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Assurances « revenu garanti » en cas d’incapacité de travail : une limitation de la période d’indemnisation applicable aux seuls troubles psychiques est discriminatoire

Dans un arrêt du 13 décembre 2023, la cour du travail d’Anvers, confirmant un jugement du tribunal du travail d’Anvers (section Malines) du 11 janvier 2022, a jugé contraire à la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination (M.B., 30 mai 2007 ; ci-après la « loi anti-discrimination ») la clause d’un contrat d’assurance collective « revenu garanti » qui limite à deux années la période d’indemnisation de l’affilié par l’assureur en cas d’incapacité de travail causée par un trouble psychique alors qu’aucune limitation temporelle n’est applicable en cas d’incapacité de travail pour cause de trouble physique[1].

Dans cette affaire concernant une travailleuse affiliée à l’assurance « revenu garanti » souscrite par son employeur et reconnue en incapacité de travail (totale ou partielle, selon les périodes), en raison d’une dépression, entre le début de l’année 2015 et le 30 septembre 2021, la cour du travail d’Anvers a jugé qu’une telle clause opère une différence de traitement, fondée sur l’un des critères « protégés » par la loi « anti-discrimination », à savoir l’état de santé, entre les assurés souffrant d’un trouble psychique, d’un côté, et ceux atteints d’un trouble physique, de l’autre côté, et que cette différence de traitement n’est pas objectivement justifiée par un but légitime.

Tout en reconnaissant qu’une entreprise d’assurance est, en tant qu’entreprise commerciale, soumise à des contraintes prudentielles d’équilibre tarifaire et peut légitimement vouloir maintenir les primes à un niveau abordable, la juridiction d’appel anversoise a souligné que la politique de segmentation des assureurs se doit toutefois de respecter la législation « anti-discrimination », laquelle est d’ordre public. De même, la liberté contractuelle dont jouissent les assureurs ne saurait s’exercer au détriment du respect de cette législation.

La cour du travail d’Anvers a également réfuté l’argumentation de l’assureur fondée sur le fait qu’un trouble psychique implique un processus de rétablissement plus long qu’en cas de trouble physique. Elle a relevé à cet égard qu’il ne ressortait pas des documents produits par cet assureur qu’une maladie psychique durerait généralement plus longtemps qu’une maladie physique et que la durée du processus de guérison en cas de trouble psychique serait impossible ou, du moins, plus difficile à prévoir qu’en cas de trouble physique.

S’agissant de l’argumentation de l’assureur tirée du fait qu’une affection physique et son évolution sont objectivement constatables (via des examens médicaux) alors que le diagnostic d’une affection psychique reposerait essentiellement sur les déclarations du patient à son médecin, la juridiction d’appel anversoise a fait observer que, en l’espèce, la période et le pourcentage d’invalidité avaient fait l’objet de constatations d’un expert judiciaire qui n’ont pas été sérieusement remises en cause par l’assureur. Du reste, la circonstance que tous les médecins ne soient pas familiarisés aux affections psychiques et à leur diagnostic n’exclut pas qu’un psychiatre puisse dresser un constat objectif d’une telle affection.

Enfin, la cour du travail d’Anvers a écarté l’argumentation de l’assureur prise de la nécessité de favoriser la réintégration des personnes psychiquement fragiles dans le circuit du travail, en soulignant qu’une telle réintégration constitue également un aspect important du processus de guérison d’une personne atteinte d’un trouble physique.

La juridiction d’appel anversoise a conclu à la nullité de la clause litigieuse pour contrariété à la loi « anti-discrimination ». La travailleuse ayant, dans le cadre d’un appel incident, produit des attestations médicales dont il ressortait qu’elle avait, entre-temps, été reconnue invalide à 100 % jusqu’au 30 septembre 2034, il a été enjoint à l’expert judiciaire de fournir, pour la fin du mois de mai 2024, un rapport sur l’état d’incapacité de travail de l’intéressée et sur le pourcentage de cette incapacité depuis le 1er octobre 2021.

 

[1] Pour un commentaire de cet arrêt, voy. B. Heylen, « Revenu garanti – Les limitations de garantie pour troubles psychiques remises en cause ? », Life & Benefits, janvier 2024, pp. 1-3.

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