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Droit international privé

La CJUE précise la notion de lieu du fait dommageable en matière de préjudice financier

Dans Löber (arrêt C-304/17 du 12 septembre 2018), la CJUE a précisé sa jurisprudence antérieure relative à la compétence internationale pour les actions en responsabilité introduites par des investisseurs victimes d’un préjudice financier.

En vertu de l’article 5(3) du règlement Bruxelles I (désormais article 7(2) du règlement Bruxelles Ibis), sont compétentes pour connaître d’une action en matière délictuelle ou quasi délictuelle les juridictions de l’Etat membre où « le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ». De longue date, la CJUE a considéré que cette notion pouvait couvrir à la fois le lieu de l’événement causal et celui du fait dommageable, au choix du demandeur (Bier, arrêt C-21/76 du 30 novembre 1976). Löber concerne la deuxième hypothèse.

Sans entrer dans les détails de la jurisprudence de la CJUE en matière de préjudice financier, on relèvera brièvement les arrêts clés nécessaires à la compréhension des enjeux de Löber.

Jusqu’il y a peu, la CJUE a adopté une approche relativement restrictive de la notion de lieu du fait dommageable en matière de préjudice financier, en estimant que cette expression « ne saurait être interprétée de façon extensive au point d’englober tout lieu où peuvent être ressenties les conséquences préjudiciables d’un fait ayant déjà causé un dommage effectivement survenu dans un autre lieu » (Marinari, arrêt C-364/93 du 19 septembre 1995) et « ne vise pas le lieu du domicile du demandeur où serait localisé le centre de son patrimoine au seul motif qu’il y aurait subi un préjudice financier résultant de la perte d’éléments de son patrimoine intervenue et subie dans un autre État membre » (Kronhofer, arrêt C-168/02 du 10 juin 2004).

La CJUE a toutefois adopté une approche plus favorable aux investisseurs dans Kolassa (arrêt C-375/13 du 28 janvier 2015), dont les faits peuvent être résumés succinctement comme suit : une banque anglaise avait émis des titres sur un marché principal anglais, tout en distribuant un prospectus en Autriche. Un investisseur autrichien a ensuite acquis un intérêt sur ces titres par l’intermédiaire d’une filiale autrichienne d’une banque allemande. A la suite d’une perte de valeur de ces titres, la CJUE a admis que l’investisseur autrichien poursuive en responsabilité extracontractuelle la banque émettrice en Autriche sur la base de l’article 5(3) du règlement Bruxelles I. Selon la Cour, l’Autriche pouvait constituer le lieu du fait dommageable dans la mesure où le compte en banque utilisé par l’investisseur pour son investissement se trouvait dans cet Etat membre.

La CJUE a cependant limité la portée de cette jurisprudence dans Universal Music (arrêt C-12/15 du 16 juin 2015). Cette affaire ne concernait pas un cas de responsabilité pour l’émission d’un prospectus, mais une action en responsabilité professionnelle à l’encontre d’avocats étant intervenus dans la vente de titres d’une société de musique tchèque. La demanderesse avait lancé son l’action aux Pays-Bas, lieu du compte en banque ayant servi à l’acquisition des actions. La CJUE a jugé qu’un tel dommage, en lui-même, n’était pas suffisant que pour justifier l’application de l’article 5(3). Des circonstances spécifiques concourant à attribuer une compétence aux tribunaux de l’Etat du compte en banque, présentes dans Kolassa mais absentes dans Universal Music, devaient également être réunies. La CJUE n’a pas indiqué ces circonstances, mais a renvoyé aux conclusions de son avocat général (M. Szpunar) qui avait relevé que la partie défenderesse avait publié un prospectus dans l’Etat du compte en banque, et que l’investisseur avait acquis les titres par l’intermédiaire d’une banque de cet Etat.

Finalement, dans Löber, la CJUE a confirmé les principes dégagés dans Universal Music mais en adoptant une interprétation large des circonstances spécifiques pouvant entrer en ligne de compte. Les faits de l’affaire étaient fort proches de l’affaire Kolassa, la demanderesse autrichienne ayant acquis, par l’intermédiaire d’une banque autrichienne et avec des fonds présents sur un compte en banque autrichien, des titres émis par une banque anglaise. La demanderesse soulevait à nouveau le fait que le prospectus d’émission aurait contenu des informations trompeuses. Après un rappel de sa jurisprudence antérieure, en particulier Universal Music (§30), la CJUE a indiqué que des circonstances spécifiques justifiaient la compétence des juridictions autrichiennes dans cette affaire (§§ 31-35) :

  • la demanderesse était domiciliée en Autriche et les payements pertinents ont été opérés depuis des comptes en banque autrichiens ;
  • la demanderesse a traité uniquement avec des banques autrichiennes ;
  • les titres ont été acquis sur le marché secondaire autrichien ;
  • le prospectus a été notifié à la banque autrichienne de contrôle ; et
  • la demanderesse a signé le contrat en Autriche, sur la base des informations reprises dans le prospectus.

Une question importante demeure suite à Löber : est-ce que, même en l’absence de tout critère de rattachement du point de vue de l’émetteur (absence de distribution ou notification du prospectus dans l’Etat tiers concerné), l’existence de suffisamment de circonstances « domestiques » propres à l’investisseur (qui seront souvent réunies en pratique) suffiraient à justifier la compétence des juridictions de celui-ci. Dans l’affirmative, on ne serait plus très éloigné de la solution retenue dans Kolassa.

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