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Droit de la concurrence et secteurs régulés

La Cour de Justice de l’Union européenne précise qu’une filiale peut sous certaines conditions être tenue pour responsable des pratiques anticoncurrentielles de sa société mère

Dans le cadre d’une procédure préjudicielle initiée par une juridiction nationale espagnole dans le contexte du cartel des camions (Affaire AT.39824 – Camions), la Cour de Justice de l’Union européenne a apporté des précisions sur l’interprétation des notions d’« entreprise » et d’« unité économique » dans le cadre d’actions en responsabilité de victimes d’infractions au droit de la concurrence.

La Cour a adopté une position pragmatique, en lien avec sa notion d’« entreprise » fondée sur une approche fonctionnelle, en reconnaissant que sous certaines conditions, une victime d’une entente peut intenter une action en réparation contre la filiale d’une société mère qui a été reconnue coupable d’avoir enfreint le droit de la concurrence si celles-ci font partie de la même unité économique et forment ainsi une entreprise.

Dans son arrêt du 6 octobre 2021 (C-882/19, ECLI:EU:C:2021:293), la Cour rappelle que la notion d’« entreprise » est régie par le droit de l’Union et comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement, et désigne ainsi une unité économique même si, d’un point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales.

La Cour souligne une fois de plus l’importance d’appliquer la même notion d’« entreprise » que ce soit en public enforcement (dans le contexte de la mise en œuvre de règles de concurrence par les autorités de la concurrence) ou en private enforcement (notamment dans le cadre d’actions en dommages et intérêts pour violation de ces règles).

L’intérêt de cet arrêt réside dans la reconnaissance explicite par la Cour que le comportement anticoncurrentiel d’une société mère peut être imputé à sa filiale (la responsabilité « descendante »). Si la Cour avait déjà établi que les pratiques anticoncurrentielles d’une société filiale peuvent être imputées à la société mère (la responsabilité « ascendante »), elle précise pour la première fois que ce n’est pas le contrôle décisif d’une entité juridique sur l’autre qui déclenche leur responsabilité civile conjointe et solidaire, mais les liens économiques, organisationnels et juridiques qui les unissent. Ainsi, si l’existence de ces liens peut être prouvée, les deux entités juridiques appartiennent à la même unité économique.

La Cour reconnait cependant que certains groupes de sociétés sont constitués d’entités juridiques ou physiques qui exercent des activités économiques différentes et qu’il est dès lors essentiel de démontrer qu’un lien existe entre leurs activités économiques.

La Cour aborde également les droits des filiales de contester leur appartenance à la même entreprise que leur société mère en faisant valoir tout motif qu’elles auraient pu soulever si elles avaient été impliquées dans la procédure devant la Commission à l’encontre de leur société mère.

En guise de conclusion, la Cour rappelle la primauté du droit de l’Union sur la règlementation nationale et que, par conséquent, si les dispositions applicables en droit interne ne permettent pas aux juridictions nationales de suivre l’interprétation établie par la Cour, elles devront les ignorer.

Sur la base de cette nouvelle jurisprudence, les victimes d’ententes disposeront donc d’un arsenal juridique plus complet afin de mettre en cause leurs cocontractants, filiales d’auteurs d’une infraction au droit de la concurrence.

Annabelle Lepièce et Marie Vandenneucker

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