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Droit international privé

La High Court anglaise se prononce sur le sort des anti-suit injunctions sous le reglement Bruxelles I bis

Par une décision rendue le 6 juin 2018 dans l’affaire Nori Holdings c/ Bank Otkritie ([2018] EWHC 1343 (Comm)), la High Court anglaise a jugé que la refonte du règlement de Bruxelles n’avait pas pour conséquence de lui permettre de prononcer des anti-suit injunctions dans le cadre de l’espace judiciaire européen.

En droit anglais, une « anti-suit injunction » est une ordonnance d’une juridiction enjoignant à une partie, sous peine de se rendre coupable de « contemp of court » et de risquer une amende voire un emprisonnement, de ne pas initier, de ne pas avancer certaines demandes, d’y renoncer ou de faire les démarches nécessaires pour mettre fin ou suspendre une procédure pendante devant une juridiction étatique ou arbitrale établie dans un pays étranger. La validité de ce mécanisme (propre aux juridictions de common law) au sein de l’espace judiciaire européen a fait l’objet de plusieurs arrêts de principe de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qu’il est utile de brièvement rappeler pour mettre en contexte la récente décision de la High Court.

Dans un arrêt Turner du 27 avril 2004, la CJUE avait considéré que les anti-suit injunctions étaient contraires à la Convention de Bruxelles en ce que « l’interdiction faite par une juridiction à une partie, sous peine de sanction, d’introduire ou de poursuivre une action devant une juridiction étrangère a pour effet de porter atteinte à la compétence de celle-ci pour résoudre le litige » (§27) et, partant, de violer le principe de confiance mutuelle sur lequel repose l’espace judiciaire européen.

Par sa jurisprudence West Tankers du 10 février 2009, la CJUE a ensuite étendu la prohibition des anti-suit injunctions à la violation des clauses d’arbitrage, et ce malgré l’exclusion expresse de l’arbitrage par le règlement Bruxelles I. La Cour a en effet considéré que, si la procédure d’anti-suit injunction elle-même n’entrait pas dans le champ d’application du règlement Bruxelles I, tel n’était pas le cas de la procédure judiciaire en dommages et intérêts qui avait été engagée en Italie et dont la cessation était demandée devant les juridictions anglaises. L’appréciation de la validité de la clause d’arbitrage constituait une question préliminaire que la juridiction italienne était en droit de trancher afin de déterminer sa propre juridiction, et les juridictions britanniques ne pouvaient l’empêcher d’exercer les compétences qui lui sont attribuées en vertu du règlement sous peine de violer le principe de la confiance mutuelle entre les juridictions des États membres.

Enfin, dans un arrêt Gazprom  du 13 mai 2015, la CJUE a refusé d’étendre cet enseignement aux anti-suit injunctions prononcées par les tribunaux arbitraux. La Cour justifie cette différence par le fait que le règlement ne régit que les conflits de compétence entre les juridictions des États membres et que, de manière similaire, le principe de reconnaissance mutuelle entre les systèmes juridiques des États membres ne peut être violé qu’en cas d’ingérence d’une juridiction dans la compétence d’une juridiction d’un autre État membre.

Dans ce même arrêt, la CJUE n’a pas suivi son avocat général (M. Wathelet) qui avait plaidé dans ses conclusions pour une admissibilité générale des anti-suit injunctions dans le cadre de l’arbitrage international, du fait des précisions apportées sur l’exclusion de l’arbitrage par le considérant n° 12 du règlement Bruxelles Ibis. La Cour de justice n’a cependant pas non plus expressément confirmé que la jurisprudence West Tankers resterait applicable suite à la refonte du règlement Bruxelles I, et la question demeurait donc controversée (bien que la majorité de la doctrine considérait que les enseignements de West Tankers n’avaient pas été remis en cause par la refonte).

Dans l’affaire Nori Holdings c/ Bank Otkritie, la High Court a considéré, dans une décision très critique de l’opinion de M. l’avocat général Wathelet, qu' »il n’existe rien dans le règlement Bruxelles I bis qui remettrait en doute la jurisprudence West Tankers » (§99). La High Court confirme donc que les juridictions britanniques ne prononceront pas d’anti-suit injunctions dans le cadre de l’espace judiciaire européen, à tout le moins tant que le Royaume-Uni fera encore partie de celui-ci.

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