de déconseiller l’introduction d’un pourvoi lorsqu’ils estiment que celui-ci ne présente pas de chance d’aboutir. Un avis négatif d’un avocat à la Cour de cassation constitue donc un indice pertinent des faibles chances de succès d’un recours porté devant la Cour de cassation belge. En outre, outrepasser un tel avis négatif ne saurait, en principe, être considéré comme étant une procédure efficace et pourrait même donner lieu à une condamnation par ladite juridiction à payer une indemnité pour recours abusif et vexatoire.

La CJUE comprend que les autorités belges se soient fiées à l’analyse de la réglementation et de la jurisprudence contnue dans l’avis négatif de l’avocat à la Cour de cassation consulté, compte tenu du fait qu’un avocat à la Cour de cassation est supposé disposer des meilleures compétences en droit et fait partie des juristes éminents de l’ordre juridique belge auxquels le droit judiciaire belge confie le rôle de filtrage des pourvois. La CJUE constatat que dans le cas d’espèce, l’analyse était d’ailleurs suffisamment détaillée et précise.

L’avis négatif de l’avocat à la Cour de cassation a donc pu raisonnablement induire la Belgique à estimer que les perspectives de succès d’un pourvoi étaient nécessairement faibles. Considérant que, tenu compte dudit avis négatif, la probabilité que la Cour de cassation belge annule l’arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles aurait été insignifiante, il ne saurait être reproché à la Belgique d’avoir décidé de suivre ledit avis négatif et, partant, de ne pas avoir formé un pourvoi en cassation.

V. aussi B. MAES, « Verantwoording en nut van de verplichte tussenkomst van een advocaat bij het Hof van Cassatie voor het instellen van cassatieberoepen« , R.A.B.G. 2015/6, p. 406 et s.

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