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Droit commercial général

L’impossible concours entre responsabilité contractuelle et extracontractuelle – Cass.  25 mai 2023

Selon la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation (depuis l’arrêt du 29 septembre 2006 (C.03.0502.N), la responsabilité extracontractuelle d’une partie contractante ne peut être engagée à l’égard de son cocontractant que si la faute qui lui est imputée constitue un manquement non seulement à l’obligation contractuelle mais aussi à l’obligation générale de prudence et que cette faute a causé un dommage autre que celui qui résulte de la mauvaise exécution du contrat.

Un récent arrêt de la Cour de cassation du 25 mai 2023 (C.21.0425.F et C.22.0120.F) confirme à quel point une telle action extracontractuelle est quasiment exclue dans la pratique.

Un moteur vendu par une société Rotor avait été intégré par une société Holtrop dans un ventilateur, acheté par une société Halwena, qui l’avait à son tour vendu à la société Stock Américain, où le moteur avait pris feu, détruisant l’immeuble de cette société. La victime et son assureur avaient été indemnisés, sur base contractuelle, par l’assureur de Halwena, qui s’était retourné tant contre Holtrop, le vendeur du ventilateur, que contre Rotor, le fournisseur du moteur, dans les deux cas sur base des articles 1382 et 1383 de l’ancien Code civil.

Dans un arrêt du 19 novembre 2020 la cour d’appel de Liège avait déclaré ces deux demandes extractontractuelles fondées.

En ce qui concerne Holtrop, la cour d’appel jugea qu’en fournissant un ventilateur défectueux, susceptible de présenter un danger pour la sécurité, cette société avait méconnu non seulement son obligation contractuelle mais également le devoir général de prudence qui s’impose à tous (il s’agissait donc, selon la cour d’appel, d’une faute ‘mixte’). La cour d’appel avait considéré par ailleurs que le dommage qu’avait causé le moteur était « distinct de l’inexécution du contrat » en ce qu’il consistait « en la destruction de divers biens meubles et d’une partie d’immeuble suite à la propagation de flammes » et qu’en tant qu’« atteinte à la sécurité des biens qui ne font pas l’objet du contrat », le dommage était « détachable » du manquement contractuel.

La cour d’appel considéra que la responsabilité extracontractuelle de Rotor était également engagée par identité de motifs à ceux développés contre Holtrop. Elle décida « qu’en fabriquant et en commercialisant un moteur défectueux susceptible de présenter un danger pour la sécurité, [Rotor] a causé un dommage qui n’est pas purement contractuel. » Notons à cet égard que selon un arrêt de la Cour de cassation du Cass. 2 octobre 2020, (C.20.0005.N)  les conditions restrictives de concours de responsabilité ne s’appliquent pas seulement entre cocontractants directs mais également au détenteur du droit contractuel « accessoire » (« kwalitatief recht ») transféré d’acquéreur en acquéreur.

Dans son arrêt du 25 mai 2023, la Cour de Cassation casse l’arrêt, la cour d’appel n’ayant pu légalement déduire pour aucune des deux demandes (tant celle contre Holtrop, que celle contre Rotor), que le dommage était « autre que celui qui résulte de la mauvaise exécution du contrat ».

En ce qui concerne Holtrop la cour d’appel ne pouvait légalement déduire que le dommage était « distinct de l’inexécution du contrat » du fait qu’il s’agissait d’un incendie à des biens et que l’atteinte à la sécurité des biens ne faisaient pas l’objet du contrat. Pour Rotor la cour d’appel avait elle-même constaté que le dommage n’était pas « pas purement contractuel », ce qui manifestement ne remplit pas non plus la condition d’un dommmage « autre que celui qui résulte de la mauvaise exécution du contrat ».

Il était déjà établi que la jurisprudence de la Cour de cassation rendait très improbable une action extracontractuelle entre cocontractants. Une phrase de l’arrêt du 25 mai 2023 semble exclure encore un peu plus cette hypothèse. La Cour de cassation indique en effet que « le dommage qui résulte de la mauvaise exécution du contrat est celui qui est en lien causal avec ce manquement, lors même qu’il n’en est qu’une suite indirecte ».

Ceci ne revient-il pas à exclure par définition toute demande de dédommagement sur base extracontractuelle en cas de faute mixte? En effet, puisque la causalité en matière contractuelle est fondamentalement la même qu’en matière extracontractuelle, tout dommage causé par un manquement qui est simultanément contractuel et quasi-délictuel sera par nature « en lien causal avec ce manquement contractuel », excluant ainsi un dédommagement par voie extracontractuelle.

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